» Il faut penser au foot de 2020″

Pour la toute première fois, l’ex-arbitre devenu directeur sportif de l’URBSFA explique son changement de cap étonnant et ses ambitions futures.

Quand l’UB a pris congé de Benoît Thans, elle a nommé Paul Allaerts directeur sportif. L’ancien arbitre effectue un revirement de carrière important après avoir été Directeur chez Belfius.

Pourquoi abandonner un tel poste au profit de la Fédération ?

Paul Allaerts : Durant toute carrière, vient un moment où on se demande de quoi on peut encore rêver. J’aurai 49 ans en juillet et je devrai travailler jusqu’à 65 ou 67 ans, voire 70… Pendant des années, j’ai combiné mon emploi à la banque et mon job d’arbitre. Le football a toujours été ma passion et voilà qu’une opportunité se présentait… Il faut oser franchir le pas. J’ai longuement mûri ma décision et de toute façon, depuis 2007, le monde bancaire n’était plus vraiment idéal.

Mais vous y occupiez un poste élevé ?

Un poste exécutif. Longtemps, j’ai été dans une dynamique de groupe, une spirale positive, puis mon champ d’action s’est réduit à la Belgique et mes défis à la limitation des coûts. J’ai l’avantage d’avoir connu plusieurs domaines différents. Diplômé en informatique, je me suis occupé de la gestion du personnel puis d’assurances, de recherches de synergies entre pays. Enfin, je me suis retrouvé responsable du département communication : web, intranet, publicité, traductions.

Vous figuriez sur la liste des candidats au poste de CEO, comme Steven Martens ?

Après mon interview, j’ai été repris dans un cercle restreint. La porte ne s’est jamais vraiment refermée.

Vous a-t-on expliqué le choix de Steven Martens ?

Ce n’est pas nécessaire. Nos premiers mois de collaboration m’ont prouvé que c’était le bon choix. Nous sommes sur la même longueur d’ondes. Il avait déjà dirigé une fédération sportive, je viens d’un autre secteur. Nous sommes complémentaires. Je peux et je dois appliquer au football mon expérience, la façon dont on change une entreprise, comment réagir à la concurrence. Nous avons une vision, reste à réaliser nos objectifs pour que chacun en voie les effets.

 » Je ne suis pas un technicien du foot  »

Les cyniques diront que notre fédération est dirigée par un joueur de tennis et par un arbitre.

Je ne suis pas un  » technicien  » du foot, c’est vrai. Mais tous deux, nous sommes très bien entourés.

Vous managez des équipes de spécialistes.

C’est comme ça que je le vois. Johan Walem était là avant moi, Gert Verheyen entame son mandat la saison prochaine. Tous deux ont été de bons footballeurs, des figures de proue. Nous avons évidemment Marc Wilmots. L’Ajax et le Bayern font également confiance à leurs figures légendaires. Il est très important que les clubs procurent une bonne formation aux jeunes. D’ailleurs, ils savent que s’ils en sortent des bons, ils toucheront des dividendes au travers d’un transfert en Angleterre ou ailleurs. Nous avons un atout important : nous formons bien les jeunes, dans un bon contexte social.

Bob Browaeys, le responsable de l’aile flamande, prévient qu’il faut déjà réfléchir au football en 2020.

Absolument. Et nous en avons déjà discuté à travers les différents départements. Il faut penser au niveau des joueurs et des arbitres en 2020, 2022. Je veux découvrir les Gumienny de cette période. En matière de jeunes, nous sommes dans une spirale positive, grâce à de nombreuses personnes. Mon rôle est de soutenir cette tendance. Notre question, c’est : qui sont les Diables Rouges du Qatar et comment en faire encore des meilleurs ? La génération actuelle est jeune et il sera difficile d’en écarter des éléments avant 2018 mais ce n’est pas une raison pour nous reposer sur nos lauriers. Nous devons chercher leurs successeurs. C’est la mission de Johan, de Gert et des autres.

Qui sont vos managers ?

Johan Walem est le coordinateur de toutes les équipes de jeunes. Il s’occupe des calendriers, discute avec les clubs et entraîne les U21. Gert m’a immédiatement dit qu’il devait muer les U18 et les U19 en vainqueurs. Nous devons collaborer, pas travailler de manière hiérarchique. Ives Serneels est responsable du football féminin, Kris Van Der Haegen de la formation des entraîneurs qui doit notamment améliorer la Pro Licence. Ces hommes doivent réfléchir à une vision avec les clubs. Je comprends qu’ils n’ont pas toujours le même point de vue mais nous pouvons nous entraider.

 » Il faut élargir la base chez les arbitres  »

Comment prévoir comment on jouera dans dix ans ?

Comparez le succès des Diables au Mexique 1986 à la demi-finale Bayern-Barça… le jeu est complètement différent, beaucoup plus rapide. Il sera encore plus compact et plus vif en 2020. Il y a assez de spécialistes pour en discuter car je n’en suis pas un : de quel type de joueurs aurons-nous besoin, comment obtenir ce style de jeu ? Techniciens, préparateurs physiques, peut-être des spécialistes du  » mental « … Les clubs font du bon travail mais nous devons leur offrir un plus.

Vous n’hésitez pas à dire que vous n’y connaissez rien.

Mon boulot est d’offrir aux gens un environnement qui leur permette de bien travailler. Il faut leur accorder la liberté d’oeuvrer à leur projet. Il ne s’agit pas de mieux travailler mais de créer un contexte qui donne envie à tout le monde de venir à la fédération.

Vous occupez-vous aussi de la base, qui s’effiloche ? De moins en moins de clubs, de jeunes, trop peu d’arbitres…

La base de la pyramide doit rester la plus large possible. Nos concurrents sont les autres sports. Ceci dit, les jeunes relèvent maintenant des ailes. Bob Browaeys est chargé de l’aile flamande, nous cherchons quelqu’un pour la francophone. Benoît Thans s’en occupait avant d’être promu directeur sportif. Johan Walem, son successeur, a également pris du galon.

L’arbitrage, vous connaissez. La Ligue Pro nous a dit qu’un nouveau plan était prêt.

Nous en parlerons le moment venu. Nous avons deux tâches : il faut avoir assez d’arbitres pour la base. Plus ce groupe sera large, plus nous aurons de chances d’avoir de bons arbitres. C’est un boulot difficile. Nous devons réfléchir à un point : nous ne pouvons plus envoyer d’arbitres à tous les matches. Les Pays-Bas organisent plus de matches le week-end en ayant le même nombre d’arbitres mais ils ont des  » arbitres de club « . Nous aussi, en U5, U6, U7. Des jeunes joueurs de l’équipe première par exemple. Il faut oser aller plus loin, supprimer les classements dans ces séries, augmenter le contingent des arbitres mais aussi soutenir les clubs. Nous devons encadrer la formation de ces gens, avec créativité.

 » L’arbitrage ne doit pas toujours être réactif  »

Cela veut-il dire plus d’arbitres du tout en équipes d’âge ?

Non. Il faut simplement plus d’arbitres de club. Il faut aussi détecter plus vite les jeunes arbitres talentueux. Actuellement, les provinces s’occupent d’eux mais nous ne les découvrons que quand ils arrivent en nationales. Nous pourrions les encadrer plus vite. En fait, il faut procéder avec les arbitres comme avec les joueurs doués.

Les entraîneurs se plaignent que les arbitres n’ont pas joué au foot et manquent donc d’instinct. Comment résoudre ce problème ?

Les talents doivent être formés par des gens qui connaissent le football de haut niveau. Je pense à Walem, à Verheyen. Nous procédons déjà à des simulations.

Frank De Bleeckere et vous, vous vous prépariez tactiquement à vos matches.

Nous devons institutionnaliser ça, maintenant. Nous avons déjà beaucoup progressé sur le plan physique mais cela ne fait pas de vous un bon arbitre. Comparez un match de 1986 à un de nos jours. La vitesse… Mais un grand arbitre doit aussi lire le jeu, la tactique. Au sommet, il prend cinq à six décisions cruciales par match. Pas plus. Penalty, carte rouge, hors-jeu… Les journalistes s’attardent là-dessus, ils ne s’intéressent pas à une rentrée en touche qui devait revenir à l’adversaire. Nos résultats sont serrés : 1-0, 2-0, 2-1. Ces décisions sont donc très importantes. L’arbitre doit rester concentré 90 minutes, anticiper les phases, s’appuyer sur son instinct, bien plus qu’avant. Un exemple concret : le joueur qui intercepte mal un ballon va vouloir le récupérer immédiatement. Il va foncer, pied en avant. L’arbitre qui voit ce mauvais contrôle doit s’attendre à ce qu’il se passe quelque chose, être attentif. L’arbitrage ne doit pas toujours être réactif. L’anticipation est importante. Il faut aussi prévenir les jeunes footballeurs qu’une telle action peut leur valoir la carte rouge.

Les PO1 sont dirigés par un peloton d’arbitres et d’assistants. Ce partage des responsabilités ne risque-t-il pas de provoquer une fuite de celles-ci ?

Si. L’arbitre est le responsable mais un autre homme, derrière le but, prend des décisions. Moi-même, j’ai peut-être tenu compte à trois ou quatre reprises des décisions de mon assistant, sur l’ensemble de ma carrière. Maintenant, si quelqu’un crie penalty derrière le but et que l’arbitre n’est pas sûr à 100 %, il doit siffler puisqu’un autre l’a vu. Les officiels doivent apprendre à gérer ces situations. Deuxième point : ils ne doivent pas tous regarder la même chose.

 » Nous devons nous inspirer du modèle anglais  »

Fallait-il procéder à cette expérience à un stade aussi crucial du championnat ?

J’y ai assigné des personnes disposant d’une expérience européenne. Elles ont été entraînées et préparées. Il faut bien commencer quelque part. Nous ne pouvons pas revenir en arrière mais nous devons affiner le système. Il y a déjà progrès, dans le positionnement, par exemple.

Faut-il des calls, comme en tennis ?

Il faut améliorer la qualité de l’arbitrage. Que ce soit avec la vidéo ou d’autres technologies, peu importe. Un call ? Sur quelles phases ? Et que faire si un assistant lève son drapeau à mauvais escient ? Va-t-on remettre le ballon en jeu et laisser courir les joueurs vers lui ? Ce serait la cacophonie. Il faut rester pratique.

Que pensez-vous de l’amende infligée à John Van den Brom pour ses propos ?

C’est un mauvais signal. Autant ne rien donner… Nous devons intervenir si nous voulons conserver un certain niveau. Il s’agit d’une décision du parquet fédéral, qui a visiblement pris une mesure indépendante. En tant que fédération, nous pouvons très difficilement intervenir à ce propos. Mais je comprends que cette amende suscite des questions. Pour la fédé, c’est sans doute un avertissement pour reconsidérer le fonctionnement de ce parquet.

Voulez-vous accentuer la professionnalisation des arbitres ?

Nous y travaillons. Les membres du top vingt doivent se préparer toute la semaine. Vous êtes désigné à Gand le week-end prochain ? Visionnez des DVD de Gand et de son adversaire. Comment jouent-ils ? Introduira-t-on ce système l’année prochaine ? Il doit encore mûrir… si nous l’introduisons. C’est une question de choix mais la professionnalisation est incontournable. Les arbitres doivent prouver qu’ils ont les qualités requises. Le modèle anglais est exemplaire. 15 ou 16 arbitres sifflent tous les matches. Des hommes de 52 ans arbitrent City-United. Il faut constituer un pool semblable. Quinze arbitres et trente assistants. C’est une vision à long terme :  » Mon travail ? Je suis arbitre.  » Ce n’est pas neuf, regardez la Pologne, les Pays-Bas, le Portugal.

Devez-vous également développer une vision pour le centre de formation de Tubize ?

C’est en effet une de mes tâches mais je dispose d’un manager pour cela…

De Mol à Tubize, la route est longue…

Le matin, je travaille d’abord un peu à la maison. On peut me téléphoner après neuf heures. On peut aussi travailler en voiture ! J’ai un travail qui m’accapare 24 heures sur 24. ?

PAR PETER T’KINT – PHOTOS : IMAGEGLOBE/ KETELS

 » Un arbitre prend 5 à 6 décisions cruciales par match, pas plus. « 

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