Il y a eu beaucoup de tentatives de répression de la violence, mais elles sont toujours restées lettres mortes. La population italienne attend le déclic.

Fin mars, début avril 2005, le Comité permanent italien contre la Violence dans le sport avait multiplié les initiatives afin que l’on commémore comme il se doit le 20e anniversaire de la tragédie du Heysel. OtelloLorentini, le président honoraire, et ses amis ont donné plusieurs conférences, y compris à Bruxelles. L’association n’a pas manqué une seule occasion pour lancer son message qui en substance disait :  » Les 39 victimes du Heysel sont mortes pour rien. L’Italie a tout fait pour qu’on oublie ce drame. Cette amnésie générale est inadmissible. Ce n’est pas de la sorte que l’on règle une situation qui ne cesse d’empirer. C’est d’autant plus grave que la Belgique et surtout l’Angleterre, qui était la plus contaminée par le problème du hooliganisme, ont tiré les leçons de la catastrophe. Chez nous, rien n’a été fait. Des discours, un point c’est tout  » !

Ironie du sort, le vendredi 15 avril 2005, le gouvernement italien officialisait le nouveau cadre de loi anti-violence qui entrait en vigueur le soir même. Les arbitres et les forces de l’ordre pouvaient arrêter les rencontres en cas d’incidents. Les contrôles allaient être renforcés et la tolérance zéro était décrétée. Instantanément, les clubs ont protesté. Ils ne comprenaient pas que l’on puisse édicter de telles mesures, quitte à paralyser le championnat.

Ces décisions avaient été prises suite aux incidents ayant émaillé la demi-finale de la Ligue des Champions entre l’Inter et Milan, interrompue par les fumigènes lancés par des supporters. Quelques heures après, Silvio Berlusconi, alors chef du gouvernement, avait annoncé des mesures drastiques contre les hooligans. Effectivement, deux jours plus tard, le ministre de l’Intérieur GiuseppePisanu fixa un rendez-vous aux dirigeants du comité olympique (CONI) et de la fédération de football pour leur annoncer que les nouvelles dispositions entraient en application le soir même à l’occasion des matches avancés de D2, Catane-Piacenza et Empoli-Pescara. Les arbitres pouvaient donc interrompre les rencontres dès que le premier objet tombait des tribunes et les forces de l’ordre avaient le même pouvoir que le directeur de jeu d’arrêter les matches en cas de graves incidents tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des stades. Mais ce n’était pas tout : les contrôles seraient renforcés, plus de femmes policiers allaient être mobilisées pour fouiller les jeunes filles que l’on utilise pour amener au stade tout ce qui est prohibé, et enfin des opérations de surveillance seraient effectuées autour des stades.

Ce tour de vis n’a pas plu au monde du football, inquiet de voir la loi sur l’interruption des matches appliquée. L’ex-président de la fédération, Franco Carraro, a parlé d’une totale collaboration avec les forces de l’ordre afin que l’on réinstalle un climat civilisé. Mais en fait, il savait qu’il aurait besoin du gouvernement pour soutenir la candidature de l’Italie en vue de l’organisation de l’EURO 2012.

Des mesures démagogiques

Matteo Patrono d’ Il manifesto :  » Rapidement, ces mesures sont apparues plus démagogiques qu’autre chose. La veille, déjà, un des quatre ultras arrêtés pour le triste spectacle pyrotechnique de San Siro avait été remis en liberté. Ce jeune garçon originaire de Desio (23 ans), étudiant et supporter de l’Inter, a passé la nuit du mercredi au jeudi en prison, avant d’être renvoyé à la maison parce qu’il avait été victime d’une erreur d’identification. En effet, en visionnant les images des caméras en circuit fermé, la police scientifique l’avait pris pour quelqu’un d’autre. Ce n’est pas tout : le vendredi, jour de l’annonce des nouvelles dispositions légales, les mandats d’arrêt des trois autres ultras interistes ont été confirmés. Il s’agissait d’un ouvrier travaillant dans les ascenseurs, d’un plombier, qui comme il était en sursis s’est directement vu infliger une interdiction de stade de trois ans, et d’un menuisier. Ce dernier, d’origine équatorienne, était connu des forces de l’ordre : quatre ans plus tôt, il avait fait partie de la bande qui avait lancé une mobylette du haut d’une tribune de San Siro à l’occasion de la venue de l’Atalanta et avait écopé de 14 mois de réclusion. Et en 2003, il avait été condamné à 5 mois et 20 jours de prison ferme assortis d’un an et demi d’interdiction de stade pour avoir lancé des objets dangereux durant la rencontre Juventus-Inter.

Le 24 février 2003, le gouvernement avait proposé au Parlement un décret de loi visant à lutter contre la violence dans les stades basé sur la justice immédiate. Mais dès les premières interventions, on a compris qu’il déclencherait des polémiques, non seulement entre la majorité et l’opposition mais au sein du gouvernement même. Des peines de 3 à 18 mois de prison étaient prévues pour les personnes tentant d’introduire des pétards, feux de Bengale ou tout objet produisant de la fumée et émettant des gaz. Ces lois ont été promulguées à la vitesse de la lumière et n’ont jamais eu de prolongement sur le terrain. Ce qui est beau, c’est que pendant que ce décret entrait en vigueur, son concepteur, le sous-secrétaire aux Biens culturels délégué au Sport, MarioPescante, n’était pas au courant. Tôt le matin, il assurait à la radio que moins d’une semaine plus tard, tout serait prêt : – Dimanche prochain, tout sera opérationnel. Puis, averti, que le président CarloAzeglioCiampi avait signé le décret et que les premières arrestations avaient eu lieu, il remercia -Les institutions qui, avec leur rapidité, ont mis les forces de l’ordre en état d’appliquer le décret y compris suite aux événements enregistrés samedi dernier. Toutes ces anecdotes sont révélatrices du manque total de volonté de nos dirigeants politiques et de la justice quant à l’application des peines « .

Made in England, please !

En septembre 2003, suite à un week-end noir supplémentaire, le ministre de l’Intérieur propose de nouvelles mesures, comme la carte magnétique, des places numérotées même dans les pourtours, la multiplication des stewards et l’obligation de jouer certains matches à risque à huis clos. Cette idée plaît à bon nombre de joueurs et d’entraîneurs dont MarcelloLippi, à l’époque à la Juventus, et à FabioCapello, qui a toujours eu des mots sévères à l’égard des violents. Quelques (timides) voix contraires se sont élevées mais elles venaient toutes des clubs, qui n’entendent pas débourser un euro pour la sécurité. Enfin, il y avait le président de Palerme, MaurizioZamparini, qui demandait que l’on s’inspire du modèle anglais. Selon lui, il était moins cérébral : des caméras en circuit fermé et la prison pour qui dévie du droit chemin.

Francesco Caremani, auteur de plusieurs ouvrages sur la violence et les affaires dans le Calcio dont Le Foot au-delà des barricades et Le show du Calcio pourri :  » Tolérance zéro, combien de fois n’a- t-on pas lu et entendu ces mots depuis vingt ans en Italie ? Mais tout le monde sait qu’après le Heysel, l’Angleterre s’est vraiment appliquée à alléger pour toujours la plaie et aujourd’hui on regarde cette nation comme un modèle à copier. Pour arriver à ses fins, Margaret Thatcher avait réussi le coup de force de changer la législation traditionaliste de son pays. Celui qui est pris en train de commettre un délit à l’intérieur d’un stade est immédiatement incarcéré, jugé sur-le-champ et la peine à laquelle il est condamné est incompressible. Cela peut paraître une loi sévère mais en Angleterre, elle a porté ses fruits même si le hooliganisme n’est pas totalement éradiqué.

En Italie, cela fait longtemps qu’un sentiment d’impuissance et d’angoisse accompagne le football. Si on peut estimer juste la décision d’arrêter tout instantanément, cela ne servira à rien si l’on continue à discutailler sur et autour du problème. Cela fait 30 ans que l’on assiste à des bagarres, que l’on compte les victimes parmi lesquelles des tifosi innocents. Nous préférons nous agripper à l’espoir que cette fois-ci, tout ira bien. Comme si on croyait que la guerre ne faisait pas de mort. Depuis 1981, on ne compte plus les sommets entre toutes les institutions concernées et un quart de siècle plus tard, nous sommes toujours en train de parler de tours de tables, de réunir toutes les forces et toutes les bonnes intentions. La ministre des Sports, Giovanna Melandri, a annoncé qu’elle allait organiser une table ronde le 25 février, mais cela ne sert à rien. Non, cela ne peut pas continuer de la sorte. On a apparemment blindé les stades mais les billets nominatifs, les tourniquets et les fouilles à l’entrée n’ont pas empêché des pétards, des lacrymogènes et des bombes à main d’entrer. Le problème est qu’il faut rendre les clubs responsables de la gestion des enceintes. En effet, la situation actuelle est incroyable : les stades appartiennent aux villes qui les mettent à la disposition des clubs. Ceux-ci prétendent qu’ils ne sont pas les propriétaires et qu’ils ne doivent donc pas effectuer les modifications nécessaires. Les autorités communales renvoient la balle prétextant le fait qu’elles fournissent déjà un gros effort en mettant les infrastructures à la disposition des clubs pour une somme symbolique. Dans son for intérieur, la population est du côté des autorités car il ne faut pas oublier que la gestion financière des clubs n’a pas été très saine. Ils doivent plus de 500 millions d’euros au fisc et tentent par tous les moyens, légaux ou non, d’y échapper. Comment voulez-vous qu’ils acceptent de donner un euro pour la sécurité ?

Cela étant, c’est un problème de valeurs qui dépasse le cadre du football. L’Italie est un pays où on ne respecte pas les règles et l’Etat ne s’octroie pas les moyens nécessaires pour lutter contre la violence dans le sport. Depuis des années, les agressions perpétrées à l’encontre des forces de l’ordre restent impunies comme tant d’autres méfaits. Si on donne la gestion des stades aux clubs, il faudra par la force des choses leur garantir, via la loi, que les sanctions seront réellement appliquées « .

Du Sud au Nord : un manque d’éducation

Cet épisode rappelle que la gangrène est partout. C’est la triste réalité. Ainsi, à la fin du premier tour, 108 personnes ont été arrêtées et 486 interpellées, contre 96 (+12 %) et 256 (+89,84 %) l’année précédente.

Giuseppe Di Fazio, dans la Sicilia, le quotidien de Catane :  » Il faut punir les coupables et non pas la ville. Ces tristes événements nous ont rappelé qu’il y a partout des bandes de jeunes errant sans but, sans idéaux, groupés dans des groupuscules prêts à frapper la société en plein c£ur. Il faut certainement réprimer cette onde de guerre métropolitaine mais il faut aussi se rendre compte que la première nécessité est d’éduquer ces jeunes. Que les faits aient lieu dans le Sud n’a rien à voir. Le Sud et le Nord, il n’y a pas de différence. Il y a des criminels dans tous les domaines, y compris dans le sport. Et si nous restons sur ce terrain, des actes criminels ont récemment été commis à Gênes, Milan et Rome. Il y a une vague de micro et de macro violences que les institutions ont sous-évaluée. C’est un problème qui concerne tout le pays car ces jeunes qui lancent des pétards sont les mêmes qui dévastent les trains, les autogrills et les voitures. Pourquoi donc n’ont-ils pas été arrêtés avant ? Pour leur rendre des valeurs morales au moyen du sport, il faudrait qu’on leur donne les moyens de le pratiquer mais ils ont peu d’infrastructures à leur disposition et encore elles sont très souvent insalubres « .

Si le football en est arrivé là, la faute n’en incombe pas seulement aux dirigeants politiques selon Sergio Rizzo, du Corriere dello Sport :  » Le monde du football a tout fait pour arriver à ce point. La commercialisation à outrance, la corruption, le dopage, la recherche de la victoire à tout prix, voilà l’exemple que l’on a donné à nos jeunes. Les responsabilités des dirigeants sportifs sont lourdes. Le football est un monde sans règles et quand elles existent, on s’amuse à les détourner. Le pardon a finalement caractérisé Calciopoli. Le football italien est malade surtout à cause de l’importance sociale qu’il a prise. Il y a trop d’argent qui, en plus, est mal réparti.

Quant aux politiciens de toutes les tendances, ils n’ont jamais perdu de vue qu’il y avait pas mal de voix en jeu et certains parlaient d’amnistie alors que les procès n’avaient pas encore commencé. Et puis, il y a eu les bourgmestres qui, sans savoir s’ils étaient coupables ou non, ont apporté leur soutien inconditionnel aux clubs de leur ville. Enfin, analysons le comportement des tribunaux d’arbitrage régionaux (TAR) : il n’y en a jamais eu un seul qui a donné tort aux dirigeants du club local quand ils s’adressaient à la justice ordinaire après avoir été condamnés par la justice sportive. En raison de sa complexité et des intérêts qu’il suscite, le Calcio doit être protégé et non pas dépouillé « .

NICOLAS RIBAUDO

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici