Sport/Foot Magazine a suivi pas à pas le sélectionneur belge, entre le match de l’Algérie et celui de la Russie.
Il n’a plus de voix lorsqu’il se présente devant la presse mondiale. Il n’a plus de voix mais il est heureux. Son équipe est qualifiée et on sent le soulagement. Il parle déjà du huitième de finale et d’une possible tournante pour épargner ceux qui ont des cartons jaunes. Il est déjà tourné vers le prochain objectif avec la satisfaction du travail accompli. Il sait qu’il va devoir s’occuper du cas Romelu Lukaku mais ça attendra le lendemain. En attendant, il épargne quelque peu celui qui a montré son mécontentement en refusant l’accolade qu’il lui tendait et en lui criant dessus depuis le banc de touche. » J’ai deux numéros neuf. Aujourd’hui, l’un est peut-être moins bien que l’autre. Mais celui qui est vedette en ce moment ne le sera peut-être plus dans sept jours. J’aurai encore besoin de mes deux attaquants. »
Comme contre l’Algérie, il a dû mettre son veston. Cette fois-ci, il avait prévu le coup. Ce n’était plus celui du team manager. » Quand je lui avais demandé son veston face à l’Algérie, je l’avais vu retirer son portefeuille et son téléphone. Je lui ai même dit – tu crois que je vais te les piquer. » Le sens de la formule. C’est du Willy en plein. La Belgique est qualifiée pour les huitièmes de finale. Dans la douleur mais qualifiée. » Il ne faut pas toujours être beau. Parfois, il faut être efficace. Il s’agissait d’un match entre deux entraîneurs qui avaient bien contrôlé l’entrejeu. On avait un match fermé et tactique. » Il n’en dit pas plus mais il se dit certainement qu’il a remporté la bataille tactique entre lui et Fabio Capello dont il n’a cessé de louer le palmarès tout au long de la semaine et ce, même s’il avait aussi tenté dans le même temps de minimiser l’épouvantail que l’entraîneur italien pouvait constituer. » Je n’ai jamais vu un coach marquer un but ! « , avait-il clamé.
Il a donc vaincu l’allenatore. Grâce de nouveau à un de ses remplaçants, Divock Origi et un coaching gagnant. » Quand j’ai vu certains adversaires regarder leurs pieds, je me suis dit qu’il fallait prendre des risques pour forcer ce match. » Et voilà comment la semaine se terminait sur une nouvelle bonne note.
Il brosse deux points presse
Mercredi, lendemain du match face à l’Algérie. A la lecture de la presse, il n’a pas dû être content. La moitié des médias étrangers, comme L’Equipe salue » son plan triomphant « , l’autre nuance et met l’accent sur l’échec du onze de départ. Quant à la presse belge, elle souligne certes les changements gagnants mais reste dubitative sur les explications de Wilmots qui tente de faire croire que le scénario s’est déroulé comme prévu. Mais pourquoi n’admet-il pas que sa tentative de départ n’a pas fonctionné ? Il en ressortirait plus humain mais également plus tacticien, lui qui a su parfaitement corriger le tir et s’adapter aux circonstances. Oui, mais voilà dans son langage, le mot échec n’existe pas. Alors, il se renfrogne, annule la conférence de presse du lendemain pour laquelle il était pourtant prévu.
Il n’aime pas ces conférences de presse du lendemain. Il n’a jamais aimé. Là où d’autres sélectionneurs n’aimeraient livrer leur expertise qu’après analyse, lui, il préfère dire toutes ses vérités à chaud, le soir du match, et y revenir plusieurs jours plus tard, après avoir revu toutes les images et digéré le tout. Mais le lendemain, il n’aime pas et tente de s’y soustraire le plus souvent possible. » Il y a des coaches qui viennent après des victoires. Moi, je viendrai le lendemain d’une défaite « , lâche-t-il. Pas étonnant que les médias aient vécu son intervention suédoise, le lendemain du match amical, comme exceptionnelle à plus d’un titre, et sans doute téléguidée.
Ce succès face à l’Algérie, il le digère donc. Un jour. Puis deux. Le jeudi, il annule en effet une seconde fois. Du moins pour la majorité des médias. Lui qui veut toujours mettre tout le monde sur le même pied, fait une entorse à sa politique en acceptant un entretien aux détenteurs des droits TV, la RTBF et Sporza, à la fureur des autres médias. » J’ai l’habitude de ne pas faire d’exclusivité mais j’ai aussi celle de respecter la parole donnée « , lâche-t-il.
Sur le terrain, il ne lâche rien. Le lendemain du match, il veille au moindre relâchement. Aux joueurs qui ont décidé de frapper au but sans s’échauffer, il lâche : » On ne frappe pas à froid. Vous courez partout, et vous commencez à frapper comme des cons. Qu’est-ce que c’est ça ? « . Le langage est direct et les paroles sonnent comme celles d’un vieux sage. Les plus anciens se souviennent d’ailleurs du même emportement de son maître, Robert Waseige, au Japon. Pas de relâchement non plus du staff. Wilmots a bien veillé à ce que les règles édictées avant le départ ne soient pas transgressées, le premier succès acquis. Dans sa tête, pas question de lâcher du lest si tôt dans la compétition. Il a raison. Ses troupes ont passé le premier obstacle mais une défaite face à la Russie redistribuerait complètement les cartes.
Il désamorce les bombes
Il faut aussi veiller à éteindre les incendies qui pourraient prendre. C’est à cela qu’il passe la majeure partie de son temps. Et ça marche. Dès le jeudi, il n’hésite pas à envoyer devant la presse deux joueurs (Nicolas Lombaerts et surtout Thomas Vermaelen) qui auraient pu prendre ombrage des choix du onze délivré face à l’Algérie. Pourtant aucun des deux ne montre une quelconque déception ni aigreur. Par contre, la situation est plus compliquée pour remotiver les garçons qui n’ont pas réussi leur match. Le jeudi, on le voit en conciliabule avec Romelu Lukaku qu’il doit absolument remotiver avant la Russie. » Je compte encore sur toi, ne t’inquiète pas « , lui dit-il avant de lui donner davantage de conseils tactiques. » Tu ne dois pas prouver au monde entier que tu sais combiner. Joue ton jeu et le reste viendra. »
C’est court, direct et efficace. Lukaku est requinqué et réalise une séance d’entraînement du tonnerre. » Pas besoin de lui parler longtemps et de lui casser le cerveau. Le match est derrière nous ; on passe à autre chose. » Autant il avait semblé détendu depuis son arrivée au Brésil, autant il semble plus tendu. Comme si la victoire face à l’Algérie lui compliquait la tâche. Notamment concernant Vincent Kompany.Alors que le défenseur de Manchester City brosse l’entraînement du jeudi pour » une légère élongation » et qu’on calme directement le jeu en disant que sa participation à Belgique-Russie n’est en rien compromise, il demande à Sporza de ne pas évoquer le cas. La chaîne flamande n’obtempère pas et pose une question sur l’état de Kompany. Wilmots répond évasivement. A la fin de l’interview, la chaîne flamande revient à la charge. Wilmots n’apprécie pas et se lève.
Le lendemain, il désamorce la bombe en expliquant qu’il n’a pas voulu donner une info à une chaîne plutôt qu’à toute la presse. Il calme ainsi le courroux éventuel de Sporza. Il ne faudrait en effet pas se faire d’elle un ennemi. Bien que cela ne le dérange pas trop s’il faut en arriver là. Alors que des médias étrangers essaient une comparaison entre le Russie-Belgique de 2002 et celui de cette Coupe du Monde, il coupe court. » A l’époque, on avait fait un petit boycott de la presse. Ça m’avait bien fait marrer d’ailleurs. »
Il lance quelques fausses pistes
Il faut donc attendre le vendredi pour entendre Wilmots. Ce jour-là, il sort de la conférence de presse content de lui. » Je me donne un 9 sur 10 « , glisse-t-il à son fidèle secrétaire, Piet Huys, qui le suit comme son ombre. Le cas Kompany n’a pas été compliqué à gérer. Comme le reste d’ailleurs. Il a une nouvelle fois défendu Lukaku. » Vous me faites marrer ! Comme s’il avait perdu sa confiance du jour au lendemain. Il ne faut pas tout remettre en cause, même s’il faut qu’on vende des journaux et qu’on a tendance à tout grossir. Je connais cela. »
Il lance même quelques pistes, comme la titularisation de Steven Defour. » C’est un mort de faim à l’entraînement. Je pourrais très bien refaire le milieu de terrain du Standard, qui a très bien fonctionné en Ecosse. Chez moi, tout est possible. Les joueurs le savent. » Cela s’avérera une fausse piste, comme il les aime. Pas question de dévoiler ses batteries.
Dans le même temps, il défend son choix d’avoir placé De Bruyne à droite. » Il n’a pas dit qu’il était surpris de jouer là mais peut-être ne s’y attendait-il pas. Parfois je n’ai pas une bonne mémoire mais, si je me rappelle bien, il a quand même disputé les 10 matches de qualification à cette position, non ? » Un point pour lui. En même temps, si De Bruyne apparaît désormais comme une solution plus centrale, c’est en partie de la faute de Wilmots qui l’a utilisé à cette position durant la préparation.
Mais là encore, ce sera une fausse piste. Wilmots a beau défendre le rendement du médian de Wolfsbourg à droite, il le recentrera face à la Russie. La semaine avançant, il ne semble toujours pas avoir digéré certaines critiques sur la première mi-temps face à l’Algérie. » Comment avoir de la profondeur quand on se trouve face à un bloc ? Si vous trouvez des solutions, vous pouvez toujours m’appeler ! »
Il sauve le soldat Vertonghen
Pourtant, il sait prendre des décisions, trancher dans le lard, là où ça peut parfois faire mal. Contre la Russie, il décide de se passer de son 3e capitaine, l’inamovible Jan Vertonghen, lui qui a fait partie de toute l’aventure, le Diable le plus utilisé par Wilmots après Axel Witsel et Thibaut Courtois. Pourtant quelques jours plus tard, il soulignait l’état d’esprit du défenseur de Tottenham après son penalty commis. » Sa réaction fut très bonne. Il s’est complètement racheté par la suite. » Il enfonçait le clou un peu plus tard en affirmant : » Contre l’Algérie, on a pu sauver Jan. Sinon, c’était le bouc émissaire parfait. »
Pourtant, pendant toute la semaine, il s’est demandé s’il devait maintenir ou non Vertonghen dans l’équipe, lui qui reste sur une saison mitigée, émaillée de blessures, et qui a réalisé une préparation très moyenne. Car derrière le cas Vertonghen, se cache également le cas Vermaelen. En écartant Vertonghen, il respecte sa ligne de conduite et applique le même tarif que celui qu’il avait déjà mis en place pour Vermaelen, vice-capitaine, pour le premier match. Il montre également au défenseur d’Arsenal qu’il continue à faire partie de ses plans. La moindre des choses pour quelqu’un d’aussi important pour le noyau. » Comme j’avais opté pour une équipe plus offensive devant, il fallait sécuriser derrière et c’est pour cette raison que j’ai préféré Vermaelen à Vertonghen. Contre l’Algérie, j’avais besoin d’un back capable de sortir. Pas contre la Russie. J’ai donné l’explication à Jan et il a bien compris. »
En avançant la piste tactique, Wilmots évite de nouveau tout écueil, bien aidé, il est vrai par le retour de Vertonghen dans l’équipe suite à la blessure de Vermaelen.
PAR STÉPHANE VANDE VELDE À MOGI DAS CRUZES ET RIO DE JANEIRO – PHOTOS : BELGAIMAGE
Dans le langage de Marc Wilmots, le mot échec n’existe pas.
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