ET LUI, ON EN FAIT QUOI ?

Apprécié en France, on ne sait pas quoi en faire en Belgique. C’est le paradoxe de Guillaume Gillet.

On pensait que son statut allait changer à Anderlecht. Après un an d’exil corse réussi, il était revenu en transit. Mais les dirigeants bruxellois ont finalement bloqué les portes du départ. Et Guillaume Gillet est resté à Bruxelles. Sauf que son statut avait changé : il devait s’ériger en leader de l’équipe. Sa position devait l’inscrire au milieu du jeu. Toutes ces bonnes intentions n’ont tenu qu’un mois et demi, comme l’atteste son récent statut de réserviste face à Genk. Retour sur le paradoxe Gillet.

Arrivé en France après une saison délicate, il avait une image de paria. Toujours très correct avec ses coéquipiers anderlechtois et la presse, il ne faisait plus partie des plans de sa direction bruxelloise, qui ne gardait en mémoire que sa dernière saison mi-figue, mi-raisin.

 » On a eu l’impression, en le voyant arriver, qu’il revivait « , dit Julien Argenti, journaliste à Corse Matin.  » Comprenez-moi bien, je ne connaissais rien de son passé mais dès le début, on a senti qu’il voulait s’investir à fond dans son nouveau challenge. Il posait beaucoup de questions, sur le championnat, sur l’histoire de Bastia, sur la Corse, sur la façon de jouer, sur ses coéquipiers. Il y avait de l’envie.

Et, directement, cela a été apprécié. On était loin de l’image du joueur étranger qui vient cachetonner. Le Corse aime qu’on s’intéresse à lui ; il n’apprécie pas qu’on vienne juste pour l’argent et le soleil. Gillet avait cette ouverture d’esprit et ça a certainement joué dans son intégration et adaptation.  »

Gillet avait opté pour la Corse à la surprise générale. Lui qu’on voyait davantage opter pour les brumes anglaises ou les neiges allemandes, d’autant plus qu’il est fan de la Bundesliga, partait vers le Sud. Certains doutaient de sa réussite. Pourtant, au bout du compte, il signait un strike parfait. 38 matches de championnat (dont 37 comme titulaire). Le seul joueur de champ à disputer toutes les rencontres du championnat français !

 » AU LIEU D’UN TOURISTE, ON A DÉCOUVERT UN JOUEUR QUI NE LÂCHE RIEN  »

 » Au départ, on ne connaissait rien de lui « , explique Antoine Maumon de Longevialle, journaliste à L’Equipe.  » Il arrivait à 31 ans et n’avait jamais connu l’étranger. Cela sentait la retraite dorée à plein nez. Et puis, on a découvert un joueur qui ne lâchait rien, combatif, avec un gros volume de jeu. Il a un style très anglais, à savoir le médian défensif capable de marquer des buts (NDLR : le box-to-box). Ce n’est pas le style de joueur qui se cache ; il donne tout. Et il sent le match. Il a cette capacité de surgir au bon moment, au bon endroit. Ce n’est peut-être pas le joueur le plus technique mais il sait tout faire.  »

La France apprend à le connaître. Bastia file en finale de Coupe de la Ligue et malgré la fessée prise face au PSG (4-0), Gillet séduit.  » Il est très vite devenu un pilier de Bastia « , dit Argenti.  » Autant par sa polyvalence que par son envie. Il s’adapte à toutes les situations et sa polyvalence est très intéressante. Il paraît qu’en Belgique, il évolue souvent arrière droit. Nous, on ne l’a jamais vu à cette position mais on perçoit cette faculté d’adaptation dans son jeu. De joueur très offensif, il était capable de devenir très défensif et accrocheur en fonction des circonstances d’un match.  »

A Bastia, Gillet a donc disputé 3350 minutes de jeu, marquant 2 buts et donnant 2 passes décisives.  » Les statistiques sont moyennes mais son importance pour Bastia dépasse les statistiques « , continue Argenti.  » Il était un catalyseur, un moteur. La seule stat qui compte est la première : 38 matches, 3350 minutes de jeu, voilà qui en dit long, non ?  »

Vincent Duluc est lui la référence de L’Equipe. Il suit l’équipe de France, le championnat d’Angleterre et Lyon dont il vient. Pas spécialement Bastia. Et pourtant, Gillet, il maîtrise.  » Je ne vais pas en faire un joueur spectaculaire mais sa réussite à Bastia provient du fait que ce n’est pas un médian formaté par les centres de formation à la française. Lorsqu’on voit son jeu, on voit un jeu peut-être moins technique mais plus instinctif.  »

DE 650.000 EUROS À 2 MILLIONS EN UN MOIS

A Bastia, il a donc trouvé une place de titulaire, au sein d’une formation qui a terminé le défunt championnat à la 12e place, et atteint la finale de la Coupe de la Ligue. Il s’est surtout épanoui, dans un cadre de vie merveilleux. Ce paysage de carte postale auquel il était confronté quotidiennement a joué dans son choix estival. Alors qu’il évoluait encore en Corse, Gillet avait affirmé  » avoir tiré un trait sur le championnat de Belgique « .

Il avait fait le tour, son futur se situait bien en Ligue 1 et si possible à Bastia. Le bleu de la Méditerranée trottait encore dans sa tête lorsqu’il a refusé les paysages miniers de Metz ou les vignes brumeuses de Champagne, à Reims. Il espérait Bastia, voire Bordeaux ou Nice. Il aura finalement un retour à la maison, à Anderlecht.

C’est avec Reims que les négociations ont été le plus loin. L’Union, journal de Champagne, a même annoncé son arrivée le 25 juin.  » Toutes les parties étaient d’accord « , explique Gérard Kancel.  » Le club nous avait dit que l’affaire était faite et que le joueur viendrait signer son contrat, une fois revenu de vacances. Anderlecht et Reims avaient négocié une indemnité de départ de 65O.000 euros, l’agent était tombé d’accord sur le salaire. Mais Gillet voulait retourner dans le sud. Cela a quelque peu écorné son image car il avait la réputation d’être franc et direct. Il correspondait parfaitement au profil dessiné par Reims.  »

 » Son arrivée annoncée puis annulée à Reims n’a pas joué en sa faveur « , corrobore Duluc.  » Certains clubs ont commencé à se poser des questions sur l’envie réelle du joueur de venir chez eux.  » D’autant plus qu’entre-temps, Anderlecht qui se demandait ce qu’il allait faire de son entrejeu, avait augmenté son prix de départ, Gillet ayant montré de bonnes choses lors de la préparation. Alors que les Mauves avaient manqué de leaders la saison passée, voilà qu’ils en trouvaient un sans rien faire.

Bastia se retirait de la course. Disposée à payer 500.000 euros, la direction corse ne pouvait plus suivre le prix demandé par son homologue bruxelloise (2 millions).  » Sur ce dossier, Bastia a manqué de chance. En faisant son offre en juin, Gillet serait aujourd’hui au club « , dit Argenti.  » Mais les dirigeants n’ont pas apprécié le revirement d’Anderlecht prêt à vendre son joueur à Reims pour 650.000 euros mais qui demandait 2 millions à Bastia !  »

 » DEFOUR ET GILLET NE SONT PAS FORCÉMENT COMPLÉMENTAIRES  »

Le joueur fait contre mauvaise fortune bon coeur. Dans la presse, il lâche :  » Les choses se passent très bien à Anderlecht pour l’instant. Si je dois rester, ce serait avec plaisir.  » Oui mais entre fin juillet et début septembre, de l’eau a encore coulé sous les ponts. Anderlecht n’a pas transféré Dennis Praet, ni Youri Tielemans. Et ce week-end, Gillet est retourné sur le banc…alors qu’un mois plus tôt, il faisait figure de leader et donc d’incontournable.

Le revoilà plongé dans les doutes qui l’assaillaient encore il y a un peu plus d’un an. Comment expliquer ce traitement ? Comment expliquer que ce joueur plaise autant à un championnat plus huppé que le nôtre mais qu’Anderlecht ne sache plus à quelle sauce le mettre ?  » Je pense que c’est naturel « , explique Alex Teklak.  » Quand tu pars à l’étranger, tu arrives vierge de préjugés. Tu peux recommencer d’une page blanche. Et puis, il disposait du crédit que tout transfert étranger a.  »

A Bastia, on ne posait pas mille questions sur sa position : il était médian défensif. Point à la ligne. A Anderlecht, on se demande s’il est médian défensif, infiltreur, back droit.  » La maxime Nul n’est prophète en son pays lui convient à merveille « , ajoute Teklak.  » Et son adaptation en France, il la doit aussi au profil de son équipe. A Bastia, il évoluait dans une équipe qui jouait la descente, et donc qui était disposée très basse sur le terrain.

Dans ce type d’équipes, il faut avoir quelqu’un capable de se projeter très rapidement. C’est ce que fait parfaitement Gillet. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si toutes les équipes qui se sont renseignées sont de cet acabit-là. A Anderlecht, il joue dans une formation dominante, plus haute sur le terrain.  »

Cela ne signifie pas que ses qualités ne peuvent pas s’exprimer dans ce contexte : son sens de l’infiltration peut très bien débloquer une rencontre fermée.  » C’est pour lui que le losange a été mis en place dans l’entrejeu anderlechtois. Mais je trouve que Besnik Hasi aurait dû faire preuve d’un minimum d’honnêteté. Car, on veut en faire le premier relanceur. Très bien, mais on place à ses côtés un Steven Defour à qui on confie la même mission.

C’est pour cette raison que le losange n’a jamais fonctionné. Defour et Gillet ne sont pas forcément complémentaires car tous les deux veulent donner la première impulsion. La clarté des rôles n’existait pas dans ce losange.  »

LES CARTES À NOUVEAU BROUILLÉES

Exit le losange donc. Mais que faire de Gillet ?  » Defour a vite mangé Gillet dans la hiérarchie « , explique Teklak.  » Et voilà donc l’heure des choix revenue.  » L’affaire Anthony Vanden Borre et la baisse de forme d’Andy Najar qui préfère jouer dans l’entrejeu laisse de nouveau le poste de back droit en suspens. Ça tombe bien : Gillet est revenu ! Sauf qu’il avait accepté de rester à la condition de ne plus évoluer comme arrière droit.

 » OK, il peut dépanner à droite mais ce dossier semble un peu politique « , analyse Teklak.  » Najar, il le faut le mettre en vitrine parce qu’il a une certaine valeur et donc, il faut le placer à sa meilleure position. Vanden Borre, il a encore trois ans de contrat. Il y a bien un jour où il va revenir en grâce ; il va retrouver sa place et sortir la prestation qu’il faut au bon moment de manière à pouvoir trouver un nouveau club en janvier.

Et qui risque de faire les frais de tout cela ? Gillet. Lui, il ne lui reste qu’un an de contrat ; il est plus souple, et au bout du compte, il va se retrouver sur le banc. Il ne faut pas oublier qu’il y a un an et demi, qui c’est qui saute le premier quand Hasi reprend l’équipe ? Gillet. L’entraîneur a eu raison puisqu’il a décroché le titre mais on va de nouveau dans cette direction.  »

Et voilà les cartes de nouveau brouillées pour un joueur qui semblait s’être enfin doté d’une identité en allant tâter de la L1.  » Pour moi, il doit évoluer comme infiltreur « , tranche Teklak.  » Il peut tout faire à droite mais pas aussi bien que comme infiltreur. A droite, il est parfois trop attiré vers l’offensive et son jeu de position défensif est parfois défaillant à cause de cela. Par contre, dans l’entrejeu, il a le sens du timing, il sent les coups et il sait mettre des buts. Cependant, vous avez vu qui est dans l’axe ? Il ne faut pas vous faire un dessin. Il va jouer à droite jusqu’au moment où Vanden Borre ou Najar va prendre le dessus.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Qui a sauté le premier quand Besnik Hasi est devenu T1 ? Guillaume Gillet !  » ALEX TEKLAK

 » C’est un joueur qui n’a pas été formaté par les centres de formation à la française. Voilà qui explique sa réussite à Bastia.  » VINCENT DULUC, JOURNALISTE À L’EQUIPE

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