Fort-de-Liège

Axel et Thierry, le fils et le père, ont la même origine martiniquaise : un paradis que le nouveau médian de Sclessin rêve de chanter.

 » Sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés « …

« Mon père vient de Fort-de-France, la capitale de la Martinique. Il m’en parle de temps en temps. Les plages, les paysages de rêve, le soleil : j’aimerais découvrir tout cela en été ou lors de la prochaine trêve hivernale.  » Le sourire de la nouvelle perle du Standard fait penser à celui des Beach Boys se lançant à l’assaut des plus beaux rouleaux de l’océan. Les yeux d’ Axel Witsel (18 ans) ont la même couleur que la Grande Bleue. En attendant le sable martiniquais, sa capitale à lui, c’est Sclessin, le Fort-de-Liège du football belge.

 » Mon père avait huit ans quand il débarqua en Belgique « , raconte Axel.  » Et le football a toujours joué un grand rôle dans le mode de vie de notre famille.  » ThierryWitsel ne dit pas le contraire. Le papa du jeune médian est une figure connue dans le cercle du football liégeois.

 » Le sport est vraiment notre fil rouge. « , rappelle Thierry.  » Je le dis souvent à Axel : cette école de la vie permet à ceux qui le veulent de travailler en groupe, d’être discipliné, d’avancer dans l’existence, de se donner à fond dans ce qu’on entreprend, de se remettre régulièrement en question car rien n’est jamais acquis. Tout cela sans oublier que c’est bon pour la santé. Ce que mon fils découvre en D1, je l’ai vécu à d’autres étages du football. Les valeurs sont les mêmes qu’on évolue en haut ou en bas de l’échelle.  »

Thierry a déjà un très long parcours intéressant et on se demande où il trouve l’énergie nécessaire pour boucler ses journées : en Martinique, peut-être ? Il sourit :  » J’y ai passé la première partie de mon enfance. Je garde évidemment des flashes en tête. J’ai trois frères : David, Gualbert et Roland. Nous n’avons pas connu notre père. Il a déserté le toit familial. Notre maman a fait la connaissance d’un Belge qui a fait venir toute la famille à Liège. Je me remémore parfaitement le voyage en avion. J’ai eu un petit malaise en débarquant en Belgique. L’émotion, la fatigue du voyage ou la différence de température peut-être. Nous nous sommes installés Rue Sainte Marguerite, près de l’hôpital Saint-Joseph. Pour nous, c’était le début d’une nouvelle vie à Liège. Le compagnon de maman nous a tous adoptés. A Fort-de-France, j’avais un autre nom de famille. Je m’appelais Thierry Toussaint. Il a été remplacé par celui de l’homme chez qui nous vivions : Witsel. Je garde des souvenirs émus de cette époque et je n’oublierai jamais ce que notre grand-mère (la maman de notre beau-père) a fait pour nous. Mes parents travaillaient et Mamie Gertrude était toujours là pour nous accueillir après l’école, préparer à manger. Je voulais devenir maçon mais des problèmes au dos m’incitèrent à me tourner vers l’enseignement dans le même secteur. Je suis professeur de pratique technique et de dessin en maçonnerie à l’école professionnelle de Froidmont.  »

Puis, en plus de cela, il y a le football. Thierry a porté le maillot d’un chapelet de petits clubs : EY Liège, US Liège, Espagnola, Beaufays, Waremme, Amay, Hamoir, Montagnarde, Cité Sport (P3) où il occupe encore la place de libero. Il a été retenu à 10 reprises en équipe nationale de foot en salle, joua longtemps à l’ONU (club de 1re Division à la Ligue) et remporta, entre autres, deux Coupes de Belgique et celle du Benelux.

 » Bravo pour ton but à Roulers  »

 » Je suis encore actif en salle, à Marseille-Liège, un club de N3 de la Ligue : je coache et, lors des gros matches, on me demande de jouer. « , ajoute Thierry. Il trouve encore le temps d’entraîner une équipe de jeunes, les -11 ans du Standard. Pas étonnant que le bougre ait gardé, à 39 ans, la ligne de ses 20 printemps. Au Sart-Tilman, tous ses jeunes sont venus le saluer poliment avant un entraînement tout en dévorant Axel des yeux. Pour eux, le benjamin du noyau A est leur idole, un exemple à suivre.

 » Bravo pour ton but à Roulers. « , risque l’un d’eux. Le jeune homme répond par un sourire encore timide mais une première réalisation en D1, cela se retient. Le 18 mars 2007 est déjà à jamais une étape importante de sa carrière.  » C’est vrai mais je ne plane pas car je ne suis pas arrivé, loin de là : tout doit être confirmé et reconfirmé mille fois. « , note-t-il sagement.  » Mon but m’a fait plaisir mais j’ai éprouvé le même bonheur en signant la passe décisive sur le but de Milan Rapaic. Dès le départ de la phase, j’ai vu qu’il était isolé de l’autre côté du terrain. Je me suis appliqué afin de ne pas gaspiller cette possibilité de réaliser un assist. J’ai été enchanté par la réaction d’un monstre sacré comme Milan. Il en a vu d’autres depuis le début de carrière et a marqué des centaines de buts. Pourtant, à Roulers, il était aussi heureux que moi après mon premier but en D1. Il m’a chaudement félicité pour le bon ballon qui lui avait permis de surprendre la défense de Roulers. Et, honnêtement, la joie de Milan Rapaic m’a touché et fait plaisir. Malgré notre confortable avance (0-3), nous avons souffert en fin de match car Roulers a marqué deux fois.  »

Tout débute à Vottem

Axel est évidemment la fierté de son papa, de Sylvie, sa maman, et de ses deux s£urs, Whitney (14 ans) et Shirel âgée de 15 mois. Pour lui, tout commença Rue de la Coopération, au c£ur d’une des cités de Vottem où il a taquiné ses premiers ballons avant de rejoindre le club de foot local. A 8 ans, ce surdoué monte quelques marches et se retrouve sous les couleurs de Visé. Il est clair que ce petit bout d’homme bien entouré par les siens ne resterait pas un siècle sur les pelouses de la Cité de l’Oie. Sa famille met au point une véritable noria entre l’école et le club. Il faut s’organiser pour vivre pleinement sa passion. Les Rouches le suivent du coin de l’£il et le courtisent : le deuxième rendez-vous est le bon en 1999.

 » J’avais vu un match du Standard à domicile durant la saison 1998-1999. « , se souvient-il.  » J’étais sous le charme de leurs vedettes : Ali Lukunku, Vedran Runje, Ivica Mornar. Mais c’est surtout l’ambiance régnant dans le stade qui me stupéfia. Et je me rappelle avoir dit à mon père – Plus tard, c’est là que je veux jouer. Sclessin est unique en Belgique.  » Axel survole les catégories d’âge, enchante tout le monde dans les diverses sélections internationales qu’il fréquente. Ses progrès font l’unanimité et, à Sclessin, Christophe Dessy, alors grand manitou des jeunes, remarque ses potentialités.

 » Ma formation n’est pas encore terminée même si je fréquente désormais le vestiaire de l’équipe première. « , souligne Axel.  » Je dois travailler, franchir d’autres caps. Christophe Dessy m’a accompagné durant un bon petit bout de chemin. Je lui dois beaucoup. Il venait du centre de formation de Nancy et cela se voyait. Le travail des jeunes a changé avec lui et il a insisté sur l’importance du physique, de la psychomotricité. Il m’a souvent rappelé que je devais beaucoup perfectionner mon démarrage et mon pied gauche. J’essaie de le faire tous les jours.  »

En début de saison 2006-2007, Axel, Marouane Fellaini, Yanis Papassarantis et Gaël Arend sont intégrés dans le noyau A. Le grand Marouane est le premier à creuser son sillon dans une ligne médiane manquant de taille et de poids. Axel rejoint plus tard Marouane qui a déjà découvert l’ambiance européenne et même celle de l’équipe nationale.

 » Il faut savoir que c’est un monstre sur le plan athlétique. « , affirme Axel Witsel.  » Quand il y a des tests physiques, Marouane bouffe tout le monde. J’ai joué avec lui en équipe de jeunes après son arrivée du Sporting de Charleroi. Nous nous occupions à deux de la récupération devant la défense. L’entente était déjà parfaite et, quand c’était possible, nous mettions alternativement le nez à la fenêtre. C’était un duo complémentaire. Marouane a déjà beaucoup défrayé en bien la chronique sportive. Il mérite tout cela car il ne vit que pour le sport. Je suis persuadé que Yanis et Gaël nous rejoindront tôt ou tard. Yanis est un formidable technicien qui adore s’exprimer sur le flanc gauche. Je songe aussi à Gaël qui a moins de chance que nous. Il s’est blessé au dos pendant les premiers entraînements du noyau A. Cela l’a bloqué sur place. Ce n’est vraiment pas de chance pour lui mais cet attaquant, bourré de talent, ne doit pas perdre confiance. Il a assez de classe pour réussir en D1. Le Standard l’a prêté à Virton. En D2, il doit s’endurcir et cela ira bien pour lui s’il mord sur sa chique. Onder Turaci avait aussi transité par des petits clubs, Visé et La Louvière, avant de revenir et de percer au Standard.  »

 » Je tiens à avoir mon diplôme de comptable  »

Bien éduqué, Axel Witsel est en dernière année d’humanités à l’Institut Marie Josée. Il a choisi l’option comptabilité et vient de terminer un stage au… Standard.  » Je devais m’intéresser à la gestion d’une entreprise. « , souligne-t-il.  » On m’a offert la possibilité de l’effectuer à Sclessin où j’ai passé pas mal de temps dans les bureaux. J’ignorais totalement qu’un club de football était aussi difficile à diriger. Il n’y a pas que l’équipe première. C’est une grosse entreprise qui offre de l’émotion au public mais aussi du travail à pas mal de monde. Il faut une grosse organisation pour être à la hauteur de toutes ces tâches. Je tiens à avoir mon diplôme de comptable, même si je dois jongler avec mes horaires pour le moment, car on ne sait jamais ce qui peut arriver. L’année prochaine, je continuerai peut-être à un niveau supérieur ou je me lancerai dans l’étude des langues : le néerlandais et l’anglais de préférence. L’anglais est pratiqué dans le monde entier. Et en Belgique, il est nécessaire de parler les deux grandes langues nationales.  »

Mais c’est sur le terrain que se déroulent les choses les plus importantes pour lui. En mai dernier, le jeune Liégeois signe un grand Euro -17 ans. Tout le monde remarque ce médian ayant un air de ressemblance avec Patrick Vieira. Le Real Madrid, Arsenal et Feyenoord lui font parvenir des propositions flatteuses. Il adore Thierry Henry, Zinédine Zidane, Patrick Vieira ou Frank Lampard, rêve de jouer un jour en Angleterre mais ne veut pas se brûler les ailes. Axel préfère progresser pas à pas. La preuve : il a récemment signé un contrat qui le lie au Standard jusqu’en 2012. Après quelques apparitions furtives en équipe première durant la première moitié de la saison, il a pris ses marques. Et, en fonction des blessures ou des suspensions, il a évolué devant la défense, sur la droite de la ligne médiane ou dans une position de soutien des attaquants. Cette polyvalence est intéressante et Michel Preud’homme a sa petite idée sur les potentialités de cet espoir du football belge. Pour le coach liégeois, Axel Witsel est très complet et a l’art de donner d’intéressants accents offensifs à son jeu.

La maturité vient vite

C’est une richesse qui le situe plus près de Karel Geraerts que de Siramana Dembele, un des aînés qui l’a pris sous son aile. Mais on devine clairement que l’avenir de la ligne médiane liégeoise passe par un duo central formé par Fellaini et Witsel en cas de départ, désormais plus que probable, du médian limbourgeois. Il ne faut pas oublier non plus le futur chef d’orchestre du Standard : Steven Defour. Ce dernier est à peine plus âgé que les deux bambins liégeois : sept mois de plus que Marouane et neuf par rapport à Axel. Pourtant, malgré cette petite différence d’âge, Steven s’est forgé une petite avance par rapport à ses deux compères.

 » Defour a une saison de D1 en plus dans les jambes : cela se voit. Il a fait face à plus de situations stressantes que nous. Cela n’a l’air de rien mais c’est important. Mais j’ai la chance d’être très bien entouré. « , insiste-t-il.  » En plus de Siramana, Sergio Conceiçao m’a beaucoup parlé avant mes premiers matches en D1. Notre capitaine me conseilla de jouer comme d’habitude. Il est très important pour la sérénité d’un groupe d’avoir des joueurs expérimentés comme Sergio, Ricardo Sa Pinto, Rapaic, Milan Jovanovic, Eric Deflandre ou Ali. Ils ont beaucoup de vécu.  »

Axel Witsel était âgé de 17 ans et huit mois quand il débuta en D1, le 17 septembre 2006 en montant au jeu à la place de Steven Defour. Le marquoir ne devait plus égrener que 60 secondes à enrichir de quatre minutes de temps additionnel. Son père, sa mère, sa s£ur Whitney et des cousins étaient là. Le métis aux yeux bleus étonna par son calme et une belle coupe de cheveux à la Vincent Kompany. Un coup de tête qui dura 50 minutes pour un coiffeur du centre de Liège. Les photographes en raffolent et réalisent des gros plans de ce jeune homme qui a déjà parcouru pas mal de chemin. Et la vague de ses débuts réussis a certainement déposé la bonne nouvelle sur les plages de Fort-de-France.

par pierre bilic – photos : didier mossiat

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