» Je me suis demandé si je ne devais pas être plus méchant « 

Le grand frère de Sclessin était déçu après la défaite contre le Club Bruges : quelles seront les conséquences de ce knock-out que cette jeune équipe aurait pu éviter ?

Il y a le ciel, le soleil et la plage : quand le Prince Igor arrive quelque part, on découvre surtout du bonheur et de l’optimisme dans ses yeux. Et, au fil de ses mots, on se retrouve à Baia ou à Sao Paulo, entourés d’écoles de samba, de footballeurs danseurs éclatants de joie de vivre. Pour lui, qui a eu des soucis cette saison, la bouteille sera toujours à moitié remplie. La vie mérite d’être vécue.

Il sourit à pleines dents, comme un semeur de bonne humeur :  » Je n’y peux rien, je suis né comme ça…  » De Camargo aura besoin de ce moral qui résiste à tout pour remonter la pente. Même si la défaite face aux troupes de MPH est imméritée, le bilan comptable des PO1 est maigre avec une récolte famélique de 9 points (sur 24) et à peine deux succès en huit matches : il s’agit bel et bien d’un gros effondrement mental en vue de la ligne d’arrivée.

Igor, cela semble plié pour le titre, n’est-ce pas ?

IgorDeCamargo : Nous avons évidemment raté le coche. Le Standard a largement dominé le Club Bruges et s’est forgé de nombreuses occasions de but. Le gardien brugeois a signé un très grand match : c’est la preuve que nous avons été dangereux et que le Standard méritait de gagner cette rencontre. Bruges a fait la différence sur sa seule occasion en deuxième mi-temps. C’est dur à accepter mais je ne lâche rien. Tant qu’il y a mathématiquement encore la moindre petite chance d’être champion, comme c’est encore le cas pour nous, il faut y croire et se donner à 100 %.

Nous vous avions soumis une question délicate en début de saison : préférez-vous être champion avec le Standard ou prendre part à la Coupe du Monde avec les Diables Rouges ? Le choix était difficile mais vous étiez revenu à Liège dans le but de prendre part au rendez-vous brésilien…

J’ai signé au Standard pour jouer toutes les semaines dans une équipe visant le top, animé en même temps par l’ambition de prendre part à la Coupe du Monde avec les Diables Rouges. Cette saison n’a pas tout à fait tourné comme je le voulais. Mais, en tant que professionnel, j’ai fait preuve de patience et de bonne volonté. J’ai toujours eu une attitude positive au coeur de notre effectif. C’est le titre qui importe quand on se lance dans une telle aventure commune. Champion, c’est la meilleure chose qui puisse vous arriver en tant que footballeur, à l’exception d’une… Coupe du monde. Surtout au Brésil. Il n’était pas évident de garder mon calme. Avec le temps, les chances de prendre part au plus grand événement sportif diminuent. A mon âge, je n’aurai pas une autre possibilité de vivre le rêve de tout footballeur. Quand on pense à tout cela en attendant de s’installer pour de bon dans son équipe de club, ce qui a été mon cas, il n’est pas évident de garder son calme.

 » Le travail acharné est toujours récompensé  »

Vous avez retrouvé une équipe formée, et basée entre autres, sur un duo de jeunes attaquants prometteurs : pas évident de trouver tout de suite ses marques dans ces conditions-là ?

Non, pas du tout. Le nouvel entraîneur avait un concept, une occupation de terrain, rien de plus normal. La meilleure chose que vous pouvez alors faire, c’est de bien accomplir le travail. Je me suis toujours dit ceci : – Le football est mon job et un sportif professionnel doit vivre pour son métier, rester positif dans ses actes et ses paroles. Le travail acharné est toujours récompensé. Je l’ai appris tout au long de ma carrière. Je suis un calme. Si j’ai eu une seule discussion contre-nature cette saison, c’est beaucoup.

De quand date-t-elle ?

Cela remonte à la mi-championnat, je crois. A un moment, je me suis posé une question assez logique, il me semble : – Quand allais-je enfin avoir ma chance ?

Oui, j’y ai pensé tous les jours.

Un peu comme c’est le cas de Timmy Simons au Club Bruges et en équipe nationale, quoi ?

Quelque chose comme ça, oui. Et, comme je l’avais fait lors de mon premier passage au Standard, j’ai toujours songé avant tout à l’intérêt collectif. Il faut s’en soucier en apportant, quand c’est nécessaire, des réponses apaisantes au groupe. Ce fut le cas lors du fameux doublé, en 2008 et 2009 avec des moments inoubliables à la clef, positifs évidemment mais parfois négatifs aussi. Il y a eu une joie folle mais des émotions, des tensions et des réactions tellement fortes que je me suis parfois demandé si nous pourrions encore jouer ensemble le prochain week-end. Parfois, je me suis demandé si je ne devais pas être un peu plus méchant. C’est difficile car ce n’est pas dans ma nature.

Quelle équipe est la plus facile à gérer : celle du doublé ou la génération actuelle ?

Celle-ci. La génération des deux titres était également composée de jeunes joueurs dotés de fortes personnalités et des caractères formés. Witsel, Defour et Fellaini savaient ce qu’ils voulaient. Aujourd’hui, nos jeunes ont juste envie de jouer. Ce sont des  » gamins  » qui veulent avoir du plaisir, rien de plus. Ce sont des jeunes fantastiques, de grands talents, mais en sport, la mentalité et l’état d’esprit font la différence. Si vous êtes confrontés à trois  » finales  » en championnat, on ne monte pas sur le terrain en se disant :  » Chouette, on va se mesurer à Bruges « . Prenez le match des PO1 à Anderlecht il y a quelques semaines. Notre première mi-temps fut exceptionnelle, la meilleure du Standard cette saison. A la mi-temps, nous aurions dû mener largement à la marque, au moins 0-3. Pourtant, nous avons finalement été battus. Le mental est très important dans ces moments-là. Une équipe a besoin de quelqu’un qui peut conduire les jeunes quand cela se corse. J’ai vécu tout cela, le stress pour décrocher le titre, éviter la descente, les émotions de la Bundesliga, etc. La situation que nous vivons exige de plus gros efforts qu’un simple championnat.

 » C’est l’équipe la plus solide mentalement qui sera championne  »

Votre apport hors du terrain a-t-il changé au cours de la saison ?

Au début, nous avons tout gagné. Tout roula comme sur des roulettes jusqu’au déplacement à Zulte Waregem où nous avons perdu pour la première fois, et… comment ! Zulte Waregem joua nettement mieux que nous. On n’y a pas eu voix au chapitre. Donc, la question était de savoir comment nous réagirions. Nous avons eu des hauts et des bas. Maintenant, nous sommes toujours à trois dans la dernière ligne droite, avec deux finales au programme et de petites différences entre les trois équipes. Cela se jouera sur des détails et quand on en arrive là, ces petites différences dépendent de la force mentale. Et c’est l’équipe la plus solide mentalement qui sera championne.

Le public de Sclessin joue-t-il un rôle dans la dernière ligne droite ? L’ambiance dans le stade a-t-elle changé par rapport à il y a cinq ans ?

Si votre meilleur buteur est hué sur le terrain, ce n’est pas normal, non ? C’est l’enfer, mais c’était comme cela avant aussi. Mais ces mêmes supporters incroyablement passionnés nous motivent à l’extrême.

Vos adversaires disent aussi qu’ils se sentent ultra motivés à Sclessin, n’est-ce pas ?

C’est possible mais je sais aussi qu’il leur arrive de trembler sur leurs jambes durant le premier quart d’heure de jeu…

Par conséquent, vous tentez de forger au plus vite la différence…

Exactement.

Comment analysez-vous l’évolution de ceux que certains appellent les meilleurs attaquants de D1, Batshuayi et Ezekiel ?

Prenez Michy. Les commentaires à son propos démontrent qu’il comprend enfin une chose importante : il a besoin des autres pour mettre ses qualités en valeur. Et elles ne sont pas des moindres : force, vitesse, joie de jouer. Mais, s’il peut encore être meilleur buteur, c’est dû à ses équipiers. Il peut tirer un penalty et enrichir son capital buts.

Qui a forcé le penalty qu’il a transformé contre Zulte Waregem ?

Un joueur rusé.

A un moment donné, les joueurs du Standard exprimèrent le désir de ne pas jouer qu’en contres mais vous n’avez pas tout de suite été concerné par ce changement de cap : dur à vivre ?

Je pensais que le Père Noël me ferait un cadeau mais il n’en fut rien. Ecoutez, tout le monde joue au football pour vivre sa passion sur le terrain, pas pour s’asseoir sur le banc. C’est vrai pour les plus jeunes, ce qui fut mon cas à Genk où je devais patienter derrière Wesley Sonck ou Zoran Ban. Cela vaut aussi quand on a 30 ans comme moi. Si l’enthousiasme disparaît, c’est terminé pour vous comme joueur.

 » J’ai toujours respecté les choix des entraîneurs  »

Pas toujours facile ?

C’est difficile mais tout au long de ma carrière j’ai toujours respecté les choix des entraîneurs. Dans de tels moments, je me dis ceci – Si l’équipe gagne, je gagne aussi.

Avant les PO1, on vous avait surtout vu à l’oeuvre lors des matches européens du Standard : or, ce n’était pas l’objectif prioritaire du Standard.

Dommage, parce que je pense toujours que nous étions suffisamment armés, avec notre effectif, pour lutter et décrocher de belles satisfactions sur deux ou même trois fronts.

En fin de compte, le Standard ne pratique-t-il pas le même jeu qu’il y a cinq ans ?

Sous la direction de Michel Preud’homme, nous avons opté en gros pour un 4-4-2 à plat. Laszlo Bölöni voulait que je décroche dans l’axe pour aider les milieux récupérateurs. Nous avions ainsi un homme de plus que nos adversaires dans ce secteur. J’étais un box to box. Aujourd’hui, nous en sommes revenus au système avec deux attaquants à côté l’un de l’autre et ma zone de travail est plus limitée. Je dois voir où se trouve Batshuayi ou Ezekiel, de sorte que nous puissions nous trouver et nous soutenir au plus vite. Je redescends moins et c’est moins éprouvant…

Pourriez-vous comparer Preud’homme, Bölöni et Luzon ?

Ces sont trois coaches passionnés, qui vivent pour le football. Quand je vois Preud’homme à l’oeuvre le long de la ligne au Club Bruges, je me dis qu’il n’a pas changé. A notre époque, il comparait le championnat à une course cycliste avec des étapes de montagnes, des tronçons sur le plat, etc. Il a transformé le Standard en team gagnant. Le résultat de sa méthode fut magnifique. Ce n’était pas volé. Mais que se serait-il passé si Preud’homme n’avait pas été suivi par le vestiaire dans son désir de progresser, d’aller de l’avant, de gagner ? Un entraîneur doit sublimer tout son groupe. Sans cette cohésion, il n’y arrive pas. Bölöni a réduit son équipe gagnante à treize ou quatorze joueurs, mais nous a convaincus, entre autres, que les joueurs de Liverpool n’avaient que deux bras et deux jambes et que nous pouvions les battre. Il n’avait peur de rien et n’hésita pas à se disputer avec Rafael Benitez chez les Reds. Impressionnant. Il avait raison : pourquoi ne pas supposer que nous avions une chance de gagner à Liverpool, face à une telle équipe ?

Et Luzon ? Tient-il compte lui aussi de l’opinion des joueurs expérimentés ?

Moi, j’écoute toujours tout le monde, et je suppose que c’est également le cas des coaches. Si je donne un conseil à propos de notre jeu de position sur les phases arrêtées, c’est pour le bien de l’équipe, dans le désir d’augmenter nos chances de l’emporter. Nous donnons notre avis d’anciens mais c’est au coach de retenir ce qui peut être utile au groupe.

 » La seule chose qui importe quand on joue peu, c’est de rester toujours positif  »

Êtes-vous souvent allé voir l’entraîneur pour demander des explications ?

Non, je reste moi-même, je me donne à fond sur le terrain et si on a besoin de moi en dehors de cela, je suis toujours disponible.

Oui, à ma cheville. J’ai raté six ou sept matches. Cela explique peut-être pourquoi je n’étais pas titulaire une fois rétabli. D’autre part, le coach avait peut-être son équipe de base en tête, je l’ignore. On ne le sait jamais. La seule chose qui importe à mes yeux pour un footballeur qui joue peu à un moment de la saison, c’est de rester toujours positif et de bosser. Si je viens à l’entraînement en traînant les pieds, je ne progresse pas, je n’apporte rien à personne. Vous pouvez être de mauvaise humeur le matin car il fait mauvais dehors. Moi, au saut du lit, même s’il fait gris, je cherche toujours un rayon de soleil…

Durant votre traversée du désert, avez-vous parfois demandé à Luzon pourquoi vous ne jouiez pas ?

Et quand l’aurais-je fait ? Il suffit de regarder nos résultats durant cette période : victoire, victoire, victoire, victoire, match nul, victoire… Pas un blessé, pas un suspendu. Que pouvais-je lui demander comme explication à ce moment-là ? D’ailleurs, je ne lui demande pas pourquoi je joue maintenant.

En janvier, n’était-ce pas d’autant plus difficile à vivre que vous pensiez forcément à la Coupe du Monde. Elle ne pouvait alors que s’éloigner pour un joueur relégué sur le banc, non ?

Si on laisse tomber les bras dans de telles circonstances, on peut tout oublier comme joueur. La Coupe du Monde, c’est le top, le max. Celui qui ne saisit pas la moindre chance de réaliser ce rêve doit arrêter de jouer au football. Mais même sans une Coupe du Monde en guise de récompense, il est tout simplement fantastique de porter le maillot d’un club comme le Standard :, de jouer à Sclessin, un stade toujours plein à craquer, de gagner des matches, d’être bien payé â temps. J’ai vécu autre chose au Brussels… Ce n’était pas si évident d’y jouer dans le bas du classement sans oublier tous les autres problèmes.

Avez-vous eu des contacts avec Marc Wilmots ces deniers mois ou dernièrement ?

Non.

 » Michy et moi sommes deux types d’attaquants très différents  »

Et lors des derniers matches des Diables Rouges, avez-vous pesté en vous disant peut-être : – Pourquoi pas moi ?

Non, parce que je ne jouais pas. Un entraîneur choisit logiquement les joueurs qui se mettent en évidence. Devait-il me retenir alors que je ne jouais pas, que je n’étais pas en forme ? Maintenant, je joue avec 100 % de confiance en moi.

Michy Batshuayi a été un de vos concurrents pour une place en Coupe du Monde au Brésil : est-ce que cela a compliqué les choses entre vous ces dernières semaines ?

Absolument pas. Michy et moi sommes deux types d’attaquants très différents. Wilmots a essayé une fois de jouer sans attaquant de pointe. Ce ne fut pas très concluant, il me semble. La philosophie de base des Diables Rouges oscille entre le 4-3-3 et le 4-5-1. C’est logique avec nos grands joueurs de flanc. Mais ils ont besoin d’un pivot. C’est un rôle que je peux assumer. Sélectionné ou pas, je savais depuis longtemps que je vivrais la Coupe du Monde au Brésil…

Avez-vous tout de suite réservé vos vacances et votre billet d’avion ?

Non, c’est trop cher.

Vous pensiez qu’il était moins cher de vous rendre au Brésil avec les Diables Rouges ?

J’ai rêvé de la Coupe du Monde durant toute la saison. J’ai tout fait pour réaliser ce que j’avais en tête. Dans ce cas-là, on ne réserve pas ses vacances à l’avance. Dans le cas contraire, cela aurait signifié que je ne croyais plus en mes chances de sélection, donc en moi : je ne fonctionne pas comme cela… ?

PAR PIERRE BILIC ET GEERT FOUTRE – PHOTOS :BELGAIMAGE

 » C’est dur mais je ne lâche rien : tant qu’il y a la moindre petite chance d’être champion, il faut y croire et se donner à 100 %.  »

 » J’ai rêvé de la Coupe du Monde durant toute la saison.  »

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