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 » Happel me cite dans son autobiographie « 

On sait que le Manager de l’Année a un passé dans le foot. Ce qu’on ne savait pas : il portait des blocs de béton avec Czernia, il a disputé une finale de Coupe de Belgique, il a joué en marquage sur son idole Rensenbrink, Tahamata et Rush. Oui, Ian Rush.

Trends Tendances vient de récompenser un homme de défis. Jean-Jacques Cloquet a soulevé le trophée de Manager de l’Année. Un homme qui a toujours eu envie de bouger, qui enchaîne les vies professionnelles. Il y a d’abord eu un poste à hautes responsabilités chez Solvay. Ensuite une longue expérience à l’aéroport de Charleroi, qu’il a fait décoller. Et depuis le début de l’année, il est installé au parc Pairi Daiza.

JJC, c’est aussi un passé dans le foot professionnel. Joueur, entraîneur, dirigeant. Au Sporting Charleroi. Là-bas, on ne l’a pas oublié : il a sa propre case sur le Monopoly aux couleurs et thèmes du club. Il revient sur ses tranches de vie dans ce monde.

Czernia, son voisin

 » J’ai grandi dans le même quartier qu’ AlexCzerniatynski, on passait des heures à taper dans le ballon sur le terrain en face de chez moi. Son père était maçon et on travaillait avec lui comme manoeuvres sur des chantiers, pendant les vacances. On portait des blocs, des briques, des sacs de ciment, ça nous faisait un peu d’argent de poche. Plus tard, je me suis retrouvé dans le noyau du Sporting avec lui. Il a explosé et il est parti à l’Antwerp.  »

Willy Geurts, son premier adversaire

 » À 17 ans, quand j’étais en Juniors UEFA, j’ai été appelé dans le noyau pro par Félix Week. Eric Van Lessen et François Van Nerum étaient blessés, il n’y avait plus de back droit pour aller jouer à l’Antwerp. J’ai vite vu à quoi pouvait ressembler la D1 : mon adversaire direct était Willy Geurts. Un tueur. Il m’a presque cassé deux côtes. Pas un joueur méchant à la base, mais un costaud qui avait les trucs pour bousculer son adversaire. Après ça, j’ai joué contre Anderlecht. Et je me suis retrouvé face à mon idole, RobbyRensenbrink. J’étais encore en rhéto et je devais tenir une icône.  »

Dans mon premier match en D1, Willy Geurts m’a presque cassé deux côtes.  » Jean-Jacques Cloquet

Bruges, son premier exploit

 » Cette saison-là, 1977-1978, Charleroi fait un parcours fantastique en Coupe de Belgique. Au moment du huitième de finale contre Anderlecht, je ne suis pas encore dans le groupe. Le Sporting se qualifie dans un replay au Parc Astrid. Ça se joue aux tirs au but, je suis dans la tribune, comme supporter. C’est le tout grand Anderlecht qui va gagner la Coupe des Coupes contre Vienne quelques mois plus tard. Il y a Gil Van Binst, Hugo Broos, Arie Haan, Ludo Coeck, François Vander Elst, Frankie Vercauteren, Rensenbrink.

Une amitié qui dure depuis 40 ans avec Philippe Migeot.
Une amitié qui dure depuis 40 ans avec Philippe Migeot.© PG

Je suis dans l’équipe pour la demi-finale contre Bruges, à Charleroi. C’est le Bruges qui doit jouer, quatre jours plus tard, la finale de la Coupe des Champions contre Liverpool. Avec Georges Leekens et René Vandereycken. Et Ernst Happel sur le banc. On gagne 3-1, le Sporting est qualifié pour sa toute première finale de Coupe.  »

Beveren, sa finale

 » On doit jouer la finale contre Beveren avec Jean-Marie Pfaff, Heinz Schönberger, Jean Janssens. Quarante ans plus tard, j’ai toujours des regrets par rapport à la façon dont on l’a préparée. Très mal. Il n’y a pas eu de mise au vert, c’est incompréhensible. On avait rendez-vous au stade de Charleroi quelques heures avant le match, on est montés dans le car et on s’est retrouvés sur la route au milieu des voitures de supporters.

On est allés directement au Heysel, sans passer par un hôtel pour une mini retraite. Et puis, Félix Week avait écarté Bobby Böhmer, notre artiste. Ils ne s’entendaient pas. Mon premier souvenir avec lui remonte au moment où j’étais encore en Juniors. On avait fait un match contre les pros, je jouais sur lui, il jouait… en chaussettes. Et il faisait ce qu’il voulait.

On n’était pas favoris. Je jouais sur Janssens, il avait 34 ans, moi 17, il aurait pu être mon père. Mais qu’est-ce qu’il m’a fait crever ! On tenait le coup, Rainer Gebauer a eu une occasion cinq étoiles mais il ne l’a pas mise, puis Beveren a marqué deux fois : 0-2. Les anciens de l’équipe étaient conscients d’être passés à côté d’un exploit historique – Daniel Mathy, Matt Van Toorn, Jacques Van Welle, Charly Jacobs.  »

Aaron Leya-Iseka, son voleur de record

 » J’ai au moins marqué l’histoire du football belge, ce jour-là. Je n’avais pas encore 18 ans, je suis devenu le plus jeune joueur à disputer une finale de Coupe. Mon record a tenu très longtemps. J’ai eu peur qu’il soit battu par Romelu Lukaku quand il était à Anderlecht. Mais ils ne sont jamais allés en finale avec lui, quand il était dans les temps pour me battre.

Finalement, le record est tombé en 2015, quand Aaron Leya-Iseka est monté contre Bruges. J’avais joué une finale à 17 ans et neuf mois, il l’a fait en étant cinq mois plus jeune. Mais il n’a joué qu’un quart d’heure. Si on prend comme critère une finale complète, je suis toujours le recordman de précocité !  »

L’unif, son exutoire

 » À la fin de cette saison-là, j’ai terminé ma rhéto et passé l’examen d’entrée à l’université pour devenir ingénieur civil. J’y ai attiré un coéquipier, qui ne savait pas trop quelles études choisir : Philippe Migeot. Le début d’une aventure un peu folle de cinq ans. On combinait le foot presque professionnel et les cours à Mons. On se remontait mutuellement le moral quand il y en avait un qui avait un coup de barre. Certains jours, on brossait des cours. D’autres jours, on sautait un entraînement. Mais on s’entraînait pratiquement tous les jours.

Il m’est arrivé de passer des examens le lendemain d’un match. D’en rater, aussi… On a joué un week-end au RWDM, Nico Jansen m’a taclé comme un fou, il m’a ouvert la tête. Leur médecin m’a recousu dans le vestiaire. Impossible de présenter mon examen le lendemain à Mons. La combinaison était éprouvante mais ça ne m’a jamais effleuré de laisser tomber soit le foot, soit les études. Finalement, j’avais trouvé un équilibre. Quand on avait perdu un match, je me disais que ce n’était pas la fin du monde parce que j’avais l’unif où ça se passait bien. Et quand je ratais un examen, je me raccrochais au foot.  »

Aux soins avec Charly Jacobs et Rainer Gebauer.
Aux soins avec Charly Jacobs et Rainer Gebauer.© PG

La descente, la faillite, sa période noire

 » Deux ans après la finale de la Coupe, en 1980, le Sporting a chuté en D2. J’ai encore en mémoire des images de supporters en pleurs. Et ce n’était pas fini. En 1982, le club est tombé en faillite. Nos derniers salaires n’ont pas été payés. C’est à ce moment-là que le duo Jean-Paul Spaute / GastonColson a repris le club. Je ne jouais pas tous les matches, c’était compliqué avec la combinaison des études. J’ai aussi été international universitaire, j’ai fait un match !

Abbas Bayat est un homme borné mais humain.  » Jean-Jacques Cloquet

Une fois diplômé, j’ai fait mon service militaire, et là, j’ai été sélectionné en équipe militaire, j’ai disputé le Kentish, on s’est fait balayer par les Anglais, des bûcherons, et par les Français. Dans l’équipe, il y avait Filip De Wilde, Bernard Wégria, Claude Verspaille et Didier Beugnies. À propos de Beugnies, il m’avait impressionné quand il jouait à Mons et j’avais conseillé à Jean-Paul Spaute de le prendre à Charleroi.  »

L'équipe finaliste de la Coupe de Belgique 1977-1978 (Jean-Jacques Cloquet deuxième en haut en partant de la gauche).
L’équipe finaliste de la Coupe de Belgique 1977-1978 (Jean-Jacques Cloquet deuxième en haut en partant de la gauche).© PG

La Louvière, sa sortie

 » Charleroi est remonté en 1985, via le tour final. Je ne jouais plus beaucoup. J’étais sur le banc pour le match décisif. La fête a été grandiose. Mais je savais, déjà à ce moment-là, que c’était terminé pour moi au Sporting. J’avais pris ma décision avant le tour final. C’était trop compliqué. J’étais entré chez Solvay, ce n’était plus possible de jouer au plus haut niveau. J’ai signé à La Louvière, ça devait être plus tranquille là-bas. Ça aurait dû être en D2. Quand j’ai signé, l’équipe n’était pas encore mathématiquement montée de D3, mais c’était comme si c’était fait et les dirigeants avaient déjà commencé à monter une équipe de malades, avec notamment Christian Vavadio et Hervé Royet.

La fête lors de la remontée en D1, en 1985.
La fête lors de la remontée en D1, en 1985.© PG

Mais au tout dernier moment, ça a foiré. Un joueur a couché avec la femme d’un coéquipier, qui a saboté un match décisif. Ça a empêché La Louvière de retrouver la D2. Et pour moi, ça ne s’est pas bien passé. Je me suis blessé au genou dans un contact. Au lieu de m’opérer complètement le ménisque, on m’a fait une petite opération plutôt esthétique. Je ne suis jamais revenu. Je n’avais que 26 ans, je devais arrêter le foot de haut niveau.

De mes matches avec La Louvière, je retiens qu’on avait parfois Eddy Merckx dans le stade. Il était proche de notre entraîneur, Jean Cornelis. Après ça, j’ai joué un an à Marchienne, puis j’ai voulu boucler la boucle à Nalinnes, en Provinciale. Je n’y ai fait qu’un match. Le lendemain, mon genou avait doublé de volume. J’ai dit stop, définitivement.  »

Entraîneur, sa nouvelle passion

 » Pour rester dans le foot, j’ai entraîné des Minimes du Sporting, j’ai eu le fils de Jean-Claude Van Cauwenberghe dans mon noyau. Puis j’ai repris les Scolaires nationaux, et là j’avais une fameuse équipe avec Olivier Suray, Roch Gérard, Régis Genaux, Frédéric Jacquemart, Samuël Remy. On a terminé à la deuxième place du championnat derrière Anderlecht qui alignait Johan Walem, LuisOliveira et Bertrand Crasson. Une chouette expérience. J’ai aussi été vice-président de l’école des jeunes du Sporting.  »

Ça m’aurait tenté d’aller plus loin dans le coaching, mais là encore, c’était compliqué à combiner avec mon boulot chez Solvay. Si c’était à refaire, je m’accrocherais peut-être. En visant ce métier à un haut niveau. J’ai toujours été considéré comme un people manager, et c’est terriblement important pour s’occuper de footballeurs. Je suis sous le charme de Felice Mazzù, pour sa façon de gérer ses hommes. Il est sobre, humble, très intelligent, il a beaucoup de psychologie. Tu peux avoir les meilleurs joueurs, ça ne réussira jamais si tu n’as pas une bonne dose de psychologie.  »

J’étais une pourriture pour les attaquants.  » Jean-Jacques Cloquet

Tahamata, son cauchemar

 » Je n’étais pas à l’aise contre les petits gabarits, les attaquants très mobiles, les gars qui couraient très vite. J’ai des souvenirs difficiles contre le Standard, quand j’étais confronté à SimonTahamata et Eddy Voordeckers. Je préférais de loin tenir des bêtes. J’ai aussi dû me farcir Frankie Vercauteren et Ludo Coeck. Et j’ai eu l’honneur de jouer en marquage contre Ian Rush quand Liverpool est venu jouer un match de gala à Charleroi pour le quatre-vingtième anniversaire du club. André Colasse nous avait donné une consigne : Ne faites pas les cons. On a pris une raclée. J’ai joué les vingt dernières minutes, c’est un grand souvenir.  »

Une expérience courte et difficile avec Abbas Bayat.
Une expérience courte et difficile avec Abbas Bayat.© PG

L’agressivité, son label

 » Czernia a dit un jour, dans un journal : Jean-Jacques Cloquet, c’est un tueur sur le terrain et un ange dans la vie. C’est vrai que j’étais très dur mais je n’ai jamais fait de fautes vicieuses, je n’ai jamais donné un coup de poing. On tirait les maillots, il y avait des mots, mais je ne passais pas la ligne rouge. Je taclais mais je le faisais proprement, à la hollandaise, jamais avec les studs en avant. C’est Chris Dekker qui m’avait appris ça. J’étais une pourriture pour les attaquants, un joueur qu’on sacrifiait, ce n’était pas gai de jouer contre moi.

La consigne, c’était que le gars ne pouvait pas marquer, je devais le suivre partout, c’était un vrai marquage à la culotte. Pas de cadeau. Je suis dans l’autobiographie d’Ernst Happel. J’avais tenu Ralf Edström dans un match contre le Standard, l’année où on a chuté en D2. Je l’avais taclé dans notre rectangle, l’arbitre n’avait pas bronché et on avait gagné. Happel ne l’a pas digéré, il trouvait scandaleux qu’on ne siffle pas une faute pareille en Belgique, c’est pour ça qu’il parle de moi dans son bouquin !  »

Abbas Bayat, son binôme compliqué

 » J’ai replongé dans le foot en 2002. Pour des raisons privées, j’ai quitté Solvay. Je voulais me rapprocher de ma région. J’ai pensé me lancer comme indépendant, faire du développement d’affaires, des études de marché. À ce moment-là, Lucien Gallinella, qui dirigeait le Sporting avec Abbas Bayat et Enzo Scifo, m’a proposé de travailler avec eux. Dans un rôle qui ressemblait à celui de directeur général. J’ai foncé. J’avais de bonnes raisons de croire que ça allait bien se passer. Bayat avait une réputation d’homme d’affaires de haut niveau, Chaudfontaine était en plein boom. Je me disais : Un businessman brillant comme Bayat avec un directeur sportif brillant comme Scifo, c’est un duo d’enfer. J’ai foncé.

Mais j’ai vite compris que le tableau n’était pas celui que je croyais. Je suis arrivé dans le bazar. La situation financière était catastrophique, l’ONSS voulait que le club soit déclaré en faillite, les relations avec la Ville étaient exécrables. Il fallait expliquer aux joueurs qu’ils seraient payés plus tard. On avait régulièrement des huissiers au stade. Parfois, on ne savait plus payer de timbres pour envoyer les courriers ! On passait pour ainsi dire plus de temps dans les tribunaux que dans nos bureaux, c’était terrible.

Et Scifo est parti peu de temps après mon arrivée, c’était trop tendu entre Bayat et lui. Certaines nuits, je me réveillais en nage. J’ai aussi découvert que les mentalités avaient fort changé depuis ma période de footballeur. Les joueurs étaient devenus très égoïstes et les agents avaient fait leur apparition. On essayait de créer un esprit de groupe mais ça ne fonctionnait pas.

Il fallait d’urgence obtenir un prêt pour sauver le club, on est allés plaider devant le conseil communal pour que la Ville se porte caution, c’était indispensable. Ça a été accepté. Et il fallait trouver d’autres moyens, séduire des financiers. J’ai commencé à chercher des investisseurs avec Jean-Claude Van Cauwenberghe. On a réuni beaucoup d’argent, puis subitement, Abbas Bayat nous a annoncé qu’il voulait continuer seul, qu’il n’avait plus besoin d’aide.

Là, j’étais entre deux, seul au milieu du parquet, parce que Bayat pensait que j’avais voulu faire un putsch, que j’avais essayé de prendre le pouvoir. Je ne pouvais plus rester dans des conditions pareilles, alors on s’est séparés à l’amiable. Plus tard, il s’est excusé, il a compris que je n’avais pas agi dans son dos. On s’est revus quand Charleroi est remonté en D1, on a mangé ensemble, c’était très agréable. Abbas Bayat est un homme borné mais humain. Ça a été une année difficile mais très enrichissante. Je n’ai jamais vu ce départ comme une catastrophe. J’ai continué à faire ma vie !  »

Jean-Jacques Cloquet a été désigné manager de l'année par nos collègues de Trends-Tendances.
Jean-Jacques Cloquet a été désigné manager de l’année par nos collègues de Trends-Tendances.© PG

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