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« En foot, la préparation mentale est sous-développée »

François Dutry, préparateur mental freelance spécialisé en football, aimerait que chaque club de foot professionnel dispose d’un coach mental. Un monologue.

« Un résultat dépend de nombreux facteurs : outre les aspects technique, tactique et physique, le mental joue un rôle. Et l’un influence l’autre car tout se tient. Lorsque j’ai remis de l’ordre dans la tête de Harlem Gnohéré, à la demande de Charleroi, j’ai travaillé en collaboration avec le préparateur physique. Cela permet d’imaginer des exercices ensemble. Si, dans un staff, tout le monde travaille de son côté, où sont les synergies nécessaires à l’obtention du meilleur résultat possible ?

Aujourd’hui, tout le monde reconnaît l’importance d’une préparation mentale optimale mais, en football, cet aspect est encore largement sous-développé par rapport aux autres disciplines. Quand j’entends dire qu’il n’y a pas de moyens pour cela, je rigole car tout le monde connaît les montants qui circulent dans le milieu.

Certains entraîneurs disent qu’ils peuvent s’en charger et la plupart d’entre eux sont forts mais ils ne comprennent pas qu’un coach mental utilise des outils spécifiques qui peuvent être d’un grand secours et booster les résultats. Prenez l’entraîneur du Stade de Reims, David Guion. Il est titulaire d’un diplôme en préparation mentale mais, malgré cela, il fait encore appel à un spécialiste.

Un T1 n’aura jamais la même relation qu’un coach mental avec les joueurs car c’est lui qui décide de qui joue ou pas, il y a un rapport de forces pratiquement similaire à celui qui existe entre un employeur et un employé. Certains entraîneurs craignent que je fasse leur travail, que je fasse des discours avant le match et au repos. Mais ce n’est pas mon rôle. Je suis là pour tenter d’améliorer les prestations individuelles et collectives.  »

Déterminer le profil individuel

 » La base de mon travail consiste à déterminer comment chaque joueur fonctionne mentalement. Dans quelle mesure sépare-t-il le rêve de la réalité ? Connaît-il ses points forts et ses points faibles ? Sait-il ce qu’il doit faire pour atteindre ses objectifs ? C’est un travail de prise de conscience et de motivation qui sert à renforcer la motivation intrinsèque.

Celle-ci est beaucoup plus forte que les motivations externes comme l’argent, la famille ou les supporters. La motivation intrinsèque, c’est le moteur. Pour moi, c’est du développement humain. Quand une personne se connaît mieux, elle se gère mieux, elle interagit davantage avec les autres et elle obtient de meilleurs résultats.

Les prestations en dents de scie dépendent de la confiance en soi ou de facteurs externes. C’est également un point important pour nous, tout comme la gestion des émotions, de la pression, du stress et des frustrations.

En déterminant le profil individuel, on permet à l’entraîneur de comprendre comment il doit communiquer avec chaque joueur car nous sommes tous différents. Si on veut optimiser les prestations, il est nécessaire d’avoir une approche individuelle au sein du collectif, comme cela se fait déjà sur le plan physique.

Quand j’ai obtenu mon diplôme de préparateur physique, il y a 22 ans, seuls quelques clubs travaillaient avec un préparateur physique spécifique et chaque joueur faisait la même chose. Les plus costauds s’ennuyaient et les plus faibles étaient toujours dans le rouge. Bref, pratiquement personne ne s’entraînait correctement. A présent, il serait temps d’affiner la préparation mentale.  »

Donner une boîte à outils aux joueurs

 » Une fois que tout est clair sur le plan individuel, le travail collectif peut commencer. On tente de former ce que nous appelons une dream team avec de la cohésion, des synergies entre les joueurs, une dynamique de groupe, de l’enthousiasme et du plaisir. Il est également important de gérer collectivement les émotions, c’est quelque chose de relativement nouveau dans le sport.

On constate de temps en temps que, quand ça va mal, on fait appel en toute hâte à un coach mental pour résoudre rapidement le problème. Un magicien, quoi… C’est arrivé à Anderlecht à l’époque de John van den Brom. C’est un peu comme si on engageait un préparateur physique en fin de championnat.

Celui qui travaille avec un coach mental à long terme est préparé : quand les choses vont moins bien, le problème est déjà identifié et les joueurs disposent d’outils pour appréhender la situation. Certains clubs craignent qu’un coach mental permanent se transforme en gourou mais les outils que j’utilise sont connus et reconnus partout :

des techniques de respiration, des entraînements de cohérence cardiaque, de la relaxation, de la méditation et de la visualisation. Mon boulot consiste à faire progresser les joueurs en fonction de leur personnalité et de leur donner une boîte à outils qu’ils peuvent utiliser comme ils l’entendent avant, pendant ou après un match en fonction de leurs besoins.

Certains clubs belges travaillent déjà avec un coach mental mais au coup par coup, pas au quotidien. Je suis content de voir que Gustavo Poyet, le T1 de Bordeaux, a intégré un coach mental à temps plein à son staff. C’est la voie à suivre car il y a beaucoup de travail.  »

Des joueurs insuffisamment préparés sur le plan mental

N’est-il pas important de connaître les capacités mentales de chacun au moment de composer le noyau ? Quand un groupe est déjà fort techniquement et tactiquement, ne vaut-il pas la peine d’engager un véritable leader charismatique, quelqu’un qui soit capable de taper du poing sur la table et de booster tout le monde mentalement ?

Je suis heureux de voir qu’à Mouscron, Philippe Saint-Jean fait du travail mental une de ses priorités à partir des U16. Il y a beaucoup de choses à faire dans les centres de formation. A l’heure actuelle, on perd beaucoup de talents potentiels parce que les joueurs sont insuffisamment préparés sur le plan mental.

Anthony Vanden Borre n’avait-il pas de l’or dans les pieds ? Sait-il qui il est vraiment et pourquoi ce qui est arrivé est arrivé ? Je ne peux pas juger et je ne dis pas non plus que je vais tout changer mais j’ai tout de même déjà assisté à quelques déclics formidables.  »

François Dutry

© GF

  • né le 31 juillet 1974 à Charleroi
  • gradué en éducation physique (Institut d’enseignement supérieur Parnasse Deux Alice) et en préparation physique avec spécialisation en diététique sportive (Perfinsport), en coaching mental (Mentally Fit Institute) et en approche neurocognitive et comportementale (Institut de neurocognitivisme, Bruxelles)
  • a fondé Naturazone (conseils en alimentation, fitness, gestion du stress et compléments alimentaires)
  • a joué au football et au tennis de table, a fait du triathlon (le dernier à Forster, Australie, en 2015)
  • a fondé il y a 22 ans l’Avenir Triathlon Club de Charleroi
  • accompagne surtout des footballeurs, des lutteurs, des triathlètes, des (ultra-) marathoniens, des trailers, ou des joueurs de poker comme Clément Petit (Excel Mouscron), Harlem ‘Bison’ Gnohéré (ex-Sporting Charleroi), François Humblet (vice-champion du monde d’Ironman 70.3, vice-champion d’Europe de duathlon sprint) et Jérôme Sgorrano (900.000 dollars de prize money en poker)

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