DU CHÂTEAU SIMONE DE PALETTE À LA VEUVE CLICQUOT PONSARDIN

Demain, le Club connaîtra ses trois adversaires en Ligue des Champions. Une promenade anecdotique à travers les quatre participations précédentes des Blauw en Zwart au grand bal du football européen.

25 novembre 1992. Après une dernière annonce du speaker du stade vantant les  » délicieuses frites dorées de Verkindere « , l’hymne de la Ligue des Champions retentit pour la première fois à Bruges. Il s’agit de Zadok le prêtre, une oeuvre composée en 1727 par Georg Friedrich Händel pour le couronnement du roi George II d’Angleterre et adaptée par TonyBritten dans une version plus moderne. De la musique classique dans un stade de football : les supporters ont du mal à s’y faire. Jusque-là, ils avaient plutôt l’habitude d’entendre  » Blauw en Zwart Forever ou Tegen de Club ga je nie winnen…

Dans le rond central, des enfants secouent une bâche gigantesque, arborant le logo de la Ligue des Champions : un ballon formé par huit étoiles, en référence aux huit équipes participantes. Le football européen entre dans une nouvelle ère. A 20h30 précises, le coup d’envoi est sifflé simultanément à l’Estádio das Antas (Porto), à San Siro (Milan), à l’Ibrox Stadium (Glasgow) et à Bruges, dans ce qui s’appelle encore l’Olympiastadion.

Goal ! DanielAmokachi entre dans l’histoire : à la 17e minute du match contre le CSKA Moscou, l’attaquant nigérian inscrit le tout premier but de la Ligue des Champions. Il n’a pas encore 20 ans, mais parcourt déjà les rues de Bruges au volant d’une… Porsche. Le Club l’a découvert deux ans plus tôt grâce au manager Fernand Goyvaerts, un ancien joueur du cru qui avait aussi renseigné Jean-Pierre Papin aux BlauwenZwart.

 » Puissant, rapide et efficace « , avait répondu Ronny Desmedt à son T1 Georges Leekens qui lui avait demandé d’aller le visionner lors d’un match avec les Espoirs nigérians à Eindhoven. Dans la foulée, l’assistant se rend au domicile d’Antoine Vanhove, le directeur général.  » Achète-le !  » Un diamant, mais pas encore poli. Tactiquement, il n’est encore nulle part :  » Au début, il slalomait entre les panneaux publicitaires le long du terrain… « , déclare Desmedt.

Bruges a déboursé 100.000 euros pour acquérir le Taureau. Quatre saisons et 42 buts plus tard, Everton s’en empare pour 3,5 millions. La petite entreprise d’Antoine tourne à plein régime. Pourtant, durant l’été 1992, il hésite très longtemps lorsque Hugo Broos lui glisse le nom de Gert Verheyen. 1 million, c’est trop, estime Vanhove, mais Broos insiste.

L’ailier droit, alors âgé de 22 ans, délivre le Club en marquant à deux reprises lors du tour préliminaire contre le Maccabi Tel Aviv, mais son passé anderlechtois ne plaide pas en sa faveur et il a du mal à se faire accepter par le public brugeois, très fanatique. Cette situation pèse sur le moral du joueur qui, après une période un peu plus difficile, frappe à la porte du bureau de l’entraîneur pour lui dire :  » Coach, vous ne devez plus m’aligner.  »

Après la victoire contre le CSKA Moscou (1-0), le Club s’envole en pleine confiance pour Marseille, un grand nom du football européen dirigé à l’époque par l’excentrique président-homme d’affaires-politicien Bernard Tapie. Six ans plus tôt, durant les négociations pour le transfert de Papin, il avait jeté son chéquier sur la table lorsque Michel Van Maele avait exigé une garantie bancaire.  » Lagarantie, c’est moi !  »

A Marseille, l’accueil n’est pas particulièrement chaleureux. Tapie n’a réservé aucun restaurant, mais a organisé un balpopulaire pour des centaines d’invités, en pleine campagne politique. Personne ne s’occupe de la direction brugeoise et, sur le terrain, cela ne se passe pas beaucoup mieux : 3-0. Mais, pour le secrétaire Jacques De Nolf, un nouveau monde s’ouvre lors d’un dîner en tête-à-tête avec l’entraîneur de l’OM, un certain… Raymond Goethals.

 » Ce serait impensable aujourd’hui, on parlerait directement de combines, mais nous avons simplement passé une agréable soirée durant laquelle Raimundo m’a fait goûter son vin préféré : le Château Simone de Palette, l’une des plus petites appellations en France. Délicieux.  »

Par la suite, le Club ne prend qu’un point en deux confrontations contre les Glasgow Rangers, et est éliminé après cinq matches, malgré une victoire contre le CSKA Moscou : un match disputé à Berlin pour déjouer l’offensive hivernale sur la Russie. Le dernier rendez-vous, contre Marseille, se joue pour l’honneur, mais Bruges tient à terminer en beauté.

Une fois encore, Tapie montre son mauvais visage : il fait l’impasse sur le dîner officiel dans les loges et préfère aller regarder le match européen de Bordeaux à la cantine, assis sur un bac de bière. Le lendemain, Alen Boksic – qui avait déjà marqué deux fois au stade Vélodrome – envoie l’OM en finale… Une finale que les Phocéens remporteront. Pour sa première participation au grand bal des champions, le Club perçoit une prime de départ de 1,4 million d’euros, auxquels s’ajouteront 1,25 million de primes de victoires. (Voir encadré)

Dix ans plus tard, Bruges se qualifie une nouvelle fois pour la Ligue des Champions, désormais élargie à 32 équipes. L’Europe a changé aussi, comme le constatent les dirigeants brugeois en débarquant à Donetsk pour le dernier tour préliminaire, en août. Sept ans plus tôt, les joueurs avaient encore dormi dans une caisse en bois, avec trois coussins comme matelas. Dans l’armoire en verre du lobby de l’hôtel, des médicaments étaient entreposés en journée, et le soir, cette mini-pharmacie se transformait en bar.

Le banquet officiel ne s’embarrassait pas de fioritures. Tout était disposé en même temps sur la table, recouverte d’une nappe très quelconque : les amuse-gueule, les entrées, le plat principal et le dessert. Le président Akhat Bragin était présent pour la dernière fois. Quelques semaines plus tard, le parrain de la mafia de Donetsk – Alix le Grec – allait perdre la vie dans le stade lors de l’explosion d’une bombe.

Lorsque le Club se déplace à nouveau à Donetsk durant l’été 2002, le nouveau président – le richissime homme d’affaires Rinat Achmetov – est protégé par une armée de gardes du corps. Au dîner, on sert du caviar, des huîtres et du homard. Avec, en toile de fond, les voix de quelques chanteuses. L’équipe – composée d’un savant mélange de footballeurs ukrainiens et de talents exotiques – a également beaucoup changé. Bruges s’en sort bien en ramenant le partage 1-1, grâce à un penalty converti par Timmy Simons.

7,5 millions d’euros : c’est l’enjeu du match retour. Un véritable suspense hitchcockien. Le remplaçant Nastja Ceh envoie le Club en prolongation après une ouverture du score précoce du Shakhtar. Lors de la séance de tirs au but, Dany Verlinden choisit deux fois le bon côté. Vanhove profite d’emblée de cette manne céleste pour conclure le transfert de Bengt Saeternes, un attaquant que Trond Sollied réclamait à tout prix (il donnera d’ailleurs le prénom de Bengt à son fils…)

L’attaquant norvégien de 27 ans est encore blessé lorsque Bruges s’incline 3-2 au Nou Camp, après un double 0-0 contre le Lokomotiv et à Galatasaray. Il ne redeviendra opérationnel que lors de la réception du club stambouliote, lors de la quatrième journée, et inscrira le but de la délivrance dans les dernières minutes de jeu : 3-1, après des réalisations de Sandy Martens et de Gert Verheyen, dans un stade Jan Breydel en délire.

 » Les joueurs constatent qu’ils ont le niveau requis, ils ne doivent plus avoir peur « , déclare Sollied après la dernière journée, alors que le Club vient de laisser échapper la qualification pour le deuxième tour dans la neige de Moscou : 2-0.  » Si nous n’avions pas encaissé avant le repos, nous aurions joué en 5-4-1 en deuxième mi-temps et aurions procédé par contre-attaque. C’était le plan.  » Un plan mis au frigo pendant dix mois.

Une deuxième participation en Ligue des Champions semble très compliquée : le tirage au sort n’a pas gâté les BlauwenZwart – champions pour la première fois depuis 1998 – en leur proposant le Borussia Dortmund comme adversaire. Mais après 45 minutes d’un football de rêve, concrétisé par deux buts, l’exploit est à portée de mains. Jusqu’à ce que Marcio Amoroso redonne l’espoir aux visiteurs après le repos.

Mais parfois, on trouve du soutien là où on ne l’attend pas.  » La direction du Cercle Bruges souhaite bonne chance aux joueurs du Club pour le match retour à Dortmund « , crie Eric Van Maldeghem, le speaker des VertetNoir, après le derby. Comme si le poète anglais Charles Edward Jerningham n’avait jamais écrit dans  » The Maxims of Marmaduke :  » Sans les revers du voisin, la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue « …

Sollied a réservé une surprise pour le déplacement au Westfalenstadion : deux heures avant le coup d’envoi, les joueurs apprennent que ce n’est pas Dany Verlinden, mais Tomislav Butina qui défendra les buts.  » Appelez cela l’intuition de l’entraîneur. J’estimais que c’était le bon moment  » explique le Norvégien. Mais, après trois minutes à peine, le Croate se troue sur une passe en retrait et Amoroso n’a plus qu’à pousser le ballon au fond des filets. Et pourtant : la joie qui transpire du Mur Jaune est de courte durée, car Andrés Mendoza marque.

Les Allemands lancent tout à l’attaque, mais seul Ewerthon parvient encore à tromper Butina, qui se déchaîne lors de la séance de tirs au but et détourne deux envois. Les Brugeois ne tremblent pas sur le point de penalty et Mendoza scelle le sort des Allemands. Gaëtan Englebert:  » Je suis allé chercher un maillot dans le vestiaire allemand. Il y régnait un silence de mort. On entendait une mouche voler. Tout le monde avait la tête basse. C’était glacial…  »

Après un faux départ contre le Celta Vigo (0-0) et à l’Ajax (2-0), le Club se rend à San Siro pour le compte de la troisième journée, afin d’y affronter l’AC Milan, le vainqueur de l’édition précédente. Mais les joueurs ne sont nullement impressionnés lors de leur reconnaissance. Ou alors, négativement. La pelouse est loin d’être parfaite et le vestiaire visiteur ne comprend que des bancs en bois et de minuscules crochets. Lorsque Philippe Clement se rend aux toilettes, c’est encore pire : trois cabines avec un trou dans le sol.  » Pour faire sa grande commission, il fallait se tenir aux deux poignées au mur. Une expérience bizarre.  »

Sollied applique son plan et transforme son légendaire 4-3-3 en un 5-4-1. C’est plutôt ringard, mais c’est efficace : Mendoza trompe Dida de l’extérieur du gauche à la 33e minute. Dans la tribune, le docteur Jean-Pierre Meersseman ressent des sentiments mitigés : il est supporter du Club depuis sa plus tendre enfance, mais il est depuis des années le chef du Milan lab…

Dans la tribune de presse, on rigole franchement lorsque les caméras de télévision proposent à diverses reprises un gros plan sur le team-manager Paul Vanneste. Le régisseur italien l’a confondu avec Sollied.  » That’s very good for Paul. Il serait un bon coach « , s’amuse le vrai T1 après le match. 0-1, grâce à Verlinden, encore relégué au rang de réserviste quelques semaines plus tôt, et qui se montre cette fois intraitable sur des envois de Clarence Seedorf, Rui Costa, Pippo Inzaghi, André Shevtshenko et Jon Dahl Tomasson.

Les joueurs découvrent Milan by night, les dirigeants squattent le bar. De Nolf :  » Nous n’avons jamais bu autant de champagne que cette nuit-là. Dom Pérignon, Mumm Cordon Rouge et Cordon Vert, Veuve Clicquot Ponsardin, Veuve Cliquot La Grande Dame. Nous avons goûté toutes les marques. Cette victoire était tellement inattendue.  »

Contre Valerenga, Bruges se qualifie pour la troisième fois pour les poules à la séance de tirs au but, mais le Club a beaucoup changé. Sollied (Olympiacos), Peter Van der Heyden (Vfl Wolfsburg), Ceh (Austria Vienne), David Rozehnal (PSG) et Timmy Simons (PSV) sont partis. Le nouvel entraîneur – Jan Ceulemans – ne reçoit pas beaucoup de renforts et s’apprête à vivre des mois difficiles.

Stijn Stijnen débute contre la Juventus en réalisant quelques exploits. Le Club s’incline 1-2, mais après le match, le jeune gardien, qui possède un passeport italien, reçoit les félicitations d’Emerson. Les journalistes de la télévision italienne sont également impressionnés par il carbonile (le bunker).

Le nouvel arrivant Javier Garcia Portillo, meilleur buteur de tous les temps dans les sélections de jeunes du Real Madrid, est moins heureux. Peu après le repos, l’Espagnol se blesse et doit rentrer aux vestiaires. Il jette ses chaussures… à la poubelle. L’origine de sa blessure est claire : depuis son arrivée, on l’oblige à jouer avec des chaussures Adidas, alors qu’il est habitué à des Joma depuis qu’il a six ans.

Dans le passé, il avait eu une relation avec la fille du grand patron de la marque espagnole, qui lui fabriquait ses chaussures sur mesure et a même commercialisé un modèle à son nom. Portillo est une vedette, louée au Real pour un million par an. Contre le Rapid Vienne (3-0), il ouvre le score, et son but égalisateur contre le Bayern Munich est une pure merveille. Il joue alors avec des Joma, recouvertes des trois bandes d’Adidas…

PAR CHRIS TETAERT – PHOTOS BELGAIMAGE

Les vestiaires de San Siro sont plutôt vieillots : des banquettes en bois, de minuscules crochets et des toilettes avec des poignées.

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