« J’ai bu et mangé exagérément dans l’espoir de ne plus être sélectionné »

Après avoir grandi dans un quartier défavorisé, son seul rêve était de jouer au football mais une longue carrière en Premier League a remis sa vision des choses en question. Le  » Secret footballer  » du prestigieux journal anglais The Guardian révèle ce qu’est vraiment la vie d’un joueur au plus haut niveau.

Voici quelques années, j’ai sérieusement songé à abandonner le football. Parfois, lorsque les matches s’enchaînent, qu’on ne voit plus sa famille, qu’on ne joue pas très bien, on en a plein le dos. J’allais réaliser plus tard que j’étais au bord de la dépression. Mais alors que j’étais dans le tunnel d’Anfield avant un match contre Liverpool, j’ai été confronté à une forme de Madeleine de Proust. Quand le coach nous a donné un ballon à chacun, j’ai pris le mien, je l’ai porté sous mon nez et je l’ai reniflé. Ne me demandez pas pourquoi – je n’avais jamais fait cela depuis que j’étais professionnel. Le ballon était flambant neuf et donnait vraiment envie. L’odeur me rappelait mon logement social, l’époque où mes parents m’avaient offert mes premiers vrais ballons de foot. Soudain, toutes les raisons pour lesquelles j’avais voulu jouer au football refaisaient surface, ça sentait le bon vieux temps et la famille. Alors que les spectateurs faisaient de plus en plus de bruit et que retentissaient les premières notes de You’ll never walk alone, je me suis juré de garder ce moment en tête le plus longtemps possible.

Lorsque j’étais petit, je jouais au foot jour et nuit. Dans la région, j’étais connu comme faisant partie d’un groupe de jeunes talents. Lorsque j’ai pu, moi aussi, signer un contrat professionnel (pour 500 livres par semaine, ce qui représentait une fortune pour moi), j’ai entamé ma nouvelle carrière en me disant que je ne méritais peut-être pas ce qui m’arrivait. Ce sentiment n’allait jamais me quitter.

Ma première impression fut celle d’avoir fait une grosse erreur. Le niveau était faible et quelques joueurs étaient détestables. Les anciens appuyaient leurs passes au maximum afin que je rate mon contrôle. Depuis, j’ai compris que ce genre de rituel initiatique a cours à tous les niveaux. Le jour où Dwight Yorke s’est présenté à Manchester United, Roy Keane l’a fusillé avec le ballon en disant :  » Welcome to United. Cantona avait l’habitude de tuer les nouveaux. « 

Quand je repense à ces jours-là, pourtant, je me dis qu’il était beaucoup plus agréable de jouer au foot puisque j’étais encore inconnu. Une fois arrivé en Premier League, cependant, il n’y avait plus moyen de se cacher, d’échapper à l’£il critique des fans, des officiels et surtout des caméras. Le contraste entre les clubs du top et ceux du bas de l’échelle est énorme. Dans le club le plus bas dont j’ai porté le maillot, nous avions un responsable du matériel et un kiné qui soignait toutes les blessures avec des ultrasons parce que c’était le seul appareil dont il disposait. La plupart des clubs que j’ai connus par la suite avaient plusieurs intendants, des kinés, des masseurs, des préparateurs physiques, au moins cinq terrains d’entraînement, des responsables à plein temps et un parking privé pour nos voitures.

Outre l’argent, ce qui frappe en Premier League, surtout dans les grands clubs, c’est que de nombreux joueurs sont bâtis comme des poids moyens. Ils sont solides, les tacles sont beaucoup plus appuyés et les duels, plus difficiles à remporter (un jour, Antonio Valencia s’est mis devant moi au moment où je voulais dégager et j’ai eu l’impression de heurter une voiture. C’est ce dont je me souviens car il a fallu plusieurs supporters pour me relever de la tribune et me remettre sur la pelouse).

 » J’étais devenu parano « 

Jouer en Premier League, c’était un rêve qui se réalisait mais, hormis la joie d’être sur le terrain, j’aurais volontiers échangé le reste de ma vie. Il y a quelques années, lorsque je disais que je jouais au football, les gens faisaient la file pour me parler et m’offrir à boire. Aujourd’hui, si je sors avec des amis, je dois être sur mes gardes. Tout le monde semble être journaliste. Si vous rencontrez un footballeur qui vous semble arrogant, c’est probablement parce qu’il tente de garder le contrôle de la situation. À moins qu’il ne s’agisse d’Ashley Cole.

Mes rapports avec les supporters sont faits de hauts et de bas. Parfois, j’ai dû me défendre physiquement face à des supporters pour éviter de prendre des coups. Je me souviens d’une soirée dans un night-club où j’ai été encerclé par quatre malabars ivres et où j’ai dû m’esquiver par une porte où je savais qu’il y avait des videurs.

En cinq ans dans un des clubs où j’ai joué, ma fiancée et moi ne sommes pas sortis plus d’une douzaine de fois. Non seulement parce que c’est dangereux mais aussi parce que je suis un peu paranoïaque et j’ai peur qu’on utilise toujours ce que j’ai pu dire dans telle ou telle conversation. En plus, je n’aime pas la foule des centres commerciaux, ça me rend anxieux.

Au cours de ma carrière, j’ai été accusé de beaucoup de choses. La plus bizarre était ma prétendue addiction à la méthadone. Un jour, une amie des Etats-Unis m’a appelé pour me dire qu’un  » journaliste d’un tabloïd anglais  » lui avait demandé ce qu’elle savait de ma dépendance à la drogue. En fait, j’avais été opéré quelques semaines plus tôt et je devais prendre des antidouleurs très puissants. Je l’avais dit à un journaliste et les rumeurs ont commencé. Mon amie n’a rien dit mais cela n’a pas empêché le tabloïd de continuer à essayer d’écrire son histoire le lendemain, disant que je faisais une overdose d’antidouleurs.

Les joueurs de football, c’est du foin pour les journaux. Dans tous les clubs par lesquels je suis passé, j’ai seulement connu un joueur viré par sa copine ou sa femme. Beaucoup d’entre elles savent que leur mec n’est pas fidèle mais elles ne disent rien car elles savent que si elles s’en vont, c’est la fin de la belle vie. J’en connais qui ont pris leur mari en flagrant délit, sont allées faire leurs courses, sont rentrées et ont préparé le souper comme si de rien n’était. Elles ne peuvent pas se passer d’une belle garde-robe, de deux semaines à Dubaï ou de la moitié d’une bijouterie pour Noël ou le jour de leur anniversaire. Alors, elles ferment les yeux. Cela ne commence à poser problème que quand les médias sont au courant mais, même dans ces cas-là, la règle générale veut qu’on étouffe l’affaire le plus vite possible. Sauf lorsque la bonne femme n’a plus besoin du joueur.

La vraie question, c’est : – Qu’est-ce que cela apporte au joueur ? Car après tout, le rapport de force entre le risque et le bonheur est complètement disproportionné. Un joueur marié a beaucoup à perdre en échange de cinq minutes de plaisir. Mais il y a plus que cela, il y a le défi. Je suis assis aux côtés d’une superbe femme qui boit mes paroles ; je raconte les pires blagues et elle rit comme si j’étais un grand humoriste ; je lui offre des bouteilles de champagne et elle est sous le charme… Bref, l’ego d’un joueur peut être tendu à l’extrême, il peut coucher avec de jolies femmes et, neuf fois sur dix, s’en aller. De nombreux joueurs finissent par épouser des amours d’enfance et être pères très jeunes mais la tentation ne démarre vraiment qu’au moment où ils commencent à gagner beaucoup d’argent. C’est le moment de l’apparition des sacs Louis Vuitton et des vols de première classe vers les Barbades.

Un ancien équipier aujourd’hui retraité m’a raconté une histoire terrible qu’il a vécue au One & Only Resort de Dubaï. Sa femme et lui avaient réservé au même moment qu’un autre joueur, aujourd’hui international anglais, et son épouse. Tout le monde le connaît même si, dans certains cercles, sa femme est plus connue que lui. Mon ami qui, il faut le dire, est plutôt beau gosse, était allongé au soleil d’un côté de la piscine lorsqu’il a remarqué que la femme de l’autre joueur entrait dans le bassin par l’autre côté. Il remarqua qu’à chaque fois qu’elle passait, elle le regardait. Et à un moment donné, elle enroula ses jambes autour de lui. Pendant tout ce temps, son mari dormait sous un arbre. Mon copain m’a même montré les messages qu’elle lui a envoyés après leur retour. Celui qui aurait pris une photo dans la piscine à ce moment-là aurait fait fortune et rendu quatre vies insupportables pour un bon moment.

Mais aucun des joueurs qui se plaignent du manque d’éthique des médias ne serait assez fou pour regretter complètement l’influence qu’ils ont dans ce pays. Après tout, Sky TV a injecté des milliards dans le football et nous sommes les premiers à en avoir bénéficié.

 » La débauche à Las Vegas « 

L’argent que les joueurs gagnent rend tout possible. Au cours des dernières années, Las Vegas a dépassé Marbella en tant que destination préférée des joueurs qui veulent se détendre. Par rapport à ce qui se passe là-bas, nous sommes sages comme des images en Angleterre. Voici quelques années, j’y suis allé avec des habitués et j’ai été soufflé par une telle débauche. A la fin de la semaine, huit joueurs avaient de nouveaux tatouages et un avait même ramené une fille en Angleterre, avec qui il s’est marié en un éclair.

À la moitié du voyage, un des joueurs a dit que Lindsay Lohan nous invitait dans sa maison de Los Angeles, ce qui ne m’intéressait guère. J’ai bien fait de ne pas y aller car, en arrivant, ils se sont aperçus qu’elle était assignée à résidence. Un des gars m’a dit plus tard :  » On a fait cinq heures de route pour voir un putain de film.

J’ai vu tous les clubs et bars à la mode ainsi que tous les shows. Mais je n’ai jamais vu un endroit comme TAO à Las Vegas. Nous avons pris une table à laquelle il fallait dépenser au moins cinq mille dollars. A Vegas, il vous faut absolument un  » sorter « , une sorte de concierge qui connaît tout le monde, vous trouve les meilleures places pour les shows, les clubs, les restaurants ou les pool parties, vous déniche un hélicoptère ou une limousine et même toutes les femmes dont vous rêvez. Quand nous nous asseyons, Jess nous présente aux patrons. Cinq minutes plus tard, une parade de superbes jeunes femmes défilent devant notre table. Chaque fois que l’une d’entre elles nous plaisait, nous devions le dire à Jess, qui les invitait à s’asseoir avec nous.

J’étais très embarrassé mais ces filles gagnent des milliers de dollars par nuit et je ne suis pas ici pour juger. Derrière nous, à une autre table, il y avait quelques autres stars, dont un joueur de Barcelone. Il nous restait quelques places à table lorsqu’une véritable bombe passa. Tout le monde se leva et cria à l’unisson :  » Celle-ci ! « 

La table derrière nous l’avait remarquée également et, au retour de Jess, nous nous sommes aperçus que nous n’étions pas aussi importants que nous pensions l’être.  » Les gars de l’autre table m’ont demandé de vous dire que, quel que soit le prix que vous mettiez pour cette fille, ils le doubleraient « , dit-il. L’un de nous, très offensé, défia les autres en leur proposant une  » guerre du champagne « . L’idée est d’offrir une bouteille de champagne à l’autre, qui doit renvoyer l’ascenseur. Et ainsi de suite jusqu’à ce que l’addition soit trop élevée pour l’une des parties. Si une table continue à jouer mais qu’elle n’a plus les moyens de payer, elle perd la face : ses membres se font éjecter par la sécurité sous les huées.

Notre note ? Un peu moins de 130.000 dollars, hors pourboires. Et Jess nous expliqua sur le chemin du retour que c’était bien mais que c’était loin d’être un record. Ces situations peuvent être embarrassantes. J’avais dit clairement que je ne voulais pas participer. Mais comment pouvais-je être assis à la table et ne payer que mes propres boissons ? C’est pourquoi je n’ai pas exprimé la moindre réticence au moment de payer mes 14.000 dollars en fin de séjour, dont une partie pour un service de chambre ridicule et un survol du Grand Canyon en hélicoptère.

J’ai toujours trouvé bizarre qu’en football, plus on gagne, plus on dépense de l’argent inutilement. Quand j’ai débuté, j’avais une carte McDonald’s gold qui me permettait de manger une fois par jour dans n’importe quel  » restaurant  » de la chaîne. Aujourd’hui, je suis inondé de boissons énergisantes, chewing gums et produits de soins. Quand un joueur a un enfant, le vestiaire est encombré de choses de chez Harrods et de vêtements pour bébés. Des marchands de voiture font la file pour vous louer des bagnoles à des prix ridicules tandis que les tailleurs, les opérateurs téléphoniques, les firmes de sécurité et les agences immobilières se battent pour vous offrir leurs services.

Un copain qui jouait en équipe nationale anglaise à l’époque m’a dit qu’un promoteur qui travaillait pour le projet Palm à Dubaï avait approché David Beckham pour lui offrir une villa en échange d’une publicité. Mon copain m’a dit que Beckham avait accepté à condition que tous les autres membres de l’équipe puissent acheter une villa à prix coûtant, soit environ 600.000 Livres. Aujourd’hui, ces villas valent entre trois et sept millions de Livres. Je crois d’ailleurs que Trevor Sinclair vit là-bas aujourd’hui. Il était au bon moment au bon endroit.

Au cours des belles années de la Premier League, ma femme et moi avions une belle maison quatre façades avec cinq chambres, une salle de jeu, un cinéma et tellement de pièces que je pense ne pas être entré partout. J’avais une table de snooker qui avait été utilisée aux championnats du monde ainsi qu’une collection de consoles de jeux posée sur un buffet fait main d’une valeur de six mille Livres et plein de poussière. La maison possédait son propre mini-centre thermal avec un bain à bulles, un sauna et une baignoire pour deux avec TV. Sur chaque mur, une £uvre d’art, y compris une esquisse de Picasso achetée dans une vente aux enchères. Pour conduire les enfants dans leur école privée à 3.000 livres par an, j’utilisais une de nos trois nouvelles voitures. Nous partions en vacances aux Barbades et à Dubaï où une villa nous coûtait 30.000 livres par semaine mais nous avions toute une équipe pour nous servir. Une année où tout avait vraiment très bien marché, j’avais même invité ma famille et mes amis à venir nous rejoindre dans des jets privés où le champagne coulait à flots.

 » Ce que le foot m’a apporté a été vendu « 

Aujourd’hui, il ne reste rien de tout cela. Les impôts m’ont rattrapé et tout ce que le football m’avait apporté a été vendu.

Lorsque je jouais au plus haut niveau, je gagnais des dizaines de milliers de livres par semaine. J’ai même été le transfert le plus cher d’un de mes clubs. J’ai été Joueur de l’Année, j’ai remporté des tas de trophées et affronté les plus grands noms de la Premier League. Mais le football est ainsi fait que, ou vous le prenez dans son entièreté et vous lui consacrez votre vie ou, et c’est mon cas, vous n’acceptez pas certaines choses et vous finissez par vous sentir coupable, vous devenez aigri.

J’ai toujours été dépressif mais c’est le football au plus haut niveau qui a tout déclenché. Un jour, je n’ai plus supporté les huées du public, il a fallu que je réponde. Je ne souriais jamais sur les photos avec les fans. Je ne m’entraînais pas si je n’en avais pas envie et je ne parlais pas aux joueurs avec qui je n’avais aucun point commun. J’ai commencé à boire davantage et à me prendre la tête plus que d’habitude avec l’entraîneur.

A la maison, j’avais une chaise Earnes. Elle n’était pas très confortable mais elle était jolie. Et surtout, c’était la première chaise que je voyais quand j’arrivais à la maison. Dans les mauvais jours, je passais la porte, je m’y asseyais et j’y serais resté jusqu’à l’heure du coucher. Je savais qu’une fois installé, je ne devrais plus me lever pour faire des choses dont je n’avais pas envie.

Ma femme le savait : elle m’attendait sur le pas de la porte et m’emmenait dîner en ville ou l’aider à gauche et à droite. Je passais le temps les yeux rivés sur mon téléphone portable, en espérant que le temps passe le plus vite possible et que je puisse vite retourner sur ma chaise. Je ne regardais pas la télé, je ne lisais pas, ne parlais pas : je restais assis là pendant des heures, jour après jour, rechignant à aller au lit parce que je savais que le lendemain, je devrais ouvrir les yeux, quitter la maison, aller à l’entraînement et revivre tout cela.

Aujourd’hui, grâce à 15 mg de mirtazapine et 20 mg de citalopram ( ndlr, des antidépresseurs) chaque matin, je suis complètement différent. J’ai toujours de mauvais jours mais je ne m’éveille plus en craignant d’affronter la journée, je ne me réjouis plus d’être le plus loin possible du centre d’entraînement et chaque tâche ne me semble plus être l’Everest.

Je n’ai jamais cru que j’avais déjà cet âge. Ma carrière a filé. J’ai connu des moments de gloire incroyables et des bas épouvantables. Je suis honnête avec moi-même. Pendant un an, j’ai bu et mangé exagérément dans l’espoir d’attraper une maladie pour qu’on ne me sélectionne plus.

Ce que je voudrais dire, c’est qu’il n’y a rien de plus grisant que d’entendre des dizaines ou des milliers de gens scander votre nom, surtout lorsque vous marquez. Pendant quelques secondes, vous avez l’impression de flotter, vous n’entendez même pas les autres joueurs qui vous hurlent quelque chose dans l’oreille pour faire la fête avec vous. Vous voyez juste un mur de couleurs tandis que votre cerveau tente de s’accrocher à quelque chose de familier. Lorsque l’arbitre remet le ballon au centre, pendant quelques minutes, vous vous sentez capable de tout. Lorsque j’arrêterai de jouer, c’est la seule chose que je ne pourrai jamais remplacer.

Copyright © The Secret Footballer 2012

 » Si vous rencontrez un footballeur qui vous semble arrogant, c’est probablement parce qu’il tente de garder le contrôle de la situation. A moins qu’il ne s’agisse d’Ashley Cole. « 

 » Notre note à Las Vegas ? Un peu moins de 130.000 dollars, hors pourboires. « 

 » J’ai toujours été dépressif mais c’est le foot au plus haut niveau qui a tout déclenché. « 

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