ÉPERVIER AU VINAIGRE

Voici des clés pour comprendre l’international togolais du Standard. Il vient d’une famille sportive exceptionnelle et a un parcours un peu dingue. Portrait.

« J’ai toujours couru vite. A la maison, on disait que je courais plus vite que les chiens. Un jour, une voiture m’a renversé et j’ai frôlé la mort. Six mois d’hôpital. On a voulu me couper la jambe et c’est un médecin allemand qui a dit : -Non, il est jeune, il faut essayer de la sauver. Oui, je suis un miraculé pour le football.  »

On n’a jamais rencontré l’homme qui dit ça, Pierre-Antoine Dossevi, mais ça doit être sympa de discuter avec lui. C’est le père de Matthieu, prêté cette saison au Standard par l’Olympiacos. Pierre-Antoine a été pro en France. Fils du  » trésorier payeur général à la banque nationale du Togo « , il avait débarqué en Europe avec ses huit frères et sa soeur. Il dit aussi, en commentant ses premiers mois en France :  » On faisait sensation. Des gens me pinçaient pour voir si j’étais en chocolat. Ma mère s’habillait en togolaise, elle faisait un malheur. On la prenait en photo.  »

Just Fontaine, entraîneur du PSG, l’a attiré là-bas mais il a très peu joué avec ce club. Il a quand même ce grand souvenir :  » Johan Cruyff est venu y faire une pige pour le Tournoi de Paris. On joue Première contre Réserve du PSG à l’entraînement et Cruyff joue avec moi en Réserve. On gagne 6-0, je marque les six buts sur six passes de Cruyff. Il m’avait dit : -Fais l’appel et je te lance.  »

Pierre-Antoine Dossevi fait finalement une carrière modeste, essentiellement avec Tours et Dunkerque. Il y a aussi son frère Othniel. Encore un personnage, lui aussi ex-pro en France, lui aussi passé par le PSG dont il fut le tout premier joueur africain. Il aurait pu devenir international togolais mais  » je ne voulais pas jouer pour l’équipe du dictateur, je l’aurais vécu comme une insulte « .

Ce n’est pas tout. Othniel a deux enfants dans le sport de très haut niveau. Son fils Damiel est un des meilleurs perchistes français, il a été champion d’Europe chez les Espoirs, il a participé à deux éditions des Championnats du Monde, on l’a déjà vu au Mémorial Van Damme. Et sa soeur Narayane côtoie le haut niveau en saut en longueur.

On continue… Matthieu Dossevi est le frère de Thomas, international togolais qui était dans le bus attaqué à Cabinda, le week-end d’ouverture de la Coupe d’Afrique des Nations 2010 en Angola. Thomas Dossevi jouait alors à Nantes. Il est aujourd’hui à Dunkerque.

 » MAMAN, CLAUDY À L’APPAREIL. DIS, JE VIENS D’ME FAIRE CAR-JACKER. ON A VOLÉ L’AUTO  »

C’est une réplique culte de François Damiens dans le non moins culte et trash Dikkenek. Le rapport avec Matthieu Dossevi ? Sur des forums, des supporters de Valenciennes ont cité ce passage après une des plus sombres soirées vécues par le joueur.

Les faits. 20 avril 2014. Valenciennes, très mal en point sportivement et financièrement, reçoit Nantes. Ariel Jacobs fait monter Matthieu Dossevi après 50 minutes, alors que c’est déjà 0-3. Score final : 2-6. Le club du Nord semble plus que jamais mûr pour la Ligue 2. Dossevi et d’autres joueurs doivent patienter pendant une heure et demie pour sortir du parking, bloqué par des supporters démontés.

Il décide de partir s’aérer les idées en discothèque avec son frère Thomas. Sur le trajet, deux hommes encagoulés arrêtent sa Maserati, aspergent les frères de gaz lacrymogène et filent avec le bolide. Le président de Valenciennes signale que  » ce car-jacking n’a rien à voir avec le football mais avec le type de voiture « .

L’incident figure en bonne place dans les pages sports et faits divers de La Voix du Nord. Et il déchaîne les passions de supporters sur des espaces virtuels de discussion. Matthieu Dossevi n’est pas épargné. Morceaux choisis.

Un attaquant d’un club relégable qui doit tourner à trois buts de moyenne par saison mais qui a les moyens de rouler en Maserati… Tranquille. On leur demande pas de rouler en Clio mais bon, y’a des limites dans la connerie. Maman, Claudy à l’appareil, dis je viens d’me faire car-jacker. On a volé l’auto.

-Son équipe se prend 2-6 à domicile, a un pied et quatre orteils en Ligue 2, et le mec sort en boîte trois-quatre heures après le match. Les sups valenciennois doivent apprécier.

-Il trimbale sont frérot comme un boulet dès qu’il sort ou passe à la télé.

-Le mec a bien raison d’en profiter, en plus il m’a l’air plutôt sympa. Mais ce qui me choque, c’est que le mec est loin de faire grimper au rideau et touche une blinde dans une entreprise qui va sans doute devoir licencier en cas de descente.

A côté de ces moqueries, il y a des commentaires compréhensifs. Tout le peuple valenciennois ne condamne pas Matthieu Dossevi.

-C’est bien un des seuls joueurs cette année à être un peu au-dessus. Alors, Matthieu, je t’excuse, toi, ta jolie Maserati blanche et l’avion de chasse qui te sert de copine.

-Parfois, tu as envie de te changer les idées et de profiter de la vie. Sinon, ça veut dire que si tu es sur le banc à Paris, tu peux toujours sortir en boîte vu qu’ils gagnent tout, mais si tu es titulaire à mouiller ton maillot pour une équipe en position délicate, t’es obligé de déprimer toute la semaine après t’être pris une énième branlée ?

-C’est quand même pas mieux qu’il reste à pleurer dans les bras de sa femme / sa wag chez lui !

-Sous prétexte qu’ils se sont pris une dérouillée et qu’ils sont relégables, le mec devrait arrêter de vivre, rentrer sagement avec sa Twingo et rejoindre son petit F2 ?

-Moi, les soirs de défaites, je me remplissais encore plus le carafon qu’après les soirs de victoires.

DOUBLÉ GREC, FRUSTRATION EN LIGUE DES CHAMPIONS ET GROGNE À LOMÉ

Entre Valenciennes et le Standard, Matthieu Dossevi a passé une année à l’Olympiacos. Sa saison grecque lui a permis d’ouvrir son palmarès avec un doublé titre / Coupe. Mais ne lui parlez pas de José Miguel Gonzalez Martin del Campo. Alias Michel, aujourd’hui à Marseille. Cet entraîneur ne l’avait pas inclus dans la liste de joueurs pour la campagne de Ligue des Champions.

 » Ça a été une grande déception, d’autant que le coach ne m’avait pas prévenu et que, pour moi, c’était une évidence d’être dans cette liste « , a dit le joueur. De la Grèce, il retient aussi une interruption du championnat qu’il avait publiquement contestée, suite à de graves incidents lors d’un match entre l’Olympiacos et le Panathinaikos – à côté de ces derbies, un Charleroi – Standard est de la toute petite bière.

 » Qu’ils suspendent le club fautif, le Panathinaikos « , avait-il lancé.  » Pourquoi tout arrêter ? Je ne comprends pas. L’usage d’engins pyrotechniques est quasi constant dans les stades grecs, c’est juste déplorable. Et dans des derbies bouillants, ça tourne rapidement au bordel. Des projectiles en tous genres sont jetés sur les bancs adverses et ça peut vite dégénérer.  »

Mercredi 11 novembre, Tom Saintfiet décroche alors qu’il est en route vers une conférence de presse où il va préfacer deux matches capitaux pour son équipe du Togo. Cet entraîneur est l’un des plus grands globe-trotters de l’histoire du foot belge. Il a déjà travaillé (liste non exhaustive) aux Iles Féroé, au Qatar, en Finlande, en Namibie, au Zimbabwe, en Jordanie, en Ethiopie, en Tanzanie, au Yémen, au Malawi, en Afrique du Sud,…

Il est à la tête des Eperviers togolais depuis le printemps de cette année. Le lendemain de notre coup de fil, ils affrontent l’Ouganda, à Lomé. Match retour trois jours plus tard chez les Ougandais. Le vainqueur disputera les qualifications pour la Coupe du Monde. Pour le vaincu, ce sera déjà terminé. Au niveau de la prochaine CAN, c’est bien parti pour le Togo, qui a gagné ses deux premières rencontres.

Matthieu Dossevi est donc à Lomé quand on appelle son coach national. Dites Capitaine Dossevi.  » Oui, je lui ai donné le brassard dès que j’ai été nommé « , nous explique Tom Saintfiet.  » Et ça a créé une grosse polémique. Emmanuel Adebayor était choqué, il estimait que le brassard lui revenait. D’autres internationaux ne comprenaient pas que je mise sur un joueur encore nouveau dans le groupe, avec très peu de matches internationaux à son compteur.

Il y a des gars qui ont 40 ou 50 sélections, ils estimaient qu’ils devaient être prioritaires par rapport à Dossevi si je n’avais plus envie d’avoir Adebayor comme capitaine. La presse togolaise s’est déchaînée. En plus, Matthieu Dossevi n’était pas considéré comme un vrai Togolais, plutôt comme un Français qui avait simplement accepté quelques mois plus tôt de jouer pour le Togo. Mais il n’a pas eu besoin de beaucoup de temps pour se faire accepter.  »

Dossevi, variante footballistique de l’épervier au vinaigre, en quelque sorte.

 » ÉDUQUÉ POUR CENTRER, PAS POUR MARQUER  »

Pour Saintfiet, le Standardman est un leader, un boss, un exemple. Et même un excellent joueur de foot.  » Je pars du principe que le capitaine doit être mon prolongement, mon bras droit, un coach sur le terrain. Dossevi le fait très bien parce qu’il a tout ce qu’il faut pour le faire ! C’est un pro exemplaire. Il a le sens de la discipline. Il communique, aussi bien avec les arbitres qu’avec ses coéquipiers.

Il a une intelligence supérieure, je peux parler de tout avec lui, et il contrôle parfaitement ses émotions. Il prend constamment ses responsabilités, sur les coups francs et les corners par exemple. Et, tactiquement, il est très fort. J’ai quatre ou cinq joueurs qui sont sûrs de leur place, il est dedans.  »

A entendre son sélectionneur, son foot n’a qu’un seul bémol :  » Il n’est pas assez égoïste, je lui en ai déjà parlé plusieurs fois. Ce n’est pas normal qu’un joueur avec autant de qualités marque aussi peu de buts. Il faut regarder ses statistiques, aussi bien en Grèce qu’en France, c’est frappant. Il devrait en mettre au moins huit ou neuf chaque saison mais il est loin du compte parce qu’il passe son temps à essayer de donner des bons ballons au lieu de tenter lui-même sa chance.

C’est comme s’il avait été éduqué pour centrer et pas pour marquer. C’est un excellent technicien, il dribble facilement, il sait garder un ballon, il a les bonnes lignes de course, bref il doit être plus décisif devant la cage. Il doit arrêter d’être seulement l’homme de la bonne passe.  »

Une preuve que Dossevi est le leader décrit par Saintfiet ? Extrait de son debriefing d’un match avec le Togo, alors qu’il était encore tout nouveau dans le groupe. Saintfiet n’était pas encore en poste et la CAN venait de se disputer sans les Eperviers.

 » On ne met pas tout à notre disposition pour accomplir notre tâche. Comme avoir un entraîneur et un staff dignes de ce nom. Ou pouvoir jouer sur une pelouse de qualité à domicile. Avec un peu plus de professionnalisme et d’encadrement, les choses pourraient changer et le Togo pourrait jouer les premiers rôles sur la scène africaine. Nous ne sommes pas inférieurs aux autres pays, mais si on se contente toujours de faire les choses à peu près, ce sera difficile.  »

Saintfiet ne peut que nous confirmer cet à peu près :  » Je comprends le discours de Matthieu Dossevi. Un exemple : je sais qu’il vient de jouer un tout bon clasico contre Anderlecht mais j’ai dû me contenter de voir ce match sur Internet parce que la fédé togolaise n’a pas les moyens d’envoyer son coach national en scouting en Europe, où se trouvent beaucoup d’internationaux. J’aurais voulu qu’on joue deux matches amicaux en octobre pour préparer au mieux les rencontres décisives contre l’Ouganda mais ça n’a pas été possible.

On joue là-bas dans quatre jours mais on ne sait toujours pas comment on y va. Rien n’a encore été réglé au niveau du transport, on me parle d’un jet privé mais ça reste une incertitude. On ne reçoit pas toujours des équipements pour l’entraînement. Et bien souvent, les internationaux qui sont en Europe ne débarquent ici que deux jours avant les matches. Ça cause énormément de frustration dans le staff et dans le noyau. Je comprends que ça énerve un pro comme Dossevi.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Pas normal qu’un joueur avec autant de qualités marque aussi peu. Il doit arrêter de vouloir être simplement l’homme de la bonne passe.  » TOM SAINTFIET, SÉLECTIONNEUR BELGE DU TOGO

 » On disait que je courais plus vite que les chiens.  » PIERRE-ANTOINE DOSSEVI, PÈRE DE MATHIEU

 » Dans des derbies bouillants à Athènes, ça tourne rapidement au bordel.  » MATTHIEU DOSSEVI

 » Les supporters de Valenciennes exigeaient que chaque joueur mouille son maillot et ils ne retrouvaient pas ça chez Dossevi. Je ne le trouvais plus très concerné.  » ARIEL JACOBS

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