
Charleroi tourne et son coach a retrouvé le plaisir.
Enzo Scifo a le regard pétillant de l’entraîneur bien dans sa peau. Il refuse de parler de revanche mais on le devine heureux d’avoir mis certaines choses au point. La moyenne du Sporting de Charleroi en ce début de saison est aussi bonne qu’il y a un an. Les inévitables comparaisons avec Manu Ferrera s’estompent. Ce n’est pas pour déplaire au dieu de Lillois…
Enzo Scifo: Si certains de mes joueurs ne m’avaient pas carrément laissé tomber en fin de saison dernière, ma moyenne n’aurait pas été fort inférieure à celle de Manu. Ils m’avaient lâché à Alost et contre St-Trond, dans deux matches à notre portée. Avec six points de plus, on n’aurait jamais parlé de saison catastrophique. Je tiens aussi à faire remarquer que plusieurs bonnes équipes avaient retrouvé leur football au deuxième tour, alors qu’elles n’étaient nulle part en début de saison. Ce qui avait permis au Sporting d’occuper une cinquième place inespérée à la fin novembre.
Avez-vous douté pendant l’été?
Enormément. J’ai passé de très mauvaises vacances. Je me suis seulement octroyé une semaine de détente à Monaco. Tous les autres jours, je suis venu au stade. J’estimais que c’était indispensable car il fallait reconstruire un noyau à l’état d’esprit positif. Plusieurs joueurs avaient compris, trois mois avant la fin du championnat, que je ne comptais plus sur eux pour cette saison. Je ne leur avais rien dit, mais ils avaient apparemment lu dans mes pensées. Ce sont ceux-là qui ont tout fait foirer. C’est dans les moments où il n’y a plus rien à gagner qu’on voit les vrais compétiteurs. Certains ont montré leurs limites dans ce domaine. Ils m’ont fait souffrir et j’ai fait mes débuts d’entraîneur dans des conditions très délicates, mais c’est peut-être la meilleure façon d’apprendre vite son métier.
Il fallait du sang neuf. Aujourd’hui, je peux dire que nous avons parfaitement réussi notre recrutement. Je travaille avec un groupe extraordinaire.
Il y a toutefois un bémol à ce recrutement: les difficultés d’adaptation de Milovanovic, le meneur de jeu présenté comme une trouvaille exceptionnelle.
Ses qualités ne sont pas en cause. C’est un footballeur fantastique. Il a une lucidité exceptionnelle. Mais il ne suit pas, physiquement. Parce que nos entraînements sont particulièrement durs ou parce qu’il a trop négligé l’aspect physique dans ses clubs précédents? Je n’en sais rien. Il continue à souffrir avec nous, et dès qu’il aura trouvé le bon rythme, il sera un de mes titulaires indiscutables. En attendant, il reste très positif.
Qu’est-ce qui vous a plu depuis le début de la saison?
Je ne juge pas une mi-temps ou un match en particulier. Je préfère retenir la mentalité collective. Je ressens dans le noyau une terrible envie de travailler pour y arriver. Ce n’est pas un groupe qui se contente de gagner un match de temps en temps. Cette remise en question permanente fait la différence entre une équipe moyenne, une forte et une très forte. En termes de points, notre bilan est bon. Mais mes joueurs sont déçus car ils estiment qu’ils pourraient être encore mieux classés. Pour moi, c’est le point le plus positif.
La lourde défaite contre St-Trond a surpris.
Elle nous est tombée comme un terrible coup sur la tête parce que personne ne s’y attendait. Nous avons connu un off-day collectif ce soir-là. Tout le monde a été mauvais et c’est… encourageant. Quand quatre ou cinq joueurs passent à côté de leur sujet, je peux me poser des questions. Par contre, quand tout le monde est médiocre, je mets cela sur le compte d’une certaine fatigue physique et psychologique. Nous avions gagné une semaine plus tôt au RWDM et mes joueurs ont sans doute cru que plus rien ne pouvait leur arriver. J’ai été joueur et je peux comprendre ce phénomène. Huit jours plus tard, ils avaient retrouvé leurs sensations à Mouscron. Ce qui ne m’a pas étonné, car j’avais constaté durant la semaine que leur ambition était restée intacte. D’ailleurs, c’est en semaine que je juge mes joueurs, pas en match. Je pardonne facilement le joueur qui passe à côté de son match s’il a tout fait aux entraînements pour l’aborder dans les meilleures conditions.
La réaction collective a été superbe à Mouscron. St-Trond n’était donc qu’une fausse alerte. Ce match a prouvé qu’à partir du moment où le mental ne suit pas, Charleroi redevient une équipe tout à fait normale. Ma plus grande inquiétude, c’est d’assister à de tels relâchements de temps à autre. Nous connaîtrons encore des moments difficiles cette saison, mais j’insisterai plus que jamais sur la nécessité de réagir très vite. Je crois que tous mes joueurs ont compris qu’ils ne resteraient pas longtemps dans le noyau s’ils n’appliquaient pas mon message.
Avez-vous déjà dû intervenir?
Une fois ou deux pendant la préparation. J’avais remarqué que certains ne vivaient pas à fond pour leur métier. Je ne supporte pas les joueurs qui quittent leur lit une demi-heure avant le début de l’entraînement et remontent dans leur voiture dès que la séance est terminée. Un tel comportement démontre un manque de passion, d’amour du métier. Quand on agit comme cela, on manque inévitablement de constance sur l’ensemble d’une saison. J’ai rappelé à tout le monde que le foot devait être un art de vivre et qu’on ne réussissait pas une brillante carrière par hasard. Certains joueurs n’ont peut-être pas un entourage adéquat, des gens autour d’eux qui les persuadent que leur métier doit les occuper du matin au soir. Dans ce cas, c’est mon rôle de prendre le relais. Je préconise des activités en dehors des entraînements: des repas entre joueurs, du mountain-bike, du bowling. Des entraîneurs français avec lesquels j’ai travaillé sont très forts sur ce plan-là: Aimé Jacquet, Guy Roux, Arsène Wenger. A Anderlecht, j’en ai connu un qui mettait aussi l’accent sur les retrouvailles en dehors du terrain: René Vandereycken. Malheureusement, on ne lui a pas laissé le temps de prouver que cela pouvait être l’approche gagnante. J’aurais été curieux de voir ses résultats avec les Mauves après deux ou trois saisons si on l’avait laissé travailler en paix.
Le renouveau du Sporting s’explique-t-il exclusivement par cette nouvelle mentalité?
C’est la principale explication. Mais il y en a d’autres. Moi-même, j’ai évolué, progressé. Il y a certains paramètres que je maîtrise mieux que la saison dernière. Les autres entraîneurs le remarquent apparemment car je constate qu’on me respecte de plus en plus dans le milieu, qu’on m’assimile de plus en plus à un entraîneur confirmé au lieu de me considérer comme un débutant. J’ai notamment appris à être plus sûr de moi.
Mais surtout, je suis entouré d’une façon extraordinaire. Je travaille avec un staff super. Mes adjoints sont à la fois compétents et honnêtes. Nous sommes parfaitement soudés. Quand je pousse la porte de mon vestiaire, je ne me pose pas de questions sur l’intégrité de l’un ou de l’autre. Pour un entraîneur, c’est primordial car il y a déjà tellement d’autres paramètres à essayer de contrôler. Mais quand le staff a ce niveau et quand les joueurs sont aussi réceptifs, ce métier devient finalement assez simple. Si l’état d’esprit dans le staff technique et dans le noyau reste ce qu’il est aujourd’hui, il est impossible que nous rations notre saison.
Les supporters scandent à nouveau votre nom, alors qu’ils vous ont sifflé en fin de saison dernière…
Je ne vais évidemment pas dire que ça ne me fait pas plaisir. Mais je voudrais leur lancer un message: -Soutenez-nous durant tout le championnat comme vous êtes capables de le faire. Lors de mes débuts à Anderlecht, tous les adversaires savaient qu’ils devraient se battre contre un douzième homme en venant à Charleroi. Depuis mon retour en Belgique, je n’ai plus jamais retrouvé cette passion. Les sifflets entendus en fin de saison dernière me faisaient mal, mais ils paralysaient l’équipe et c’était encore beaucoup plus grave. De toute façon, je sais que les plus grands entraîneurs du monde ont été un jour sifflés.
Je suis évidemment content que mon image redevienne positive à Charleroi. J’avoue que j’ai craint pour ma réputation, en fin de championnat. Mais j’ai encore quelques petites mises au point à faire avec le public. Je voudrais lui rappeler que j’avais repris un club qui ne tenait plus debout. Et lui signaler que le montage financier imaginé par Eric Somme n’est plus du tout d’actualité. Dans l’esprit de beaucoup de supporters, je suis venu ici pour empocher 80 millions en 8 ans. C’était l’objectif quand j’ai repris le club, mais tout cela est tombé à l’eau quand Monsieur Bayat est arrivé. Alors, qu’on arrête de dire que Scifo est venu pour pomper l’argent de Charleroi… L’an dernier, j’ai entendu des supporters dire: -Il se fout des résultats, il va quand même prendre 10 millions par an. C’est dur. Mon but est de rendre ce club rentable, à terme.
Comment se manifeste, au jour le jour, votre rôle de vice-président?
Je m’implique de moins en moins dans la gestion du club parce que je manque de temps pour le faire sérieusement. Mais je suis toujours concerné personnellement par sa situation financière et cela décuple ma motivation de réussir de bons résultats sur le terrain.
Pierre Danvoye
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