Bernard Jeunejean

Deux ballons, ça doublonne ?

Si vos pieds ont l’eau à la bouche dès que rôde à proximité un ballon à tripoter, c’est que vous raffolez du football au sens large. Très large : pas forcément limité à ce foot officiel avec deux cibles, un ballon pour 2 x 11 gars et des Lois du jeu. Existent moult tripotages dissidents, plus ou moins confidentiels, dont dernièrement ce footdoubleball que tentent de médiatiser des étudiants ukrainiens : grosso modo identique au foot classique mais avec deux ballons, chacun surveillé par un arbitre de champ ! Pourquoi pas ? Cela ne détrônera pas le foot fifesque en deux coups de cuiller à pot, mais ce n’est pas une raison pour en considérer les adeptes comme d’authentiques hurluberlus.

Par Bernard JEUNEJEAN

D’abord, c’est davantage du foot que les ersatz via lesquels les pieds des protagonistes ne tripatouillent pas la moindre rondeur. Marrez-vous au kicker, au Subbuteo ou sur console FIFA/PES, c’est permis, allez-y, fantasmez à donf, où y’a d’la gêne y’a pas de plaisir : mais ne parlez pas de balle au pied quand vos guibolles restent en stand-by, et que ce sont vos mains qui marquent habilement des buts validés ! Pareil quand vous jouez au ballon juché sur un cheval, deux roues de vélo ou un éléphant qui shoote à votre place ! Par contre, si vos pieds aiment d’amour ce contact avec le ballon, vous voudrez logiquement contacter un max… et vous contacterez davantage si 22 gars se disputent deux ballons plutôt qu’un ! La même logique sous-tend le succès du foot en salle, ou tente d’imposer le jorkyball (foot à deux contre deux dans un bocal de type/squash), ou motive les mordus du foot/freestyle, jongleurs habilissimes au point d’estimer dérisoire de marquer des buts à des adversaires…

Ensuite, dévier par moments du vrai foot permet de s’y améliorer, et de s’y détendre en restant dans l’esprit du jeu… de pieds ! Ne me dites pas que le beach soccer, agréé FIFA, est moins farfelu que ce footdoubleball que souhaiteraient fédérer nos Ukrainiens. Ils n’ont d’ailleurs rien inventé, les petits matches à deux ballons existent partout à l’entraînement : ils aiguisent la concentration, la vista, la vitesse de réaction. Jadis à Nantes, Coco Suaudeau organisait des matches indoor sur un terrain parsemé de plints, bocks, bancs et autres obstacles : afin de mieux regarder le jeu, réagir plus vite aux déviations inattendues ! Et à ceux souhaitant se spécialiser en reprises acrobatiques, mentionnons le Sepak takraw, populaire en Asie du sud-est : trois contre trois sur un terrain de badminton, filet à 1m55 du sol… imaginez la hauteur des volées et bicyclettes ! Mais sans aller jusque-là, qui nierait qu’un petit tennis-ballon est éminemment délassant, comme le sera le foot-golf le jour où les golfeurs nous autoriseront à fouler leurs sacro-saints greens ?

Enfin, les dissidences – tentatives de passionnés rêvant d’un foot plus ludique, plus technique, moins violent ou plus spectaculaire – ont joué leur rôle dans l’évolution du foot officiel. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, ça s’appelait déjà football mais les contacts (avec le ballon comme avec l’adversaire) étaient autorisés à main nue autant que d’arrache-pied ! Si les étudiants de Cambridge en 1848 n’avaient pas limité le maniement (au sens strict) du ballon et décidé de ne plus pouvoir dézinguer l’adversaire en lui shootant dans les guibolles, si ceux de Rugby en 1863 n’avaient pas fait sécession par amour du placage et du carry (courir ballon en mains), qui sait à quoi correspondrait le foot aujourd’hui ? Et qui sait à quoi il correspondra dans un siècle si un footdoubleball, ou Dieu sait quelle autre déviance, a rencontré l’enthousiasme populaire au point de chatouiller l’immobilisme du Board ?

Le footdoubleball n’est sûrement pas la panacée universelle, m’est avis qu’il doit même faire désordre dans bien des cas : z’imaginez un péno avec un ballon, mais le jeu qui continue avec l’autre dans le même rectangle ? ! Toutefois, il faut en scruter les aspects positifs : ainsi, il paraîtrait que les joueurs, au lieu de contester dès le moindre arrêt de jeu à propos d’un ballon, préfèrent s’en aller galoper pour disputer l’autre ballon ! Deux ballons mais moins d’emmerdeurs ? Chouette.

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