DOUBLE JEU

Le grand Sénégalais est le moteur hybride des Mauves. Est-il plus performant derrière ou au milieu ? Ses coaches se jettent à l’eau.

Turquie, janvier 2013. Les Mauves y sont en stage. Sans Lucas Biglia, qui fait grève. BesnikHasi, T2, nous dit :  » Biglia mérite de jouer dans un championnat plus fort. L’option prioritaire pour le remplacer, c’est trouver une solution interne. On pense éventuellement à Cheikhou Kouyaté. Mais il y aurait peut-être des conséquences compliquées en défense.  » Trois jours plus tard, Kouyaté nous balance :  » Normalement, je ne jouerai plus jamais dans l’entrejeu avec Anderlecht. J’ai définitivement trouvé ma place en défense.

Il y a suffisamment de connaisseurs qui m’en ont convaincu. Dont Hein Vanhaezebrouck et ArielJacobs. Plusieurs personnes qui savent de quoi elles parlent m’ont dit : -Ce n’est pas sûr que tu ne pourrais pas faire une belle carrière dans l’entrejeu, mais c’est certain que tu peux aller loin si tu restes en défense. J’ai bien fait de reculer. Vincent Kompany avait fait la même chose.  » Quelques mois plus tôt, il nous disait déjà :  » J’adore ce poste, j’y suis plus à l’aise que dans le milieu du jeu, je ne suis plus obligé de faire 50 kilomètres par match.  »

Le Sénégalais vient de passer trois ans en défense centrale. Il y a eu plusieurs duos à Anderlecht depuis le début de cette saison et celui qu’il a formé avec Chancel Mbemba a été le plus efficace. Mais tout a de nouveau changé pour lui dès que Hasi est devenu T1. Remettre Kouyaté dans l’entrejeu a été une de ses premières décisions.  » Il n’a pas hésité une seconde quand je lui en ai parlé « , lâche-t-il.  » C’est là que je me sens le mieux « , dit maintenant le joueur.  » Plus je peux toucher le ballon et enfiler les kilomètres, mieux je me sens.  » On a l’impression qu’il ne sait pas lui-même quelle est sa meilleure place. Analyse.

 » Il est davantage fait pour jouer en défense que dans l’entrejeu  » (Ariel Jacobs)

Le match Lokeren – Anderlecht en play-offs de la saison 2010-2011 est un tournant dans la carrière de Cheikhou Kouyaté, alors médian. Marcin Wasilewski se fait exclure et ArielJacobs fait descendre l’Africain en défense.  » Ce n’était pas du tout prémédité « , dit le coach de l’époque.  » Cette décision a été dictée par les événements. Kouyaté s’en est directement bien tiré et j’ai alors abordé la question avec lui. J’ai eu l’impression qu’il était partant pour ce changement de position à long terme. Il m’a clairement dit que ça lui plaisait.  » Pour Ariel Jacobs, il y avait plein de bonnes raisons pour le maintenir derrière.  » Encore aujourd’hui, si je mets dans la balance ses qualités et ses points faibles, je reste convaincu qu’il est plus fait pour jouer comme défenseur central.

Il n’a pas une qualité exceptionnelle mais il est bon dans plusieurs domaines. Quand on le poste derrière, il a le jeu devant lui et il peut s’infiltrer dès que l’occasion se présente. Son jeu de tête défensif est très bon. Il n’est pas explosif mais il est rapide. Sur les courtes distances, ce n’est pas lui qui démarre le plus vite, mais vu ses longues jambes, on le passe difficilement. Et sur les longues distances, une fois lancé, il est capable d’aller rechercher l’adversaire. Il a aussi l’avantage de sa sobriété. Il sait que sa relance est perfectible et il évite de prendre des risques.  »

Ariel Jacobs apporte un argument supplémentaire pour justifier son choix de l’époque.  » N’oubliez pas que j’avais aussi Lucas Biglia dans le noyau. Il était incontournable comme médian défensif et j’estimais qu’en alignant à la fois Biglia et Kouyaté, ça en faisait un de trop.  »

 » En défense, il n’était plus heureux, il devenait anonyme, il déjouait  » (Albert Cartier)

Quand Cheikhou Kouyaté débarque chez nous, au Brussels, en 2008, il est répertorié comme attaquant.  » Dès le premier entraînement, j’ai vu qu’il n’avait pas d’avenir à cette place « , se souvient Albert Cartier.  » Ses déplacements lui posaient un problème, il se retournait difficilement. Par contre, j’étais persuadé qu’il pouvait réussir dans l’entrejeu.  » Cartier y croit, ce n’est pas le cas de son président, Johan Vermeersch, qui traîne pour lui proposer un contrat.  » Je suis allé trouver Vermeersch, je lui ai dit : -Qu’est-ce que vous attendez ? C’est votre meilleur joueur et vous ne le mettez pas sous contrat ? Dès que c’est signé, avec moi, il joue en Première.  » Le Français tient parole et Kouyaté est une révélation de la saison. Avec Cartier, puis avec Franky Van der Elst qui le remplace en cours de saison.

 » Je ne l’ai jamais vu jouer comme attaquant mais il n’a pas du tout le profil « , dit VDE.  » Par exemple, son timing est limite. Je le voyais sur les coups francs et les corners : il arrivait soit trop tôt, soit trop tard. Et il dépense toujours énormément d’énergie, c’est embêtant pour un attaquant qui est censé être frais quand il se retrouve devant le but. En plus, il n’est pas suffisamment calme. S’il doit choisir entre une carrière devant ou derrière, qu’il joue en défense. Mais le mieux, pour lui, c’est à coup sûr l’entrejeu.  »

Albert Cartier est tranchant dans son analyse :  » Kouyaté en défense, c’est du gâchis, du gaspillage. C’est un vrai box-to-box, il a un volume de jeu énorme, il part vite vers l’avant et revient rapidement vers l’arrière. Il est très agressif dans la récupération. Je l’ai fait jouer une fois en défense parce qu’il me manquait un joueur, mais dans mon esprit, ce n’était qu’un dépannage. Quand il est derrière, on a l’impression qu’il ne participe plus au jeu. Lui, il doit avoir la conviction qu’il existe, ce n’est que comme ça qu’il peut être bon.

C’est carrément dangereux de le limiter dans un rôle de défenseur parce que quand tu brides un footballeur, il déjoue, il perd le plaisir. Alors, il devient fade, puis moyen, et finalement médiocre. Je continue à regarder toutes les images du championnat de Belgique et je me suis fait cette réflexion sur Kouyaté. Cette saison, je l’ai vu devenir moins bon. Par moments, il devenait anonyme, même contesté. Un comble pour un joueur pareil. Je me souviens d’un match où sa responsabilité était engagée sur trois buts encaissés par Anderlecht. Ce n’est pas le vrai Cheikhou Kouyaté, ça ! Il n’était plus heureux, je le voyais. Besnik Hasi a pris la seule décision qui s’imposait quand il l’a fait remonter dans le jeu.  »

 » Il a sa place dans l’entrejeu d’une bonne équipe dans un championnat huppé  » (Franky Van der Elst)

Ariel Jacobs confirme lui aussi que le joueur n’avait pas d’avenir comme attaquant :  » Il court partout, ce n’est pas un grand technicien, il n’a pas la vista d’un avant de pointe.  » Et il peut comprendre le récent repositionnement de Cheikhou Kouyaté :  » S’il veut franchir un cap, c’est bien qu’il soit efficace à deux positions distinctes. En enchaînant les bons matches dans l’entrejeu, il a une corde de plus à son arc. Et on vend plus facilement un médian qu’un défenseur. Sa valeur marchande risque d’augmenter d’ici la fin de la saison.  » A ce moment-là, le Sénégalais devrait effectivement quitter la Belgique. Anderlecht a voulu le fourguer à Kiev l’année passée, il a refusé, il a fait la tête et il reconnaît que c’est une explication de sa saison en dents de scie. Il a parlé d’un  » manque d’humanité  » de la part de la direction. Tout devrait s’arranger cet été.  » C’est notre seul joueur en fin de cycle et nous lui avons promis de l’aider à décrocher un transfert « , dit Herman Van Holsbeeck.  » Je ne dis pas qu’il peut viser le top absolu mais il tiendrait sa place dans l’entrejeu d’une bonne équipe d’un grand championnat « , pense Franky Van der Elst.

 » Derrière, je l’ai aussi trouvé moins bon cette saison que les années précédentes « , continue-t-il.  » L’équipe ne tournait pas et j’avais l’impression qu’il avait du mal à organiser sa défense. Hasi a vu clair en le repositionnant. Kouyaté apporte plus dans l’entrejeu. Il récupère beaucoup de ballons et sa complémentarité avec Youri Tielemans est excellente. Ils se répartissent bien les rôles : Kouyaté arrache les ballons, Tielemans construit. C’est parfait, vu que la relance n’est pas le point fort de Kouyaté. Mais il est toujours présent, on voit dans chaque match qu’il est là. Il y a des joueurs qui peuvent passer inaperçus. Par exemple, on voit toujours plus Kouyaté que Sacha Kljestan. Il cherche continuellement à être décisif. Si son mouvement échoue, il recommence.  » Van der Elst fait aussi une comparaison avec les dernières saisons :  » Lucas Biglia touchait plus de ballons, tout passait par lui, il était plus à l’aise balle au pied, son passing était meilleur. Mais je vois qu’avec Kouyaté à sa place, tout va plus vite. Son match contre Bruges, c’était formidable. Il était partout. Maintenant, je ne suis pas sûr qu’il puisse répéter une performance pareille chaque semaine.  »

 » Il a un physique énorme qui correspond à son mental  » (Albert Cartier)

Pour Albert Cartier, ce n’est pas un problème.  » Je suis certain qu’il peut enchaîner 40 ou 50 très grosses prestations par saison ! Ce n’est pas courant. Ses facultés physiques sont exceptionnelles. Il a montré un mental extraordinaire dès le premier jour au Brussels. Il était arrivé avec un autre Sénégalais, Moussa Gueye. Lui, il était timide, effacé, craintif. Kouyaté était tout le contraire : intelligent, instruit, avec une grande soif d’apprendre. Et il a un physique qui correspond à son mental. Beaucoup de footballeurs ont soit l’un, soit l’autre. Quand tu combines les deux aspects, tu es armé. C’est le genre de mec capable de courir à 21 km/h pendant un jour et une nuit… Alors que certains plafonnent à 14,5. Et tu voudrais le cantonner à la défense centrale ? Tu es fou ?… Jamais. Tu te prives d’un atout énorme dans le milieu du jeu. Kouyaté défenseur, je veux bien l’imaginer en dépannage, ou alors dans cinq ou six ans, mais sûrement pas maintenant. S’il revit aujourd’hui, c’est clairement parce qu’il a retrouvé un rôle plus en rapport avec ses qualités.  »

PAR PIERRE DANVOYE- PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Kouyaté n’a pas hésité une seconde quand je lui ai proposé de remonter dans l’entrejeu.  » Besnik Hasi

 » Biglia a un meilleur passing, mais tout va plus vite avec Kouyaté.  » Franky Van der Elst

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