ENTRE DEUX EAUX

Médian droit avec la Belgique en Turquie, le Liégeois est redescendu au back avec les Mauves à Saint-Trond.

C’est Georges Leekens, en charge des Buffalos en 2006, qui avait eu l’idée de faire reculer Guillaume Gillet de son poste de milieu offensif pour l’aligner au back droit. Long Couteau devait trouver une solution de rechange, à cette position, pour Sandy Martens, un autre attaquant qu’il avait reconverti à l’arrière latéral, mais qui allait être indisponible pour un bon bout de temps. Aux yeux du coach, personne dans le noyau gantois n’était capable de faire davantage l’affaire que le jeune Liégeois, âgé alors de 22 ans et qui alliait à un souffle inépuisable des qualités techniques supérieures à la moyenne ainsi qu’un sens inné du jaillissement.

Quatre années plus tard, mais dans le contexte plus huppé des Diables Rouges, c’est le même mentor qui a permis au joueur d’étrenner sa toute première cap à sa place de prédilection, celle de médian. A l’occasion de ses onze présences antérieures en sélection, l’Anderlechtois avait toujours dû se contenter du rôle d’arrière-aile. Avec, il faut bien l’avouer, des fortunes pour le moins diverses. Ainsi, la dernière répétition générale avant l’entrée en matière de nos représentants dans le cadre de l’EURO 2012, face à l’Allemagne, s’était soldée par un bide pour pas mal d’internationaux en Finlande. Dont Gillet qui s’était fait prendre à plus d’une reprise dans le dos.

Face à la Mannschaft, l’entraîneur fédéral n’eut d’autre alternative que de recourir à un énième plan pour tenter de trouver la parade sur le flanc droit de la défense : le décalage de Toby Alderweireld, pourtant habitué à jouer dans l’axe à l’Ajax Amsterdam. Un stoppeur recadré, ce n’était pas nouveau au sein du team Belgique. On se souviendra que sous René Vandereycken, Vincent Kompany, notamment, avait été essayé dans ce secteur. Et que sur l’autre flanc on essaya, ces derniers mois, Nicolas Lombaerts puis Thomas Vermaelen.

Avec Alderweireld face à l’Allemagne, il n’y avait plus de place pour Gillet, qui ne fut même pas repris sur la feuille de match. Auteur d’une bonne prestation, l’Ajacide était logiquement reconduit contre les Turcs. Avec une nouvelle tête devant lui toutefois, car pour remplacer Eden Hazard, légèrement blessé, Leekens tabla sur les accélérations de son ex-joueur gantois à droite. Bien vu car Gillet aura été près d’offrir le 0-2 à la Belgique sur une contre-attaque menée à la vitesse de l’éclair. Reste que sa performance globale ne fut pas sans tache : c’est lui qui, pour avoir attendu le ballon sur un service d’Alderweireld, fut à la base du but égalisateur des Turcs. Après l’exclusion de Kompany, le Liégeois fut souvent appelé à prêter main forte derrière, à l’instar de Jan Vertonghen. Avec un succès pour le moins mitigé aussi car dans le couloir gauche, Arda continua à se révéler un véritable poison.

Retour en défense

Trois jours après avoir défié les Turcs à Istanbul, Gillet retrouvait un autre enfer : celui du Stayenveld. L’année dernière, pour le compte de la même 6e journée, il y avait été titularisé aux côtés des Argentins Lucas Biglia et Matias Suarez dans la ligne médiane. Comme arrière droit c’est Ondrej Mazuch qui avait obtenu la préférence, alors qu’il avait toujours joué dans l’axe. L’essai ne fut pas concluant et les Mauves courbèrent l’échine : 2-1. Dès ce moment, l’entraîneur Ariel Jacobs se prononçait définitivement en faveur de Gillet au back.

Samedi passé, le n°30 reprenait sa place dans un quatre arrière qui avait subi une modification avec la présence du Hondurien Victor Bernardez au détriment de Mazuch, sur le banc. Le Sporting se mit vite à l’abri : après une demi-heure de jeu, Romelu Lukaku avait déjà fait trembler les filets adverses à deux reprises. Durant cette première phase, Gillet se borna à contenir son opposant direct Pape Abdou Camara avec un marquage parfois trop lâche à la clé ou une erreur de positionnement qui reste son péché mignon.

Suite à l’évolution du score, le Liégeois s’enhardit, surtout en deuxième mi-temps. Une période où, avec son opposant sénégalais à ses basques, il se permit quelques incursions dans le camp local, pour titiller Yannick Rymenants. Après la montée au jeu de Cheikhou Kouyaté au détriment de Lukas Marecek, il retrouva aussi un complice avec qui les automatismes étaient plus rodés à droite. Du coup, le back volant délaissa plus souvent ses bases pour créer le surnombre au milieu. Un petit jeu risqué, toutefois, car le rusé Ibrahima Sidibe profita par moments des espaces libérés dans son dos pour placer quelques banderilles. Mais elles restèrent sans suite.

Deux matches en l’espace de quelques jours pour Gillet. A deux positions différentes, avec des résultats aux antipodes l’un de l’autre. Et qui trustent toujours leur lot de questions concernant le joueur.

Peut-il encore apprendre les ficelles du métier au back ?

A 26 ans, on peut se demander si le Liégeois, qui a toujours été offensif dans l’âme, peut vraiment se muer en un back des plus fiables. L’intéressé est affirmatif :  » Cette place n’est pas tout à fait neuve. J’avais 22 ans lorsque Leekens m’y a aligné. Même si je ne m’y suis pas fixé, j’ai eu l’occasion d’acquérir certains fondamentaux. J’accuserai toujours un déficit par rapport à ceux qui ont été habitués. Mais il n’est pas trop tard. J’ai suivi attentivement les prestations de Sergio Ramos, Philipp Lahm et Maicon à la Coupe du Monde. Leurs qualités, au départ, se situaient sur le plan offensif mais ils ont développé des aptitudes défensives aussi. Je veux m’inspirer de leur exemple. Je sais que mon jeu de position est encore très perfectible. Je m’y applique en visionnant pas mal de vidéos. J’ai le sentiment de progresser mais le parcours est long. J’ai du retard. Mais cette tâche ne m’effraie pas. Je veux saisir ma chance au back, même si je ne renierai jamais les bons moments que me procure un positionnement plus haut.  »

 » J’avais 22 ans au moment où Paul Van Himst m’a fait descendre au back droit « , observe Georges Grün, actif au RSCA de 1982 à 90 et de 1994 à 96.  » Par le plus pur des hasards, comme Gillet. Etant donné la carrière que j’ai faite après coup, je ne pense pas qu’il doive se faire du souci. Le plus important pour lui, c’est de mettre le maximum d’atouts dans son jeu au back. Moi-même, j’ai vite mesuré ma chance. Un cran plus haut, j’étais bloqué par des joueurs comme Frank Arnesen, Per Frimann ou Arnor Gudjohnsen. Comme arrière latéral, je n’avais que Wim Hofkens comme rival. Ce n’était pas le même calibre et j’ai bossé pour obtenir une place de titulaire. Il n’en a pas été autrement quand je suis passé à Parme. Entre 28 et 30 ans, j’ai probablement appris plus là-bas qu’au cours de toutes mes années belges. Il n’est jamais trop tard pour emmagasiner des connaissances. Le plus important, c’est l’envie. Et quand je vois les perspectives pour le joueur, tant à Anderlecht qu’en sélection, il serait vraiment dommage qu’il ne persévère pas « .

Quelle est sa meilleure place ?

Gillet apprécie les grandes chevauchées vers le but adverse. Si elles se révèlent payantes de temps en temps, elles présentent pas moins un danger certain en cas de perte de ballon. A choisir, ne vaut-il pas mieux qu’elles se passent loin de son propre but, de quoi plaider en faveur d’un rôle de médian ? Ou bien cette faculté de jaillir de plus loin, comme arrière latéral, est-elle plus indiquée encore ?

Georges Heylens, back droit des Mauves de 1960 à 73 :  » Il y aura toujours un problème avec Guillaume. Ce garçon n’a jamais été amené à penser défensivement durant toutes ses années de formation. Il en résulte de très graves lacunes qui se paient malheureusement cash. Quelques exemples récents : au Parc Astrid, son erreur de positionnement sur le deuxième but du Partizan coûte ni plus ni moins l’élimination. Dommage car c’est le même joueur qui avait mis les siens sur orbite en Serbie sur une de ses infiltrations et avait marqué à Anderlecht. Mais autant il a du flair pour se projeter vers l’avant, autant il manque de repères dans le jeu de position et le travail défensif. En Turquie, c’est parce qu’il attend le ballon, sur un service d’Alderweireld, qu’Ardan en profite pour déstabiliser la défense et offrir le but égalisateur. Par la suite, le même opposant affolera d’ailleurs encore souvent tout notre flanc droit. Gillet a trop tendance à suivre le ballon plutôt que l’homme. Sur un centre, il s’intéresse au point de chute du cuir, sans se soucier qu’un adversaire soit capable de surgir pour couper la trajectoire. Il part trop du principe, aussi, que la balle sera dégagée et a dès lors la fâcheuse propension de quitter ses bases avant que ses coéquipiers ne fassent le ménage. Avec toutes les conséquences fâcheuses que l’on devine quand on ne parvient pas à dégager. La question qui se pose n’est pas de savoir si Gillet est davantage taillé pour telle ou telle place. Au Sporting de toute façon, la différence n’est pas grande. Comme demi, on a 60 % de travail offensif à effectuer pour 40 % de tâche défensive. A l’arrière, sur le flanc, ces proportions sont inversées. Et si Guillaume fait l’unanimité pour son apport offensif, il faut bien avouer que beaucoup reste à faire sur le plan défensif.  »

Est-il tributaire du système ?

Gillet a sans nul doute livré son meilleur match, cette saison, au Partizan Belgrade. Ce soir-là, Jacobs, avait opté pour une arrière-garde à cinq dont le Liégeois et le Tchèque Jan Lecjaks occupaient les flancs. En raison du peu d’entrain de l’adversaire, manifestement incapable de faire le jeu, le schéma tactique eut tôt fait de se muer en un 3-4-3 avec les deux compères évoluant un cran plus haut. C’est eux d’ailleurs qui avaient été à la base du premier but des Mauves : un centre au cordeau de la nouvelle recrue repris imparablement de la tête par l’autre.

 » Prendre seul le flanc à son compte, c’est peut-être une idée à creuser concernant Gillet « , remarque Gilbert Van Binst, ex-back droit d’Anderlecht de 1968 à 80.  » Bertrand Crasson avait joué à un très haut niveau aussi dans un dispositif analogue au moment où Aimé Anthuenis était le coach du Sporting. En principe, il était censé être épaulé par Alin Stoica. Mais le Roumain préférait graviter dans l’axe et le Berre devait gérer seul la situation sur son flanc. Ce qu’il fit de maîtresse façon car il savait parfaitement quand il devait assurer le surnombre ou non. Et quand il montait, c’était souvent payant. Le 3-4-3 est parfaitement possible en championnat, vu que l’adversaire se présente rarement à visière découverte. Dans ce système, Gillet bénéficierait non seulement d’une grande liberté d’action mais il pourrait compter également, en cas de perte de balle intempestive, sur l’aide de deux joueurs : Kouyaté et ses grands compas, qui lui permettent d’aller chercher aisément un opposant et Mazuch derrière. Le 3-4-3 est préférable, selon moi, à un 4-4-2 et sans doute Jacobs est-il de cet avis aussi. Car Anderlecht doit toujours tenter d’exploiter à fond la géométrie du terrain. Pour ce faire, il a besoin de pénétration sur les ailes, avec Mbark Boussoufa d’un côté et Matias Suarez ou Jonathan Legear de l’autre. A mes yeux, Gillet serait moins performant dans ce rôle-là, car il n’a pas le sens du but aussi aiguisé que l’Argentin ou la pointe de vitesse de son copain liégeois.

L’idéal, pour moi, reste une association entre les deux joueurs principautaires à droite avec une couverture dans le dos. Vu leur jeune âge, ils seraient partis pour s’inscrire tous deux dans la durée, aussi bien à Anderlecht qu’en équipe nationale. Quant à leur positionnement en perte de balle ou sur offensive adverse, il n’est pas trop tard pour y remédier. Ce n’est qu’à partir de 27 ou 28 ans que j’ai maîtrisé tous les paramètres de mon rôle. Gillet ne doit donc pas désespérer « .

Gillet a trop tendance à suivre le ballon plutôt que l’homme. (Georges Heylens)Prendre seul le flanc à son compte, c’est peut-être une idée à creuser concernant Gillet. (Van Binst)

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