Ils se défendent si mal !

Le capitaine est le porte-parole des joueurs en temps de crise… mais Duga déteste faire ça alors que son club nage en eaux troubles.

Lorsqu’un club connaît des remous, que ce soit au niveau sportif ou directionnel, on se tourne généralement vers le capitaine pour répercuter l’opinion des joueurs. Steve Dugardein (33 ans depuis le 28 janvier) n’aime pas trop cela. Il se considère plutôt comme un homme de l’ombre,  » un ouvrier plutôt qu’un artisan  » comme il le dit lui-même. Mais il ne fuit pas ses responsabilités pour autant…

D’abord, que pensez-vous de l’initiative prise par Philippe Dufermont de demander un vote des supporters avant son éventuelle arrivée à la présidence du club ?

Steve Dugardein : Je ne connais pas personnellement Philippe Dufermont, mais je sais que, grâce à ses activités professionnelles, il s’est imprégné des méthodes en vigueur dans le football espagnol. Son initiative peut interpeller en Belgique, mais en Espagne, le président est généralement élu par les socios. Je comprends son idée : en cas de vote positif, il aura la certitude d’être bien accueilli ; et les supporters, de leur côté, auront peut-être le sentiment d’avoir eu leur mot à dire dans la politique du club.

Une différence notoire, tout de même, avec les élections organisées dans les clubs espagnols : ici, il n’y a qu’un seul candidat.

Effectivement, c’est plutôt un vote de confiance qui a été demandé. Pour ma part, même s’il n’y a qu’un seul candidat, je suis déjà content qu’on ait trouvé quelqu’un susceptible d’accepter la présidence. En outre, je connais la mentalité mouscronnoise pour être né et avoir grandi dans cette ville, et je sais que si les gens n’apprécient pas une personne, ils le feront savoir. Je pense que Philippe Dufermont pourrait faire un très bon président, à la fois parce qu’il a l’habitude du professionnalisme à l’espagnole et parce qu’en raison de ses origines, il connaît également la mentalité qui règne dans la Cité des Hurlus.

 » Face aux rumeurs, je vis au jour le jour  »

En attendant, l’inquiétude renaît : Jean-Pierre Detremmerie a déclaré dans la presse que, sans prêt de l’IEG (Intercommunale d’Etudes et de Gestion), il n’y aurait plus de club. Or, le ministre de tutelle Philippe Courard a refusé le prêt…

J’ai lu ces déclarations également. Que dois-je répondre ? Depuis mon retour de Caen, il y a un an et demi, les rumeurs les plus alarmistes ont circulé. J’ai appris à vivre avec, et je vis au jour le jour. Notre boulot, en tant que joueur, est de donner le maximum pour maintenir sportivement le club en D1. Le reste n’est pas de notre ressort. En janvier, Mouscron a obtenu deux millions pour payer les dettes les plus urgentes et avoir l’autorisation de transférer durant le mercato. Si la Commission des licences a donné son feu vert le mois passé, on peut nourrir certains espoirs qu’elle le donnera encore dans quelques mois, lorsqu’il s’agira d’obtenir le sésame autorisant le club à poursuivre ses activités au niveau professionnel. De là à dire que l’avenir du club est d’ores et déjà assuré à long terme, c’est une autre histoire. En tirant la sonnette d’alarme, Jean-Pierre Detremmerie a sans doute voulu faire prendre conscience aux politiciens que, sans football, Mouscron serait une ville morte.

En parlant de ville morte : le Canonnier, loué jadis pour son ambiance festive, a de plus en plus tendance à devenir un… stade mort.

Pourquoi ? Parce que les résultats ne suivent pas ! Voilà deux ou trois saisons que l’équipe joue le maintien. Je reste persuadé que, le jour où les résultats sportifs redeviendront plus enthousiasmants, le stade vibrera de nouveau. D’ailleurs, en deuxième mi-temps contre Beveren, lorsqu’on est revenu de 0-2 à 4-2, il a vibré.

Mais les supporters n’étaient que 3.400 dans les travées. Le Cercle Bruges, dont on se moque régulièrement, accueille souvent le double.

Peut-être, mais il se produit dans un stade de 28.000 places. Je n’aimerais pas évoluer tous les 15 jours dans un stade Jan Breydel dont les trois quarts des sièges sont inoccupés. Je préfère un stade plus petit qui bouillonne.

 » L’identification est d’abord liée aux résultats  »

Le phénomène d’identification joue-t-il encore ?

Un Mouscronnois est, par essence, un mélange de Flamand, de Wallon et de Français. A priori, il n’y a donc aucune raison que des joueurs français soient mal accueillis. Au risque de me répéter, je reste persuadé que le n£ud du problème réside dans le manque de résultats sportifs. S’ils étaient plus brillants, les gens ne se poseraient pas toutes ces questions, du style : -Y a-t-il encore une identité ou une âme dans le club ? A Charleroi, il y a autant de joueurs français qu’à Mouscron, et personne ne se plaint. Jadis, j’ai joué avec Gordan Vidovic, Damir Lesjak, Dejan Mitrovic, Nenad Jestrovic et d’autres encore. Les résultats étaient là et personne ne se demandait si ces joueurs étaient serbes, croates ou bosniaques. Lorsque Adnan Custovic trouve à trois reprises le chemin des filets, on fait la fête. Et en début de saison, tout le monde était tombé sous le charme de Demba Ba : un Français. On paie toujours les musiciens à la fin du bal. On fera donc les comptes en mai. Si on se maintient, on aura rempli notre contrat. En revanche, si on se retrouve barragiste, on pourra nous adresser des reproches.

A propos de musiciens : êtes-vous le chef d’orchestre ?

Je ne me suis jamais considéré comme le chef d’orchestre. Même si, aujourd’hui, je porte le brassard de capitaine, et si j’officie comme relais entre l’entraîneur, les dirigeants et les joueurs. Malgré tout, par rapport au passé, je prends peut-être davantage mes responsabilités. Mon passage en France m’a transformé. J’ai vécu une expérience formidable dans l’Hexagone, mais avec le recul, je me dis que j’aurais peut-être davantage dû m’imposer. Je me suis comporté à Caen comme si j’étais à Mouscron. Je n’ai pas fait entendre ma voix, j’ai tout accepté et je me suis peut-être laissé marcher sur les pieds en certaines occasions.

 » Je fais le dos rond face aux critiques  »

Lorsque cela allait mal à l’Excel, on affirmait souvent que l’équipe manquait d’un leader. Vous avez dû vous sentir visé ?

Oui, c’est clair. En principe, on attend du capitaine qu’il soit un leader. Si certains considèrent que je n’en suis pas un, je l’accepte. Lorsque je suis revenu de Caen, certains ont peut-être pensé que j’étais devenu un autre joueur. C’est faux : je n’ai pas changé. Ce n’est pas parce que j’ai joué une saison en France qu’aujourd’hui, je suis capable de dribbler trois hommes avant d’adresser la passe décisive. Je n’ai pas acquis la technique enseignée dans les centres de formation français, je m’appuie toujours sur ma… technique belge. Je joue un jeu simple : je donne, je redemande. Mais certains attendent peut-être plus de moi. Les critiques ne datent pas de cette saison, j’en avais déjà entendu la saison dernière.

Certaines vous ont-elles fait plus mal que d’autres ?

Je fais le dos rond face à ce que j’entends. Les critiques ne font pas plaisir, mais il faut les accepter lorsqu’on pratique ce métier. Lorsque je regarde mes chiffres, ils sont éloquents. La saison dernière, j’ai joué 30 matches. Cette saison, j’ai loupé mon premier match à Anderlecht en raison d’une suspension. Si j’avais été aussi mauvais, je n’aurais pas été sélectionné aussi souvent. J’ai joué mon 300e match en D1 il y a quelques semaines, mais ce n’est pas parce que je porte le brassard de capitaine que je bénéficie d’un passe-droit pour une place de titulaire. D’autres joueurs dans le groupe peuvent évoluer à mon poste : on a désormais Mathieu Assou-Ekotto, on a toujours Alex Teklak, on a Daan Van Gijseghem, on a Paco Sanchez qui peut occuper une position plus centrale. Si demain, Ariel Jacobs estime que je ne fais plus l’affaire, je serai évincé comme un autre. Les critiques sur l’absence de leader, on ne les entendait pas en début de saison, lorsqu’on comptabilisait sept points sur neuf. Et puis, c’est quoi un leader ? A Anderlecht, Pär Zetterberg a réalisé une carrière exceptionnelle alors que, lui non plus, n’était pas un leader dans l’âme. Mais, à ses côtés, il a pu compter sur des gens comme Yves Vanderhaeghe… qui m’avait bien aidé aussi, lors de mes premières saisons en D1.

 » On a montré tous les visages cette saison  »

Puisque vous évoquez Yves Vanderhaeghe : comprenez-vous sa décision de rejoindre Roulers plutôt que Mouscron ?

Je la comprends, oui. En premier lieu, parce que l’incertitude planait toujours sur l’autorisation qui allait être accordée ou pas de transférer durant le mercato. En second lieu, parce que, qu’on le veuille ou non, Yves a ses racines à Roulers. En optant pour le club de sa ville natale, il a bouclé la boucle. C’est très bien pour lui. Mais je reste persuadé que, si l’Excel avait pu l’engager dès le début du mois de janvier, il aurait signé au Canonnier et pas au Schiervelde.

C’est ce type de joueur qui manque à l’Excel ?

Avec tout le respect que j’ai pour Yves, je ne pense pas qu’il aurait, d’un coup de baguette magique, solutionné tous nos problèmes… même si on l’aurait accueilli à bras ouverts.

On a un peu l’impression que, lorsque l’Excel tournait mal, vous vous êtes placé au niveau de l’équipe et n’avez pas pu tirer vos coéquipiers vers le haut ?

Peut-être. Je n’étais pas au-dessus du lot, j’en suis conscient. Pourtant, croyez-moi, j’ai essayé de motiver mes troupes. On a perdu des matches par naïveté et il y a eu d’autres où l’on n’a franchement pas été bons. On a montré tous les visages cette saison, parfois même au cours d’une même rencontre. Entre la première et la deuxième mi-temps contre Beveren, c’était le jour et la nuit. Notre équipe doit constituer un cauchemar pour les pronostiqueurs : on est totalement imprévisibles. A domicile, on a livré des prestations formidables contre Anderlecht et Genk, en arrachant à chaque fois le point du partage, mais on n’a pas fait mieux contre le Lierse.

 » La blessure de Demba Ba a marqué un tournant  »

Avant la victoire contre Beveren, vous aviez enchaîné 11 matches sans victoire : 5 points sur 33. Vous parlez d’un bilan ?

Pas brillant, en effet. Je crois que la blessure de Demba Ba a marqué un tournant dans notre saison. Si on avait pu jouer tout le championnat avec lui, et conserver notre système de jeu en 4-3-3 qui faisait notre force, nous aurions été capables de continuer sur notre lancée. Car, quoi qu’en disent certains, nos succès du début de saison n’avaient rien de flattés et on n’évoluait pas au-dessus de notre niveau. Mais, sans Demba, ce fut une autre paire de manche. L’équipe était construite comme un château de cartes, et en enlevant une carte, l’ensemble s’est effondré. Je reste persuadé qu’on dispose d’un groupe de qualité. Il y a eu des petites tensions, comme il s’en produit dans tous les clubs, mais ce n’est jamais allé plus loin. Seulement, lorsqu’on s’est mis à perdre des points stupides et que les succès se sont fait attendre, le doute s’est installé. Quand on entre dans une spirale négative, c’est très difficile d’en sortir.

Avez-vous perçu la lassitude qui s’est emparée progressivement de Gil Vandenbrouck et qui a débouché sur sa démission ?

Gil nous avait déjà confié qu’il comptait arrêter en fin de saison pour prendre le poste de directeur technique. Ce changement de fonction est intervenu un peu plus tôt que prévu. Personnellement, je n’ai pas perçu de lassitude dans son chef. Peut-être en a-t-il perçu dans notre chef ? Personnellement, j’ai toujours essayé de donner le maximum sous sa direction, et je crois que mes coéquipiers en ont fait de même. Contre La Gantoise, on a donné l’impression de rester sans réaction, mais je crois surtout qu’on avait pris un gros coup sur la tête. On a encaissé juste avant la mi-temps. Puis, il y a eu l’exclusion de Bertin Tomou et le penalty qui a provoqué le 0-2. Contre une équipe comme Gand, qui maîtrisait parfaitement son sujet, c’était impossible de revenir. Aujourd’hui, nous sommes face à nos responsabilités : un nouvel entraîneur est arrivé, avec de nouvelles méthodes. Il reste 12 matches pour se maintenir.

 » Plus question de jouer à la baballe  »

Qu’est-ce qu’Ariel Jacobs a l’intention de modifier ?

Je crois qu’en premier lieu, il veut resserrer les boulons derrière. A peu de choses près, on a la plus mauvaise défense du championnat. Le déplacement à Anderlecht était l’occasion rêvée de mettre ses théories en pratique. On pouvait s’attendre à subir une pression, à devoir défendre à fond… et on n’avait pas grand-chose à perdre. Dans un match contre Mons, Lokeren ou le Lierse, les données sont différentes.

Mons, c’est pour samedi prochain : un nouveau match à six points.

Oui, mais on joue à domicile. En fait, on doit témoigner de plus de réalisme, tant offensivement que défensivement. Fini de jouer à la baballe : il faut prendre des points. Gil nous demandait aussi d’être plus réaliste, mais nous n’y parvenions pas. Peut-être le message d’Ariel Jacobs passera-t-il mieux ? Peut-être, aussi, la victoire à l’arraché contre Beveren provoquera-t-elle un déclic ? Espérons-le.

Vous venez de fêter vos 33 ans. La fin de carrière approche-t-elle ?

A grands pas. Physiquement et mentalement, je me sens encore bien. J’ai la chance d’avoir hérité de la morphologie de mon père, qui a toujours été très sportif. Jadis, il était à fond dans le football (même s’il est resté au niveau amateur), et aujourd’hui, il est à fond dans le tennis qu’il pratique encore avec assiduité. Il continue à me suivre lors de tous les matches à domicile, mais il ne fait plus les déplacements. Autrefois, lorsqu’il accompagnait l’Excel hors de ses bases, il était souvent accompagné par Yves Broeckaert et son fils Johan. Désormais, Johan Broeckaert est mon coéquipier dans le vestiaire. C’est là que je me rends compte que je vieillis. Et toujours aucun trophée à mon palmarès. J’ai déjà disputé trois finales de Coupe, toutes perdues. Cette saison, il est déjà acquis que je ne retournerai pas au stade Roi Baudouin. Les chances de combler ce vide s’amenuisent au fil du temps. Mais je ne me plains pas. J’ai vécu de belles choses dans ma carrière.

daniel devos

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