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 » GRAND, PETIT, GROS, MAIGRE : L’ESSENTIEL, C’EST DE NE PAS ENCAISSER « 

Ne l’appelez plus Frank The Tank mais plutôt Frank The Man. Car Frank Boeckx est désormais le numéro 1 d’Anderlecht. Pas mal pour quelqu’un qui était devenu persona non grata à La Gantoise, qui ne semblait plus avoir d’avenir dans le football professionnel et qui projetait de prendre son sac à dos pour parcourir l’Amérique du Sud.

Qu’il vienne, ce nouveau gardien ! C’est avec cet état d’esprit que Frank Boeckx entamera la deuxième partie du championnat. Depuis fin novembre, il est devenu le numéro 1 entre les perches du Sporting. Et il n’est pas décidé à céder sa place.  » L’arrivée d’un nouveau gardien ? Cela ne signifie pas nécessairement que je devrai faire un pas de côté. L’entraîneur aura le dernier mot et même la direction ne parviendra pas à l’influencer « , clame un Boeckx sûr de lui. Pas certain qu’il aurait été aussi affirmatif il y a quelques mois.  » Si j’avais pu décider moi-même, je me serais titularisé depuis le début de la saison. Mais, en tant que simple employé du club, je n’ai pas à me mêler de ce qui se décide au-dessus de ma tête. La direction décide des transferts et l’entraîneur compose l’équipe. Je décide moi-même de deux choses : la couleur de mes chaussures et le type de gants que je porterai.  »

Le fait que Boeckx soit aujourd’hui titulaire est presque incroyable. Il y a un an et demi, ce gardien de 30 ans était à terre. Son contrat à l’Antwerp n’avait pas été prolongé et il avait dû entretenir sa condition, pendant l’été, dans le club de Promotion du Vigor Hamme.  » Les factures s’accumulaient, mais je n’avais pas de rentrées financières. J’attendais en vain, à la maison, qu’une proposition me parvienne. Les clubs avaient commencé leur préparation et le début du championnat se profilait à l’horizon. Mentalement, je commençais à accuser le coup.  »

Puis, est arrivé ce coup de téléphone inespéré d’Anderlecht à la fin de la période des transferts.

FRANCK BOECKX : Peter Smeets m’a rendu un fier service : il connaît la maison mauve et savait qu’Anderlecht cherchait un gardien expérimenté. Il a pu expliquer à la direction, à Besnik Hasi et à l’entraîneur des gardiens, Max de Jong, que mon image de garçon difficile était surfaite :  » Frank est un bon gars, donnez-lui une chance. » Je serai éternellement reconnaissant à Peter et à Anderlecht. Ils m’ont sorti de la merde. Et je suis très heureux de pouvoir leur rendre quelque chose en retour.

Toute la Belgique a été surprise par ce transfert. Tout le monde s’est demandé ce que tu pouvais aller faire à Anderlecht.

BOECKX : Lorsque je suis arrivé en septembre, je n’étais pas en état de disputer un match. J’avais encore un long chemin à accomplir. Le premier pas, c’était de retrouver la joie de jouer. Je l’avais perdue après mon passage à Gand. Après quelques jours, le sourire est revenu à l’entraînement, et après la trêve hivernale, j’avais retrouvé la condition. Je savais cependant que je n’avais aucune chance de jouer.

Après le match contre La Gantoise, tu as déclaré :  » Je n’ai jamais cessé de croire en moi. Si d’autres n’avaient plus confiance en moi, c’est leur problème.  » Ton dernier match en D1 datait du 6 octobre 2013 contre Genk.

BOECKX : Je connais mes forces et mes faiblesses. Et je savais que je valais mieux que la D2. Désolé, mais je pourrais jouer dans l’antichambre sans m’entraîner. Malheureusement, ma réputation jouait contre moi. J’aurais, paraît-il, un mauvais caractère, et je ne raconterais que des bêtises. Dans les vestiaires, je joue effectivement à l’amuseur public. Pour moi, l’humour est un signe d’intelligence. Sur le terrain, je suis le premier à me donner à fond, car il en va des points, des primes et du titre. Et je n’hésiterai pas à enguirlander ceux qui n’en font pas autant à l’entraînement.

 » UN GARDIEN QUI PASSE INAPERÇU A RÉALISÉ UN BON MATCH  »

Tu es surpris du niveau que tu atteins ?

BOECKX : Lorsque, pendant un an et demi, tu t’entraînes tous les jours avec des joueurs de très haut niveau, cela signifie quand même que tu as des qualités ? Mais à Anderlecht, c’est spécial : aujourd’hui, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, demain c’est la crise. J’ai suffisamment d’expérience pour savoir que la vérité se situe souvent au milieu. Actuellement, je suis encensé de partout, parce que personne ne s’attendait à de telles prestations, mais tout peut changer très vite. Pour l’instant, je prends les choses comme elles viennent. Et, lorsque je serai dépassé par les événements, je n’hésiterai pas à consulter un psychologue du sport. Dans le passé, j’ai eu une très bonne collaboration avec Jef Brouwers.

Tu as signé quatre clean-sheets en six matches, mais tu as eu peu de boulot. Comment tu juges tes propres prestations ?

BOECKX : Dans certains matches, j’ai eu un peu de chance, je ne le cache pas. Mais il faut forcer la chance. Mon ancien entraîneur de gardiens, et mon entraîneur actuel également, ont insisté sur un point : un gardien qui passe inaperçu a réalisé un bon match. S’il n’a pas eu de boulot, il ne doit pas s’en formaliser. Sinon, il commet des erreurs. Un gardien ne doit pas nécessairement se mettre en évidence.

Un gardien ne doit-il pas être un peu fou ?

BOECKX : Peut-être. Ou alors, il faut laisser croire à tout le monde que vous êtes fou. Plus fou que les autres, en tout cas. Qui donc plongerait sur un ballon, la tête en avant, en sachant qu’un pied peut se trouver sur la trajectoire à tout moment ? Il ne faut quand même pas avoir tous ses esprits pour cela. Mais je préfère être pris pour un fou que traîner une réputation de joueur très moyen.

CUISINE FRANÇAISE

Tu sembles très affûté. C’est vrai que tu dois te battre au jour le jour contre les kilos superflus ?

BOECKX : Je prends du poids très facilement et je dois m’entraîner plus que les autres pour me maintenir à mon poids de forme. Parfois, je vois avec envie mes partenaires manger énormément sans prendre un gramme. Moi, je grossis rien qu’en les voyant manger. (il rit)

Que te conseillent les spécialistes pour te maintenir à ton poids de forme ?

BOECKX : Quand j’avais 12 ans, le Lierse m’a envoyé chez un diététicien. Son verdict a été sans appel : je devais adapter mon régime alimentaire. Depuis, j’essaie de me passer, le plus possible, du pain et des pâtes. Car, en en mangeant, je grossis. Grâce à ma petite amie, qui est très calée en alimentation et a même créé un blog à ce sujet, je mange sainement tous les jours. La cuisine m’a toujours intéressé – j’ai même un diplôme de sous-chef – mais je suis un adepte de la cuisine française, qui utilise beaucoup de beurre et de crème.

Les vacances doivent être une rude épreuve pour toi ?

BOECKX : Je suis obligé d’aller courir tous les jours. Pas contre le chrono, mais en parcourant un certain nombre de kilomètres. Les gens qui m’ont vu courir le long de la Watersportbaan, à Gand, ont dû se demander si j’étais vraiment footballeur professionnel. Je cours au moins pendant une heure et demie. En fait, je ne peux pas rester inactif trop longtemps. Une blessure de six mois serait une petite catastrophe. Avec un peu de malchance, je ne reviendrais jamais.

Le nom de Jeroen Verhoeven te dit-il quelque chose ? Il a été le gardien de but de l’Ajax et du FC Utrecht, et a reçu le surnom de pizza-keeper, en raison de ses formes arrondies.

BOECKX : Je ne lui ressemble quand même pas à ce point-là ? Il ne faut pas exagérer ! Un gardien doit être jugé sur le nombre de ballons qu’il arrête. Point à la ligne. Un gardien qui n’a qu’un bras, mais arrête tout, doit être titularisé chaque semaine. Grand, petit, gros, maigre : l’essentiel, c’est de ne pas encaisser, de savoir lire le jeu, d’avoir une bonne relance avec les pieds… Aujourd’hui, un gardien doit savoir tout faire. Les meilleurs gardiens du monde sont très complets.

LIT DE MORT

Le mois passé, tu es revenu par la grande porte à Gand, où tu as joué cinq ans et demi. Tu as reçu des félicitations dans le camp gantois ?

BOECKX : Ivan De Witte m’a serré la main et félicité. La grande classe. Juste après le match, il était dans tous ses états, en raison de la prestation de l’arbitre, mais De Witte sait qu’il existe des choses plus importantes que le football dans la vie. La santé de ses proches et de sa famille, par exemple. Il y a quatre ans, j’étais au chevet de son fils, qui vivait ses derniers instants.

Tu as pardonné à tout le monde, à Gand ?

BOECKX : Il n’y a rien à pardonner. J’étais en fin de contrat et Gand ne souhaitait pas me prolonger. Ce sont des choses qui arrivent tous les ans, dans tous les clubs. Je ne suis donc pas rancunier. J’étais heureux, il y a deux ans, lorsque La Gantoise a remporté le titre.

La manière dont on t’a écarté, fin 2013, n’était pas très classe.

BOECKX : On m’a liquidé, oui. Mircea Rednic m’a fait passer, en une semaine, de gardien titulaire à quatrième gardien. Soit. Mais en janvier, je n’ai même pas accompagné l’équipe en stage et j’ai été renvoyé dans le noyau B, qui n’avait pas d’entraîneur de gardiens. J’ai dû me débrouiller seul. Ils m’ont laissé le choix : soit je quittais le club immédiatement, et on me versait directement trois mois de salaire, soit je continuais à m’entraîner avec des gamins de 16 ans. Je suis donc allé au bout de mon contrat. Mais est-ce une manière de traiter un joueur qui a tout donné pour le club pendant cinq ans ? C’est ce qui arrive lorsqu’on donne tous les pouvoirs à une seule personne.

 » À GAND, IL FALLAIT SALIR MON IMAGE DANS LA PRESSE  »

Tu veux parler de Michel Louwagie ?

BOECKX : (après un silence) Son nom n’a pas d’importance… Je sais seulement que tout avait été bien préparé. Il fallait salir mon image dans la presse, afin de retourner l’opinion publique contre moi. Pourquoi un homme comme Gunther Schepens, qui travaillait pour le même club que moi, s’est-il cru obligé de me démolir dans une émission sportive sur une chaîne flamande ? (ndlr : ExtraTime) C’est simple : Pelé Mboyo et Sergio Padt devaient rapporter de l’argent au club. Je ne suis pas dupe.

En décembre 2012, tu n’es pas sorti indemne d’un incident avec Pelé Mboyo à l’entraînement. Il t’a donné un léger coup de tête, mais vous avez tous les deux été sanctionnés.

BOECKX : Pourtant, Mboyo a admis que je n’avais rien à me reprocher. Mais le club voulait le vendre pour quatre millions d’euros à Genk et n’avait pas besoin d’une publicité négative contre lui. Le coupable, ce devait donc être moi, car Mboyo représentait un sérieux capital. Je peux le comprendre. Mais un dirigeant du club aurait dû m’appeler pour m’expliquer la situation. Me dire honnêtement :  » nous savons que tu n’as rien à te reprocher, mais tu comprends pourquoi nous devons agir de cette façon. «  Le staff ne m’a pas soutenu : Bob Peeters et son adjoint ont détourné la tête.

Comment as-tu réussi à rester calme ?

BOECKX : Cela n’a pas toujours été facile. Je me suis même blessé au pied en shootant dans une poubelle… Le lendemain de l’incident, la tempête s’est calmée. Mboyo et moi, on s’est expliqué en présence du capitaine Bernd Thijs. L’entretien avec la direction ne devait être qu’une formalité. Jusqu’au moment où j’ai senti qu’on tentait d’inverser les rôles. Uniquement pour protéger Mboyo. Je n’étais plus une victime, mais un raciste et un type agressif. Après dix minutes, j’ai compris où on voulait en venir dans cette conversation et j’ai laissé tourner mon enregistreur. J’ai toujours conservé la bande. On ne sait jamais… Mais je ne suis pas revanchard et je ne vois donc pas la nécessité de rendre cette conversation publique.

TOUR D’AMÉRIQUE DU SUD

Les six derniers mois à Gand tu étais en burn-out ?

BOECKX : Non, pas à ce point-là. Mais je me suis mis à détester le monde du football. Je me suis dit :  » s’il ressemble à ça, il peut continuer à tourner sans moi.  » J’ai élaboré d’autres projets. La société fait déraper beaucoup de gens, surtout lorsqu’il y a de l’argent en jeu. L’aventurier qui se cache en moi m’a soufflé que pour moi, c’était terminé.

Tu étais sur le point de t’accorder une année sabbatique pour faire le tour du monde. Tes projets étaient concrets ?

BOECKX : Je n’avais pas encore commandé mes billets d’avion, mais j’avais mis ma maison en vente. Depuis tout petit, j’avais envie de visiter le monde, mais je n’ai jamais pu mettre ce projet à exécution parce que je suis devenu footballeur professionnel à 16 ans. Je considérais que l’heure était venue : que ce soit sur le plan professionnel ou privé, plus rien ne me retenait.

Mon plan, c’était de voler jusqu’au Costa Rica, et à partir de là, visiter l’Amérique latine avec mon sac à dos. Dans un premier temps, en train, à pied ou en stop. Si c’était trop compliqué, j’aurais acheté une voiture ou un petit bus sur place. Histoire d’avoir tous les jours un endroit où dormir. Je considérais aussi ce voyage comme un test : serais-je capable de me débrouiller seul, loin de chez moi, ou est-ce que j’aurais le mal du pays après 15 jours ?

Tu as envisagé de partir malgré tout en voyage, lorsque Anderlecht t’a contacté ?

BOECKX : Non ! Je ne pouvais pas laisser passer cette chance. Ne serait-ce que pour mes parents, qui m’avaient conduit plusieurs fois par semaine d’Aarschot à Lierre pour que je puisse m’entraîner. Ils ont consenti tellement de sacrifices pour moi, je ne pouvais pas les décevoir. J’ai dû abandonner mon rêve, mais je n’ai pas encore regretté une seule seconde d’avoir signé à Anderlecht. Je vois peut-être trop loin, mais je m’estimerais très heureux de pouvoir terminer ma carrière ici.

L’envie de jouer au football a finalement été plus forte que le reste ?

BOECKX : Me retrouver sur un terrain de football, enfiler des gants, arrêter des ballons, sentir l’ambiance du vestiaire… Je suis dans mon élément. Être footballeur, c’est le plus beau métier qui soit, à mes yeux. J’adore le football, je m’énerve seulement en constatant tout ce qui se trame en coulisses. Les supporters ne voient que le beau côté du sport. Nous, on le vit de l’intérieur et voyons des choses moins reluisantes. Parfois, il faut le voir pour le croire.

PAR ALAIN ELIASY – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Je serai éternellement reconnaissant à Anderlecht de m’avoir sorti de la merde.  » FRANCK BOECKX

 » Après mes derniers mois à Gand, je me suis mis à détester le monde du football.  » FRANCK BOECKX

 » J’ai dû adapter mon régime alimentaire. Quand je mange du pain et des pâtes, je grossis.  » FRANCK BOECKX

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