Faut que ÇA TOURNE

Guy Luzon n’en finit plus de faire tourner son effectif. A-t-il raison ? La défaite contre Esbjerg a relancé le débat.

Au début, cela a suscité pas mal de curiosité. Voilà un entraîneur qui tenait un discours qu’on avait l’habitude d’entendre dans ces grands championnats étrangers, où les noyaux culminent à 40 joueurs. Un discours centré sur un mot d’ordre : la rotation. Il faut dire que tout s’y prêtait. Le Standard allait au-devant d’un programme chargé et débutait la compétition européenne dès le mois de juillet, à l’heure où d’autres clubs peaufinaient encore leur préparation. Les adversaires convenaient également bien à la nouvelle philosophie-maison. Pas de risques d’une mauvaise surprise sportive face à Reykjavik, Xanthi ou Minsk, ni de bouderies exacerbées de joueurs frustrés de ne pas disputer ces rencontres de prestige au fin fond de l’Islande ou de la Biélorussie.

Et tant que cela suivait en championnat, où la meilleure équipe était souvent alignée, il n’y avait pas de raison de modifier cette nouvelle politique. Mais il faut bien avouer que cette rotation poussée à l’extrême n’avait pas que des chauds partisans. Certains la jugèrent très vite exagérée et il a simplement fallu que le premier couac survienne (la défaite à domicile contre Esbjerg, lors du premier match de poule de l’Europa League) pour que le débat resurgisse. Alors, est-ce que oui ou non cette rotation quasiment intégrale est nécessaire au Standard ? Sport/Foot Magazine a posé la question à plusieurs personnes.

Pourquoi Luzon privilégie-t-il la rotation ?

Parce qu’il a annoncé d’entrée de jeu qu’il n’écartait personne et que tout le monde recevrait sa chance.  » Chaque personne présente dans le noyau du Standard mérite de l’être « , a-t-il encore déclaré sur le plateau de La Tribune.Le calendrier chargé (le Standard disputera 34 matches entre juillet et fin décembre) et le noyau fourni (28 joueurs dans le noyau A) ne lui laissent pas d’autre choix : il doit éviter toute surcharge auprès des titulaires et toute lassitude auprès des joueurs laissés sur le banc. Pour éviter toute frustration, il laisse quand même un large temps de jeu à chacun. Mais pour éviter une certaine anarchie, il a quand même établi une hiérarchie en faisant ressortir une équipe-type lors des matches de championnat.

Pourtant, malgré toutes ces précautions, cela peut marcher un temps. Après, les joueurs privés de Coupe d’Europe vont commencer à la trouver saumâtre, surtout dans un club comme le Standard où, si les joueurs veulent décrocher un transfert à l’étranger, cela passe avant tout par la vitrine européenne.  » Je ne suis pas un grand partisan de la rotation « , explique l’ancien entraîneur des Rouches, Dominique D’Onofrio, lui-même confronté à cette situation lorsqu’il entraînait l’équipe liégeoise en 2011 et qu’il devait combiner championnat-play-offs et Europa League.

 » Je ne l’ai d’ailleurs pratiquée qu’à deux exceptions, à Genk et à Anderlecht, à chaque fois dans des situations exceptionnelles, avant des échéances importantes. Pour moi, le Standard se trouve dans une impasse car la rotation peut créer une atmosphère très négative au sein du vestiaire. D’un autre côté, comme le noyau est très large et que le club a clamé haut et fort qu’il voulait mener une politique de jeunes, il est obligé de donner du temps de jeu aux transferts et aux jeunes.  »

La fraîcheur est également invoquée. Surtout suite à l’essoufflement d’Anderlecht la saison passée. Argument qui ne tient pas la route aux yeux de Marc Degryse : » Si tu es professionnel, je trouve que tu dois être capable de disputer 40 matches sur une saison. Genk a réussi à lutter jusqu’au bout pour le titre et a remporté la Coupe de Belgique la saison passée alors que les Limbourgeois sont restés européens jusqu’en février.  »

Peut-on vraiment aligner deux équipes différentes sans une perte de qualité ?

Luzon a déjà dit à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas d’équipe B dans sa tête et que chaque élément de son noyau comptait mais les faits démontrent qu’il a quand même dégagé ce que chacun considère comme sa formation la plus forte pour le championnat, laissant l’Europe aux remplaçants.  » C’est vrai que les nombreux transferts font que le Standard dispose de quasiment deux équipes « , reconnaît D’Onofrio,  » mais il y a quand même une formation plus forte que l’autre, c’est indéniable.  »

 » On essaye de nous faire croire qu’il n’y a pas d’équipe-type mais ce n’est pas vrai. On l’a vu clairement : le Standard version championnat et le Standard version Coupe d’Europe n’ont pas le même niveau « , analyse Marc Degryse.  » C’est normal, il faut être réaliste, il faut une certaine hiérarchie dans un noyau.  »

Et les prestations individuelles le prouvent d’ailleurs clairement : comment croire un instant qu’aujourd’hui Alessandro Iandoli équivaut à Jelle Van Damme au poste de back gauche ou que Reza Ghoochannejhad est aussi bon qu’Ezekiel en attaque ? Si dans les couloirs (Frédéric Bulot, Paul-José Mpoku, Mehdi Carcela et Geoffrey Mujangi Bia) ou dans l’axe de l’entrejeu (William Vainqueur, Ibrahima Cissé, Yoni Buyens ou Alpaslan Öztürk, voire Julien de Sart), on peut interchanger les joueurs sans perdre de la qualité, ce n’est pas le cas aux autres positions.

Entre le match contre Esbjerg et celui face à Lokeren, Luzon a modifié huit positions ! C’est énorme (c’est plus que Tottenham qui avait effectué six changements dans son onze de base entre le match de championnat face à Norwich et sa rencontre européenne face à Tromsö). Cela nuit aux automatismes mais surtout à la qualité générale du onze mis en place.  » Quand tu laisses toute ta colonne vertébrale sur le flanc (Kanu, Laurent Ciman, Vainqueur, Ezekiel et Batshuayi), tu vas trop loin « , dit Degryse.

Pourquoi privilégier le championnat à la Coupe d’Europe ?

Jusqu’aux matches de poules, la question ne se posait pas vraiment. Vu la faiblesse des adversaires, on pouvait largement comprendre que l’équipe la moins aguerrie soit alignée en Coupe d’Europe plutôt qu’en championnat. Mais maintenant que le Standard entre dans le vif du sujet, pourquoi snober Esbjerg et pas Ostende, pourtant dernier du championnat. N’est-il pas plus important de partir du bon pied dans la poule de l’Europa League et marquer les esprits que de tout miser sur un championnat que le Standard survole ?

Imaginons le pire des scénarii : le Standard aligne son équipe B à Ostende et perd le match. Il compterait toujours un point d’avance. Et peut-être occuperait-il la tête de sa poule européenne. Le voilà aujourd’hui obligé de courir après Salzbourg et Esbjerg. Or, le calendrier des prochaines semaines est bien plus ardu que celui des semaines précédentes. Il deviendra alors difficile de faire souffler ses joueurs en championnat parce que les adversaires s’appelleront Bruges, Anderlecht ou Zulte Waregem.

Pourquoi le Standard fait du championnat une priorité ? Certains ont avancé un critère financier. Remporter le championnat conduirait le Standard en Ligue des Champions, plus lucrative que l’Europa League.  » Oui, je peux comprendre que sur le plan financier, le championnat et une place en Ligue des Champions soit prioritaire mais sur le plan sportif, comment faire comprendre qu’après s’être battu toute la saison pour décrocher une place européenne, on snobe la compétition une fois dedans ? « , résume Degryse.

 » Toujours sur le plan sportif, on doit bien se rendre compte qu’une équipe belge n’a plus réussi grand-chose en Ligue des Champions depuis des années alors que le format de l’Europa League convient mieux aux formations belges. Alors pourquoi ne pas la jouer à fond ? Le stade n’était pas plein contre Esbjerg mais c’est un peu normal : les supporters vont au stade pour voir leur meilleure équipe !  »

Privilégier le championnat était-il donc planifié ? Non ! De source sûre, on peut affirmer que jamais les dirigeants du Standard n’ont demandé à leur entraîneur de tout miser sur le championnat. L’objectif initial (les play-offs puis le top-3) est toujours d’actualité et le formidable début de championnat n’a pas aveuglé le président Roland Duchâtelet. Celui-ci compte beaucoup sur l’Europa League et sait qu’un beau parcours de son équipe valoriserait ses joueurs. Il aurait d’ailleurs mal pris la défaite face à Esbjerg  » qui n’était pas planifiée « .  » A tout prendre, il aurait préféré perdre des points en championnat que s’incliner contre Esbjerg « , assure un proche du président.

Reste alors la possibilité que Guy Luzon ait sous-estimé l’adversaire danois et pensé qu’il pouvait encore tenter une rotation extrême…

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Jamais le président du Standard n’a demandé à son entraîneur de tout miser sur le championnat.  »

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