FREE DARRELL

Né dans un des quartiers les plus chauds de Chicago, Darrell Williams était sur le chemin de la gloire et de la NBA mais un séjour en prison (pour lequel il a été innocenté) l’a renvoyé à la réalité. Qui épouse désormais les couleurs de Pepinster.

Notez bien ce nom : DarrellWilliams. Cette saison, il mettra le feu aux raquettes belges et a déjà commencé le boulot avec 25 points, 11 rebonds et 2 steals pour ses débuts en championnat. Son coach, ThibautPetit, dit du big man de 26 ans qu’il a encore beaucoup à apprendre d’un point de vue tactique mais qu’il possède un joueur bien trop doué pour la Belgique.

 » Je ne suis pas trop fort « , s’empresse de rétorquer la montagne de près de 205 cm sous la toise.  » Je suis encore en pleine phase d’apprentissage. C’est ma première expérience dans un championnat étranger et non universitaire. Plus jeune, j’avais tendance à jouer au talent contre des équipes plus faibles. Je n’aurai pas le droit cette année. J’ai entendu des gens souligner mon premier match ici mais je peux faire bien mieux et j’y arriverai. Je passe mon temps à travailler ma condition.  »

Son physique, justement, il l’a travaillé tout l’été durant le Summer Camp et la Summer League (une sorte de mini-championnat qui permet d’essayer des joueurs en NBA). Les Chicago Bulls avaient décidé de le tester aux côtés d’autres joueurs mais il n’a pas été retenu.

 » C’était une première et j’ai kiffé de A à Z. T’es là, dans le vestiaire, dans le complexe, avec les coaches. Je n’ai pas joué avec les gars du roster mais je peux vous dire que voir cette franchise de l’intérieur, ça te rend humble et te donne envie d’y signer un contrat.

Les Bulls n’ont pas décidé de me garder car ils avaient déjà signé assez de gars. Et même s’ils se souvenaient de mes stats à l’université, ils voulaient savoir ce que je valais en jouant contre des hommes durant une saison. Je dois aussi leur prouver quel genre de gars je suis. Nous avons gardé contact et les feed-back sont positifs.  »

Jamais un gaillard formé aux États-Unis et considéré comme un vrai talent surveillé par plusieurs franchises NBA n’aurait dû atterrir en Belgique. Les Wolves n’en croyaient d’ailleurs pas leurs yeux quand il a apposé sa signature au bas de son bail.

 » Mon manager a fait le deal mais ne me demandez pas comment. Il m’a demandé : ‘do you trust me ?‘ et je lui ai fait confiance car il m’assurait que Pepinster serait une bonne étape dans un championnat respecté. J’ai hésité car la NBA et la D-League (l’antichambre de l’élite) peuvent encore recruter durant un moment mais je ne voulais pas me baser sur des supputations.  »

SHOTGUN, GANGS ET MAMAN MODÈLE

Toute sa jeunesse, il est vrai, il a arpenté les ghettos les plus dangereux de Chicago.  » Disons que la violence et les gangs étaient monnaie courrante.  » Sans le père, qui a quitté les siens alors que Darrell était encore tout jeune, la mère fait au mieux pour nourrir et offrir un toit à ses gamins.

 » C’est la personne la plus importante de ma vie. Elle est ma source d’inspiration, elle me donne ma force de travail. Elle cumulait deux jobs pour subvenir à nos besoins. Sa situation est désormais plus stable et elle vit enfin mieux qu’avant.  »

La famille Williams a toujours tout fait pour sortir du gouffre dans lequel elle a vécu. Darrell avoue ne pas trop avoir pensé à son avenir avant ses 17 ans.  » Lorsque j’ai commencé la saison de basket comme junior, j’ai directement été repéré par des scouts d’universités et de NBA. J’ai eu un déclic.

J’avais un peu touché à tout, football, baseball, mais je ne prenais rien au sérieux. D’un coup, je me suis dit que le basket allait être mon métier, mon moyen de mettre ma famille à l’abri. C’était ma porte de sortie même si le chemin s’annonçait difficile. Puis, j’étais trop grand pour bosser dans un bureau (rires).  »

Ce late bloomer, comme il aime se qualifier, parvient à accéder au Junior College grâce à son talent sous l’anneau. Deux années réussies lui ouvrent les portes de nombreuses universités mais il choisit Oklahoma State College,  » car ils ont tout fait pour m’avoir et m’ont mis en confiance.  »

COWBOYS, MUSIQUE À FOND ET SOIRÉE D’ENFER

Son choix ne s’explique pas uniquement par le terrain. Darrell voulait un cocon capable de le rassurer après avoir vécu la première grande tragédie de sa jeune existence.  » J’avais 19 ans quand mon petit frère m’a appris la nouvelle. Mon grand frère, mon modèle, celui qui a toujours été là pour moi et qui inspirait tout ce que je faisais, avait été flingué de sang-froid à Chicago. J’étais dévasté.  »

Le power forward s’accroche, se bat et gagne petit à petit sa place dans le starting five des Cowboys.  » La différence était énorme. Les entraînements étaient extrêmes mais je suis rapidement monté en puissance. J’avais fini dans l’équipe de la semaine après un tout gros match. La NBA s’était penchée de près sur mes perfs.  »

Jusqu’à ce que la fin d’année 2010 marque la fin de ses rêves de draft. La soirée bat son plein dans une maison louée par une bande d’étudiants. R’n’B à fond et 80 personnes dans la place. Un seul n’en sort pas indemne.  » Quelques jours après la fête, le coach m’appelle et me dit ‘explique-toi, explique ce que tu as fait.’ Je ne comprenais rien et il m’a tout raconté. « 

Deux jeunes filles ont porté plainte contre lui pour harcèlement sexuel. Selon leur déposition, le basketteur avait eu un comportement violent à leur égard.  » Je me suis dit que ce n’était pas possible, que ça ne pouvait être vrai. Je n’avais rien fait et je le savais.  »

Rapidement, il est interrogé par la police et passé au détecteur de mensonges.  » J’étais sûr de moi quand j’ai rencontré les agents. Je savais que j’étais innocent et j’y ai donc été sans avocat. Je n’aurais pas dû, tous me pensaient coupables.  »

Alors qu’il se pensait débarrassé de tout ça, il fut officiellement accusé pour agression sexuelle et pour d’autres charges liées au viol.  » Je n’y croyais pas. Je ne pensais pas que ça allait se passer comme ça. Le pire de tout est que ma fille est née ce jour-là. Cela devait être le plus beau jour de ma vie mais comment se réjouir en sachant que j’allais être jugé en tant que sex criminal.  »

CAMPUS DIVISÉ, MAUVAIS RÊVE ET CASE PRISON

Son coach le soutient mais ne peut le faire jouer.  » Je m’entraînais avec le groupe et ça me faisait du bien. Il savait à quel point le basket était important pour moi, même si j’étais un peu mis de côté.  » Le campus du Oklahoma State College est divisé entre, d’un côté, ceux qui le croient (la majorité) et, de l’autre, ceux qui pensent avoir un violeur à l’université.  » J’ai reçu de l’aide de plein de gens. Ils m’envoyaient des lettres des quatre coins du pays.  »

Les groupes ‘freeDarrell’ poussent sur les réseaux sociaux mais le joueur voit la vie en noir.  » Entre la première comparution et le jugement, 18 mois se sont écoulés. Je faisais des allers-retours au tribunal, histoire de ne pas oublier ces souvenirs auxquels je ne voulais plus penser.  »

Une chance inespérée s’offre à lui. Il peut plaider coupable et éviter la case prison.  » J’ai refusé, tout simplement. Oui, cela m’aurait offert une porte de sortie mais jamais je ne plaiderai coupable pour une chose que je n’ai pas commise. Les médias m’attendaient et l’engouement pour l’affaire était énorme.

J’ai prouvé au jury qu’il n’y avait aucune preuve et que j’étais totalement innocent mais ils m’ont cru coupable. La sentence m’a brisé le coeur. Je me suis effondré. Tout le monde pleurait au tribunal.  »

Le sentiment qui domine est plus la frustration que l’incompréhension.  » Comment pouvais-je voir mon rêve brisé pour ça ? C’était horrible.  » Son premier jour derrière les barreaux restera à jamais gravé dans sa mémoire. Il le définit lui-même comme une sorte de réalité parallèle.

 » J’ai passé la journée à dormir. Je ne voulais pas me réveiller car je ne pensais pas que ce que je vivais était la réalité. Dans ma tête, j’étais en plein mauvais rêve. Je revoyais tout le chemin parcouru depuis mon enfance compliquée à Chicago, mon travail pour m’en sortir. Et je me retrouvais en tôle. La chute était vertigineuse.  »

DÉLINQUANT SEXUEL, CONTRADICTIONS ET DÉLIVRANCE

Il y restera trois mois. Près de 90 jours durant lesquels il tourne en rond mais poursuit ses cours.  » J’étais supposé y séjourner plus longtemps. Je ne sais même pas pourquoi je suis sorti plus vite que prévu. Le juge ne me pensait peut-être pas coupable. Je sais que certains membres du jury se sentaient mal de m’avoir fait condamner.  »

La sortie est loin d’être un soulagement. Au contraire. Le natif de Chicago retourne au bled où il crèche chez un ancien coach assistant qui a accepté de l’héberger. Il refait son permis de conduire sur lequel on appose l’énorme mention ‘délinquant sexuel’. Sa tête est fichée sur le site de la police d’Etat de l’Illinois avec la mention ‘prédateur sexuel’ en rouge et en gras.

 » C’était écrit partout, je ne voyais que ça. Honnêtement, c’était pire que la prison. J’avais une croix dans le dos qui montrait à tout le monde quel était mon statut. J’étais libre sans l’être.  »

Il tente de se démener, de se faire un peu d’argent mais rêve de reprendre les cours à l’université et donc le basket.  » J’ai même travaillé dans le bâtiment pendant un moment. J’ai quitté mon job car je pensais qu’une école allait m’engager mais non. Ils changeaient d’avis au dernier moment. C’était toujours pareil.  »

 » Vous êtes bien assis ?  » Ces mots de son avocat le 22 avril 2014 ont bouleversé sa vie.  » Tout semblait perdu « , avoue pourtant Williams. Mais la cour d’appel l’a blanchi de toutes les accusations à son égard.  » Le plus beau jour de ma vie, tout simplement. J’ai pleuré, je courais partout. Ce sentiment est indescriptible.  »

Il peut dire merci au Chicago Innocence Projet, un comité aidant les condamnés en analysant leur dossier.  » Ils ont trouvé des erreurs dans le discours des filles. Il y avait des incohérences dans celles-ci.  » En confrontant les témoignages, les membres du projet ont découvert que le joueur aurait dû agresser deux filles en 19 minutes et ce, à deux endroits différents.

LIGUE 2, ROLLER COASTER ET PEPINSTER

Les dossiers des deux filles ont été épluchés. Des troubles du comportement y étaient notifiés.  » Rendez-vous compte, cela a pris quatre ans pour m’innocenter alors qu’il fallait juste se pencher de plus près sur l’affaire.  »

Les filles auraient pu relancer un procès mais ont refusé  » par peur d’être confrontées à leur agresseur « . Une fausse excuse selon le joueur qui a avoué que s’il avait été abusé, il aurait poursuivi le gars autant que possible. Un geste maladroit de leur part, les plongeant encore davantage dans leur mensonge.

Darrell Williams retrouve le chemin des terrains au Texas, à A&T. De quoi lui offrir un peu d’air et son diplôme.  » C’était la seconde ligue universitaire mais j’étais tellement heureux. J’ai pu prouver aux gens qui j’étais. Vous savez, je n’aurais jamais cru pouvoir vous expliquer ma vie en étant basketteur pro.

Pour moi, c’est un miracle que tout soit finalement positif. Cela m’a même permis d’éliminer les vautours, ceux qui n’étaient là que pour le basket. Si je dois résumer mes 26 années de vie, je les qualifierai de roller coaster, de montagne russe. J’espère juste qu’elle n’ira plus que vers le haut. A commencer par une expérience chez les Pépins…  »

PAR ROMAIN VAN DER PLUYM – PHOTOS BELGAIMAGE/ CHRISTOPHE KETELS

 » J’aurais pu éviter la prison en plaidant coupable. Mais j’ai refusé car je n’avais rien à me reprocher.  » DARRELL WILLIAMS

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