La bombe a explosé quand le quotidien Het Laatste Nieuws avait publié il y a deux semaines des témoignages indiquant que l’actuel directeur sportif s’était dopé, avait stimulé des coureurs ou fait commerce de substances interdites, de ses débuts de coureur à aujourd’hui.

L’histoire est bien emballée mais une lecture approfondie permet de réaliser que le texte, écrit sans soin, n’est qu’un ramassis de racontars salés. Ainsi, dans l’introduction, on évoque  » huit hommes du c£ur du peloton  » alors que le texte ne fait mention que de sept témoins : Luc Capelle, deux soigneurs, deux médecins, un insider et Roland Coolsaet, l’organisateur des Trois Jours de La Panne. Ce dernier se contente d’ailleurs de raconter la perquisition de la police chez Mapei durant l’édition 1999 de son épreuve.

Restent donc six témoins, dont seulement trois, après maints recoupements, présentent des faits qu’ils ont eux-mêmes constatés. Capelle raconte que PatrickLefevere avait recours aux amphétamines quand il courait, ce que l’intéressé admet. L’opinion de ces messieurs diverge quant à la fréquence et à l’ampleur de ce recours. C’est donc la parole de l’un contre celle de l’autre. Ensuite, il y a l’ insider, qui occupe toujours une fonction officielle dans le peloton mais reconnaît, dans son témoignage, qu’il ne peut parler que du passé de dopage de Lefevere dans les années 70. Il affirme que Lefevere a distribué des produits dopants à des coureurs flandriens et à ses patrons de Zeepcentrale. Ici aussi, pas de preuves, seulement la parole d’un homme.

Enfin, il y a le Docteur 2, le seul témoin à citer des noms, des données et des méthodes – avec une certaine marge d’erreur. Il parle ainsi d’un coureur de Mapei qui s’est dopé en 2001, au vu et au su de Lefevere. Or, à cette époque, Lefevere travaillait pour Domo-Farm Frites. Indépendamment de cette imprécision, les coureurs de GB-MG et de Mapei se sont-ils dopés dans les années 90 ? Il y a de fortes chances que oui. Les cyclistes impliqués ne l’ont jamais nié. En juin 2005, nous avions demandé au Dr Yvan Van Mol ce qui avait changé depuis 1998 :  » Avant 1998, plus de 50 % des coureurs consommaient de l’EPO. Un moment donné, ils constituaient même l’écrasante majorité. Je ne l’ai jamais nié « . Le dopage était-il organisé au sein des équipes ?  » C’était manifeste dans certaines « .

A l’heure actuelle, le rôle précis de Lefevere et de Van Mol durant la période EPO reste vague. Comme tous les médecins et directeurs d’équipe des années 90, ils étaient au courant et sont les seuls à savoir dans quelle mesure ils ont contribué au dopage. Ce manque de clarté leur porte préjudice. Le passé ne pourra être clos que quand le duo parlera. Tous deux doivent expliciter leur rôle exact durant les années où sévissait l’EPO.

Quatre imprécisions majeures du Laatste Nieuws

Le présent, maintenant. Het Laatste Nieuws y a également consacré un chapitre : Patrick Lefevere aurait ordonné à Marc Lotz de se doper pour se préparer au Tour et l’aurait ensuite dénoncé à la justice, selon le Docteur 1. Le dossier judiciaire réfute ces assertions sans laisser place au moindre doute. Jamais le journal n’aurait publié cette fable s’il avait effectué un minimum de recherches. Plus fort encore, au moment où Het Laatste Nieuws publiait ces affirmations, il avait déjà en mains le témoignage du fameux coureur de Quick-Step, qui démentait l’affaire Lotz. Pourtant, l’histoire a été couchée sur papier sans la moindre retenue ni indication.

Un jour plus tard, Het Laatste Nieuws a lancé son plus gros pavé : un coureur de Quick-Step, sous couvert de l’anonymat, a révélé l’utilisation de drogues et de produits dopants. A la première lecture, il semble bien s’agir d’informations concrètes livrées de l’intérieur. Après relecture et enquête, le récit est truffé d’imprécisions :

1 Citation du coureur Quick-Step :  » Dans un grand tour, les coureurs moyens passent cinq minutes dans la chambre d’Yvan. Il leur donne un peu de sucre, de vitamine C, de produits qui favorisent la récupération. Les coureurs de l’élite, eux, y restent 40 minutes, deux ou trois fois par soirée « . Or, Van Mol ne suit plus de grands tours comme médecin d’équipe depuis 1999. Son dernier long séjour à un tour remonte à 2003 : il a suivi la Vuelta pendant dix jours. Van Mol a déclaré ceci à Sporza Radio, à propos de sa présence au Tour des dernières années :  » En 2005, j’ai pris l’avion jusqu’à Pau pour y discuter avec Manuel Garate, alors chez Saunier Duval, pendant le jour de repos, et avec Plaza, le manager d’une série de coureurs ibériques, en prévision du transfert d’un de ces coureurs chez Quick-Step. C’est finalement Garate qui a été choisi. J’ai effectivement rendu visite à la caravane quand elle se trouvait en Belgique. Le 5 juillet de l’année dernière, j’ai déjeuné avec les coureurs à l’Eurotel de Lanaken. En 2004, j’ai mangé avec les coureurs à leur hôtel namurois. Ce sont mes seules présences des dernières années sur les grands tours « .

2 Citation du coureur Quick-Step :  » L’équipe a trois médecins. Cruyt et Alonso connaissent aussi le pouls et la pression artérielle de chaque coureur…  » Si ce témoin anonyme est effectivement un coureur de Quick-Step, pourquoi ne connaît-il pas le nom exact des médecins ? Alonso est en fait le médecin espagnol Manuel Rodriguez Alonso. Les Ibériques portent le nom de famille de leur père et de leur mère. Le second nom est rarement employé. Nul ne parle d’ Oscar Freire Gomez, pas plus qu’on ne parle de Manuel Rodriguez Alonso.

3 Citation du coureur Quick-Step :  » C’est pour cela que Van Mol doit acheter les contrôles. Il devait avoir une taupe à l’UCI, pour ne pas être attrapé à la cocaïne ou à l’XTC. On ne trouve pas les produits dopants. Les drogues utilisées dans les fêtes constituent le principal problème. Les grands coureurs prennent de l’XTC et sont renseignés sur les contrôles. Ils déboursent des milliers d’euros et sont protégés par le médecin de l’équipe. Van Mol sait ( sic) quand les contrôleurs vont passer « . Même au cas fort improbable où Van Mol serait parvenu à corrompre l’UCI, restent les contrôles indépendants des compétitions, menés par la WADA, l’agence mondiale antidopage, et la Communauté flamande, deux organismes qui n’ont rien à voir avec l’UCI.

4 Citation du coureur Quick-Step :  » Il y a les tout grands coureurs, ceux pour lesquels le système a été conçu. Ce sont eux qui consomment les produits les plus importants. Chez Quick-Step, c’est toujours de faibles doses d’EPO, de l’IGF (Insuline Growth Factor, le précurseur de l’hormone de croissance) et des hormones de croissance « . Le quotidien De Morgen a publié les taux moyens d’hématocrite de l’équipe Quick-Step, basés sur 321 échantillons sanguins pris du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2006. Huit contrôleurs de l’UCI issus de cinq pays différents ont effectué ces tests, qui affichent une valeur moyenne oscillant entre 43,3 et 44,4 durant les années 2003, 2004, 2005 et 2006. Ces valeurs sont équivalentes, voire inférieures à celles de toutes les équipes du Pro Tour et un porte-parole de l’UCI est formel :  » Il n’y a rien de suspect. Ces valeurs sont tellement logiques et régulières qu’elles ne peuvent avoir été manipulées. Le sang ne trompe pas « . Réaction d’Yvan Van Mol :  » Pourquoi donnerais-je de l’EPO à mes coureurs si leur taux d’hématocrite ne monte pas ? Quel sens cela aurait-il ? »

Pourquoi Museeuw va-t-il chez un vétérinaire pour se doper ?

Ironie du sort, Johan Museeuw vient de fournir la preuve ultime qu’il n’existait pas de système organisé de dopage chez Quick-Step, du moins pas en 2003, car sinon, pourquoi le leader absolu de l’équipe aurait-il dû s’adresser à un vétérinaire pour se doper ?

Le témoignage du coureur anonyme ne colle pas, dans les faits ni psychologiquement. Imaginez que vous êtes un coureur de Quick-Step, que vous voyez vos coéquipiers se piquer et avaler des tas de médicaments. Vous voulez les dénoncer mais anonymement, en toute confiance, pour ne pas perdre votre boulot. Pourquoi téléphoner à un jeune journaliste qui ne suit pas votre sport au lieu de faire appel à un des rédacteurs spécialisés que vous connaissez depuis des années ? Pourquoi divulguer tant de détails sur vous-même, ce qui permet à n’importe qui, du milieu cycliste, de vous identifier en cinq minutes ?

Le doute croît quant à la fiabilité et à l’authenticité de ce témoin. Certains sont sûrs qu’il ne s’agit pas d’un coureur qui fait actuellement partie de l’équipe. D’autres pensent que ce témoignage est un ramassis de différentes sources, d’autres encore suggèrent que la totalité du récit est inventée. Le fait est que le témoignage du coureur n’a été confirmé par personne, même anonymement, bien que le journaliste en question, Maarten Michielssens, se soit montré optimiste sur les ondes de Sporza Radio :  » Nous recevons énormément d’appels téléphoniques, d’informations, de confirmations tous azimuts. Beaucoup de gens veulent nous aider. Nous allons vérifier toutes ces informations et voir ce qu’il en ressort « .

A la clôture de notre magazine, nous n’avons pourtant pas vu trace dans Het Laatste Nieuws de  » confirmations tous azimuts « . Une chose est claire : la série du quotidien dépasse le cadre d’un règlement de comptes entre un journal et Patrick Lefevere.

Les règlements de comptes de Dedecker

Quand le politicien Jean-Marie Dedecker avait fait des déclarations fracassantes au sujet de trois grands coureurs belges adeptes du tourisme dopant en Italie, Lefevere lui avait souhaité une défaite aux élections. Le sénateur avait décidé de montrer à Lefevere qui était le plus malin, le plus fort et le plus grand.

Pour frapper le plus fort possible, Dedecker a colporté auprès de différents médias l’information qu’il avait récoltée en sa qualité d’homme de confiance d’une série de sportifs. La divulgation d’un courriel privé de Museeuw, à trois journalistes différents, prouve que tous les moyens ont été bons dans cette guerre. La version imprimée du courriel qu’a montré l’émission flamande 00 e-mail dans la case du destinataire, illustre la faillite morale de l’homme.

Toujours à propos de l’affaire Museeuw, Lefevere a bel et bien commis une erreur. Il n’a peut-être pas interdit au coureur d’avouer mais il ne l’a pas non plus encouragé à jouer cartes sur table, ce qu’il aurait dû faire, pour respecter l’éthique.

Dedecker a également montré le mail concernant Museeuw à Hans Vandeweghe, un journaliste du Morgen, qui n’y a rien appris. Quand Vandeweghe avait taxé Lefevere d’hypocrisie, lorsque l’affaire Fuentes a éclaté, il a promptement reçu les trois noms des coureurs qui auraient suivi une cure de dopage en Italie. Dedecker n’avait pas voulu communiquer ces noms plus tôt au parquet de la LVB, soi-disant parce qu’il ne voulait pas transmettre d’accusations  » sans avoir la garantie qu’elles resteraient confidentielles « . Comme la première source de l’information n’a pas voulu parler à Vandeweghe, le journaliste a décidé de ne pas publier d’article à ce propos.

En novembre, Dedecker a transmis au Laatste Nieuws le message vidéo de Capelle, comme Michielssens l’a déclaré durant l’émission De Zevende Dag. Dedecker avait d’abord proposé ce témoignage à Telefacts, qui ne l’a pas diffusé, l’estimant trop léger. Jean-Marie Dedecker a affirmé durant l’émission Ter Zake avoir été présent lors de trois des témoignages publiés par Het Laatste Nieuws, et notamment durant la confession du coureur anonyme de Quick-Step. Deux jours plus tard, Panorama montrait Dedecker partir à Milan en compagnie de Michielssens, pour recueillir le témoignage d’un médecin italien, selon des insiders. Le Docteur 2, le seul qui apporte des faits concrets dans l’article  » 30 ans de dopage « , a sans doute été trouvé par Dedecker…

La conclusion : Dedecker a aidé Het Laatste Nieuws à trouver ses trois principales sources : Capelle, le Docteur 2 et le coureur anonyme.

Faire un ménage total

Cela ne signifie pas que ces témoignages ne sont pas fiables. En revanche, cela démontre que Het Laatste Nieuws a marché dans la campagne haineuse d’un politicien contre un manager de cyclisme, sans recouper ses informations comme le prouvent les nombreuses approximations du texte. Les méthodes journalistiques employées sont également douteuses, comme le montre le cas Renno Roelandt. Cité par Het Laatste Nieuws à propos de Lefevere, il s’est fendu d’un rectificatif de 40 lignes envoyé à l’agence de presse Belga. Pourtant, on lisait le lendemain dans les colonnes de Het Laatste Nieuws :  » Renno Roelandt a réitéré hier sa position à l’égard de Lefevere « …

Qu’ils soient coupables ou non, Lefevere, Van Mol et, dans leur sillage, toute la formation Quick-Step ont subi des dommages incommensurables. Une enquête menée par Het Nieuwsblad révèle que 80 % des lecteurs ne pensent pas que Lefevere soit blanc comme neige. Normalement, Quick-Step vend 45 maillots de course par jour. Il n’en a écoulé qu’un seul durant la semaine de parution de ces articles. En une journée, six des sept patients qui avaient rendez-vous avec Van Mol se sont désistés. Les sponsors ne pourront cerner l’étendue des retombées du scandale qu’à moyen terme. Celles-ci auront un impact sur la reconduction de leur contrat de sponsoring.

Il faut espérer que le procès intenté par Lefevere et Van Mol contre Het Laatste Nieuws, sa rédaction en chef et le journaliste Michielssens fera rapidement la clarté sur l’affaire. S’il s’avère que Het Laatste Nieuws a bafoué la déontologie journalistique, il sera là aussi question d’une faillite morale. Il sera alors grand temps que nous, les journalistes, fassions le ménage, comme le peloton cycliste.

LOES GEUENS

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