Droit de cité

Après Charleroi et Liège, le géant venu des banlieues parisiennes s’installe à Bruxelles pour une troisième expérience en D1.

Talent et taille : c’étaient deux critères requis par Albert Cartier auprès de la direction molenbeekoise à la faveur de la récente campagne de recrutement du club. A cet égard, le coach a été entendu par le président Johan Vermeersch. Car de Sambegou Bangoura (1m92) à Samuel Neva (1m88), en passant par Flavien Le Postollec (1m86), le FC Brussels a mis le grappin sur quelques belles plantes, qui ont déjà donné un bel aperçu de leurs qualités footballistiques depuis la reprise du championnat. A leur nombre, il conviendra d’ajouter, sous peu, un autre grand échalas : Christian Negouai (1m94 et 29 ans) qui, à court de compétition, a dû se satisfaire jusqu’à présent de bribes de matches.

Christian Negouai : Hormis une pige d’un bon mois en Norvège, en septembre dernier, je n’avais plus joué depuis mon départ du Standard l’été passé. Certes, j’ai entretenu ma condition durant toute cette période mais il tombe sous le sens que je n’étais pas au même point, physiquement, que les autres joueurs qui, lors du mercato, ont rallié le FC Brussels. Dans ces conditions, il est normal que j’aie été utilisé comme joker jusqu’à présent. Mais, d’ici peu, je serai pleinement opérationnel et utilisable dès le coup d’envoi au besoin.

Au fond, pour quel motif avez-vous quitté Sclessin, vu que vous y étiez encore sous contrat cette saison ?

Je sais qu’on a dit des tas de choses à ce sujet. Que je n’étais pas bien dans le groupe, par exemple, ou encore que j’avais fait preuve d’une attitude peu professionnelle en oubliant mes chaussures à l’occasion du déplacement à Anderlecht. La vérité, c’est que je serais toujours Standardman actuellement si mes coéquipiers et moi, nous avions remporté le titre. Cet échec m’est vraiment resté en travers de la gorge. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à avoir accusé le coup. D’autres, qui avaient la fibre rouche, comme Vedran Runje ou Philippe Léonard ont cru, eux aussi, que le club était maudit et sont alors partis sans demander leur reste. J’ai tout simplement adopté la même attitude qu’eux. J’en avais franchement ras-le-bol. Si, dans la foulée, je ne me suis pas immédiatement recasé, à l’image de mes deux partenaires, c’est parce que je voulais privilégier certaines affaires extra-sportives. Outre plusieurs investissements immobiliers en France, je m’étais lancé aussi, depuis mon retour en Belgique, dans le commerce des meubles. J’ai commencé par un magasin, nommé Rêve intérieur, à Charleroi, puis j’en ai ouvert un autre à La Louvière. Sous peu, une troisième enseigne identique est prévue à Mons. Le foot n’était donc plus vraiment au centre de mes préoccupations ces derniers mois.

 » J’ai été champion quand même en 2006  »

Pourtant, vous avez mis le cap sur la Norvège à la fin de l’été…

Au départ, c’est vrai, je n’ai pas ressenti le moindre manque par rapport au terrain. Mais dès l’instant où le ballon rond a repris ses droits un peu partout en Europe, ça me démangeait quand même. Certains clubs sont venus aux nouvelles pour moi à cette époque. Dont le Brussels. Mais je ne voulais pas me lier sur-le-champ. D’un côté, j’étais toujours accaparé par mon business. D’autre part, je désirais également être disponible pour mon épouse, enceinte à ce moment-là et qui devait accoucher au mois de novembre. Quand mon manager m’a avisé de l’intérêt d’Aalesund, leader en D2 norvégienne, je me suis toutefois laissé tenter. La compétition touchait à sa fin là-bas et mon engagement ne devait guère y excéder plus de quelques semaines. En principe, j’en aurais donc eu fini dans ce club au moment où mon épouse allait mettre notre petite fille au monde et c’est ce qui m’a décidé à tenter l’aventure. Mais elle ne fut que de courte durée. J’ai joué deux matches, contre Hönefoss et Orsk. Dès l’instant où le titre était en poche, je me le suis tenu pour dit et je suis retourné en France. En définitive, j’ai bel et bien été champion en 2006. Enfin, pas avec le club que je croyais ( il grimace).

Il s’agissait du deuxième sacre de votre carrière.

Exact, car auparavant, j’avais déjà goûté à cet honneur avec Manchester City, lors de ma première année là-bas. Il n’y a évidemment aucune comparaison possible entre un titre dans l’antichambre de l’élite anglaise et un autre dans la série équivalente en Norvège. A City, l’ambiance était démentielle. A Aalesund, c’était beaucoup plus feutré. Quoi de plus normal, dans la mesure où la ville, située sur la côte ouest, non loin de Trondheim, est davantage focalisée sur la pêche que sur le football. Il n’empêche que je suis heureux d’avoir découvert, ne fût-ce que pour une courte période, d’autres horizons et une autre culture. Sans compter que la petite ville de 50.000 âmes était magnifique. Avec la mer et les montagnes en toile de fond, on aurait pu s’y croire à Nice. Sauf que le temps était tout de même un tantinet plus froid ( il rit). Ce qui m’a sidéré aussi, c’est que je n’étais pas le seul gars de couleur sur place. Au sein du noyau de Première, il y avait notamment un Camerounais, Gustave Bahoken et un Ethiopien, Benjamin Kibebe. En ville, j’ai même rencontré des Tchadiens qui faisaient du commerce sur place. Après un peu plus d’un mois, j’avais cependant le sentiment d’avoir fait le tour du propriétaire là-bas et j’ai repris le chemin d’Avignon, d’où ma femme est originaire.

 » La vie est ce qu’on en fait  »

Qu’est-ce qui motive un joueur comme vous, qui a connu Manchester City et le Standard et qui n’a plus trop de soucis à se faire pour l’avenir à signer au Brussels ?

J’estime qu’il faut avoir tout connu dans la vie et dans une carrière. En football, j’ai connu jusqu’ici la pression liée à la victoire mais jamais celle du stress lié à la défaite. Namur, Charleroi, Manchester City, le Standard : je n’ai jamais été concerné par la lutte pour le maintien. Avec le Brussels, tel était bel et bien le cas. Au moment où j’y ai signé, du moins. Car, depuis lors, le club est remonté au classement. Il n’empêche qu’il suffit de peu de choses pour passer d’une colonne à l’autre au plus haut niveau du football belge. Aussi, je crois Albert Cartier sur parole quand il dit que la moitié des clubs, dont le nôtre, seront concernés jusqu’au tout dernier match par la survie en D1. Je ne dis pas que je serai déçu si on se tire d’affaire plus tôt ( ilsourit). Mais il faut pouvoir expérimenter les bonnes et les mauvaises choses, tous secteurs confondus. Car on en ressort toujours plus fort.

Comme vous, dont la vie ne s’apparente pas à un long fleuve tranquille ?

Elle s’est plutôt apparentée à un cours d’eau tortueux. Et, en définitive, c’est le football qui m’a sauvé. Entre 17 et 20 ans, j’ai été un adolescent pas toujours vertueux à Vaulx-en-Velin, dans la grande banlieue lyonnaise. J’étais un gars de la cité et je faisais les 400 coups. J’ai gagné beaucoup d’argent sale à ce moment… Malheureusement, je ne pouvais pas l’écouler à la régulière. Du coup, j’ai brûlé la chandelle par les deux bouts. J’ai beaucoup donné, également. Jusqu’au jour où moi-même je me suis retrouvé dans la dèche. J’espérais obtenir un coup de main de ceux que j’avais aidés mais je me trompais. C’était chacun pour soi. Je ne pouvais pas compter sur les autres, il fallait que je me tire seul du pétrin. J’ai alors compris que la vie est ce qu’on en fait. De soi-même et non par le truchement des autres. C’est à ce moment-là que le football est tombé à pic pour moi. Auparavant, j’avais eu droit à un bon écolage au centre de formation de l’OL. J’y avais fait mes classes aux côtés de gars comme Florian Maurice et Ludovic Giuly notamment. Mais eux étaient beaucoup plus disciplinés que moi et avaient tenu la distance. Moi, par contre, je m’étais un peu éparpillé. Dès l’instant où je me suis retrouvé dans la galère, j’ai eu la bonne idée de reprendre le témoin. Ma chance, ce fut d’aboutir à Namur à la fin des années ’90. Je dois une fière chandelle au président Armand Kaida, qui m’a permis de rebondir.

 » J’ai économisé pour la première fois à Namur  »

Vous logiez, semble-t-il, dans un appartement situé au-dessus du casino. Vous n’avez jamais été tenté de jouer ?

Jamais. Les jeux d’argent, très peu pour moi Bizarrement, c’est en Belgique que j’ai appris à connaître la valeur d’un franc. J’en avais palpé beaucoup, au préalable, au cours de mes folles années. Mais là, dans le cadre d’un club de D3 qui ne payait pas des masses, j’ai pour la première fois de ma vie mis de l’argent de côté. Avec mes premières économies, j’ai acheté un logement pour ma mère. Elle le méritait bien après tout ce que je lui avais fait endurer.

Il y a eu des émeutes, autrefois, à Vaulx-en-Velin, comparables à celles qui ont secoué les banlieues françaises l’année passée. Vous y aviez été mêlé ?

A l’époque, j’étais effectivement l’un de ceux qui montaient au créneau. Jusqu’au jour où un de mes potes est décédé. A ce moment-là, mes yeux se sont ouverts. Je ne cautionne pas l’attitude de ces nombreux jeunes qui clament leur révolte en faisant des trucs pas très catholiques. Mais, dans une certaine mesure, je les comprends. Les cités resteront à tout jamais les cités. Si on peut sans doute les embellir, à l’extérieur, par un coup de pinceau, à l’intérieur, on ne les changera pas. Jamais. Tu peux sortir un gars de la cité. Mais tu ne sortiras jamais la cité d’un gars. Moi, j’ai eu la chance d’avoir le football pour m’en tirer.

Votre carrière sportive n’aurait-elle pas été plus prestigieuse si, à l’image de Florian Maurice ou de Ludovic Giuly, vous n’aviez pas décroché en pleine formation ?

Peut-être mais je ne regrette rien. Mes seuls regrets concernent mes fréquentations. Si je pouvais refaire ma vie, c’est la seule chose que je modifierais. Pour le reste, je n’ai pas la moindre amertume.

Le Brussels est votre troisième expérience parmi l’élite belge après des passages à l’étranger. Il y a d’abord eu la France, puis l’Angleterre et, naguère, la Norvège. Comment notre football a-t-il évolué durant tout ce temps ?

J’observe quand même une plus grande technicité aujourd’hui, due sans doute à l’apport des nombreux Français qui sont passés par les centres de formation, non seulement chez nous mais dans d’autres clubs aussi comme Mouscron, Mons ou Charleroi. L’entrejeu des Zèbres, avec des gars comme Fabien Camus et Majid Oulmers, est une pure merveille par exemple. Les grands clubs aussi ont suivi le mouvement. J’ai vu peu de différence entre Anderlecht et Lille en Ligue des Champions, par exemple. Le Club Bruges, également, développe un football beaucoup plus élaboré que jadis. Idem pour le Standard, avec la fougue en plus chez certains.

 » Le titre se jouera entre Anderlecht et Genk  »

Vous avez encore des contacts là-bas ?

De temps en temps, je passe un coup de fil à Eric Deflandre et à Sergio Conceiçao. C’est avec eux que j’ai le plus d’atomes crochus.

Les Rouches peuvent-ils encore être champions d’après vous ?

Ce sera difficile. Théoriquement, ils auraient dû profiter des matches de la 21e journée pour fondre sur le peloton de tête. Mais ils sont tombés à Zulte Waregem, de la même manière qu’à Roulers l’année passée. Tant que les Standardmen n’afficheront pas une constance, il leur sera difficile de briguer la couronne nationale. Pour moi, le titre se jouera entre Anderlecht et Genk.

Où voyez-vous terminer le Brussels ?

Dans la première moitié du classement mais je ne sais où ( il rit). Pour l’heure, on a bien commencé le deuxième tour mais j’ai cru comprendre que l’équipe avait commencé le championnat tambour battant avant de rentrer dans le rang. Je manque de recul pour pouvoir réellement juger. Il m’étonnerait tout de même qu’on replonge. Pour ce faire, il y a trop de joueurs valables chez nous. Sans oublier un entraîneur compétent.

Où situez-vous Albert Cartier parmi ceux qui vous ont dirigés ?

Mine de rien, j’ai connu pas mal de beau monde : Luka Peruzovic, Enzo Scifo, Manu Ferrera, Kevin Keegan et j’en passe. Pour moi, King Kevin c’était le top. Les joueurs étaient pendus à ses lèvres et buvaient ses paroles comme du petit lait. De plus, il avait une aura indescriptible auprès de tout le monde, vraisemblablement en raison de sa fabuleuse carrière. Si Albert Cartier n’a peut-être pas le même curriculum comme joueur, comme coach, il tire sans conteste la quintessence de son groupe. Personnellement, je le situe juste derrière Keegan.

Jusqu’à présent, vous avez fait figure de réserviste de luxe.

Depuis le match à domicile contre Zulte Waregem, j’ai effectivement eu droit à des bribes de rencontres. Je suis rentré dans les dernières minutes, le plus souvent pour des raisons tactiques, afin de protéger un résultat. Contre le Lierse, l’entraîneur m’a ainsi introduit au jeu pour museler Chris Janssens, qui était monté d’un cran lorsque le score était passé à 2-1 pour nous. Au préalable, face aux hommes de Francky Dury, j’avais dû en faire de même avec Tony Sergeant.

 » Je ne sais pas quelle est ma meilleure place  »

Quel sera votre futur rôle dans l’équipe ?

En principe, je servirai de relais entre la défense et l’attaque tout en apportant de la taille sur les phases arrêtées, aussi bien, défensivement qu’offensivement. Au besoin, je peux même être aligné en défense ou à l’avant. Je suis suffisamment polyvalent.

Quelle est votre meilleure place ?

Honnêtement, je n’en sais strictement rien. J’ai débuté comme attaquant mais, chez les Zèbres, Manu Ferrera m’avait reconverti comme milieu défensif. Il estimait que j’avais besoin d’avoir le jeu devant et non derrière moi pour me montrer à mon avantage. C’est dans ce rôle-là que j’ai séduit Manchester City et son coach, Kevin Keegan. Mais pas plus tard que la saison passée, je me suis à nouveau signalé comme attaquant au côté de Mémé Tchité. Dès lors, je ne peux affirmer quelle est ma meilleure place sur le terrain. Peut-être dépend-elle tout bonnement de l’adversaire ? Une chose est sûre : mon meilleur rôle, c’est celui de père. Je suis devenu le papa d’une petite Allyah le 1er novembre passé. Du coup, je suis un homme vraiment comblé.

bruno govers / photos reporters

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