Hajduk, la force de Split

Senijad Ibricic, le meilleur joueur du championnat croate, est une des grandes surprises qui attendent Anderlecht en Dalmatie.

« Les patrons du Dinamo Zagreb peuvent raconter ce qu’ils veulent et vanter sans cesse leurs joueurs pour faire monter leur valeur financière, ils ne possèdent pas une ligne médiane comparable à celle d’Hajduk Split « , certifie Ozren Marsic, journaliste à Vecernji List. Zdravko Reic, sommité du journalisme sportif croate (il cartonne avec son émission de télévision hebdomadaire et ses redoutables billets diffusés dans Slobodna Dalmacija), approuve les propos de son jeune confrère en dégustant un café serré à la terrasse de la cafétéria du stade Poljud, l’antre d’Hajduk Split.

La guerre bat son plein entre Hajduk et le Dinamo, les deux véritables puissances du football croate.  » Zagreb, c’est la capitale et la ville du business « , avons-nous souvent entendu à Split.  » C’est le c£ur de notre économie et, c’est certain, ils savent faire de l’argent. Mais ils se croient parfois tout permis… « 

Récemment, le grand patron du Dinamo, Zdravko Mamic, un personnage haut en couleurs et extrêmement influent avec son art consommé de vendre ses meilleurs joueurs pour des fortunes, s’en est pris -via les médias- au coach de l’équipe nationale croate Slaven Bilic. Il lui a dit :  » Tu devrais être honteux « . Mamic lui reprochait de ne pas encore avoir repris Sammir, son attaquant-vedette d’origine brésilienne, en équipe nationale. Or, une telle promotion vaudrait son pesant d’or sur le marché des transferts. Le T1 de la formation au damier rouge et blanc a plus d’une solution à cette place ( Luka Modric, Ivan Rakitic, Niko Kranjcar, etc.) mais Mamic estime peut-être qu’il agit ainsi en raison de son passé de joueur… d’Hajduk Split.

Zagreb et Split, Dinamo et Hajduk, pôle nord et pôle nord du foot croate.

 » Même si tout n’est pas encore parfaitement en place, Split détient une équipe qui a de l’avenir et des atouts « , affirme Ivica Mornar (36 ans, ex-attaquant de Hajduk, Francfort, Séville, Standard, Anderlecht, Portsmouth, Rennes).  » Il y a belle lurette que ce club n’est plus parvenu à franchir le cap de l’hiver en Coupe d’Europe. C’est son ambition et, même si ce ne sera pas facile, cet effectif peut y parvenir malgré sa jeunesse. Split a toujours eu le meilleur centre de formation du pays. Zagreb, lui, est devenu une tour de Babel avec ses nombreux Brésiliens et autres joueurs qui viennent d’un peu partout. Il y a aussi des étrangers à Split mais 80 % des joueurs sont quand même originaires de Dalmatie. Hajduk recrute des joueurs qui connaissent la mentalité, les valeurs et les émotions d’une ville où le football est plus que du… football. J’ai connu beaucoup de choses très intéressantes lors de mes longs séjours à l’étranger. Pour les supporters, le football y est souvent une distraction ou même une religion. Ici, c’est plus que cela : Hajduk est un peu la force de Split, son ambassadeur.  »

 » Le football représente tout pour beaucoup de monde dans ce coin de la Croatie, c’est une raison de vivre et cela explique les bouffées de fierté, de nostalgie, de joie ou de colère du public du stade Poljud. L’entraîneur, Stanko Poklepovic a déjà 72 ans mais il gère très bien les paramètres de son équipe. Je sais ce que c’est car j’ai failli devenir directeur sportif de ce club qui m’a formé. Un chemin de reconversion qu’il me plairait de prendre, ici ou ailleurs… L’avantage à Split, c’est l’abondance de jeunes talents. Et Poklepovic adore les lancer : pas étonnant, il a souvent été le compagnon de route de Tomislav Ivic…  »

Hajduk refuse une place en Série A italienne

En Croatie, Dinamo Zagreb a surpris en entamant très bien sa campagne en Europa League (2-0 contre Villareal). Les gars de Split attendent des confirmations et haussent les épaules comme le coach, Stanko Popklepovic :  » Il n’y a que la régularité qui compte. « 

Le bonhomme déborde d’énergie et nous reçoit sur le coup de 20 heures, entre le match européen à Athènes et un déplacement, le lendemain à Rijeka où l’attendait un derby de l’Adriatique toujours très disputé. Poklepovic commande un peu de viande, de la salade et du vin rouge pour le visiteur venu de Belgique.

On se souvient que Hajduk a été fondé le 13 février 1911 par des jeunes. Mais quel nom doivent-ils donner à leur club. L’idée venue d’un de leurs profs consistera à rendre hommage à Andrijica Simic, un brigand (hajduk) qui a lutté contre les Ottomans et les riches, leur volant leurs biens avant de les distribuer aux pauvres. L’histoire est en marche. Hajduk use ses boots dans cinq pays : l’Empire austro-hongrois, le Royaume de Yougoslavie, l’Italie (qui annexe la Dalmatie en 1941), l’Etat indépendant de Croatie instauré par les fascistes et l’occupant nazi), la république fédérale yougoslave, la république de Croatie. Hajduk a résisté à tous les soubresauts de l’Histoire.

En 1941, l’Italie propose une place en Série A à Hajduk Split. Comme la ville dalmate n’est pas encore dotée d’un aéroport, la fédération italienne offre les déplacements en… hydravion. Hajduk repousse de jouer en Série A. Plus tard, toute l’équipe rejoint les maquisards communistes yougoslaves. Bien qu’originaire de Zagreb, Bernard Vukas (1927-1983) devient ensuite le plus grand joueur de l’histoire de Hajduk. Retenu deux fois en sélection européenne aux côtés, entre autres de Rik Coppens, il casse toujours la baraque contre l’Angleterre. En 1957, cet attaquant accepte une offre de Bologne.

 » Ce fut un événement considérable « , se souvient Reic.  » Une véritable divinité quittait ses fidèles. Mais Vukas n’allait pas faire les choses banalement. A l’époque, on ne captait pas facilement la télévision. Zagreb était loin à cause des montagnes, les Alpes dinariques. Il y avait moyen de regarder la RAI mais seulement par beau temps : la moindre brume sur l’Adriatique brouillait tout. Vukas décida de payer de sa poche une antenne qui fut posée sur un sommet près de Split : la Série A et le Bologne de Vukas entraient dans nos salons.  » Aujourd’hui, la statue de Vukas trône fièrement dans le hall du stade Poljud.

Poklepovic a aussi joué un rôle important dans le développement du club. Il était aux côtés de Tomislav Ivic quand ils mirent au point le pressing haut, dans le camp adverse.

 » Bien avant l’ex-Soviétique Valeri Lobanovski à qui on a attribue cette évolution très importante « , note Reic.  » Cela s’est passé à Split. C’est ici qu’on a réinventé le pressing. Ivic a trouvé cela en 1973 en observant un de ses meilleurs joueurs, Brane Oblak. Quand ce dernier perdait le ballon, il se transformait tout de suite en défenseur, chassait, etc. Ivic et Poklepovic ont perfectionné ce pressing.  »

Le coach de Split a découvert Savicevic et Mijatovic

Poklepovic approuve d’un mouvement de la tête :  » Durant les années 70, nous avions encore le temps de planifier notre travail. Les coaches étaient jugés sur le long terme. Je me souviens avoir progressé durant plusieurs années avec la même génération. Le bilan sportif passait avait tout. Le progrès était au centre de toutes les considérations. Hajduk a formé patiemment des dizaines de joueurs qui ont découvert l’équipe première, la D1, la Coupe d’Europe avant d’être embauché par un bon club étranger. Ce n’est quasiment plus possible. La pression externe et même interne devient plus importante. Le travail collectif est ébranlé par les nouvelles réalités économiques. Partout, des financiers sont à la tête des clubs. « 

 » Ils veulent des résultats pour justifier leurs investissements. Le temps est devenu plus précieux. Or, il en faut avec les jeunes. On ne peut pas cerner toutes leurs potentialités en une fraction de seconde et les intégrer au mieux dans le collectif. Quand je travaillais dans le Monténégro (à Buducnost Podgorica), j’ai eu la chance de découvrir Dejan Savicevic et Pedrag Mijatovic. Derrière leur talent, il y a ensuite eu pas mal de travail physique, technique, tactique. Ce sont ces facettes-là qui m’intéressent mais je dois tenir des départs et des arrivées générés par la réalité financière du club. J’ai créé un environnement où chaque joueur doit progresser. Chaque départ doit être préparé à l’avance. On ne peut pas se retrouver brutalement sans une pièce maîtresse. Je suis persuadé que ce Split peut franchir le cap de l’hiver et ce sera du bonus pour tout le monde « .

Poklepovic pense à ces affiches européennes, plus intéressantes que les rendez-vous de la D1 croate. Il y a bien les chocs contre le Dinamo Zabreb, les rendez-vous avec Rijeka où les derbys avec le NK Split qui a intégré la D1 après des dizaines d’années de patience.

Cela dit, une bonne campagne européenne aura aussi pour effet d’écarteler l’équipe, Senijad Ibricic – le meilleur joueur du championnat croate – ne résistera pas éternellement aux sirènes étrangères, son club non plus. Poklepovic connaît la musique. Ancien coach de l’équipe nationale croate, il a roulé sa bosse un peu partout (Banja Luka, équipe nationale d’Iran, Ferencvaros, Osijek, etc.) et c’est aussi pour cela que Split fit appel à lui pour remplacer Edoardo Reja parti du jour au lendemain à la Lazio Rome en février 2010. Directement, il remporta la dernière Coupe de Croatie.

Split a un peu peur de Lukaku

 » Ibricic est évidemment un joueur exceptionnel « , avoue-t-il.  » C’est le c£ur de notre équipe. Son talent saute aux yeux. Tous les entraîneurs ont besoin de joueurs comme lui. « 

A Athènes, Split est passé par la fenêtre à cause de son gardien de but mais Poklepovic nuance :  » Je reste persuadé que nous méritions de revenir avec au moins un point.  » Ce sentiment est partagé par son vieil ami Tomislav Ivic qui ira saluer la délégation anderlechtoise avant de s’intéresser à la rencontre :  » Mes deux anciens clubs sont un peu dans la même situation. Ils reconstruisent avec des effectifs très jeunes. J’ai été étonné en apprenant le départ de Jelle Van Damme pour l’Angleterre. Van Damme est un joueur qui peut faire basculer un match par sa taille et sa puissance. Mais ici, tout le monde a entendu parler de Romelu Lukaku. Du côté de Split, c’est Ibricic qui tire les ficelles.  »

Les journalistes croates se renseignent beaucoup à son propos, n’ignorent rien de l’intérêt du Real Madrid pour lui. Split a un peu peur de Romelu Lukaku, c’est sûr.  » Il se pourrait que ce joueur soit la clef du match « , explique Ivica Mornar.  » Il pèsera forcément sur le centre de la défense d’Hajduk. Poklepovic essayera de le priver de ravitaillement et surtout de ballons hauts. La défense de Split est bonne et la différence se fera au milieu du terrain. Split joue en 4-2-3-1 qui, en réalité se transforme souvent en 4-5-1. Il y a donc du monde autour d’Ibricic, Il est tellement doué que son talent s’impose naturellement.  »

Split sait que le moment est de gagner. Pour préserver ses chances de qualification et prouver au Dinamo Zagreb que le football vit bien en Dalmatie…

Par Pierre Bilic

Ibricic est un joueur exceptionnel. (Stanko Poklepovic,le coach)

Split détient une équipe d’avenir. (Ivica Mornar)

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