Des chiffres implacables

Quatre ans après une première enquête, Sport/Foot Magazine a soumis une nouvelle liste de questions très larges aux footballeurs professionnels. Certaines réponses sont saisissantes.

Il y a tout juste quatre ans, Sport/Foot Magazine avait sondé les professionnels de Belgique, pour la première fois, leur envoyant une longue liste de questions par courrier confidentiel sur un vaste nombre de thèmes les concernant. La liberté d’expression est plus grande dans le cadre d’une enquête anonyme que d’une interview, évidemment, et l’enquête de 1999 avait déjà donné lieu à quelques découvertes et à la controverse.

Début mai de cette année, tous les footballeurs professionnels de Division 1 ont à nouveau reçu un questionnaire. Un quart d’entre eux s’est donné la peine de se pencher dessus, de cocher les réponses ad hoc et de renvoyer le formulaire à la rédaction. Comme il y a quatre ans, nous avons garanti un anonymat total aux joueurs, ce qui leur donnait en principe la liberté d’exprimer leur opinion sans crainte de représailles de qui que ce soit. Les réponses de ces 77 footballeurs û ils ont été plus nombreux à réagir mais un certain nombre de formulaires est arrivé trop tard pour être traité û ont fourni les résultats suivants.

Dopage : 5 % ont pris !

Ce thème fait l’objet des plus folles rumeurs dans le milieu du football, souvent sans être appuyées par des chiffres ou des preuves. C’est également dans cette rubrique que nous avons relevé les réponses les plus frappantes. Et une fois de plus, nous ne pouvons aboutir qu’à une conclusion : ce phénomène existe bel et bien.

La Communauté Flamande effectue des contrôles réguliers mais les footballeurs sont très rarement signalés positifs. Edwin Ouon, le joueur français de l’Antwerp surpris à utiliser des anabolisants, constituerait-il une exception dans le paysage footballistique belge ? Non, estiment les joueurs qui ont répondu. Sur 77, six admettent avoir déjà été confrontés au dopage. Et 16, soit 20 %, disent qu’ils ont connaissance de dopage dans le football belge. Quatre joueurs admettent avoir déjà utilisé des moyens stimulants et dix connaissent d’autres joueurs qui l’ont fait. A mettre en exergue : un tiers seulement des joueurs a reçu la liste des produits interdits de son club. Leurs employeurs n’ont donc pas fourni beaucoup d’informations.

 » Ces chiffres me font peur « , réagit Chris Goossens, le médecin du GBA.  » Quatre admettent s’être dopés, ce qui fait 5 %. Ce chiffre correspond sans doute assez bien à nos constats mais ça veut aussi dire que 95 % sont clean. Imaginez que vous posiez la même question, dans une enquête anonyme, à des cyclistes : vous obtiendriez de tout autres chiffres, je pense. Par contre, que dix admettent connaître des dopés dans le football, c’est beaucoup, surtout dans un sport où les contrôles, réalisés aussi depuis peu côté francophone, ne sont jamais annoncés. Nous devrions en discuter avec l’Union Belge afin de sensibiliser les joueurs au problème. La tentation est parfois grande d’agir derrière le dos du médecin du club. Actuellement, vous pouvez tout commander sur Internet, et souvent, il n’y est même pas indiqué qu’un produit est interdit. Nous avons eu le cas Ouon et un joueur du Cercle. Je pense qu’ils ont surtout besoin d’être informés « .

Corruption : moins de 50 % la dénonceraient !

Quand on leur demande s’ils ont été confrontés à une demande de corruption, cinq joueurs répondent par l’affirmative. Trois admettent avoir été approchés et 14 connaissent des confrères qui l’ont été. 48 joueurs répondent  » oui  » à la question de savoir si la corruption existe en Belgique. Comment réagissent-ils ? 61 % le diraient à un coéquipier, 62 % au club, près de 73 % à l’entraîneur. Moins de la moitié(48 % à peine) déclare qu’il préviendrait le parquet fédéral, compétent en la matière.

Nous avons également demandé si la récente condamnation au civil de Coen Burg et de Marc Cox effrayait les joueurs. La moitié affirme que le risque d’une éventuelle condamnation juridique ne les rend pas plus prudents.  » Admettre avoir été approché est une chose « , rétorque le procureur fédéral, René Verstringhe,  » la question, c’est par qui et s’ils ont accepté. Il semble qu’on ne puisse pas empêcher de tristes personnages d’approcher des joueurs. Tout ce que nous pouvons faire, c’est leur demander de nous en informer. Les joueurs qui le font ne courent pas le moindre risque et reçoivent la garantie qu’une enquête approfondie sera réalisée par des gens expérimentés qui, malgré certaines limitations û nous n’avons pas les moyens des tribunaux û font quand même du très bon travail. N’oubliez pas que l’affaire Cox et Burg est venue au jour grâce à un enregistrement dans le cadre d’une autre affaire, de drogue. Il y a une condition : que les joueurs maintiennent leurs déclarations. Trop souvent, nous lisons quelque chose mais quand nous demandons des précisions au joueur, il rétorque qu’il ne voulait pas dire ça. Le dernier en date a été Enzo Scifo « .

Verstringhe ajoute qu’il reçoit divers dossiers, chaque saison, mais pas de Division 1. Il n’est pas étonné que la possibilité d’une sanction judiciaire n’incite pas à davantage de prudence :  » Il s’écoule trop de temps entre les faits et le prononcé du jugement. Si on condamnait les corrupteurs plus vite, ce serait nettement plus dissuasif car les faits seraient encore frais dans les mémoires. Je suis cependant heureux de la sévérité des peines prononcées car je suis convaincu que cela a malgré tout un effet dissuasif. Dans le passé, nous étions impuissants face à ces personnages, puisqu’ils n’étaient pas affiliés à l’UB. Nous ne pouvions donc pas les sanctionner. Maintenant, nous pouvons transmettre ces dossiers au tribunal « .

90 % estiment leur club assez sain financièrement

Les footballeurs sont satisfaits de leur sort. Trois quarts des joueurs estiment leur club bien dirigé et autant sont contents de leurs contacts avec la direction. Près de 70 % s’estiment respectés par leur club, ce qui se traduit en amour de leurs couleurs, puisque 85 % affirment avoir cet esprit de club. 90 % estiment que le club a suffisamment de moyens financiers pour conserver sa place en Division 1. Leur club a-t-il progressé par rapport aux autres ? Oui, selon 74 %, tandis que 85 % soulignent les ambitions de leur employeur. Commercialement, deux joueurs sur trois pensent que leur club effectue du bon travail mais 38 % trouvent qu’il pourrait faire mieux en merchandising. 70 % répondent par l’affirmative quand on leur demande si le club effectue suffisamment d’efforts pour ses supporters.

90 % des joueurs estiment les étrangers bien accueillis en Belgique mais sur ce plan, un autre élément se dégage : 84 % des joueurs estiment qu’on devrait supprimer l’anglais comme langue véhiculaire dans le vestiaire. Ils estiment qu’il faut obliger les joueurs à apprendre la langue de la région. L’ampleur des noyaux suscite des doutes : ils sont trop grands, pour 53 % des joueurs. D’un autre côté, 80 % estiment que le noyau A dont ils font partie est un  » bon groupe  » et plus de 80 % cochent les constats suivants :  » J’éprouve du plaisir à jouer  » et  » l’ambiance dans le vestiaire est bonne « .

En bref, le professionnel belge n’est certainement pas malheureux, même si un sondé sur trois affirme ne pas être aligné à sa position de prédilection. Quatre joueurs sur dix trouvent aussi que leur club effectue trop de transferts et accorde trop peu de chances à ses propres jeunes, bien que les trois quarts trouvent la formation de ces jeunes très bonne. A épingler : un professionnel sur trois dit que son club n’a pas de coordinateur des jeunes employé à temps plein.

Le footballeur professionnel belge est moins content des conditions dans lesquelles il doit exercer son métier. De bons terrains d’entraînement ? 57 % disent que leur club n’en possède pas. Un cabinet médical professionnel ? Il n’y en a pas pour 41 %. Une salle de fitness propre ? Non, pour la moitié. Et ils ne sont qu’un quart, à peine, à disposer d’installations en salle. Seuls 45 % des joueurs soulignent donc, logiquement, le constat selon lequel leur club investit suffisamment en infrastructures.

Economies : 33 % sont d’accord

Le temps des économies est venu. Il n’y a plus guère de transferts payants et ceux qui doivent prolonger leur contrat sont obligés de consentir des sacrifices. Combien, nous sommes-nous demandé. Et quel est le salaire moyen du football professionnel ? Depuis l’arrêt Bosman (décembre 1995), beaucoup de dirigeants de clubs se sont plaints que les salaires des joueurs dépassaient les bornes. Est-ce exact ? Peu de gens sont disposés à révéler ce qu’ils gagnent mais, sous couvert de l’anonymat, la plupart ont accepté de répondre (voir leurs réponses chiffrées dans un des encadrés).

Deux joueurs sur trois trouvent qu’ils gagnent assez mais d’un autre côté, à peine moins de la moitié (48 %) trouve qu’il faut mettre fin à la spirale des salaires. Un joueur sur trois estime normal de devoir consentir un effort car les salaires étaient exagérément élevés. Pourtant, la moitié ne craint pas de devoir consentir d’effort en réalité.

Nous avons demandé aux joueurs qui ont signé un nouveau contrat le printemps dernier s’ils avaient reçu une augmentation ou s’ils avaient dû, au contraire, accepter une diminution. Sur les 35 joueurs concernés, 42 % ont répondu qu’ils avaient été augmentés, 40 % qu’ils avaient conservé les mêmes émoluments et seulement 17 % qu’ils gagneraient moins à partir de la saison prochaine. Il semble donc que les dégâts restent limités.

Nous avons été plus loin en demandant à cette dernière catégorie de préciser l’ampleur du sacrifice. La moitié répond qu’il s’agit de moins de 20 %. Un quart estime la diminution de 20 à 49 %, et deux joueurs déclarent que la saison prochaine, ils joueront pour moins de la moitié de leur salaire actuel.

Le chômage : 55 % s’en moquent

Dans les pays voisins, beaucoup de joueurs sont menacés par le chômage. Les Belges se tracassent-ils ? 55 % affirment ne pas s’en préoccuper mais 35 % avouent quand même être très préoccupés et pensent que leur partenaire devra bientôt travailler pour nouer les deux bouts. Seuls 5 % des sondés estiment le football professionnel intenable en Belgique et pensent qu’ils faudrait en revenir au semi-professionnalisme.

Les clubs paient-ils régulièrement ? Oui, affirment les joueurs. Seuls 14 % avancent des retards de paiement de salaire et 12 % des retards pour les pensions. 12 % sont d’accord pour dire que leur club ne respecte pas ou pas suffisamment les conventions prises en matière de paiement.

Est-ce dû au système des licences ? Peut-être. D’ailleurs, qu’en pensent les joueurs ? Pour 90 %, le système est bon. Deux joueurs sur trois estiment qu’on ne va pas assez loin. Fait significatif : 95 % des joueurs plaident pour l’introduction d’une garantie bancaire afin d’assurer le paiement des salaires quoi qu’il arrive. Et près de 99 % trouvent qu’on peut encore améliorer le contrôle de la comptabilité.

90 % des joueurs approuvent le système de la licence

45 % des joueurs estiment que les infrastructures suffisent

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