» Je ne peux sauver l’Afrique mais je peux l’aider « , dit le défenseur des Limbourgeois et du Cameroun.
Pendant que les Diables Rouges de Genk essuyaient une raclée à Lisbonne, Eric Matoukou (23 ans) est retourné à Yaoundé, la capitale de son pays, avec plus de succès. Vainqueur 3-1 du Libéria, le Cameroun totalise le maximum des points et reste en course pour la Coupe d’Afrique des Nations au Ghana en janvier 2008. Il nous livre ses proverbes africains préférés.
Plus haut grimpe le singe dans l’arbre, mieux on voit son derrière.
» Plus on arrive dans la vie, plus on se fait remarquer. En équipe nationale, si quelque chose ne tourne pas, la presse en attribue la faute aux jeunes. Elle n’attaque pas les plus âgés,… qui m’ont conseillé de ne pas broncher. Ces navettes ne sont pas des vacances. Nous ne nous rendons à Yaoundé que pour les matches à domicile. Sinon, nous nous retrouvons à Paris, d’où nous nous envolons vers le pays de notre adversaire. Lors des rencontres à domicile, je peux rentrer deux fois à la maison : avant le match puis après, pour une demi-journée.
Si je n’étais pas devenu footballeur, j’aurais aimé suivre les traces de mon père adoptif qui est policier. Son métier me fascine. J’aime le suspense. Mon père naturel, lui, vit en Allemagne. Ma mère a été enceinte de lui très jeune. Footballeur, il a émigré en Europe. Mes parents ne se sont jamais mariés, pas plus qu’ils n’ont vécu ensemble après ma conception. Ma mère a tenu un commerce puis a fait la connaissance d’un autre, commandant de police à Yaoundé. C’est là que j’ai grandi. Je vois régulièrement mon père naturel, qui habite à Bonn. Il assiste à tous mes matches. Je viens encore de lui apporter de la nourriture africaine, des épices, des sauces qu’on ne trouve pas ici « .
Ce n’est pas la hauteur de laquelle vous tombez qui compte mais la façon dont vous vous relevez.
» Nous avons déjà reçu quelques claques cette saison mais nous nous sommes toujours relevés. Moi, je me suis débarrassé de mon côté sauvage. En Afrique, nous taclons sans vergogne. Ici, cela m’a valu une carte tous les deux matches environ. J’essaie d’être plus prudent, de mieux lire le jeu. Ma vie privée est plus calme aussi. Je suis un enfant des rues. En Afrique, à peine levé, j’étais dehors. Je n’avais pas toujours à manger mais je l’oubliais en jouant. Il resterait peut-être quelque chose le soir, avant le coucher. Ma vie est mieux réglée ici. Quand je suis dans le creux, je me rappelle mon enfance et j’y puise des forces. Quand je vois tout ce que vous avez… Et pourtant, vous n’êtes jamais contents alors que nous sommes si heureux… (Il montre un verre d’eau, sur la table). Beaucoup d’Africains n’ont même pas ça et pourtant, ils se lèvent en riant, s’amusent toute la journée et oublient leur misère. Ceci dit, la violence règne. Ici, elle est plutôt verbale. Nous, nous frappons avant de discuter (il rit) « .
Chaque goutte d’eau suit son chemin.
» Retournerai-je en Afrique, plus tard ? J’en discute parfois avec mon amie. Je suis amoureux de l’Afrique, mais j’ai un fils. D’autres enfants suivront peut-être et ils auront la mentalité européenne. Ma femme est issue d’une union mixte : son père est camerounais, sa mère flamande. Ce n’est pas si simple. L’Europe offre plus de stabilité, de certitudes, de structures. Chez nous, tout est acheté. Avec mon argent, je reviendrais au Cameroun en patron mais je devrai m’acheter une structure ( il rit). C’est aussi cela, l’Afrique. Les riches doivent se protéger « .
La mort d’un vieil homme, c’est la perte d’une bibliothèque.
» Tous ces êtres forts, hommes et femmes, qui ne peuvent plus transmettre leur expérience… Ici aussi, vous avez perdu un être d’expérience. Ce vieil entraîneur qui a dirigé Marseille… Oui, Raymond Goethals ! Le noyau de Genk est jeune mais s’est bien tiré d’affaire. La communication avec le staff technique, celui qui détient cette fameuse expérience, est meilleure que la saison passée. Là, un moment donné, certains se croyaient meilleurs qu’ils n’étaient. Le discours de l’entraîneur n’était pas toujours très clair non plus. Parfois, j’avais bien joué mais je sentais que ma performance n’était pas perçue ainsi. Je compare les footballeurs aux femmes : il faut leur répéter tous les jours qu’elles sont belles pour leur insuffler confiance. Un entraîneur doit veiller à ce que ses joueurs soient en confiance, leur dire qu’ils sont les plus forts, qu’il leur fait confiance. C’est le cas actuellement. L’entraîneur a toujours évolué à ma position. A l’entraînement, je remarque qu’il sait très bien comment je dois me mouvoir, ce que je dois faire. J’ai vu une vidéo de lui. Il avait réussi deux fameux tacles. Il n’était pas vraiment raffiné. (Il éclate de rire). Ses fautes étaient… dangereuses. Mais elles illustraient son engagement « .
Les gens n’aiment pas leurs congénères mais leur argent.
» Quand je retourne à Yaoundé, beaucoup de gens s’intéressent à ma personne parce qu’ils me connaissent depuis longtemps mais d’autres me font la fête parce qu’ils savent que je joue en Europe et que j’ai de l’argent. Ici, on comprend mal que je leur donne de l’argent. Désolé mais cela fait partie intégrante de notre culture. Je suis incapable d’agir autrement. Samuel Eto’o ne peut plus marcher en rue sans protection. Il vient d’acheter 5.000 lits pour les prisons de Yaoundé et de Douala. Ici, on dirait que ce n’est pas le boulot d’un footballeur. Je joue à Genk, je ne puis acheter 5.000 lits, pas plus que je ne puis sauver l’Afrique. En revanche, je peux l’aider, par exemple en offrant des ballons à des jeunes footballeurs « .
Celui qui flatte le crocodile peut se baigner tranquillement.
» Si je sais que quelqu’un est mauvais, qu’il est un bandit, je dois tenter d’être son ami. A Yaoundé, je sais que des gens peuvent tout me prendre. Je ne suis pas obligé de les apprécier mais si je leur donne quelque chose, je serai en sécurité « .
Le derrière d’une femme est plus doux que sa tête.
» Les femmes sont très importantes. Elles sont dures, parfois entêtées mais aussi tendres et douces. Elles apportent stabilité et sérénité. Mon amie s’appelle Rita. Avec notre petit, Marcel, âgé de quatre mois, elle m’aide à être plus serein. Je dors plus, je me concentre mieux sur mon sport. La polygamie est autorisée dans mon pays. Mon grand-père avait trois femmes et 22 enfants, dont ma mère. Les femmes font tout pour être séduisantes mais la polygamie n’est pas nécessairement une affaire d’amour. C’est, ou c’était, la loi du plus fort. En Afrique, le riche tue le pauvre. Celui qui est riche peut tout se permettre, y compris plus d’une femme. A mes yeux, c’est porter préjudice aux qualités d’un être humain, à son essence. La femme a la même valeur que l’homme mais chez nous, la tradition place l’homme au-dessus d’elle « .
par peter t’kint- photos reporters
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