» Je m’excuse d’avoir réussi « 

Ex-star, grand frère des joueurs africains et pote de leurs ministres, passionné de tactique et de technique, bête de TV, copain de Luciano D’Onofrio, Khali nous explique pourquoi il est devenu agent.

Après la CAN de janvier dernier en Angola et la Coupe du Monde en Afrique du Sud, quel bilan tirez-vous du football africain ?

Khalilou Fadiga : J’ai le sentiment que quand on joue en Coupe du Monde, on est beaucoup plus concentré, on montre plus d’envie. Je précise que c’est une impression… De la CAN, on ne gardera pas des souvenirs impérissables sportivement parlant. D’autant que ça avait plutôt mal débuté avec l’attentat contre l’équipe du Togo dans l’enclave de Cabinda ( ndlr, qui avait blessé plusieurs membres de la délégation et tué trois personnes). Il n’était donc pas facile pour les joueurs d’avoir l’esprit serein en arrivant en Angola. Bien sûr, toutes les Coupes d’Afrique des Nations ne connaissent pas des événements tragiques de cet ordre. Que ce soit au Mali, au Ghana, au Sénégal, etc., l’accueil a toujours été sympathique, généreux.

Comment expliquer que la Côte d’Ivoire et sa fameuse génération Drogba – dont le talent saute aux yeux -, n’a jamais brillé lors d’une grande compétition continentale ou mondiale ?

Peut-être qu’il y a tout simplement des choses qui se passent et que nous ne voyons pas. Le football, ce n’est pas seulement taper dans un ballon. Des événements ont peut-être mis à mal certains joueurs, des clans se sont peut-être formés. Le Sénégal de 2000, vice-champion d’Afrique, c’était vraiment une bande de copains ; on ne faisait pas semblant, c’était du solide. Ceux qui ont tenté de nous diviser se sont cassé la gueule. Le seul conseil que je puisse donner à la Côte d’Ivoire, c’est de se remettre en question, c’est-à-dire le groupe uniquement, sans les dirigeants et ceux qui tournent autour. Reste qu’à la Coupe du Monde, ils n’ont pas été ridicules. Leur groupe était très difficile avec le Portugal et le Brésil.

Les joueurs des sélections africaines n’ont-ils pas tendance à trop se relâcher quand ils quittent le cadre de leur club européen ?

Autour des équipes africaines, il y a toujours des choses qui se disent. Quand ça marche, c’est leur enthousiasme et leur décontraction qui explique tout. Et quand ça foire, c’est la faute aux marabouts ou c’est parce que les joueurs sortent beaucoup, etc. Il faudrait un peu regarder le terrain et comprendre pourquoi ça ne fonctionne pas, se référer au foot uniquement. Et ne pas répéter sans cesse, ça marche parce qu’ils s’amusent et ça ne marche pas pour les mêmes raisons. Ce genre d’explication est bien trop réducteur.

En Afrique du Sud, seul le Ghana fut une réelle satisfaction. Vous avez été déçu par les autres sélections africaines ?

Un petit peu beaucoup. Je crois aussi que le système des têtes de série empêche les surprises. Pourquoi ne pas un jour, arrêter ce système et mélanger au hasard les groupes ?

C’est un peu court comme explication.

Pour avoir participé à une Coupe du Monde, j’affirme qu’il est difficile de juger de l’extérieur. Pour beaucoup de joueurs, la pression est difficile à gérer. Tu sais continuellement que ceux qui se retrouvent sur le banc rêvent de prendre ta place et tu le ressens. Il faudrait peut-être que certains d’entre nous,  » les Africains « , retrouvent ce je m’en-foutisme, qu’ils se pointent sur le terrain et jouent leur jeu sans appréhension, comme face aux copains du quartier. Certains ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont et ne se libèrent pas assez.

Quel est votre bilan global de cette première Coupe du Monde en Afrique ?

Froid. Pour une première Coupe du Monde sur le sol africain, choisir l’Afrique du Sud, c’est sympa pour l’histoire, pour Nelson Mandela, etc., mais la période ne correspondait pas à l’événement. Voir des joueurs sur le banc complètement congelés, avec des bonnets, ce n’est pas génial. Une Coupe du Monde, ça doit se jouer sous le soleil, ça doit donner une image de fête. Et puis, l’Afrique du Sud fait partie de l’Afrique mais ce n’est pas notre Afrique à nous. La source de l’Afrique noire, c’est celle qui se trouve sur la côte ouest. L’Afrique du Sud, c’est… différent.

Et d’un point de vue sportif ?

Médiocre. Parce que beaucoup d’équipes qu’on attendait n’ont pas répondu présentes. Parce que le décor n’était pas le bon. Je me répète mais jouer sous 25°C ou 5°C, ce n’est pas la même chose. De la Coupe du Monde aux USA en 94, on en garde une image de fête, chaleureuse et pourtant, quand les USA l’ont reçue, je me suis demandé s’ils jouaient au foot là-bas. J’aurais préféré qu’on la joue au Maroc même sous une chaleur étouffante. L’Afrique du Sud, c’était purement symbolique.

 » Aujourd’hui, les clubs belges font du bon boulot avec leurs jeunes « 

Un choix dicté par Sepp Blatter…

Qu’on le veuille ou non, c’est lui l’autocrate du foot mondial. C’est lui qui décide. Et donc, soit tu t’alignes, soit tu n’as rien.

Pas trop déçu que la Belgique n’organisera pas la Coupe du Monde… ?

La Belgique a d’autres chats à fouetter. Il faudrait d’abord qu’elle se trouve un gouvernement. Et d’un point de vue foot, qu’elle régularise son championnat avant d’accueillir les autres nations dans les plus beaux stades. Qu’on mette sur pied quelque chose de clair et de concret au niveau du championnat.

Qu’on en revienne à 18 équipes pour un petit pays comme la Belgique n’est-ce pas aberrant ?

Oui et non. Je ne crois pas que le vrai problème soit là. Si je devais donner une solution, je ferais jouer tous les matches le samedi après-midi, exception faite du gros match du week-end que l’on jouerait le dimanche à l’heure que l’on veut, en fonction des exigences télé. Jouer le samedi permettrait d’emmener son fils au stade, ce qui est difficile quand le match se joue en soirée. Et on fait le compte : ton fils, c’est une place en plus vendue, s’il veut une écharpe du club, tu ne lui dis pas non. Le petit va vouloir manger un hamburger, va vouloir sa boisson. Tout ça, c’est de l’argent en plus qui rentre dans les caisses du club. Regardez ce qui se passe en Angleterre, en Allemagne où on joue l’après-midi et où les affluences sont les plus importantes d’Europe. Tu auras beaucoup plus de gamins dans les tribunes et le père, au lieu de s’ennuyer à faire du vélo le samedi après-midi, il aura une occupation avec son fils. Et sur une longue durée, tu gagneras beaucoup plus que ce que les droits télés te donnent actuellement.

L’Angleterre, c’est le modèle à suivre ?

Sur ce point, oui. En Angleterre, tu vois plein de gosses dans les stades. A Manchester, il y a une tribune réservée aux gamins et ça bouffe des pizzas, des popcorns, tout ça rentre dans les poches du club. Les photos dédicacées des joueurs à deux euros pièce, tu les paies aussi. Imagine Anderlecht : combien de gamins ne voudraient pas avoir une photo de Lukaku dédicacée ? Et il n’y a pas qu’à United que ça se passe mais à Hull City ou dans des équipes de D3… Et quand tu rentres chez toi, il est 19 heures et tu as encore tout ton dimanche pour t’occuper de tes enfants. Pour moi, un match de championnat, c’est 15 h : kick-off comme en Angleterre.

Et pour s’en sortir sportivement ?

Picorer ce qui se fait de mieux ailleurs. Le merchandising en Angleterre, la formation en France.

Votre fils, Noah, évolue aujourd’hui à Anderlecht. Après avoir connu Auxerre, vous n’êtes pas frappé de voir l’état du centre de formation de Neerpede ?

La formation française est encore en avance sur la Belgique, c’est un fait. Mais je remarque qu’à Anderlecht, pas mal de jeunes font leur trou désormais. Et franchement, j’ai fait pas mal de clubs en Belgique : Anderlecht, chapeau bas ! Chapeau bas par rapport au niveau de technicité des gamins et par rapport à leurs formateurs. Au Standard et à Genk aussi, c’est très bon. Et puis, les jeunes de Bruges, il faut les voir jouer ! Ce n’est plus que je te frappe la balle et que je file ; ça joue au ballon désormais. Dans des petits clubs comme le Lierse, Westerlo, également. Je crois réellement que les clubs ont pris conscience de leur retard. Aujourd’hui, on ne fait plus de l’éducation autour du foot, on leur apprend le football, le pied, le ballon.

Quand vous êtes revenu en Belgique après avoir connu la France, l’Angleterre, vous avez dû être frappé par le recul pris au niveau des infrastructures ?

Evidemment. Quand je suis arrivé à Gand, j’ai dit directement à Michel Louwagie que ce n’était pas normal qu’un club pro s’entraîne dans de telles conditions, sur des terrains boueux, etc. Regardez aujourd’hui, les efforts consentis par Gand : deux terrains synthétiques pour les pros et les gamins ont une pelouse qui est nickel chrome.

 » Ce que je dis est souvent écouté « 

Tout n’est quand même pas rose !

Loin de là. Je dis juste qu’il faut réinvestir l’argent dans la formation, dans des jeunes de talent belges ou de l’étranger. Et arrêter de prendre un joueur qui évoluait en cinquième division brésilienne, uniquement parce que brésilien ça sonne bien. Enfin, il faut vendre quand l’opportunité se présente. Quand Chelsea est venu avec 20 millions pour acheter Drogba, tu crois qu’ils ont réfléchi longtemps à Marseille ? Quand on vient avec un gros montant, il faut vendre. Si tu vends un de tes joueurs 5 millions, tu peux acheter deux, trois jeunes qui ont du talent. La Belgique doit faire une politique axée sur la formation et vendre ses pépites quand l’occasion se présente. Luciano D’Onofrio est dans cette logique. Dante, Igor de Camargo, combien il les a achetés ? D’Onofrio est un exemple…

On vent ses meilleurs joueurs et on recule ?

Non. Il faut toujours avoir un coup d’avance. Tu vends en sachant qu’il y a quelqu’un derrière.

Et comment être meilleur que d’autres pays européens de même envergure que la Belgique ?

La Belgique a la chance d’être vue dans le monde entier comme une terre sympathique. Pour les joueurs, ça joue, il peut se dire : – La Belgique, c’est un bon tremplin.

Pourquoi avoir choisi le boulot d’agent comme reconversion ?

J’ai toujours voulu rester dans le football. Joueur, je parlais beaucoup tactique avec les Eric Gerets, Trond Sollied, Guy Roux. Et les joueurs m’ont souvent demandé conseil. Momo Cissokho, à Auxerre, avant de passer à Valence. Mahamadou Niang quand il est arrivé en sélection sénégalaise. Et beaucoup d’autres. Après, c’est vrai, je me faisais la réflexion que ce que je dis est souvent écouté. Et personne ne m’a appelé encore pour me dire :- Toi, tu m’as mis dans la merde.

Comment expliquez-vous ce don ?

Je ne sais pas, je crois que c’est inné. Je vois peut-être des choses que d’autres ne voient pas. J’ai peut-être cette force de persuasion qui fait que quand je parle avec les gens, ils m’écoutent. Il y a des leaders et des gens qui aiment être guidés. Mais ce n’est en aucun cas une prétention de ma part. J’arrive à cerner la personne en face de moi, c’est tout.

Mis à part votre passage comme consultant RTBF pendant la Coupe du Monde, comment avez-vous occupé votre temps depuis le départ du Beerschot en janvier 2009 ?

J’ai pris un bon petit temps de repos pour mettre pas mal de choses en place. Et puis, j’ai fait pas mal de boulot de consulting pour des grosses sociétés américaines ou européennes qui voulaient s’implanter en Afrique. Comme je connais pas mal de chefs d’Etat et de ministres de pays africains, que je peux les appeler et leur dire : -Ça va tonton ? Il y a telle société qui voudrait venir au pays s’installer, qu’est-ce qu’on peut faire ?, il est logique que certains étaient intéressés par mes services.

 » Je suis un bosseur « 

Vous n’avez donc jamais vraiment chômé ?

Ah non, j’ai toujours été dans le business. Quand j’étais joueur, j’étoffais mon carnet d’adresses et je gardais le contact avec ces personnes importantes parce qu’en Afrique, Khalilou Fadiga ça représente quelque chose. Et en Europe, ceux qui connaissent le foot me témoignent le même respect. Ok, je suis quelqu’un de spécial mais je sais jouer au football.

Pourquoi spécial ?

Parce qu’on a du mal à voir un footballeur, un ex-footballeur, qui sait s’exprimer.

Le fait d’intégrer un milieu de requins où l’hypocrisie règne en maître, ça ne vous pose pas de problèmes ?

Je vais vous dire pourquoi je suis différent des autres. Au Sénégal, grâce à mon nom je pourrais signer le fils du boulanger, du médecin, tous les jeunes dont les parents croient dans le talent de leur fils. Mais alors, je me donne deux ans de vie. Si c’est pour prendre 500.000 euros en deux ans et que les joueurs disent :- Fadiga, il m’a déposé là et puis il s’est barré, que les présidents se plaignent parce que je leur ai filé un gars avec deux pieds gauches, franchement non. Je préfère quelqu’un comme Luciano D’Onofrio qui, à 18 ans, m’a dit : – Tu as du talent, mais je n’aurai pas le temps de m’occuper de toi. Clair, net, et précis. Moi, je veux être comme ça. Il ne faut jamais donner l’occasion aux autres de cracher dans ton dos ; en face ils n’oseront pas ( il rit).

La presse africaine a fait grand bruit de ta première signature importante, ton ex-partenaire au Sénégal, El-Hadji Diouf.

Rien n’est contractuel, c’est une signature morale. Je n’ai pas besoin de ça avec El-Hadj, ni avec Mahamadou Niang.

Vous êtes aussi intervenu dans le transfert de Mohamed Sarr à Alicante ?

J’ai tout réglé. Luciano a accepté certaines choses parce que j’étais dans le coup. Mais je n’ai rien touché en retour. Peu importe…

Le fait d’avoir bien gagné votre vie comme footballeur vous permet-il d’avoir les dents moins longues ?

C’est ça. Beaucoup d’agents ont faim et font n’importe quoi. De mon côté, je ne serai jamais pressé que mon joueur signe n’importe où comme j’ai pu en voir. Mais en tout cas je bosse, je reste un bosseur.

Ce n’est pourtant pas l’image que l’on vous a donnée au Beerschot.

Je suis désolé et il ne faut pas prendre ça pour de la prétention mais naître à Colobane (quartier de Dakar), grandir à Barbès, devenir pro à 18 ans, jouer à Lommel, à Bruges, passer à Auxerre, être transféré à l’Inter, disputer un quart de finale d’une Coupe du Monde, être vice-champion d’Afrique, en te tournant les pouces… ? Les gens qui ont cette vision de moi, qu’ils aillent demander à Guy Roux ce qu’il en pense. Gerets m’aurait-il transféré à Bruges après m’avoir connu à Liège si j’étais un branleur ? C’est pas sérieux. Que ceux qui pensent ça de moi, m’excusent si je sais m’exprimer, si j’ai reçu une éducation, si j’ai été à l’école, si je suis propre sur moi, si ce que je possède, je l’ai gagné, qu’ils m’excusent pour toutes ces choses-là. A Liège, j’étais tout seul, je prenais mon bus, je cuisinais. Tout ne m’est pas tombé du ciel. Mais pour certains, il faudrait que l’Africain fasse l’Africain, qu’il se pointe en retard, porte des habits de rappeur, etc. Mais ça c’est fini. Tu as des Blancs qui aiment faire la fête et des Noirs qui préfèrent rester sagement chez eux. En Angleterre, on ne s’arrête pas à l’aspect extérieur des choses. Quand je suis arrivé à Bolton, Jay-Jay Okocha avait une Ferrari, notre entraîneur Sam Allardyce avait une Bentley, Les Ferdinand faisait Londres-Bolton en hélico pour se rendre aux entraînements. En Angleterre, si tu as les moyens de te faire plaisir, tu te fais plaisir. En Belgique, on te critique pour ça. Mais je ne changerai pas : je ferai toujours attention à la manière dont je m’habille, la manière dont je parle. Je m’excuse encore auprès de ces personnes, je m’excuse d’avoir réussi.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS : REPORTERS

 » Pour certains, il faudrait que l’Africain fasse l’Africain, qu’il se pointe en retard, porte des habits de rappeur, etc. Mais ça c’est fini. « 

 » Il faut arrêter de prendre un joueur qui évoluait en D5 brésilienne, uniquement parce que brésilien ça sonne bien. « 

En Angleterre, on ne s’arrête pas à l’aspect extérieur des choses

 » En Afrique, Khalilou Fadiga ça représente quelque chose. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire