» JE N’ATTENDAIS QU’UNE CHOSE: le départ de Jacobs « 

Les prêts sans intérêt (deux ans à Westerlo, une saison à Louvain), c’est terminé. L’Ukrainien est devenu un capital qui rapporte aux Mauves. Interview tac au tac.

Tu as fait bonne impression la semaine dernière en télé, dans La Tribune. Tu penses avoir quelle image pour le public ? Sacha Iakovenko : Quelle image ? (Il réfléchit). Maintenant, j’ai l’étiquette d’un gars qui joue avec Anderlecht. Ça, c’est nouveau. On me voit presque chaque week-end sur le terrain.

Enfin heureux ?

Euh… Heureux, oui, mais pas complètement. Mon bonheur ne sera total que le jour où je commencerai les matches. Je veux être dans l’équipe dès la première minute, et c’est encore très rarement le cas. Je voudrais tout jouer, tout le temps.

Tu es à Anderlecht, ce n’est pas n’importe quel club.

Je sais, c’est une big team. Mais j’espère que je suis capable de devenir incontournable.

Tu joues ton meilleur football depuis ton arrivée en Belgique ?

Pas sûr. Ma première année à Westerlo avait aussi été très bonne. Je me sens bien, j’ai confiance en moi, je bosse beaucoup, je donne tout. Pour le reste, ce n’est pas à moi qu’il faut poser cette question mais à ceux qui voient mes matches.

Les supporters d’Anderlecht t’adorent.

Aucune idée.

Tu ne les entends pas quand ils réclament ta montée au jeu ?

En fait, je les ai toujours eus de mon côté, même quand je ne jouais pas du tout. Ils voyaient que je crevais d’envie de leur montrer quelque chose mais qu’on ne me donnait pas ma chance.

 » Van den Brom me considère comme un vrai joueur de foot « 

Tout donner en semaine et ne pas jouer le week-end, c’est une frustration ?

(Il rigole). Mais bien sûr que c’est difficile, très difficile pour n’importe qui. Et là, il y a deux façons de réagir. Tu as les joueurs qui deviennent plus forts et ceux qui s’effondrent complètement. Moi, je suis devenu plus costaud. Si j’avais baissé les bras, je ne ferais pas ce que je fais aujourd’hui.

Quand tu étais prêté par Anderlecht saison après saison, deux fois à Westerlo, puis à Louvain, tu t’es parfois dit que tu devais abandonner définitivement ton rêve de carrière dans un grand club ?

Jamais. Je n’attendais qu’une chose : le départ d’Ariel Jacobs. Pourquoi le cacher ? (Il rigole). Je savais qu’avec un autre coach, j’aurais enfin ma chance. J’ai toujours fait de mon mieux pour montrer à Jacobs que je méritais de jouer. A certains moments, j’ai eu l’impression qu’il croyait enfin en moi, qu’il m’aimait. Mais directement après, je sautais de sa sélection. Enfin bon, je m’estime finalement heureux d’avoir connu tous ces problèmes. Ce qui ne tue pas rend plus fort.

Comment tu réagis quand tu apprends qu’il ne reste pas à Anderlecht ? Tu fais la fête ? Tu pars au bistrot ? Tu contactes directement tes parents ? Tu embrasses ta femme et ton fils ?

Depuis un bon moment, il y avait pas mal de rumeurs sur son départ possible. Donc, quand ça a été officiel, je n’ai pas été vraiment surpris. Mais ça changeait directement quelque chose pour moi. Si on avait annoncé qu’il restait, j’aurais déjà commencé à chercher un autre club parce que je savais que je ne jouerais jamais avec lui. Et de toute façon, Anderlecht aurait essayé de me vendre puisqu’il ne me restait qu’un an de contrat. Là, j’apprenais qu’un autre entraîneur allait venir, ça ne me garantissait pas que j’allais recevoir une chance mais au moins, je n’étais pas absolument obligé de partir.

A quel moment te rends-tu compte que John van den Brom te trouve quelque chose ?

Il m’a fait jouer dès les premiers matches de l’été. J’ai senti qu’il me considérait comme un vrai joueur de foot, lui !

En mai, Herman Van Holsbeeck avait dit qu’il n’y avait pas d’avenir à Anderlecht pour les joueurs prêtés qui n’avaient pas apporté une plus-value à leur club. Tu étais directement visé. Tu l’avais entendu ?

(Evasif). Yes…

Et tu en pensais quoi ?

A ce moment-là, il n’y avait pas encore de nouveau coach, donc ça pouvait partir dans tous les sens.

Aujourd’hui, tu tiens ta revanche par rapport à ceux qui ne croyaient pas en toi ?

Une revanche par rapport à Herman Van Holsbeeck ? Certainement pas. He’s a nice guy. Et c’est un excellent manager. Chaque fois que je réussis quelque chose de bien, il est le premier à venir me féliciter. Son job est très compliqué. Et c’était difficile pour lui de croire en moi puisque s’il voulait me voir, ça ne pouvait se faire qu’aux entraînements. Lors des matches du Sporting, je n’étais jamais sur le terrain. Van Holsbeeck pouvait se faire un avis sur un jeune de 18 ans qui jouait avec la Réserve, mais pas sur moi.

 » Quand tu montes, tu n’es pas nécessairement prêt pour le combat « 

Qu’est-ce qu’il te manque encore pour jouer des matches entiers ? Quel est le problème ?

Mais il n’y a aucun problème. Je veux y arriver et je suis prêt. Simplement, le coach préfère compter sur moi comme joker. En début de saison, Sacha Kljestan ne jouait pas beaucoup. Subitement, il est entré dans l’équipe et il est maintenant titulaire. Peut-on dire qu’il y avait un problème Kljestan ? Non, bien sûr. Tout peut aller très vite.

Après ta très bonne entrée contre Genk, tu as dit que tu étais capable de faire en tant que titulaire ce que tu réussissais comme réserviste.

Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit… J’ai voulu faire comprendre que c’était plus facile de commencer un match que de le prendre en cours. N’importe quel footballeur te dira la même chose. Si tu es titulaire, tu fais tout avec l’équipe : la préparation mentale, l’échauffement,… Et quand le match commence, tu es chaud, tu es prêt. Pendant les dix premières minutes, souvent, ça joue à la baballe, les équipes s’observent, tout le monde se met en place, prend ses repères. Tu as le temps d’entrer sagement dans ta partie. Si tu entres en cours de match, tu atterris subitement au milieu d’une vingtaine de gars qui sont en plein fighting, dans le feu de l’action. Toi, tu n’es pas nécessairement prêt pour le combat !

Depuis le début de la saison, tu montres quand même que tu es prêt chaque fois que tu montes…

Je fais ce que je peux. Mais qu’on ne dise pas que c’est plus facile de jouer les 15 dernières minutes que les 15 premières. Tu risques de n’avoir que deux ballons intéressants, tu ne te sens peut-être pas trop bien dans ta tête parce que tu n’as pas pu commencer avec les autres.

Tu parles beaucoup avec l’entraîneur ?

Ça arrive, oui. L’atmosphère est excellente. Aucun souci, vraiment.

Tu as parlé combien de fois avec Ariel Jacobs ?

Honnêtement ? La dernière fois qu’il m’a adressé la parole, c’était avant mon premier prêt à Westerlo, en 2009. Il m’avait souhaité bonne chance. Entre-temps, je suis revenu en transit mais il n’y a plus jamais eu d’échange.

Tu avais déjà eu le même type de relation avec Hugo Broos à Genk. Lui, c’était Iceman I, et Jacobs, Iceman II ?

Broos m’a appelé des années plus tard et il m’a dit qu’il s’était trompé sur mon compte, qu’il avait eu tort de ne pas me faire plus jouer à Genk. C’était au moment où il était à Zulte Waregem et il aurait voulu que j’aille là-bas. Je suis heureux et fier d’avoir réussi à le faire changer d’avis. Et content qu’il ait reconnu son erreur de jugement. Son coup de fil restera un moment important de ma carrière !

Jacobs t’appellera peut-être demain ou après-demain pour te dire la même chose ?

(Il éclate de rire). Attention, je n’ai aucun problème avec l’homme. Ce n’était pas un conflit de personnes. De toute façon, le boss, c’était lui. Il y a des patrons qui n’aiment pas certains de leurs employés, ils sont durs et froids avec eux dans le travail mais peuvent redevenir… des gens normaux dès qu’ils quittent le bureau ou le stade.

 » Les coups francs directs ? J’ai essayé. Trois fois, trois échecs. J’arrête ! « 

Comme Milan Jovanovic était suspendu pour le match retour contre Limassol, tout le monde te voyait commencer. Mais une fois de plus, tu t’es retrouvé sur le banc !

Tu sais, j’ai connu tellement de choses dans ma vie… Quand j’ai su que je ne serais pas titulaire, je me suis mis à espérer une montée au jeu. Je l’ai eue et je l’ai très bien négociée.

Comment tu es dans ta tête quand tu t’installes sur le banc ? Frustré ? Enragé ? Colérique ?

J’attends. Sagement. Qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ?

Dès les premiers entraînements, le coach a dit que tu serais le remplaçant idéal de Jovanovic.

OK, c’est comme ça. S’il l’a dit… Jova est un excellent joueur et un très bon ami, sans doute mon meilleur pote dans le noyau. L’entraîneur dit ça en juillet, il peut changer d’avis en septembre. Et pourquoi faudrait-il faire un choix entre Jova et moi ? Nous pouvons aussi jouer ensemble. Tu as vu notre match à Louvain ? Je donne l’assist, il marque. C’est la meilleure preuve que ça peut marcher. Nous avons remis ça contre Genk : il me fait une bonne passe, je cours et je donne à Massimo Bruno qui marque.

Tu peux être aussi bon sur le flanc droit que sur le gauche ?

Bien sûr. Mon meilleur pied, c’est le droit. Je me débrouille très bien avec le gauche. Donc, pas de problème, on peut me mettre de n’importe quel côté. Idem pour Jova.

On joue au jeu des comparaisons ? Lequel de vous deux a le meilleur tir au but ? La plus belle pointe de vitesse ? La meilleure technique ? Le plus de leadership ?

(Il rigole). Désolé, je ne joue pas à ce jeu-là. Simplement, nous avons tous les deux nos atouts. Il a plein d’expérience, par exemple. Son dribble est terrible. Enfin bon, quand tu as été Footballeur Pro et Soulier d’Or, tout est dit. Moi, je suis performant sur les coups de pied arrêtés. Je donne beaucoup de corners…

… et de plus en plus de coups francs. Aujourd’hui, Lucas Biglia n’est plus le tireur attitré.

Besnik Hasi m’a convaincu que je devais prendre mes responsabilités. Les rares fois où j’ai joué avec Jacobs, il me disait aussi de le faire. Mais j’ai mes limites : les coups francs directs, ce n’est pas pour moi. J’ai essayé trois fois : trois échecs… Là, il me reste encore du boulot.

 » Vivre près du stade du Lierse, c’est bien pire que l’Ukraine profonde « 

Ne pas avoir été repris en équipe d’Ukraine pour l’EURO qui se jouait chez toi, ça restera le plus gros coup dur de ta carrière ?

Mais non… C’est passé, fini. Je regarde devant, je suis fait comme ça.

Quand tu as été appelé en 2010, tu as cru en tes chances ?

Finalement, je n’ai joué qu’un seul match. Pour trois autres, j’ai été convoqué mais j’étais chaque fois blessé. Et comme je n’étais jamais dans l’équipe d’Anderlecht, c’était évidemment difficile de me sélectionner.

Tu peux faire partie de la nouvelle vague ?

Bien sûr, j’y pense. Je n’ai que 25 ans. Si tout va bien, il peut me rester une petite dizaine d’années avec l’équipe d’Ukraine. En étant bon avec Anderlecht, je dois recevoir une chance.

Dans le noyau qui était à l’EURO, il y avait beaucoup de joueurs qui ont été tes coéquipiers ?

Oui, un paquet, des gars que j’ai connus dans les sélections de jeunes, jusqu’en -21.

Ton père entraîne toujours les U21 ?

Oui. Il a déjà occupé le poste quand j’en faisais partie. Nous nous sommes croisés, le temps d’un match : c’était son premier, et moi, mon dernier…

Tu es né à Kiev, tu as grandi là-bas, puis tu as passé une saison à Kharkiv avant de venir en Belgique. Kharkiv a été un cauchemar pour les étrangers qui y sont passés pendant l’EURO : tu as aussi ressenti un choc culturel ?

Quand tu quittes ta famille et ton environnement à 16 ans pour te prendre en charge, ça veut dire en théorie que tu es costaud mentalement. Les gens qui ont séjourné à Kiev pendant l’EURO ont aimé ? Normal, c’est top là-bas. Oui, Kharkiv, c’est très différent, mais il y a pire, hein ! Tu veux savoir ce qui m’est passé par la tête lors de ma saison au Lierse ? C’était encore bien autre chose. Come on ! Kharkiv, c’est un million et demi d’habitants, et on peut y faire plein de choses même si ce n’est pas la ville la plus développée. A Lierre, j’habitais juste près du stade et il n’y avait rien. Rien du tout ! Je n’avais même pas mon permis de conduire pour aller m’oxygéner ailleurs.

La période la plus difficile de ta vie ?

Pourquoi je me plaindrais ? Quitter l’Ukraine pour faire mon trou en Europe, c’était mon choix.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : IMAGEGLOBE

 » Qu’on ne dise pas que c’est plus facile de jouer les 15 dernières minutes que les 15 premières. « 

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