© REUTERS

Derrière le masque

Toutes ces petites choses inédites sur le parcours sportif et la vie d’homme du coach de nos U17, demi-finalistes du récent Championnat d’Europe.

Un soir de septembre 2005. Charleroi – Bruges. Thierry Siquet fait 2-0 pour les Carolos. François Sterchele, encore Zèbre, et Ivan Leko, toujours joueur brugeois, vont aussi scorer. Au final, un 3-3 spectaculaire. Siquet vient de planter le tout dernier but de sa carrière, le seul de son passage de deux ans à Charleroi, et il ne jouera plus que deux matches avant de raccrocher.

Le corps est un peu en lambeaux.  » L’image que je retiens de lui à Charleroi, c’est la façon dont il a célébré ce but « , dit Frank Defays, coéquipier de l’époque.  » Il a mimé celui qui fait avancer son fauteuil roulant. Une façon de dire : Papy est toujours là, il a du mal mais il est là.  »

Il est à quelques jours de ses 37 ans et est, à ce moment-là, le plus vieux joueur du championnat. Que fait-on d’un Thierry Siquet qui ne joue plus au foot ? Le recyclage se fera sur place. Il deviendra adjoint de Jacky Mathijssen puis il remplacera Philippe Vande Walle comme T1. Et pas question de lui marcher sur les pieds !

Exemple : Charleroi loue à Monaco un Colombien qu’on qualifie d’extraterrestre, Juan Pablo Pino. Un artiste de haut vol, soi-disant. Les supporters le voudraient dans l’équipe, la direction aussi. Mais le gars a un caractère un peu compliqué et Thierry Siquet le cantonne au banc. Il délimite son territoire. Abbas Bayat sait ce qu’il veut ? Thierry Siquet aussi !

Cette scène du mime du moins-valide en fauteuil, elle étonne. Parce que l’homme n’a pas un look de gai luron. Il passe plutôt pour un gars effacé, gris, à la limite triste. Mais ça, c’est pour le grand public. Jan Van Steenberghe a gagné avec lui la Coupe de Belgique en 2003. Van Steenberghe était dans le but de La Louvière, Siquet portait le brassard.

 » Je peux te dire que quand c’était le moment de faire la fête, il était à fond dedans « , lâche JVS.  » Quand on est rentrés à La Louvière le soir de la finale, c’était du costaud ! J’ai aussi le souvenir d’un capitaine qui ne parlait pas énormément, mais quand il avait quelque chose à dire, c’était droit au but. Il prenait la parole aux bons moments, son discours était clair et net.  »

 » Thierry Siquet estimait qu’il n’avait pas besoin de chef  »

Ce qui ressort d’abord des témoignages de gens qui le connaissent très bien, c’est que Thierry Siquet a des idées. Ses idées. Il mourrait avec ses convictions. En 2013, Philippe Emond l’a recruté comme directeur technique de l’école des jeunes de Virton. Il se souvient :  » Pour moi, il avait le profil idéal : il avait joué et entraîné en D1, il connaissait le fonctionnement des équipes de jeunes à l’Union Belge, il avait appris à découvrir la mentalité de la région quand il entraînait Bertrix et il avait la Licence Pro.

C’est un caractère très fort, j’avais l’impression à certains moments qu’il était dans son monde.  » – Philippe Emond

Il a permis à plusieurs jeunes de progresser vers la Première. Mon seul regret par rapport à notre collaboration, c’est qu’il avait effectivement des idées bien arrêtées, parfois trop arrêtées. Ce n’était pas facile de le faire changer d’avis. C’est un caractère très fort, j’avais l’impression à certains moments qu’il était dans son monde. Il ne cherchait pas le contact avec ses dirigeants, il estimait qu’il n’avait pas besoin de chef, il avait un peu de mal à s’intégrer dans une hiérarchie. Par exemple, Frank Defays tenait compte des aspects financiers du club alors que Thierry Siquet estimait que ce n’était pas son problème. Mais au final, je retiens que ça a été une chouette petite tranche de vie.  »

La bande à Siquet vient de réaliser l'exploit de la compétition en s'imposant en quarts face à l'Espagne, tenante du titre : 2-1.
La bande à Siquet vient de réaliser l’exploit de la compétition en s’imposant en quarts face à l’Espagne, tenante du titre : 2-1.© REUTERS

En 2012, quand il est directeur technique de l’Union Belge, Benoît Thans procède à des engagements à la chaîne. Sur le court, le moyen et le long terme, ce seront des coups dans le mille.  » J’ai dû me battre avec les patrons de la fédération pour qu’ils acceptent les noms que je leur proposais, il a fallu que je joue des coudes. J’ai poussé pour Johan Walem, Gert Verheyen, Filip De Wilde, Alex Teklak. J’ai fait le forcing pour qu’on prenne Ives Serneels comme entraîneur de l’équipe nationale féminine. Personne ne voulait de lui. Et j’ai aussi proposé Thierry Siquet.

On me soupçonnait de copinage mais au final, ils ont tous fait le boulot. Thierry Siquet a été nommé responsable du foot élites avant de devenir adjoint d’équipes de jeunes puis entraîneur principal. Ça n’a pas été facile pour lui au début parce que, dans une institution comme l’Union Belge, les nouveaux dérangent. Il s’est accroché et il a fini par faire passer ses idées. Sans précipiter les choses parce qu’il avait bien compris qu’il devait y aller par étapes.  »

 » Il moussait pour un oui, pour un non  »

Benoît Thans et Thierry Siquet, c’est une longue histoire commune. A leurs débuts pros, ils étaient ensemble dans le noyau du Standard. Plus tard, ils se sont retrouvés à La Louvière. C’était l’époque du fameux Taxi Tivoli. Domenico Olivieri démarrait très tôt le matin de Houthalen, il était prêté par Genk et avait une voiture familiale de ce club.

Sur la route vers La Louvière, il prenait successivement Didier Xhardez, Benoît Thans, Onder Turaci et Thierry Siquet, qui embarquait à hauteur de Bouge.  » Des dizaines de milliers de kilomètres ensemble et des parties de plaisir mémorables « , dit Thans.

Mais sur les terrains d’entraînement, pas de parties de plaisir pour Thierry Siquet. Didier Frenay le côtoie depuis plus de 25 ans et il est le parrain de l’une de ses deux filles. Ils se sont découverts au Cercle de Bruges, au début des années 90.  » C’était facile de le faire grimper dans les tours, on pouvait vite le démonter, il moussait pour un oui, pour un non. Ça nous amusait, même. Il suffisait qu’un joueur dise qu’une rentrée en touche était pour lui, alors qu’elle était en fait pour l’équipe de Thierry Siquet, il explosait.

Le jeudi, avec Henk Houwaart, on faisait du tennis – ballon. Thierry Siquet n’était pas toujours de bonne foi. Si tout le monde avait vu la balle sur la ligne, il l’avait vue dehors. Il pouvait avoir autour de lui tous des gens qui voyaient bleu, lui il maintenait que c’était vert. Plus têtu que lui… difficile à trouver. Il ne laissait rien passer, il ne s’est jamais entraîné avec le frein à main. Et quand certains joueurs ne donnaient pas tout, ça le gonflait.

Tu pourrais lui reparler de Josip Weber, qui avait régulièrement des petits bobos le lundi, le mardi et le mercredi. Il était subitement rétabli pour le tennis – ballon du jeudi, puis il se déclarait fit à 100 % pour le match du week-end. Thierry Siquet n’acceptait pas ça, il disait que les jeunes qui avaient bossé toute la semaine méritaient plus que lui d’être dans l’équipe. Mais nous, on voyait que Weber nous claquait une trentaine de buts par saison.  »

 » Quand il décide de se lâcher, il se lâche  »

Benoît Thans retient aussi cet engagement physique permanent. Et cette façon de péter des câbles.  » Si tu lui faisais un petit pont dans un toro, tu avais intérêt à te barrer vite fait. Il pouvait te tacler directement pour se venger, ou il prenait le ballon, de rage, et il l’expédiait à cinquante mètres. Dans la vie de tous les jours, il a un aspect un peu rugueux, tu as parfois l’impression qu’il râle, tu te demandes si tu lui as fait quelque chose qu’il ne fallait pas lui faire… Mais non, c’est son naturel, il n’est pas très expansif. Il peut subitement éclater de rire pour un détail. Et quand il décide de se lâcher, de s’amuser… il se lâche, il s’amuse.

Je me souviens d’un carnaval fantastique qu’on avait fait dans le stade, au Standard. J’avais découvert ça au FC Liège et j’avais proposé de faire la même chose à Sclessin. C’est ma femme qui a maquillé Thierry Siquet. Avec Alex Czerniatynski, GuyVandersmissen et Guy Hellers notamment, on n’est marrés comme des fous. Urbain Braems était notre coach et un maître de cérémonie de ce carnaval privé.

Si tu lui faisais un petit pont dans un toro, tu avais intérêt à te barrer vite fait.  » – Benoît Thans

Dans des moments pareils, Thierry Siquet était complètement différent de l’homme au visage assez fermé qu’on a l’habitude de voir. Aussi avec Braems, on a fait un stage d’été très sympa à Soulac-sur-Mer, dans la région de Bordeaux. On avait réussi à le persuader qu’il faisait vraiment trop chaud pour s’entraîner en journée, alors il avait programmé les entraînements tôt le matin et en soirée. Entre les deux, on filait à la plage.  »

Didier Frenay nous révèle que la dernière pige de Thierry Siquet comme joueur avait quelque part les contours d’un petit cadeau entre amis… Il peut l’avouer, il y a prescription. Quand il était à Charleroi, juste avant son 400e match en D1, Thierry Siquet nous avait dit :  » Quand tu arrives en fin de contrat à 35 ans, comme c’était mon cas à La Louvière, tu penses que tu ne trouveras plus un club en D1. Je m’étais déjà organisé pour une autre vie. J’avais passé des tests d’embauche avec succès. Mais j’ai saisi l’opportunité carolo. Tout ce qu’on m’offre ici, c’est du bonus.  »

Et donc, Frenay balance :  » Je crois que je fais partie des rares personnes qui ont su avoir une relation privilégiée avec Abbas Bayat. Il me faisait vraiment confiance. Alors, comme je lui avais rendu pas mal de services en lui amenant des joueurs qui avaient été performants, il m’a rendu un petit service à son tour en donnant un contrat à Thierry Siquet. Il a vécu son été indien là-bas. C’est aussi dans ce club qu’il a pu faire ses débuts d’entraîneur, donc il a été gagnant sur tous les plans.  »

 » Il parlait beaucoup avec Ariel Jacobs  »

Pendant la période où Thierry Siquet et Frank Defays sont coéquipiers, ils font la route ensemble, au départ de Namur. Ça change dès le jour où Siquet intègre le staff technique.  » On a construit une relation très forte en passant autant de temps ensemble dans la voiture « , se souvient Frank Defays.  » J’ai beaucoup apprécié le joueur et l’homme. Quand il a arrêté de jouer pour devenir adjoint, on n’a même pas dû parler de notre covoiturage. Dans son esprit comme dans le mien, il était logique de ne plus venir au stade ensemble. C’était naturel de mettre une barrière. Notre relation a alors évolué sur le plan professionnel, mais elle est restée la même sur le plan privé.  »

En demi-finale, les jeunes Azzurri se sont finalement imposés 2-1 face à nos Diablotins.
En demi-finale, les jeunes Azzurri se sont finalement imposés 2-1 face à nos Diablotins.© REUTERS

Thierry Siquet a été marqué par deux coaches en particulier : Ariel Jacobs, rencontré à La Louvière, et Jacky Mathijssen, croisé à Charleroi.  » Il parlait beaucoup avec Jacobs « , se remémore Jan Van Steenberghe.  » C’est le genre de gars dont tu te dis, après coup : Pas étonnant que celui-là soit devenu entraîneur. «  En fin de carrière, Thierry Siquet nous a dit :  » Entre Jacobs et moi, il y avait quelque chose qu’on ne peut pas expliquer.  »

 » Il n’a pas repris l’équipe de Charleroi au meilleur moment « , continue Frank Defays.  » On était dans le trou et, à l’époque, le fonctionnement du club n’était pas simple… Il a travaillé dans la continuité de Mathijssen.  » Un Mathijssen qui essaiera d’ailleurs de le prendre dans sa valise quand il partira à Bruges. Frank Defays poursuit :  » Au niveau de ses émotions, il a continué à montrer le même visage que quand il était joueur. Ce n’était pas un footballeur qui tapait sur la table du vestiaire quand il n’y avait pas de raison de le faire, et comme coach, il est resté très calme. Disons qu’il ne communiquait pas spécialement sa joie…  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire