En rénovation

Grâce au Real Madrid, Ottmar Hitzfeld a rendu son élan à des Bavarois en ruine et vise un troisième sacre en Ligue des Champions.

Lorsque Roy Makaay a propulsé le ballon dans les filets madrilènes, quelques secondes après le coup d’envoi d’un des matches-phares des huitièmes de finale retour, Ottmar Hitzfeld (58 ans) a bondi de joie avant de recomposer son masque de sérénité, de concentration et d’assurance. Au terme de la rencontre et d’une qualification arrachée de justesse malgré un grand nombre d’occasions de but, seul un sourire un rien hébété a trahi son bonheur. En sept semaines, le successeur de Felix Magath a extirpé le Bayern de sa crise. Il a vaincu le Real, pour la sixième fois en dix confrontations et a relancé l’équipe bavaroise dans la course au titre en Bundesliga.

Gentleman accompli, Hitzfeld ne s’égare pas dans des gestes exubérants et ne se perd pas dans des déclarations fracassantes. Il n’a pas opéré de bouleversements de palais au Bayern. Il y est arrivé trop tard pour effectuer des transferts. Pourtant, il a réussi à sublimer une équipe qui n’en était plus une et à résoudre les problèmes engendrés par le départ de MichaelBallack. Il a réussi là où Magath, son… successeur embauché en juillet 2004 pour rendre du physique à l’équipe, se cassait les dents depuis le début de la saison. Hitzfeld est mesuré mais il a d’emblée exposé ses objectifs :  » Gagner la Ligue des Champions. Il faut toujours poursuivre les objectifs les plus élevés. J’ai confiance en ce noyau, s’il se livre à 100 %. A certains moments, y compris lors des premiers matches sous ma direction, il manquait 10 % de volonté et de passion. Eliminer le Real est toujours un exploit. Il va nous conférer l’élan nécessaire pour refaire notre retard en championnat. Oui, nous pouvons briguer le titre également « .

L’euphorie de la qualification a été quelque peu tempérée par le tirage au sort des quarts de finale puis par un match nul contre le Werder Brême, que Hitzfeld considère, bien plus que Schalke 04, l’actuel leader, comme son rival le plus coriace. Pourtant, il ne se laisse pas démonter :  » A ce stade de la Ligue des Champions, dites-moi quel concurrent est abordable ? Nous sommes confiants, d’autant que nous jouerons sur nos terres au match retour. Nous avons tiré une grande leçon de notre déplacement au Real : nous étions endormis à l’entame du match. Or, il faut prendre d’emblée l’adversaire à la gorge. Nous l’avons fait au match retour puis contre le Werder. Nous avons ensuite raté l’occasion de mener 3-0 et de tuer le match mais il nous reste neuf journées « .

Or, le Bayern n’est jamais meilleur que lorsqu’il se trouve dos au mur, surtout lorsqu’il est entraîné par un certain Hitzfeld. Le Bayer Leverkusen et Schalke 04 conservent un souvenir cuisant de leur mano a mano avec le Bayern. Tous deux comptaient une large avance à la trêve, avant que le Bayern ne place son accélération et n’engrange les points alors que ses rivaux se laissent envahir par la panique. Ils se sont fait coiffer lors de la dernière journée, dans les ultimes secondes dans le cas de Schalke 04. Hitzfeld ne se commet pas dans cette guerre des nerfs. Il peut compter sur un allié de choix : Uli Hoeness. Le manager du Bayern ne s’embarrasse pas de subtilités. Il n’a pas son pareil pour mettre la pression sur ses rivaux, voire les diviser, d’une remarque cinglante. Cette saison, il n’est pas encore sorti du bois. Sans doute guette-t-il le moment propice…

Les criantes limites de Magath

Le Bayern n’a pas pour habitude de remercier ses entraîneurs en cours de saison. Il ne l’avait plus fait depuis 1996, quand Franz Beckenbauer en personne avait remplacé Otto Rehhagel et avait remporté, dans la foulée, la Coupe UEFA contre Bordeaux. C’était le premier sacre européen du Bayern en 20 ans, depuis ses trois victoires consécutives en C1 de 1974 à 1976. Si Rehhagel avait été incapable à l’époque de gérer les stars du Bayern et de s’imposer face aux monuments de la direction, Magath, lui, restait sur deux saisons brillantes. Il avait rendu du physique à l’équipe et avait réalisé le doublé Coupe/championnat à deux reprises. Sur la scène européenne, en revanche, le Bayern s’était fait plus discret.

Il a entamé une cure de rajeunissement et privilégie de jeunes talents allemands issus de son école, réputée. Philipp Lahm, Christian Lell, Stephan Fürstner, Andreas Ottl, Bastian Schweinsteiger ont moins de 25 ans – comme Lukas Podolski, transféré de Cologne. Mais ces joueurs ne sont pas encore des éléments porteurs. Le Bayern a probablement sous-estimé l’impact de Ballack sur l’équipe. Jamais Magath n’a trouvé de système apte à pallier le départ du médian offensif. Il a misé sur Schweinsteiger, alias Schweini. En vain : pas plus que Mark van Bommel, enrôlé à cette fin, Schweini n’évolue dans le même registre que Ballack. En janvier, Beckenbauer a donné de la voix, essentiellement pour protéger son jeune médian des foudres de l’entraîneur, relayées par la presse :  » Bastian n’est pas un meneur. Il ne faut pas l’aligner à ce poste « . Magath aurait mieux fait de ne pas contredire publiquement le Kaiser. Cet incident, joint à un retard de onze unités sur le leader, fin janvier, et à une déclaration surréaliste après un nul à Bochum ( » Je décèle de nombreux progrès « ) lui ont coûté son poste.

Tout a commencé avec le départ de Ballack. Schweinsteiger et Van Bommel évoluent dans un autre registre, AliKarimi et JulioDos Santos n’ont pas le niveau requis, Mehmet Scholl est trop âgé pour assumer ce rôle en permanence. Aucun d’entre eux n’a le sens du but de Ballack, même pas si on additionne leurs statistiques ! Magath n’a pas réussi à reformer un puzzle cohérent. Au fil des semaines, l’ensemble du jeu s’est détraqué. La défense ne communiquait pas assez, l’entrejeu manquait de créativité et était incapable de changer de rythme. En attaque, ClaudioPizarro, Makaay et Podolski étaient décevants, souvent aussi mal servis. La solidarité a disparu d’un groupe en proie au doute et… à quelques problèmes personnels. Nul ne s’est plus érigé en meneur, nul n’a secoué ses coéquipiers. Lucio rêvait du Real et de la Seleçao, WillySagnol était en butte à des problèmes privés, OwenHargreaves a été blessé quatre mois, Daniel Van Buyten n’est pas reconnu comme leader et Sebastian Deisler, qui souffre de dépression depuis deux ans, a raccroché pendant la trêve. De son but, Oliver Kahn a assisté, impuissant, à la déglingue générale. Fait révélateur du malaise, ce battant qui n’hésitait pas, dans le passé, à secouer, verbalement mais aussi physiquement, ses coéquipiers coupables de manquer d’engagement, s’est muré dans un silence résigné.

Partisan des méthodes dures, Magath, surnommé Qualix (de l’allemand quälen, tourmenter, martyriser), a-t-il épuisé et lassé ses footballeurs ? Medicine-ball, pompages, ascensions de montagnes contre le chrono, séances de course à l’avenant. Tactiquement, il a tâtonné avant de tenter d’imposer un schéma impossible, à coup de répétitions. Il semble qu’en octobre déjà, des joueurs se soient plaints de la monotonie de ses entraînements auprès d’Uli Hoeness. En décembre, alors que le Bayern était en chute libre, il s’intéressait à… la chevelure de certains de ses footballeurs, sommés d’aller se faire couper les cheveux.

Le renouveau des gueulards

 » J’ai quelques chantiers « , avait commenté Hitzfeld début février. Ceux-ci sont en bonne voie. Le Bayern a retrouvé sa pugnacité, sa discipline, l’organisation qui a toujours fait sa force. Lucio et Van Buyten, les deux défenseurs centraux, ne peuvent plus courir où bon leur semble. Les consignes sont claires, adaptées aux qualités et aux limites de chacun.

Les leaders naturels de l’équipe, Kahn et Makaay, font à nouveau entendre leur voix. Comme dans ses meilleurs jours, le portier a secoué Van Buyten au vu et au su de tous. Il a également fustigé la mentalité des jeunes, entre les deux confrontations du Bayern et du Real :  » Il serait temps que certains fassent honneur à leur maillot et que la génération plaisir apprenne ce que sérieux et professionnalisme impliquent. J’en ai marre de prendre des raclées. Nous devons nous battre comme si nous luttions contre la rétrogradation jusqu’à la dernière minute de la saison. C’est une question de caractère. Nous avons besoin d’hommes, de vrais « . L’entraîneur et son relais ont été entendus. L’avance de Schalke 04, du Werder Brême et du VfB Stuttgart a fondu.

Le Bayern ne s’est jamais laissé entraîner dans des dépenses somptuaires. Il n’a jamais couru le moindre risque financier. Il est un modèle de gestion. Il devra pourtant puiser dans sa cassette. L’administrateur délégué Karl-Heinz Rummenigge a annoncé une enveloppe de 30 millions d’euros. Le Bayern a besoin de stars à sa mesure. Il gagnerait aussi à revoir le fonctionnement de la cellule de scouting de Wolfgang Dremmler. Après l’Euro portugais, le Bayern n’a pas voulu de Deco, qui brille à Barcelone. Il a préféré Santa Cruz à Kaka. Diego n’était que réserve à Porto, donc pas digne du Bayern. Il fait les beaux jours du Werder, comme MiroslavKlose, Tim Borowski et ValérienIsmaël. Trop impatient, le Bayern a cédé PiotrTrochowski au HSV. Le joueur s’y est épanoui et est devenu international…

par pascale piérard – photos : reporters

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