Georges, Ariel et le saucisson

Pour cause de patriotisme, coefficients UEFA ou autres belgeries, serai-je ce soir supporter de Bruges, favori contre Copenhague après son 0-0 là-bas ? Pas du tout. Non que je déplore le fait qu’un maigre tiers de l’effectif brugeois soit belge : présenter un noyau multinational est désormais monnaie courante (encore qu’en foot, monnaie courante soit un peu léger, vu que les biftons s’y pèsent par millions). Non plus que les joueurs brugeois me laissent froid footballistiquement : Lior Refaelov, Thomas Meunier et d’autres sont capables de jolies choses. Et ce n’est sûrement pas dû au niveau technique de leurs adversaires danois, qui serait singulièrement enthousiasmant : je n’en connais aucun, je n’ai rien vu du match-aller et je ne verrai pas le retour !

Ce qui prime ici dans ma petite tête, c’est qu’il s’agit d’une confrontation après laquelle un des deux entraîneurs fera déjà une croix sur les poules de la Champion’s League. Et je préférerais que le déçu s’appelle Georges Leekens s’il est capable de déception, plutôt qu’ Ariel Jacobs… qui en est capable, et c’est une qualité ! Non que j’adhère davantage aux conceptions tactiques du second, ou que sa pensée footballistique me semble plus profonde que celle du premier, loin de là : c’est seulement que Bruges-Copenhague m’apparaît d’abord, par le biais humain de deux coaches bien de chez nous, comme le match d’un sacré roublard contre un mec réglo, presque celui de l’opportunisme contre la droiture. C’est de cela seulement que découle ma préférence, même si vous me trouvez charlot : mais ce soir, si Georges ne lui fait pas de blague, Ariel fera mieux qu’à Copenhague !

Restons-en à Leekens et Jacobs pour leur trouver ceci de commun : ils ne sont pas catalogués chez nous  » partisans à tout crin du jeu offensif « . Et c’est normal : le coach partisan du jeu offensif est une vue de l’esprit, un mythe footballistique ! Quand un coach, quel qu’il soit, a £uvré de nombreuses saisons, dans plusieurs clubs, avec fortunes diverses et joueurs de profils divers, quand il a dû chaque fois s’adapter aux moyens du bord, cela équivaut à une impossibilité de conserver aux yeux du public une réputation de  » coach offensif intrinsèque « , amoureux du beau jeu contre vents et raclées !

Existent en fait deux types de coaches auxquels on applique régulièrement cette appellation. D’une part ceux, rares, qui dirigent longtemps une équipe dominatrice empilant les buts, l’archétype en est évidemment Pep Guardiola : mais j’attends personnellement qu’il entraîne cinq ans le Racing Santander ou le Sporting Charleroi pour lui décerner ce label… D’autre part – et c’est vraiment comique – sont systématiquement présentés comme coaches offensifs, adeptes du beau jeu construit, les gars qui débarquent inconnus dans un championnat quel qu’il soit : ainsi nous le dit-on cette fois de Ron Jans, de John van den Brom, de Yannick Ferrera ! Mais pourquoi diable ? Serait-ce que ces coaches eux-mêmes, à leur arrivée, se doivent de clamer des conceptions offensives, de jurer leurs grands dieux qu’ils sont adeptes du beau football, pour démarrer du bon pied dans le grand cirque médiatique ?

Exactement. Il suffit pour s’en convaincre d’imaginer à l’inverse un entraîneur méconnu, qui débarquerait à Anderlecht ou au Standard, que l’on interrogerait sur sa philosophie de jeu, et qui oserait aligner quelques phrases comme ceci :  » Je suis un adepte inconditionnel du jeu défensif. Le spectacle ne m’intéresse pas. Il n’intéresse d’ailleurs que très peu les supporters eux-mêmes, qu’importe s’ils croient penser le contraire. Seul le résultat compte. Vu notre effectif, fermer le jeu à dix devant notre rectangle, et balancer de longs ballons vers le onzième dans le dos de la défense adverse, cela reste le meilleur moyen de triompher régulièrement. Construire, c’est traîner. Bien jouer, c’est gagner. Punt aan de lijn  » .

Oufti ! Dire ça, ce serait se faire hara-kiri journalistique dès avant le coup d’envoi ! Alors, les coaches nouvellement débarqués ânonnent tout l’inverse, laissant aux aléas de la compétition le soin de relativiser, tôt ou tard, leurs nobles déclarations d’intentions esthétiques. Car  » toute chose a une fin, sauf le saucisson qui en a deux « . C’est un proverbe danois, Ariel pourrait le sortir le cas échéant, ça épaterait tout Copenhague. Georges, lui, le connaît par c£ur.

 » Bruges-Copenhague : le match d’un sacré roublard contre un mec réglo. « 

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