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Final Four

Liverpool, l’AS Rome, le Real Madrid et le Bayern Munich forment le dernier carré de la Ligue des Champions : quatre témoignages personnels au sujet des vedettes de ces clubs.

Mister Champions League

« L’interview n’aura pas lieu.  » Nous ne savons plus exactement qui nous a dit cela un jour d’octobre 2015 mais nous étions stupéfaits. Nous avions fait spécialement le déplacement en avion à Madrid et Cristiano Ronaldo venait de recevoir son quatrième Soulier d’Or à l’Hôtel Westin Palace. Au cours de la saison 2014/2015, il avait inscrit pas moins de 48 buts, cinq de plus que son premier poursuivant, Lionel Messi.

On nous avait promis qu’après la remise du trophée, nous pourrions interviewer l’attaquant du Real. Interview étant un bien grand mot car l’entretien devait avoir lieu en présence d’une dizaine de confrères de magazines de toute l’Europe et nous avions dû envoyer à l’avance un maximum de deux questions.

Nous ne savions même pas si elles avaient été approuvées par le bataillon de porte-paroles, agents et lèches-bottes que le Portugais traîne dans son sillage. Il semble que c’est le Real Madrid, en dernière minute, qui avait décidé d’annuler l’entretien. Seul le journal espagnol Marca a eu droit à cinq minutes d’audience avec CR7.

Nous ne savons même pas si celui-ci était au courant de l’émoi que ce niet du Real avait causé. Finalement, les journalistes ont fini par avoir accès à la salle dans laquelle Cristiano Ronaldo profitait en famille de son trophée mais Jorge Mendes et ses pitbulls avaient fait beaucoup de zèle pour le protéger.

De loin, nous avions pu voir Cristiano discuter avec quelques privilégiés dans un sofa bleu. Un peu plus loin, sa mère, Dolores, souriait en regardant droit devant elle. Repensait-elle au moment où, malgré les difficultés financières que connaissait la famille, elle avait finalement décidé de ne pas avorter de son quatrième enfant ?

Elle avait pourtant tout fait pour se débarrasser du foetus mais elle n’y était pas arrivée. Le petit Cristiano devait naître, comme s’il se sentait investi d’une mission. La semaine dernière, lors du quart de finale retour de la Ligue des Champions face à la Juventus, il s’est à nouveau montré indestructible. Alors que le Real était mené 0-3, il était le seul sur le terrain à ne pas vouloir céder.

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À plusieurs reprises, il incita le public à se faire entendre, l’air de dire : nous ne sommes pas encore éliminés, soutenez-nous ! La puissance et la précision avec lesquelles il transforma le penalty, expédiant le ballon en pleine lucarne, ne laissaient aucun doute : ceux qui pensaient qu’à 33 ans, son avenir était derrière lui, devaient revoir leur jugement. La semaine dernière, déjà, il les avait gratifiés d’un fabuleux retourné.

Cette saison, le Portugais a marqué dans tous les matches de Ligue des Champions disputés par le Real Madrid. Si on compte les rencontres de la saison dernière, on arrive à onze matches consécutifs lors desquels il a secoué au moins une fois les filets. Et ce qui est hallucinant, c’est qu’avec quinze buts, il est bien parti pour être sacré meilleur buteur de l’épreuve pour la sixième fois consécutive ( ! ).

Quand Alex Ferguson est venu le chercher au Sporting Clube, en 2003, il savait que le Portugais, alors âgé de 18 ans, avait du potentiel. Mais au cours de ses premières saisons à Old Trafford, c’était surtout par ses dribbles, ses petits numéros inutiles et son inefficacité que Cristiano Ronaldo se faisait remarquer. Lors des grands rendez-vous, il ne répondait jamais présent.

Au cours de ses quatre premières saisons sous le maillot de Manchester, il n’avait inscrit que 7 buts en 39  » grands matches  » (face à une équipe du top 6 ou en Ligue des Champions). Exactement le même reproche que celui qu’on fait aujourd’hui à Romelu Lukaku… Pendant des années, CR7 a appris que l’esthétique n’est rien sans efficacité, surtout lors des grands rendez-vous.

Cela se remarque à une compilation de ses buts sur une saison : les perles sont rares. Mais l’autre soir, à Turin, ce retourné était un condensé de ce que Ronaldo offre de meilleur : l’esthétique, l’efficacité et la présence. Nous espérons toujours qu’un jour, nous pourrons en parler avec lui.

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 » Une interview de Jürgen Klopp ? Jürgen qui ? « 

C’était au printemps 2006. Avant la Coupe du monde en Allemagne, nous étions à la recherche d’un interlocuteur qui puisse analyser pour nous l’équipe d’Allemagne. Nous nous disions que Jürgen Klopp était peut-être l’homme le plus indiqué. Jürgen qui ? Klopp, alors entraîneur de Mayence 05, n’était pas très connu en Belgique tandis qu’en Allemagne, il allait être consultant pour la ZDF pendant la Coupe du monde. Plus tard, un journaliste expérimenté allait nous demander si ce Klopp était réellement crédible.

Nous étions donc partis à Mayence afin d’interviewer l’Allemand et, en raison d’un embouteillage, nous étions arrivés avec 20 minutes de retard. Nous nous étions excusés mais Klopp était au courant : il avait entendu à la radio qu’il y avait des problèmes sur la route. Pendant une heure trente, il s’est montré très cordial. Et lors de la conférence de presse qui avait suivi, il avait souhaité la bienvenue au journaliste belge.

Le Jürgen Klopp de l’époque n’est pas différent de celui d’aujourd’hui. À ce moment-là, déjà, c’était un artiste du verbe, un professeur du football, enthousiaste et passionné, constamment à la recherche de nouvelles méthodes. Pourtant, il remettait sans cesse sa carrière en question. Lorsqu’il entraînait Mayence, René Vandereycken, l’avait écarté de l’équipe première et Klopp trouvait cela normal car, disait-il, il défendait terriblement mal.

Un jeune Jürgen Klopp, à l'époque où il entraînait Mayence.
Un jeune Jürgen Klopp, à l’époque où il entraînait Mayence.© BELGAIMAGE

Mais comme entraîneur, Vandereycken ne l’avait pas impressionné : il cherchait trop la sécurité, jouait à cinq derrière, ce n’était pas sa philosophie. C’est un romantique du football, il voulait presser l’adversaire sur tout le terrain. Et il allait tenir parole.

En sept ans à Dortmund, il est devenu un monument, un motivateur qui ne cesse d’innover. L’ascension du Borussia, c’était lui, il n’y avait pas de symbiose plus parfaite entre un entraîneur et un club. En 2013/2014, lorsque Dortmund a traversé une période difficile et s’est retrouvé en fin de classement, Alex Ferguson, le dieu de Manchester United, lui a envoyé un SMS pour lui dire que c’était lui, Klopp, qui avait influencé le football européen sur le plan tactique. Et, pour l’Écossais, le classement n’y changeait rien.

Nous avons assisté à de nombreuses conférences de presse de Jürgen Klopp à Dortmund. À chaque fois, nous avons noté son enthousiasme contagieux, sa gentillesse, le ton parfois ironique de ses textes, sa joie infantile de pouvoir travailler pour un club qui s’identifiait à ce point à sa région. Jürgen Klopp était fait pour le Borussia Dortmund, tout comme il est fait, aujourd’hui, pour Liverpool. Il électrise les joueurs et les supporters.

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Ses débuts en Angleterre n’ont pas été faciles mais maintenant qu’il a ouvert les portes des demi-finales de la Ligue des Champions, il a rallié les derniers détracteurs à sa cause. Anfield Road explose à nouveau, les nuits suivant les matches sont magiques, le FC Liverpool est, par moments, une machine offensive avec des chevaux de bataille comme Mohamed Salah, Roberto Firmino et Sadio Mané.

Aucun autre club n’a inscrit 33 buts en Ligue des Champions. Chaque jour, Jürgen Klopp fait en sorte que son équipe soit plus dominante, plus précise et qu’elle garde mieux le ballon. L’apprentissage fait partie de sa méthode. Klopp rend ses joueurs meilleurs. Comme à Mayence ou à Dortmund, ceux de Liverpool vont au feu pour lui. Son secret, c’est de pouvoir allier un sens tactique au-dessus de la moyenne à un charisme exceptionnel. C’est grâce à cela que Liverpool parvient à faire plier des adversaires qui possèdent de meilleures individualités. Comme Manchester City.

Revenons à 2006. Après avoir annoncé que Jürgen Klopp serait son consultant pendant la Coupe du monde, la ZDF demanda à Franz Beckenbauer de passer de temps en temps par son studio. Mais il refusa : Der Kaiser ne voulait pas s’asseoir aux côtés de ce Klopp dont il se demandait ce qu’il pourrait bien raconter. Aujourd’hui, il n’aime pas qu’on lui rappelle cet épisode.

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Il re di Roma

C’est à Trigoria, loin du chaos de Rome, ville où les chauffeurs jouent constamment du klaxon, où les bus sont toujours en retard et où les scooters se faufilent n’importent où, que se situe le centre d’entraînement de l’AS Rome, le club dont le logo représente la louve donnant la tétée à Romulus et Remus, les fils jumeaux de Mars, fondateurs de la ville.

Un complexe avec une piscine à ciel ouvert, même si celle-ci était vide au moment de notre visite… Sur la terrasse, on avait enlevé les coussins des transats. Le centre d’entraînement ressemblait à un hôtel deux étoiles avec, dans le lobby, un bar qui servait un café délicieux. C’est dans ce biotope que le Ninja se sent bien.

Il y a quelques mois, Edin Dzeko ne soupçonnait sans doute pas que la Roma figurerait dans le dernier carré de la Ligue des Champions. Le 12 septembre, les Giallorossi ont entamé leur campagne par un match face à l’Atlético Madrid. Le stade olympique était à moitié vide et aucune des deux équipes n’a réussi à marquer.

Après le match, dans la zone mixte, Dzeko était énervé. On lui avait demandé si Francesco Totti manquait à la Roma.  » Peut-être bien « , avait répondu le Bosnien.  » Mais celui qui nous fait le plus défaut, c’est Mohamed Salah. » Calciomercato avait enregistré la suite de la conversation.  » L’an dernier, j’ai beaucoup marqué mais ce sera plus difficile cette saison car je touche moins de ballons. Salah jouait très près de moi. Je dois encore m’adapter au nouveau système.  »

Un tifo à la gloire du Ninja.
Un tifo à la gloire du Ninja.© BELGAIMAGE

Une adaptation qui fut assez rapide. En octobre, lors des deux matches face à Chelsea, la Roma a inscrit six buts. La semaine dernière, contre Barcelone, elle est parvenue à nouveau à s’imposer 3-0. Eusebio Di Francesco, qui jouait dans l’équipe championne en 2001, est parvenu à faire prendre la sauce. En championnat, il doit lutter pour une place dans le top 4 mais sur le plan international, ça fonctionne.

Loin de nous l’idée de dire que le noyau de la Roma manque de talent mais ce qui lui arrive constitue tout de même une preuve qu’en Ligue des Champions, l’argent n’explique pas tout. En matière de recettes, la Roma ne figure qu’à la 24e place des clubs européens. Son budget est de 171 millions par an, contre 648 millions à Barcelone. C’est le talon d’Achille du football italien en général et de la Roma en particulier.

Face au Shakhtar Donetsk, au tour précédent, elle est passée par le chas de l’aiguille (défaite 2-1 en Ukraine, victoire 1-0 à Rome). Si elle avait été éliminée, elle aurait à nouveau connu l’exode l’été prochain, comme ce fut le cas les années précédentes. Nainggolan est resté mais Salah, AntonioRüdiger (Chelsea), LeandroParedes (FC Zenit) et Emerson (Chelsea) sont partis, tout comme MiralemPjanic (Juventus), Gervinho (Hebei Fortune), Alessio Romagnoli, (AC Milan), Mehdi Benatia, (Bayern Munich), etc. avant eux.

Chaque année, le club doit transférer pour remplir ses caisses. Depuis le printemps dernier, Monchi, l’architecte des succès européens de Séville, a été chargé de recruter de jeunes joueurs. Comme Patrick Schick, surprenant aux côtés de Dzeko face au Barça, ou Cengiz Ünder, venu de Basaksehir et présenté comme une future perle.

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L’AS Rome sait pourtant comment sortir d’une crise. Depuis 2011, le club appartient à des Américains et en janvier 2013, nous avions expliqué leurs plans : faire connaître la marque AS (moins populaire que la Lazio) à l’étranger et construire un stade pour donner de l’oxygène au club.

Car c’est ça qui fait la différence : le nouveau contrat italien en matière de droits de retransmission est nettement moins élevé qu’en Angleterre mais il est plus ou moins identique à celui de la Bundesliga ou de la Liga espagnole. La différence se situe au niveau des revenus d’exploitation du stade. Les Italiens ont l’habitude de se partager une même enceinte : c’est le cas à Gênes, à Milan et à Rome. La Juventus a rompu avec cette tradition et c’est en partie grâce à cela qu’elle a pris de l’avance sur ses rivaux.

La Roma veut suivre le même chemin mais le président James Pallotta a entamé une croisade identique à celle de Bart Verhaeghe : la Roma a déjà dépensé plus de 60 millions pour la construction d’un nouveau domicile dans les environs de Tor di Valli. La première pierre n’a pas encore été posée mais les formalités administratives sont pratiquement terminées. Aujourd’hui, on espère que tout sera prêt pour la saison 2020-2021. Jusque là, la Roma tenter de rester la meilleure équipe de la ville et de se qualifier pour la Ligue des Champions.

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Jupp Heynckes voulait entraîner en Belgique

C ‘était au printemps 1974. Nous venions tout juste de signer un contrat avec Sport ’70, le lointain aïeul de ce magazine, et nous effectuions notre service militaire à Cologne. Le rédacteur en chef de l’époque nous avait demandé de réaliser une série d’interviews avec des internationaux allemands. Ce n’était pas un hasard puisque la Coupe du monde avait lieu en Allemagne quelques mois plus tard et la Mannschaft faisait partie des favorites.

Notre toute première interview fut celle de Jupp Heynckes, que nous avions pu contacter sans problème : le secrétariat du Borussia Mönchengladbach, où il évoluait à l’époque, nous avait immédiatement donné son numéro privé. Quelques jours plus tard, il nous invitait chez lui. Jupp Heynckes était gentil comme tout. Il nous avait offert de la bière et sa femme, Iris, nous avait proposé des sandwiches.  » Ils sont bien meilleurs que ceux de la caserne « , avait-elle dit en riant.

Jupp Heynckes, âgé de 28 ans à l’époque, nous avait parlé avec sincérité de l’approche dure mais juste de son entraîneur, l’illustre Hennes Weisweiler. Et il avait ajouté que le métier d’entraîneur le fascinait au plus haut point, confiant même qu’il aimerait entamer sa carrière en Belgique, ce qui lui aurait permis d’évoluer tranquillement au sein d’un championnat qui le passionnait car on y accordait beaucoup d’importance à la tactique et la défense y était parfois élevée au rang d’art. Cette organisation teintée d’idées offensives lui plaisait. Pour lui, c’était une bonne école.

Jupp Heynckes quand il était encore joueur au Borussia Mönchengladbach.
Jupp Heynckes quand il était encore joueur au Borussia Mönchengladbach.© BELGAIMAGE

Quarante-quatre ans plus tard, Jupp Heynckes a toujours la même femme et il n’a pas eu besoin de passer par la Belgique pour faire une carrière d’entraîneur exceptionnelle, à laquelle il s’apprête à mettre définitivement un terme. En attendant, il a remporté un titre supplémentaire avec le Bayern Munich et est en demi-finale de la Ligue des Champions ainsi que de la Coupe d’Allemagne.

Il est étonnant qu’en septembre dernier, il se soit laissé convaincre de sortir de sa retraite et d’abandonner les balades avec son berger allemand Cando pour revenir au Bayern. Il estimait même que c’était un peu pathétique et disait n’avoir accepté que pour rendre service à des amis. Il semblait avoir oublié que, quatre ans plus tôt, il avait dû faire place nette à Pep Guardiola. Et il s’est aussitôt entouré de deux autres seniors : ses adjoints Peter Hermann (66 ans) et Hermann Gerland (63 ans).

Mais jamais encore il n’avait reçu autant d’éloges que cette saison. Quand on lui demande comment il s’y est pris, il n’entre pas trop dans les détails. Et curieusement, les joueurs non plus. Ils disent que Heynckes est un grand professionnel mais n’expliquent pas pourquoi. Et Heynckes ne fait pas le malin avec ses résultats. Tout au plus, il dit qu’il a consolidé la défense et a demandé à son équipe de jouer dans une zone de 25 mètres pour réduire les espaces.

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Nous avons souvent assisté à des entraînements de Jupp Heynckes et nous avons remarqué qu’il n’intervenait jamais, qu’il laissait faire ses adjoints. Il ressemble à une statue, comme au bord du terrain. Mais ceux qui le connaissent mesurent parfaitement son impact. Apôtre de la paix, il a réussi à rapprocher Uli Hoeness et Karl-Heinz Rummenigge, dont les idées étaient si différentes. Il a dit aux joueurs qu’ils devaient respecter ses idées et a parlé entre quatre yeux à ceux qui posaient problème.

Et, malgré son âge avancé, il a travaillé douze heures par jour, décortiquant jusque tard dans la nuit des vidéos de ses adversaires. Au Bayern, on sait pourquoi, au cours des derniers mois, on lui a demandé de continuer. Pas une fois mais plusieurs fois. En vain.

Jupp Heynckes est un homme aimable et serviable. C’était déjà le cas en 1974 lorsqu’il reçut chez lui un jeune journaliste belge et cela s’est encore vu récemment lorsque, dans un hôtel, il tint la porte de l’ascenseur pour permettre à un couple américain un peu plus âgé d’entrer avec ses trois valises. Comme il portait un sac du Bayern Munich, la femme lui demanda s’il était supporter du Bayern.  » Mais bien sûr « , répondit Heynckes.

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