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 » J’ai compris qu’il n’y a pas que le show et les dribbles « 

Il a 18 ans, dont près de la moitié passés à Anderlecht, et de l’or dans les pieds. Rencontre avec le dribbleur de service.

C‘est une règle non écrite à Anderlecht. Quand un jeune perce en équipe première, on le protège des médias. On ne l’expose pas dès son éclosion. Romelu Lukaku, Yari Verschaeren et d’autres ont connu ça. Pour faire bref : joue d’abord, tu parleras plus tard.

Jérémy Doku n’a pas échappé à cette règle. On l’a vu pour la première fois dans notre championnat en novembre 2018. Entre ce baptême du feu et la fin de la saison, il a encore fait quelques apparitions, mais globalement, il a plutôt été dans le dur avec Fred Rutten et Karim Belhocine. Ça s’est beaucoup mieux passé en 2019-2020 : 21 matches pendant ce championnat raboté. Et ses premiers buts. Aujourd’hui, c’est clair, le gamin a un statut de vrai titulaire. Pour l’anecdote, il vient de fêter ses 18 ans. De toutes les pépites mauves, il est peut-être celle qui fait le plus flasher la direction et le staff technique. Et donc, pour la toute première fois, le club l’a autorisé à accorder une longue interview, quelques jours avant l’intronisation de Vincent Kompany comme T1. Une conversation en forme de découverte. Qui es-tu, Jérémy Doku ?

Si j’avais été exposé aux médias dès mes premiers matches, qu’est-ce que j’aurais bien pu raconter d’intéressant ?  » Jérémy Doku

Pendant le confinement, tu as proposé à tes followers sur Instagram de te poser des questions, et tu y as répondu. Parce que tu estimais qu’il était maintenant temps de t’exprimer ?

JÉRÉMY DOKU : J’ai fait ça sans intention particulière, sans vraiment réfléchir. L’explication, en fait, c’est que je m’ennuyais à la maison, comme beaucoup de gens. Alors, j’ai eu cette idée. Ça m’a permis de communiquer avec des gens qui me regardent depuis que je suis en équipe première. Mais je ne pense pas que je le referais, avec le recul. Je pars du principe que c’est sur le terrain que je dois parler, pas ailleurs. C’est là que tout se joue. Si j’avais été exposé aux médias dès mes premiers matches, qu’est-ce que j’aurais bien pu raconter d’intéressant ? Peut-être que mes émotions auraient pris le dessus et que j’aurais dit des choses que j’aurais regrettées ensuite. Tes émotions, quand elles sont fortes, elles peuvent parfois te faire dévier. Aujourd’hui, c’est quand même différent. J’ai 18 ans. Je suis majeur… Je suis prêt pour ça.

Jérémy Doku :
Jérémy Doku :  » J’ai appris la technique dans la rue, plus que dans mes clubs. « © KOEN BAUTERS

Tu te sens plus mûr qu’il y a un an ?

DOKU : Clairement, oui. J’ai vécu des choses entre-temps, j’ai accumulé des matches, j’ai pris de l’expérience. Et puis je sens beaucoup de confiance autour de moi, alors que ce n’était pas nécessairement comme ça quand j’ai commencé. On me donne des responsabilités, aussi. Avec tout ça, tu te sens déjà mieux dans ta tête.

Ton statut a évolué ?

DOKU : Vraiment. Le plus frappant, c’est que je n’ai plus droit aux excuses que je pouvais utiliser au moment de mes premiers matches chez les A. À l’époque, si je faisais une erreur, je savais que j’aurais un filet de sécurité : il est jeune, et tout ça… Mais c’est fini. Je suis maintenant sur le même pied que les joueurs qui sont titulaires depuis plusieurs saisons. Plus d’excuse. Et j’ai les mêmes responsabilités que les anciens de l’équipe. Je dois performer, chaque semaine. Sinon, je sors. Le foot est simple !

 » Zéro but, zéro assist, j’ai compris pourquoi j’avais sauté de l’équipe  »

Juges-tu ta progression depuis ton arrivée en équipe première ? Tu espérais mieux ou tu es tout à fait satisfait ?

DOKU : La première saison, je t’avoue que je ne réalisais pas vraiment ce que j’étais en train de vivre. C’était encore le temps de l’insouciance. Je ne me rendais même pas compte qu’on me regardait. Mon état d’esprit a évolué au cours de la saison dernière. J’ai commencé le championnat, j’ai enchaîné quelques matches, puis j’ai disparu de l’équipe. J’ai commencé à me poser des questions. Et j’ai vite trouvé les réponses. J’avais eu plusieurs occasions pour me montrer et convaincre le staff, mais mes chiffres, c’était zéro but et zéro assist. J’ai compris que c’était à cause de ça qu’on m’avait retiré de l’équipe. Compris que le foot professionnel, ce n’était pas que du show, pas que des dribbles et des beaux mouvements. Le plus important, ce sont les stats. Comme attaquant, si tu ne marques pas et si tu ne donnes pas d’assists, on va toujours te tomber dessus. Ma progression, elle est surtout là. Une métamorphose, carrément. Pendant toutes mes années chez les jeunes, je ne m’intéressais pas à mes stats. Si j’avais fait un bon match, avec quelques beaux trucs techniques, j’étais content, il ne m’en fallait pas plus.

Je n’ai pas envie de faire mon choix maintenant pour le regretter par après.  » Jérémy Doku

Pour le plaisir…

DOKU : Oui, rien que pour le plaisir. Mais le foot chez les adultes, c’est bien plus que ça, hein…

Il y a quelqu’un qui t’a fait comprendre tout ça ?

DOKU : Je l’ai compris de moi-même en regardant mes copains pendant tous les matches où je n’étais pas sur le terrain. Quand le coach m’a remis dans l’équipe, contre Ostende, j’ai mis un but et donné un assist. À partir de là, j’ai presque tout joué. Un ailier doit avoir des bons chiffres, point à la ligne. Si je dribble cinq adversaires, mais que ça ne donne rien, ça ne sert à rien.

 » Je me concentre sur les dribbles qui collent le mieux à ma vitesse  »

18 ans, c’est un cap pour toi ?

DOKU : Le plus important, c’est que je peux conduire. Je ne suis plus dépendant de Francis Amuzu, qui me conduisait partout. Je suis libre d’aller tout seul où je veux…

Dès le premier match cette saison, tu as marqué. Et tu l’as fait tout seul. On a parlé d’un  » but à la Doku « . C’est quoi, un  » but à la Doku  » ?

DOKU : Ce but-là, je l’ai construit patiemment. Depuis le début du match, le back voyait que je partais chaque fois du même côté. Alors, sur l’action du but, je l’ai trompé en changeant subitement. Il n’était pas prêt, il a laissé un espace, je me suis engouffré. C’est le genre de goal que je marquais assez souvent chez les jeunes. Le dribble a toujours été un de mes points forts, avec ma vitesse. J’ai appris la technique dans la rue, plus que dans mes clubs. J’ai appris le foot surtout dans les quartiers.

Si tu pouvais piquer un geste technique à un grand joueur, ce serait quoi ?

DOKU : Le passement de jambes de Robinho, ça je prends. Je le maîtrise un peu, mais il ralentit mon jeu, alors je m’abstiens. J’arrive à faire pas mal de dribbles différents, mais j’essaie de me concentrer sur ceux qui collent le mieux à ma vitesse, ceux qui sont les plus efficaces. On en revient à l’efficacité que je dois mettre dans mon foot.

Tu passes des heures à regarder des vidéos de grands joueurs, comme Romelu Lukaku ?

DOKU : Oui, je regarde plein de matches et des skills sur Youtube.

Tu regardes en particulier les dribbles d’Eden Hazard ?

DOKU : On n’a pas le même dribble. Lui, il y va par petites touches, il garde le ballon plus longtemps, on dirait que ça lui colle au pied. Je vais plus vite, je pousse un peu plus le ballon et j’utilise ma vitesse.

Qui est, pour toi, l’ailier moderne idéal ? Celui qui combine le mieux l’esthétique et l’efficacité ?

DOKU : Sadio Mané, Mo Salah, Raheem Sterling, Ousmane Dembélé. Et j’aime bien aussi Kylian Mbappé quand il joue sur l’aile.

Il y a toujours le débat aile gauche / aile droite. Un droitier comme toi, c’est mieux de le mettre de quel côté ?

DOKU : Chez les jeunes, je jouais surtout à gauche. Et je n’aimais pas trop l’autre flanc. Mais j’ai appris à jouer sur les deux côtés.

Quand tu permutes avec l’autre ailier en cours de match, c’est une consigne du coach ou vous faites ça au feeling ?

DOKU : En général, c’est comme on le sent. Sauf si ça a été discuté à la théorie, si l’analyse de la défense adverse a montré qu’on pouvait se retrouver contre un défenseur pas bien prêt pour contrer nos qualités spécifiques.

 » L’adrénaline m’empêche parfois de bien réfléchir  »

Quand tu marques dans le premier match de la saison à Malines, tu repenses à ce que tu as vécu là-bas la saison dernière, ton exclusion qui avait peut-être précipité la défaite d’Anderlecht ?

DOKU : Pas du tout. Ce n’est pas le genre de truc auquel je pense pendant un match.

Mais ça t’a quand même longtemps poursuivi, non ?

DOKU : C’est clair que ça m’a fait mal. Je jouais un bon match, puis il y a ça. Un tacle malheureux.

On ne fait pas attention quand on a déjà pris une jaune ?

DOKU : Dans le feu de l’action, non. Moi pas, en tout cas. Je suis full dans l’action, il y a les émotions, on veut gagner. L’adrénaline m’empêche de bien réfléchir dans des moments pareils. Par contre, dès que l’arbitre siffle la faute, je me dis que je viens de faire une bêtise et que je vais être exclu.

Franky Vercauteren n’était vraiment pas content…

DOKU : Il savait que je savais que j’avais fait une erreur, c’était ça le plus important. Dès le match suivant, après ma suspension, j’ai été bon. Et dans celui qui a suivi, j’ai marqué deux fois et donné un assist.

Après le match à Malines, pour commenter ton exclusion, il a dit :  » Ce n’est pas un hasard.  » Une allusion aux comparaisons qu’on avait faites avec Eden Hazard.

DOKU : Mais non ! C’est comme ça que les gens ont interprété ce qu’il avait dit. Mais il est lui-même venu me trouver pour me dire que ça n’avait rien à voir. Ce n’était pas un jeu de mots.

Qui t’avait comparé à Hazard ?

DOKU : Je n’en sais même rien. Ce n’est vraiment pas le genre de truc qui m’intéresse. Comment peut-on me comparer à un gars qui a fait trembler la Premier League ?

 » La visite à Liverpool, c’était un peu dingue  »

Maintenant que tu peux parler, tu vas donner ta version de ton flirt avec Liverpool… Qu’est-ce que tu vas garder comme grands souvenirs de ta visite là-bas ?

DOKU : C’était un truc un peu dingue, quand même. Je n’avais que quinze ans, Liverpool m’a invité avec mes parents. Ils m’ont fait tout visiter. Le stade, le complexe d’entraînement. Et on a été reçus par la crème. Sadio Mané est venu me parler, Jürgen Klopp s’est aussi intéressé à moi.

Tu ne crois pas que c’était calculé, une façon de t’impressionner et de te mettre de la pression pour que tu acceptes l’offre ?

DOKU : C’est fort possible. Comme par hasard, on est allés au centre d’entraînement justement quand les joueurs mangeaient. On nous a fait entrer dans le resto, donc tout le monde était là. Steven Gerrard m’a pris à part et il m’a montré des vidéos… de moi. Ils avaient plein d’images. Il me les a commentées : Ce que tu fais là, on aime beaucoup. Et d’autres trucs du style. Si j’avais accepté l’offre, je l’aurais eu comme coach chez les jeunes. Un moment, avec mes parents, on a parlé de Chelsea. Les gens de Liverpool ont directement tiqué, ils ont sans doute cru que j’étais en contact avec Chelsea. Mais non, c’est le prénom d’une de mes soeurs et on parlait simplement d’elle.

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Et finalement, tu as décidé de ne pas quitter Anderlecht.

DOKU : Si j’avais accepté leur offre, je serais peut-être en équipe première maintenant. Ou peut-être pas. Ce que je sais, c’est que je joue maintenant avec Anderlecht. Des gens de mon quartier me conseillaient d’y aller, ils me disaient que je n’aurais peut-être plus jamais une occasion pareille. Moi, je vois les choses autrement. Si Liverpool me veut quand j’ai quinze ans et si je confirme avec les pros, Liverpool me recontactera plus tard. Il y avait d’autres clubs intéressés. On a aussi visité les installations d’Arsenal et de l’Ajax. Mes parents m’encourageaient à partir. C’est moi qui ai pris la décision de rester. Je n’étais pas prêt. Je voulais continuer à prendre du plaisir, continuer à jouer avec mes potes.

Il y a un an, si je faisais une erreur, je savais que j’aurais un filet de sécurité : il est jeune, et tout ça… Mais c’est fini. Plus d’excuse.  » Jérémy Doku

Tu as pensé à Charly Musonda, qui a grillé sa carrière en partant très tôt ?

DOKU : Non. Tout le monde a son parcours. Je ne regarde pas ceux qui sont partis tôt et ont échoué. Et je ne regarde pas ceux qui sont partis et qui ont réussi. Il n’y a pas que Musonda.

Belgique ou Ghana ? Veuillez rappeler plus tard

Les parents de Jérémy Doku sont tous deux Ghanéens. Ils sont venus s’installer chez nous pour le boulot dans les années 90 et habitent en périphérie d’Anvers. Ainsi, Jérémy parle trois langues : le twi du pays de ses aînés, le néerlandais et le français, qu’il a appris à Bruxelles.  » Je suis arrivé à Anderlecht à dix ans, je ne connaissais pas un mot de français. Pendant une ou deux saisons, un minibus du club venait me chercher pour me conduire aux entraînements. Après ça, j’ai été hébergé dans une famille d’accueil, puis à l’internat. Je n’en garde que des bons souvenirs, j’étais avec une dizaine de coéquipiers. Et, petit à petit, j’ai appris le français.  » Depuis cet été, il vit seul, en appartement. Ses humanités sont derrière lui. Il n’est allé qu’une seule fois au Ghana, quand il était gamin. Il y a quelques mois, la fédération de ce pays lui a fait un premier appel du pied. Ainsi qu’à Derrick Luckassen et Francis Amuzu, qui ont les mêmes racines.

Pourquoi tu as refusé une sélection avec le Ghana ?

JÉRÉMY DOKU : Je n’ai pas refusé. Je n’ai pas répondu, il y a une nuance !

Tu as rencontré le coach ?

DOKU : Oui. Il m’a expliqué que l’équipe nationale était vieillissante et qu’il voulait la refaire décoller avec une nouvelle génération. Je lui ai dit que je ne voulais pas penser à ça pour le moment. Je n’ai pas fermé la porte. Simplement, je me donne un peu de temps avant de trancher. La porte est toujours ouverte. Le Ghana voulait m’utiliser directement, moi je ne veux rien précipiter.

Ton père a joué au foot, ton frère joue toujours. Les matches du Ghana, c’est toujours un rendez-vous incontournable à la maison ?

DOKU : Quand ils jouent à la CAN ou à la Coupe du monde, oui, d’office. J’ai quelques grands souvenirs de matches vus à la télé. Mon plus grand, c’est le quart de finale du Mondial 2010, contre l’Uruguay. Tout à la fin des prolongations, Luis Suárez arrête le ballon avec les mains sur la ligne. Asamoah Gyan met le penalty sur la transversale. Puis l’Uruguay se qualifie aux tirs au but. Ça m’a très fort marqué.

On a déjà lu que Roberto Martinez te tenait à l’oeil. C’est pour ça que tu veux patienter ?

DOKU : Non, simplement, je n’ai pas envie de faire mon choix maintenant pour le regretter par après. Je n’ai que 18 ans. J’ai grandi en Belgique, j’ai fait les sélections d’âge, je suis maintenant en Espoirs, ça entrera aussi dans mon raisonnement.

C’est sur la bande

 » Mon grand frère aurait aussi voulu devenir professionnel, ça n’a pas marché. Pas de souci, pas de jalousie, on est une famille. Si ça avait été lui, ça aurait été très bien. Si c’est moi, c’est très bien aussi.  »

 » On dit que j’ai vite tendance à planer ? Il faut vraiment me connaître super mal pour penser ça.  »

 » Fred Rutten disait que j’étais de l’or brut, que je lui faisais penser à Memphis Depay. Mais il ne me faisait pas jouer. C’était difficile pour moi. Je suis content de ne pas avoir lâché. Je donnais le max en U21 pendant ce temps-là. Maintenant, je pouvais aussi comprendre. Il y avait Yannick Bolasie sur une aile, et sur l’autre, Yari Verschaeren qui explosait.  »

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