Deux finales perdues

Blessé, l’avant français porte un regard éclairé sur le foot anglais qu’il côtoie depuis huit ans … et se souvient d’un 2006 douloureux.

Lors du clinic organisé par son équipementier, Reebok, à Londres le 16 avril dernier, Thierry Henry s’est contenté d’un meet and greet avec ses très nombreux jeunes supporters issus des quatre coins du continent. Contrairement aux autres locomotives de la marque, Andriy Shevchenko (Chelsea) et Iker Casillas (Real Madrid), qui ont montré à cette occasion leur savoir-faire sur le terrain, l’attaquant d’Arsenal a dû se contenter d’un rôle passif. La faute à une rupture des adducteurs, doublée d’un pincement du nerf sciatique, qui l’oblige à observer un repos complet jusqu’à la fin de la saison. C’est donc sans le concours de leur Frenchie que les Gunners ont dû sauver ce qui pouvait encore l’être pendant cette campagne : la qualification en Ligue des Champions.

Quel regard portez-vous sur l’exercice 2006-07 de votre équipe ?

Thierry Henry : Arsenal a obtenu le plus beau des passe-droits européens mais ne tombera pas dans les prix, c’est certain, car l’équipe a été distancée en championnat et évincée de toutes les autres compétitions auxquelles elle a participé. C’est frustrant, dans la mesure où nous ne sommes pas habitués à nous retrouver les mains vides au mois de mai. Le malheur, c’est qu’il nous a toujours manqué un petit quelque chose lors des épreuves à élimination directe. Ce fut par exemple le cas contre le PSV Eindhoven, en huitièmes de finale de la Ligue des Champions, quand le Brésilien Alex nous a crucifiés sur la seule action un tant soit peu dangereuse des siens. En championnat, épreuve de très longue haleine, par contre, nous avons tenu la dragée haute aux meilleures à deux exceptions près : les matches à Bolton et à Liverpool, où nous avons été surclassés. Chelsea et Manchester United, en revanche, ne se sont jamais fait balayer du terrain. C’est sans doute là que réside toute la différence entre eux et nous.

Qu’est-ce qui a manqué à Arsenal pour rivaliser avec ces deux formations ?

Les Red Devils et les Blues présentent un mix idéal entre routine et jeunesse sur le terrain. A Old Trafford, les expérimentés Paul Scholes, Ryan Giggs et Gary Neville sont entourés de jeunes loups aux dents longues comme Cristiano Ronaldo, Wayne Rooney voire Darren Fletcher. A Stamford Bridge, c’est le même topo avec Claude Makelele, Frank Lampard et Didier Drogba d’un côté et Mickael Essien, Jon Obi Mikel ou encore Arjen Robben (blessé) de l’autre. Chez nous, c’est différent. Avec mes 29 ans, j’étais le doyen des joueurs du champ durant les deux tiers de la saison. Hormis le gardien Jens Lehmann, qui est largement trentenaire, nous avons souvent évolué avec dix autres joueurs dont la moyenne d’âge était de 23 ans. C’est rarissime, aussi bien en Angleterre qu’au plus haut niveau européen. Mais ce manque de planches explique probablement aussi pourquoi, en matière de gestion des matches, il y a eu de temps en temps des manquements. L’avenir appartient à Arsenal, c’est indéniable. Mais le présent, dans ces conditions, c’était sans nous, il faut bien le constater.

 » Arsenal doit se contenter de la deuxième ou de la troisième garniture  »

Trois clubs anglais, Manchester United, Chelsea et Liverpool, sont présents en demi-finales de la Ligue des Champions. Vous-même n’y avez fait que de la figuration, comme souvent déjà par le passé. Une malédiction pèserait-elle sur Arsenal à ce niveau ?

L’année dernière, nous avions disputé la finale contre le FC Barcelone. Nous nous étions inclinés, certes, mais on pouvait difficilement évoquer le mauvais sort. Nous avions tout simplement entretenu le suspense le plus longtemps possible avant de nous incliner face à une équipe du Barça qui recelait plus de potentiel que nous et qui a, en définitive, émergé logiquement. Je ne pense pas qu’il y ait grand-chose à redire sur le parcours 2005-06. Mais on peut, peut-être, nourrir certains regrets concernant notre participation anecdotique lors des campagnes précédentes. Toutefois, il faut comparer ce qui est comparable. Les grandes équipes espagnoles ou italiennes n’hésitent pas à délier généreusement les cordons de la bourse afin d’attirer les meilleurs. Ici, en PremierLeague, il n’en va pas autrement pour Manchester United ou Chelsea, qui recrutent à prix d’or. Notre coach, Arsène Wenger, s’est déjà ému à plus d’une reprise qu’Arsenal, lui, devait souvent se contenter de la deuxième ou troisième garniture. Dans ce cas, on ne peut pas, non plus, demander l’impossible aux Gunners.

Quelle défaite vous avait fait le plus mal l’année passée : celle endurée contre le Barça en finale de la Ligue des Champions ou celle subie contre l’Italie en finale de la Coupe du Monde ?

La finale de la Ligue des Champions, car des deux, c’est la seule que je n’ai pas gagnée. En revanche, j’ai remporté la Coupe du Monde en 1998 et j’ai été finaliste de cette épreuve en 2006. J’espère pouvoir présenter un jour un même bilan en Coupe d’Europe. Car cela signifierait que ma deuxième participation à une finale européenne serait la bonne ( il rit).

Avec trois équipes anglaises en demi-finales de la Ligue des Champions, peut-on parler de préséance de la Premier League par rapport à la Liga espagnole ou à la Série A italienne ?

Il y a peut-être trois équipes anglaises dans le dernier carré de la Ligue des Champions cette saison, mais j’observerai aussi que, dans le même temps, il y a autant d’équipes espagnoles en demi-finales de la Coupe de l’UEFA. Est-ce à dire que le Calcio ne vaut plus rien, a fortiori après le 7-1 subi par l’AS Rome à Old Trafford récemment ? Ceci dit, une chose me fait plaisir quand même : beaucoup de gens, et même des joueurs, ne prennent toujours pas le football anglais très au sérieux. Pour tous ceux-là, Eric Cantona, désigné quand même joueur étranger du siècle à Manchester United, n’aurait soi-disant jamais été aussi performant au sein du football espagnol ou italien. Et ces mêmes gars pensent vraisemblablement la même chose à mon propos. A ceux-là, j’aimerais dire qu’ils peuvent toujours venir se frotter au jeu, ici. J’en ai connu pas mal, en tout cas, qui sont repartis peu après être arrivés. Moi, ça fait huit ans que ça dure chez les Gunners.

 » Je ne savais ce que signifiait l’amour du maillot  »

Et vous n’êtes manifestement pas près de partir. L’année passée, Barcelone vous avait fait un appel du pied. Mais vous avez finalement rempilé jusqu’en 2010 à Arsenal. Qu’est-ce qui vous lie à ce club ?

L’amour du maillot. C’est un phénomène que je n’avais jamais connu auparavant dans ma carrière, ni sur le Rocher ni à Turin. Ici, j’ai d’emblée eu la fibre. Sans doute est-elle liée à la cote dont j’ai immédiatement joui auprès du public. Dès mon arrivée, en 1999, j’ai terminé meilleur buteur du club avec 26 réalisations. Pendant les saisons suivantes, il n’en était pas allé autrement avec 22, 32, encore une fois 32, 39, 30 et 33 goals en championnat. Sans jeu de mots, ce sont des détails qui marquent ( il rit).

Beaucoup de personnes vous considèrent comme le meilleur joueur de l’histoire d’Arsenal. Et vous ?

Je laisserai cette appréciation à d’autres. Ma carrière n’est de toute façon pas terminée chez les Gunners. J’espère repartir du bon pied l’été prochain et aller au bout de mon engagement, voire plus loin. Ce n’est que le jour où je quitterai le club qu’on verra ce que j’ai signifié pour lui. Idem avec Dennis Bergkamp. Aussi longtemps qu’il a fait partie des cadres, les fans ont trouvé normal qu’il empile les buts. A présent qu’il a raccroché, ils raisonnent plus loin et se rendent compte que le Néerlandais a vraiment constitué un tournant dans l’histoire du club, au même titre qu’Arsène Wenger. Avant leur arrivée, Arsenal avait la réputation d’une équipe ennuyeuse. Le mot score Arsenal ou encore boring Arsenal en disait long à ce sujet. Sous l’impulsion de ces deux-là, les Gunners se sont débarrassés de cette vilaine étiquette. Ils ont engendré une véritable révolution et, à ce titre, ils méritent une place à part dans l’histoire du club.

Cristiano Ronaldo vient d’être désigné meilleur jeune joueur, ainsi que meilleur joueur tout court, de la saison. Avez-vous voté pour lui ?

En tant que meilleur jeune joueur, oui. Mais pour ce qui est du titre de joueur de la saison, j’ai voté pour Paul Scholes. A mes yeux, davantage que l’avant portugais, qui ne manque évidemment pas de mérite, l’international anglais aura été le grand bonhomme de Manchester United cette saison. Comme d’habitude, pourrait-on dire. Quand il n’est pas là, les prestations des RedDevils s’en ressentent. Le rouquin, c’est le footballeur-clé des Mancunians. Il confère à l’équipe un facteur que bien peu, hélas, estiment à sa juste valeur : le rythme d’un match. C’est lui qui dicte le tempo, temporisant par moments et accélérant à d’autres. Scholes est l’exemple, également, du véritable clubman. On l’imagine difficilement jouer ailleurs qu’à Old Trafford. Cristiano Ronaldo, t’as le temps de l’admirer parce que le ballon lui colle au pied pendant des secondes, durant ses raids dévastateurs. Chez Scholes, tu ne parles pas en secondes mais en dixièmes de seconde, car les trois quarts du temps, le cuir ne fait que transiter un bref moment par ses pieds. Chez lui, tout se fait toujours vite et il ne lui faut jamais qu’une fraction de seconde pour alerter un partenaire. Cette faculté de jouer en un temps, et de trouver toujours le coéquipier démarqué, n’est pas donnée à tout le monde. Scholes l’a et c’est ce qui le rend unique à Manchester. En outre, il possède pas mal d’autres qualités : il sait marquer, donner une passe décisive et, ce qui ne gâte rien, il met toujours le pied si le besoin s’en fait sentir. Pour Alex Ferguson, il est d’une valeur inestimable. Il contribue à faire mieux jouer les autres et c’est une denrée rare.

 » Rosicky pense trop au But du Mois  »

Y a-t-il des joueurs qui remplissent ce rôle à Arsenal ?

Il y en a au moins deux qui permettent aux autres d’élever leur niveau de jeu : Cesc Fabregas et Tomas Rosicky. Le premier porte la marque de fabrique du Barça, comme Andres Iniesta d’ailleurs : il est très fort balle au pied et excelle dans le passinggame. Pour moi, il a la caractéristique du grand joueur : là où d’autres doivent agir dans l’urgence, il trouve toujours le temps et l’espace pour alerter à bon escient un équipier. Et le Tchèque est de la même trempe. La première fois que je l’ai rencontré sur une pelouse, il évoluait encore au Sparta Prague et moi à Monaco. On l’avait remporté 4-2 mais le match portait sa griffe. Sur le flanc gauche, il avait hérité du ballon, puis passé tout le monde en dribble avant de scorer. Cette saison, avec nous, il a marqué l’un ou l’autre buts d’anthologie. Le problème, avec lui, c’est que tout ce qui n’entre pas en ligne de compte pour le But du Mois ne l’intéresse pas ( il rit). Il est capable de planter des goals inimaginables mais quand c’est trop facile, il loupe toujours l’immanquable. On plaisante toujours avec lui, à ce propos, dans le vestiaire. Mais c’est sûr qu’il apporte un plus à l’équipe. Pour moi, il va pleinement éclater la saison prochaine après une première année d’apprentissage.

Thierry Henry blessé, c’était un phénomène rare jusqu’à cette saison. Comment expliquez-vous vos ennuis ?

J’avais déjà été arrêté jadis pour de petits bobos. Après le Mondial 98, j’avais souffert d’une hernie discale qui m’avait tenu éloigné des terrains pendant quelques semaines. A présent, ce n’est malheureusement plus en semaines mais plutôt en mois qu’il faut raisonner. Depuis le début de la saison, j’ai traîné une gêne. Le coach a bien essayé de m’épargner, en me faisant souffler plus souvent qu’à mon tour, mais au bout du compte mon corps a lâché. A l’occasion du match décisif contre le PSV Eindhoven, j’avais une fois de plus été lancé dans la bataille, comme joker, en fin de partie. Mais ce soir-là, j’ai compris qu’il ne servait plus à rien d’insister. Avec 50 % de mes adducteurs en moins et un pincement du nerf sciatique, je n’avais plus qu’une seule solution : observer le repos complet. Cette cassure, je la sentais venir. Depuis huit ans, j’ai joué près de 60 matches par saison, à un très haut niveau. L’année passée, ce fut le pompon : 56 rencontres avec les Gunners puis la Coupe du Monde avec l’équipe de France. Deux petites semaines à peine après cet événement, j’ai tenu à disputer le match de gala en faveur de Dennis Bergkamp, qui coïncidait avec l’ouverture officielle de l’EmiratesStadium. Huit jours plus tard, les entraînements reprenaient. C’est un miracle si j’ai pu inscrire 14 buts en 31 matches dans ces conditions. Mais après le PSV, mon corps a dit clairement stop. Il n’en pouvait plus. Du coup, je suis au repos complet jusqu’à la reprise des entraînements en vue de la saison prochaine. Il est exclu que je participe au France-Ukraine du 2 juin au Stade de France ou à France-Géorgie, quatre jours plus tard, à Auxerre. Je veux prendre le temps de me soigner pour mieux rebondir.

A Arsenal ? Car il y a eu des remous, récemment, avec la démission de David Dein, l’un des hommes forts du club. Du coup, l’avenir d’Arsène Wenger et le vôtre sont remis en question, semble-t-il ?

Si je quitte les Gunners, ce ne sera pas de ma propre initiative. C’est que, pour l’une ou l’autre raison, on m’aura poussé vers la porte de sortie. Reste que j’imagine quand même mal mon futur, ici, sans Arsène Wenger. Si je suis devenu le footballeur que je suis, c’est à lui que je le dois. Je ne l’oublierai jamais. Le jour où je ferai mes adieux, j’aimerais que ce soit sous sa coupe.

par bruno govers

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