« Je cherche l’inaccessible »

Pour la troisième saison d’affilée, Peter Maes a réussi au-delà des espérances avec Lokeren. Le Limbourgeois est aujourd’hui l’entraîneur avec les plus longs états de service en D1.

Pour comprendre la rapidité avec laquelle Lokeren prend ses décisions, il suffit de passer cinq minutes dans les catacombes du stade. En attendant l’entraîneur, nous avons vu défiler le CEO Marc Vanmaele, le directeur général Romain Van Schoor, le directeur sportif Willy Reynders et le président Roger Lambrecht. En poste depuis près de trois ans, Peter Maes a les plus longs états de service de la D1.

Cela en dit long sur la D1 ou sur vous ?

Peter Maes : Les deux. Le moindre fléchissement est vécu comme une catastrophe alors qu’il est normal, surtout pour des clubs formateurs. Nous pouvons enrôler deux ou trois joueurs par saison, pas plus. Sinon, il est impossible d’obtenir une hiérarchie et de la stabilité au sein de l’équipe.

Cette nervosité touche-t-elle les entraîneurs ?

Non, l’encadrement. Il suffit de trois défaites pour que la presse débarque. Or, nous sommes tous sensibles à notre image, à celle de notre club et nous nous laissons contaminer par ce stress.

Lokeren a usé beaucoup d’entraîneurs. Pensiez-vous rester en poste aussi longtemps ?

Oui, sinon je n’aurais pas signé pour trois ans. Quand j’entame un projet, je suis sûr de le mener à bien, à long terme. Cela dépend de la structure qu’on met en place. Je ne rejoins pas un club au sein duquel je ne me vois pas fonctionner. Je veux savoir à quoi m’attendre, avec qui je vais travailler et comment. Lokeren et moi avons été très clairs. J’ai décidé de collaborer avec Willy Reynders et nous avons été trouver le président.

Pourquoi avez-vous uni votre sort à celui de Willy Reynders ?

Je le lie toujours aux hommes de liaison de la direction. Un entraîneur a besoin d’un intermédiaire. Je ne procéderai jamais différemment.

Ce qui exclut une série de clubs.

Je pense qu’à terme, tous les clubs auront un tel intermédiaire. C’est une question de clarté. On ne peut pas s’adresser au président pour un rien.

 » Je manie le bâton et la carotte  »

Pourquoi avez-vous prolongé votre contrat ?

Je m’amuse bien ici et un club a besoin de stabilité. Un projet de six mois est malsain. Je suis partisan d’une politique à long terme.

Parce que vous avez vous-même besoin de certitudes ?

Non, car il n’y en a pas dans mon métier. Un entraîneur doit saisir le moment sans trop penser à l’avenir. Ma règle numéro un : je travaille maintenant, sans croire à ce qu’on raconte.

Vous auriez pu tergiverser afin de recevoir une offre plus intéressante d’un autre club ?

Si j’aime la clarté, je dois être moi-même clair. Et si je demande à tout le monde de bien fonctionner, je ne dois pas me mettre en vitrine et faire poireauter tout le monde. J’aime rendre ce que je reçois.

Étiez-vous certain de relancer Lokeren en trois ans ?

Oui, puisque j’y suis arrivé avec d’autres clubs. Je suis d’un naturel positif et j’essaie de transmettre cette énergie jour après jour. Quand mon réveil sonne, je me lève sans tarder. Cela énerve ceux qui m’accompagnent en vacances car dès le petit-déjeuner, je suis bien éveillé et je bavarde. Je ne peux pas me changer, tout au plus arrondir certains angles.

Êtes-vous aussi positif avec vos joueurs ou remarquez-vous d’abord leurs carences ?

Je manie le bâton et la carotte. Sévérité et souplesse vont de pair. Quand on engage un joueur, c’est pour ses qualités, mais au fil du temps, on remarque ses défauts. Fi Vanhoof me répétait de ne pas exagérer dans mes analyses. Prenez Maxime Biset. Le premier jour, j’avais l’impression qu’il marchait avec des sabots mais de tous les joueurs avec lesquels j’ai travaillé, c’est lui qui a le plus progressé. Je devais même le freiner tant il travaillait.

Êtes-vous plus tolérant à l’égard de Leko, plus raffiné ?

Je suis sévère à l’égard de ceux qui n’exploitent pas leurs qualités. Ivan comprend immédiatement ce que je veux, il réfléchit avec moi. Il sera bientôt un excellent entraîneur.

En quittant Malines et son stade comble pour Lokeren, vous avez donné l’impression de reculer.

J’aime reculer mes limites et je voulais savoir si j’étais capable de travailler avec un président patron d’une grosse boîte, qui prend toutes les décisions et qui a vu défiler les entraîneurs. Je voulais savoir si je serais capable d’imposer mes idées. La réponse est positive.

 » Je mets mes joueurs constamment sous pression  »

Comment voulez-vous partir ?

Correctement et seulement après avoir laissé quelque chose. Pas comme un voleur.

À Malines, n’aviez-vous pas l’impression que votre approche ne fonctionnait plus ?

Non. Je mets mes joueurs sous pression jour après jour mais sans sentir d’usure. Ils ne veulent qu’une chose : gagner. Quand je leur demande, en fin de saison, comment ils l’ont vécue, ils répondent généralement qu’ils ne l’ont pas vue passer.

Et quand vous hurlez sur un joueur pendant 90 minutes ?

Le joueur qui nuit à l’équipe l’apprend illico. Je n’attends pas que ce soit trop tard. Apparemment, cela dérange plus la presse que mes joueurs, puisqu’elle n’arrête pas de revenir sur le sujet. Mes joueurs supportent très bien la pression. Je mise sur la continuité. Quand on se connaît, on se supporte mieux, à condition que les résultats suivent.

Vous ne pouvez donc travailler qu’avec des joueurs qui supportent la pression ?

Tout le monde en est capable mais tout le monde n’a pas besoin de cette approche. Leko a vite compris ce que j’attendais de lui et j’ai relâché la bride tout en restant attentif au moindre fléchissement.

N’est-ce pas fatigant ?

J’ai sans doute beaucoup d’énergie. Je ne suis pas facile mais je suis correct, ce qui me permet d’aller loin avec les gens, sans jamais vouloir les casser.

Vous avez déjà secoué Ayanda Patosi. Avec succès.

Il faut être très sévère avec quelqu’un qui revient de vacances avec huit kilos de trop et qui, en janvier, en prend encore quatre ! Patosi a du talent. Je vais m’investir en lui jusqu’à ce qu’il change durablement. Pénétrer les pensées profondes de quelqu’un est difficile. Souvent, le déclic se produit au moment où le joueur a exagéré et qu’il se croit mort. Alors, je lui dis :  » J’ai besoin de toi mais tu dois faire ce que je te dis.  »

Est-ce l’entraîneur qui fait le vestiaire ?

Oui. S’il est dominant et ne laisse pas de marge aux joueurs, le staff dirige le vestiaire. Comme je suis dominant, les joueurs développent certains comportements entre eux et à mon égard. Ils se battent ensemble, pour moi et contre moi. Si je vole dans les plumes de x, les autres prennent sa défense. C’est fantastique.

 » Je ne considère plus mes collègues comme des adversaires  »

Votre carrière sera-t-elle réussie si vous restez encore cinq ans dans un club du niveau de Lokeren ?

Réussir, c’est être satisfait de mon travail, à n’importe quel niveau. Mais je n’achèverai pas ma carrière à Lokeren.

Certains estiment que votre comportement le long de la ligne vous coûte un poste dans un grand club.

Van den Brom n’a pas le profil d’Anderlecht mais il y fournit du bon travail. C’est ce qui compte, non ?

Vous voulez qu’on vous demande. Un grand club vous a-t-il déjà sollicité ?

Non. L’essentiel pour moi était d’entraîner en D1. Durant mes deux premières années à Malines, j’ai été très désireux de faire mes preuves. Ensuite, j’ai changé. Je ne me suis pas calmé mais je ne considère plus mes collègues comme des adversaires, je suis moins agressif à l’égard des arbitres et je ne pense plus que la fin justifie les moyens.

L’afflux d’entraîneurs étrangers vous incite-t-il à réfléchir à la qualité de votre approche ?

En Belgique, on ne respecte les entraîneurs que quand ils ont travaillé à l’étranger.

Quand partez-vous à Dubaï ?

Pas tout de suite. Ce n’est pas là qu’on peut forcer le respect, on y va uniquement pour gagner de l’argent.

Il ne constitue pas une motivation pour vous ?

Tant que je ne suis pas au bout de mon latin, j’essaierai de progresser.

Donc, votre prochain choix devra vous permettre de franchir un cap ?

Si j’en ai la possibilité.

Parlez-vous français ?

Français et anglais. Ce n’est pas brillant mais j’essaie de bien formuler ce que je dis.

Cela ne vous coûte pas un poste au Standard ou à Anderlecht ?

Il y a bien un entraîneur qui ne parle qu’espagnol et dont tout le monde est content. Ron Jans n’a pas été limogé à cause de sa méconnaissance du français mais de l’absence de résultats. Quand les dirigeants remettent en question le niveau de l’école belge des entraîneurs, en fait, ils ne font qu’ouvrir le parapluie.

 » Je rêve d’entraîner une grande équipe  »

Entraîner Anderlecht est-il un rêve ?

Je rêve d’entraîner un jour une grande équipe.

N’êtes-vous pas enclin à penser : je me tiens bien sur le banc pendant six mois pour accroître mes chances ?

Au contraire, je les diminuerais car je ne serais plus moi-même. Or, comment être clair quand on est faux ?

Êtes-vous un entraîneur patient ?

Non, très impatient. Si c’était possible, je préférerais que les choses arrivent hier. Évidemment, il faut bien jauger la situation, sans la surestimer, pour ne pas rendre tout le monde fou, moi y compris.

Que voulez-vous encore prouver ? Quel col vous attend ?

L’inaccessible. C’est ça que je cherche. Je suis encore loin d’avoir atteint mes limites mais je ne me décourage pas. Je suis positif et Lokeren aussi. Si quelque chose ne va pas, il faut retrousser ses manches et faire en sorte que ça marche, que ça devienne positif.

Ce qui est possible ici l’est-il ailleurs ? Peut-on créer une atmosphère ?

Absolument. Ce sont les gens qui déterminent l’ambiance. Il n’y a pas de bon ou de mauvais club. À mon arrivée à Lokeren, chacun était dans son bureau. J’ai ouvert toutes les portes. Les joueurs passent par mon bureau pour aller chercher un café. Évidemment, ils ne doivent pas prendre mon bureau pour un bar non plus.

PAR GEERT FOUTRÉ- PHOTOS: KOEN BAUTERS

 » Si j’aime la clarté, je me dois d’être clair moi-même.  »

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