» Dans deux ans, on concurrence la Hollande « 

Si la course à l’Euro 2012 est plutôt mal engagée, le sélectionneur se veut confiant dans l’optique de la prochaine Coupe du Monde :  » Mon planning est prêt jusqu’à la finale. « 

Le présent et l’avenir des Diables Rouges, le championnat et ses individualités, la réforme : les thèmes ne manquaient pas pour le coach fédéral, qui y a répondu avec une franchise parfois déconcertante.

Que peut-on vous souhaiter pour 2011 ?

Georges Leekens : Une bonne santé. Pour mes proches, pour moi ainsi que pour les Diables Rouges. Nous avons eu la chance de clôturer l’année 2010 en beauté grâce à une belle victoire en Russie. J’espère que nous la confirmerons dans les mois à venir lors de la course à l’Euro 2012 car tout reste possible dans ce groupe. Pour nous relancer, nous ne pourrons toutefois pas nous permettre de faux pas lors des affrontements à venir en Autriche et contre l’Azerbaïdjan en mars et la Turquie en juin.

C’est votre deuxième mandat chez les Diables. Autrefois, vous aviez repris les rênes à un an de la Coupe du Monde 1998. Y a-t-il des similitudes d’une époque à l’autre ?

Non. Au moment de mon investiture jadis, on ne donnait plus cher de nos chances de qualification. Mais nous avions d’emblée rectifié le tir par des succès précieux au Pays de Galles d’abord, puis en Turquie. Je dirigeais alors bon nombre de routiniers à l’image des Filip De Wilde, Lorenzo Staelens, Gordan Vidovic, Franky Van der Elst et autres Enzo Scifo. Cette fois, je suis à la tête d’un groupe nettement plus jeune et notre entrée en matière a été plus laborieuse avec des défaites contre l’Allemagne et la Turquie.

Et un nul malencontreux face à l’Autriche…

Exact. Mais un partage qui nous aura boostés, malgré tout. Ce soir-là, les joueurs ont réussi à recoller deux fois au score avant de mener à un fifrelin du terme. En fin de compte, ils ont été victimes de leur enthousiasme. Au-delà du résultat, je retiens surtout l’état d’esprit qu’ils ont affiché. Ce n’était pas l’attitude d’enfants gâtés mais de conquérants. Même topo à Voronezh. Vu les conditions dantesques de notre déplacement là-bas, certains étaient sur les genoux en deuxième mi-temps. Mais ils ont mordu sur leur chique. Ils voulaient tous ramener la victoire.

 » Kompany réalise aujourd’hui que défendre est un art « 

Vous avez l’embarras du choix à plusieurs postes mais au but et à l’arrière latéral, vous n’êtes toujours pas sorti de l’auberge, non ?

Je dis et je maintiens que nous avons actuellement trois bons gardiens et, derrière eux, je discerne un trio de jeunes tout aussi prometteurs. Nous sommes parés jusqu’en 2022 au moins ( il rit). Sur les flancs, je ne suis pas démuni non plus, même si ceux que j’y ai titularisés ne jouent pas nécessairement à leur poste de prédilection. Il ne faut pas perdre de vue que d’autres solutions se profilent peut-être à l’horizon. Je songe par exemple à Anthony Vanden Borre qui avait livré un match de toute beauté au back droit face à l’Espagne ou encore à Derick Tshimanga sur l’autre flanc.

Au même titre que nos représentants en compétitions européennes, l’arrière-garde des Diables n’est pas des plus hermétiques. Comment remédier à ce problème ?

A mon époque, la Belgique pouvait encore tabler sur des défenseurs de formation. Dans mon registre spécifique, au stoppeur, on s’appuyait sur des garçons tels Hugo Broos ou Luc Millecamps notamment. C’étaient des joueurs qui ne sortaient jamais de leur rôle. Jamais on ne les voyait faire le surnombre dans l’entrejeu et encore moins devant. Avec le temps, cette place-là est devenue moins sexy. La nouvelle vague n’aime pas trop se contenter d’une simple mission dans l’ombre. Elle veut monter au créneau. De Vincent Kompany à Nicolas Lombaerts en passant par Thomas Vermaelen ou Jan Vertonghen, tous sont à l’aise offensivement. Avec eux, il ne nous sera jamais possible de défendre uniquement. Leur inclination les portera toujours à mettre le nez à la fenêtre. Mais il faut faire des choix. Je ne peux pas aligner chaque joueur à sa place de prédilection, sans quoi je ne m’en sortirais plus. Parfois, l’un ou l’autre s’y soumet à contrec£ur. Mais, à la longue, ils en mesurent le bien-fondé.

Vous songez à Kompany ?

Voilà. Au départ, il évoluait dans l’entrejeu à Manchester City, sans plus. A présent, il y excelle en défense et fait partie des meilleurs à son poste en Angleterre. A 24 ans à peine, il n’a pas fini de nous étonner. Je suis persuadé qu’il peut briguer beaucoup plus que les Citizens et a l’étoffe pour jouer déjà chez un ténor d’Espagne ou d’Italie. Je ne suis pas étonné, en tout cas, que son nom ait été cité aussi bien au FC Barcelone qu’à Milan. Il est non seulement devenu impérial dans les duels mais n’a pas son équivalent pour sortir un bon ballon de la défense, qu’il le transmette à 10, 20 ou 30 mètres. Sa transversale à destination de Marvin Ogunjimi sur la phase du premier but de Jelle Vossen, face à l’Autriche, était un modèle du genre. Peu de joueurs sont capables d’un geste pareil. Au début, Vince songeait surtout à montrer ses qualités et demandait souvent le cuir dans l’entrejeu. A présent, avec un peu de recul, il est devenu pleinement conscient que défendre est un art aussi.

 » La France, l’Italie et l’Angleterre ne doivent plus nous faire peur « 

On s’est souvent retranché derrière la notion de jeunesse pour expliquer les performances en dents de scie de nos internationaux. Mais l’Allemagne a pourtant réussi des résultats probants avec Mesut Özil ou Sami Khedira qui sont en début de vingtaine aussi ?

Il y a une nuance importante : jusqu’à leur transfert au Real Madrid, l’été passé, ces deux-là jouaient en Bundesliga, une compétition qui, au même titre que la Liga fait partie des meilleures en Europe avec le Calcio, la Premier League et, dans une moindre mesure, la France. On ne peut donc pas comparer leur vécu, au même âge, à celui de nos représentants qui jouent en Belgique ou aux Pays-Bas, des championnats-là de moindre valeur. A l’heure actuelle, les deux sont à peu de choses près du même niveau. Anderlecht a éliminé l’Ajax la saison dernière en Europa League et a 50 % de chances de passer le tour face à ce même adversaire dans quelques semaines. La seule différence avec les Pays-Bas, c’est leur répondant en équipe nationale. Nous sommes toujours dans une phase ascendante alors que les Néerlandais ont pour ainsi dire terminé leur croissance en raison de l’acquis accumulé par la plupart de leurs joueurs dans des équipes comme l’Inter, Manchester United, Hambourg, le Real Madrid, Liverpool… Mais dans deux ans, grâce à l’expérience que plusieurs Diables auront glanée, je mets ma main au feu qu’on concurrencera les Pays-Bas.

Nous traiterons d’égal à égal avec l’équipe vice-championne du Monde ?

Et qui aurait même pu brandir la coupe si Iker Casillas n’avait pas réalisé deux arrêts de grande classe à 0-0. Dans trois ans, je me dis qu’on pourrait encore faire un pas de plus en avant et faire figure, qui sait, de véritable révélation au Brésil. Cette équipe de Belgique est en marche, je le sens. Cette année, nous allons terminer notre campagne de qualification par un match en Allemagne le 11 octobre. La Mannschaft aura sans doute son billet en poche à ce moment-là. Mais de toute façon, on ne doit pas s’attendre au moindre cadeau. Un laisser-aller coupable ne fait pas partie du vocabulaire de ses joueurs. Pour nous, j’ai bien peur que cette équipe sera toujours hors d’atteinte. Car pour réaliser un bon résultat contre elle, il faut le ballon. Or, avec l’Espagne, elle est la nation qui actuellement en prive le mieux l’adversaire. Mais hormis ces deux-là, les autres en Europe ne doivent pas nous faire peur. Nous pouvons grappiller quelque chose, déjà, contre la France, l’Italie et même l’Angleterre. On a une belle équipe en devenir. Une formation en plein boum. Pour l’instant, nous sommes 57es au classement FIFA et j’ai l’ambition que les Diables Rouges intègrent le top 30. Si d’aventure nous nous qualifions pour la Coupe du Monde 2014, j’ai l’intention de concocter un planning jusqu’à la finale. Ceci dit, il n’en était pas allé autrement en 1998. A cette occasion-là aussi, mon programme était établi jusqu’au stade ultime de l’épreuve. Certains me prennent peut-être pour un doux rêveur mais on n’est jamais trop prévoyant. Surtout avec cette génération-ci. Et de nouvelles têtes s’ajoutent encore sans cesse.

 » Les Belgo-Marocains doivent trancher en âme et conscience « 

Vous avez cité Ogunjimi. Odjidja avait le choix lui aussi entre le Ghana et la Belgique mais a opté pour les Diables. El Ghanassy et Chadli, partagés entre le Maroc et notre pays, n’ont toujours pas tranché. Mais il semble qu’on ait perdu Carcela. Avez-vous le sentiment que la fédération, et vous-même, en avez fait assez pour tenter de convaincre ces joueurs comme ce fut le cas en son temps avec Scifo ?

Enzo était un cas unique dans les années 80. A l’époque, il avait réellement le choix entre les Diables et la Squadra Azzurra. Une décennie plus tard, le topo n’était plus le même pour des garçons comme Josip Weber, Luis Oliveira ou Gordan Vidovic. Ils n’avaient pas de vraies perspectives dans leur pays d’origine et l’équipe belge était pour eux du pain bénit. De facteur épisodique, le nombre de cas s’est multiplié aujourd’hui. En un peu plus de six mois à la tête des Diables Rouges, il y a eu ceux que vous venez de mentionner et… Romelu Lukaku a été sollicité par le Congo. Celui-ci a pris sa décision tout seul, ou avec l’aval de ses parents. Pour d’autres, en particulier les Belgo-Marocains, trancher se révèle un casse-tête. J’ai eu récemment une entrevue de deux heures avec Nacer Chadli afin qu’il sache exactement à quoi s’en tenir au cas où il pencherait pour nous. Et je n’ai pas procédé différemment avec Mehdi Carcela et Yassine El Ghanassy. Je leur ai exposé la situation mais loin de moi l’idée de les obliger. Ils doivent trancher en âme et conscience. Je ne peux rien faire de plus.

N’auriez-vous pas été plus entreprenant si, dans son secteur, Carcela n’avait pas dû composer avec la concurrence d’un Eden Hazard, d’un Jonathan Legear voire d’un Kevin Mirallas ?

Je préfère avoir l’embarras du choix que pas de choix du tout. Un candidat de plus ou de moins pour tel ou tel poste ne me dérange pas le moins du monde. C’est vrai qu’il y a bon nombre de possibilités sur les flancs. Mais au Maroc c’est kif-kif : avec Mbark Boussoufa, El Ghanassy et Carcela, voilà déjà trois possibilités pour ces secteurs. Et encore, je ne compte là que les Belges (il rit). Il faut y ajouter ceux qui se produisent encore au Maroc ou qui évoluent dans des compétitions étrangères. Je ne sais pas si c’est tellement plus enviable. Tout le monde est le bienvenu. Je considère le multiculturalisme comme une richesse. Et comme un formidable exemple de cohabitation. D’autres pourraient en prendre de la graine en Belgique !

 » Lukaku et Witsel ont intérêt à rester en Belgique « 

Kompany a d’ores et déjà sa place, selon vous, au plus haut niveau européen. Qu’en est-il pour Lukaku, convoité lui aussi par des clubs du top ?

Vince a 24 ans, Romelu n’en a jamais que 17. C’est jeune pour convoiter un poste de titulaire chez un monstre sacré. Le Français Karim Benzema, autre jeune talentueux, en a d’ailleurs fait l’expérience au Real Madrid. Et sans doute en aurait-il été pareil ailleurs. Notre jeune international n’a pas fini son apprentissage à Anderlecht. A sa place, je resterais encore une saison au moins au Sporting. Par rapport à ses débuts, il s’est incontestablement bonifié. Au début, il avait tendance à attendre le ballon. A présent, il se déplace vers lui. Mais il lui reste à améliorer la maîtrise du cuir et le passing. Ses déviations et une-deux sont encore perfectibles. Il doit apprendre à servir davantage les autres dans les pieds, voire dans la foulée. Je crains que dans un environnement où tout ira beaucoup plus vite, ces déchets-là ne s’accentuent encore. Avec le risque qu’il se retrouve sur le banc. Or, il a besoin de matches pour progresser.

Avec Boussoufa, il fait figure de favori pour le Soulier d’Or. Qui recueille vos faveurs ?

En tant qu’amateur, je vote pour Boussoufa, qui est le meilleur en Belgique. Comme sélectionneur, j’espère qu’un de mes joueurs sera couronné. Et dans la mesure où on ne peut pas voter pour un international opérant à l’étranger, Romelu serait un magnifique lauréat. Avec ces deux-là et Lucas Biglia, Anderlecht me semble bien armé pour remporter un deuxième titre d’affilée. A mes yeux, le Sporting sera champion les doigts dans le nez Il dispose non seulement des meilleures individualités mais est solide sur le plan collectif. Cette saison, il a dû se passer tour à tour de ces trois-là, sans jamais fléchir. C’est le signe de sa richesse et d’une parfaite osmose. Au Sporting, on relève d’ailleurs très peu de notes discordantes, même dans le chef de ceux qui ne sont pas titulaires. Signe qu’Ariel Jacobs est un bon entraîneur qui se double d’un parfait gestionnaire.

Si vous ne préconisez pas un départ pour Lukaku, quid pour Axel Witsel qui paraît une cible toute désignée pour les arbitres ?

A sa place je ne partirais pas non plus. L’absolue priorité pour lui, c’est de redevenir le joueur qu’il était avant l’incident face à Marcin Wasilewski. Vu son jeune âge, cet épisode l’a poursuivi pendant des semaines et des semaines. A mesure que l’état de santé du Polonais s’améliorait, le Liégeois reprenait du poil de la bête. Il était d’ailleurs l’un de nos meilleurs acteurs lors du match contre l’Autriche. Hélas, à l’instar de Steven Defour, plutôt infortuné lui aussi, Axel est indirectement victime de la politique des transferts menée par le Standard ces trois dernières années. Car que reste-t-il de l’équipe couronnée deux fois championne en 2008 et 2009 ? D’Oguchi Onyewu à Milan Jovanovic en passant par Igor de Camargo, toutes ses composantes sont quasiment parties, à l’exception de ce duo. A 22 ans, ces garçons croulent sous le poids des responsabilités. Ils veulent parfois trop bien faire. Comme Axel, qui refuse de s’avouer vaincu au Cercle Bruges et qui laisse traîner son pied. Je suis convaincu que dans un autre contexte, il aurait laissé son opposant effectuer le contrôle pour tenter de le déposséder du ballon par la suite. Il se ressaisira, vu sa classe. Ce n’est pas un joueur méchant, loin s’en faut.

 » La Coupe devrait permettre aux grands de se mesurer davantage « 

Que vous inspirent vos anciennes couleurs brugeoises ?

La force du Club a toujours été son épine dorsale. A mon époque, il y avait là Birger Jensen au goal, Eddy Krieger au libero, René Vandereycken dans l’entrejeu et Raoul Lambert aux avant-postes. Par la suite, on relevait Philippe Vande Walle, Staelens, Franky Van der Elst et Jan Ceulemans. Encore plus tard, il y a eu Danny Verlinden, Paul Okon, Franky Van der Elst toujours et Mario Stanic. Aujourd’hui, on est loin du compte. Stijn Stijnen s’impose toujours au goal, mais qui est le patron à l’arrière ? Carl Hoefkens, que l’on trimballe parfois à droite pour combler un trou ? Et qui règle la circulation dans l’entrejeu ? Et qui met les balles au fond devant ? Le Club Bruges est loin d’être une formation équilibrée, voilà tout. A cet égard, Genk l’est beaucoup plus. Gand aussi. Après Anderlecht, ces deux-là font davantage office de grands que le Standard et le Club.

Quelle formule de championnat a votre assentiment ?

Je peux comprendre que les ténors sont pour les play-offs, tout comme je conçois les griefs des moins nantis. Indépendamment des considérations financières, ce qui doit interpeller avant tout, c’est la qualité. A ce sujet, je suis étonné du manque de considération pour la Coupe de Belgique. Non seulement elle constitue le chemin le plus court pour accéder à l’Europe mais devrait permettre aussi, logiquement, de multiplier les matches entre les grands. Et c’est ça, justement, qu’ils réclamaient, non ? Si les valeurs sont respectées, on devrait retrouver en quarts de finale de cette épreuve les meilleurs du pays. Compte tenu des matches allers-retours prévus dès ce stade, ce serait l’occasion pour les meilleurs d’augmenter les matches entre eux. A défaut de play-offs, la Coupe me paraît une alternative idéale. A condition, bien sûr, de la prendre au sérieux.

Une dernière question : que reste-t-il de celui qu’on appelait Georgescu ?

Les surnoms n’ont qu’un temps, heureusement. Lors de ma période active, c’était Mac the Knife parce que j’étais plutôt du genre tranchant sur l’homme ( il rit). Lors de ma première mission à la tête des Diables Rouges, j’ai eu droit effectivement au sobriquet de Georgescu. Comme je voulais tout contrôler, il n’était peut-être pas anormal qu’on me compare à un dictateur. J’ai appris à déléguer depuis et je suis moins carré mais quand il faut recadrer quelqu’un, je le fais. La preuve avec Hazard. Il a compris le message, manifestement, si j’en juge par sa belle tenue en Russie. Tant mieux car il est franchement promis à un tout grand avenir.

PAR BRUNO GOVERS

 » Witsel est indirectement victime de la politique de transferts du Standard. « 

 » Anderlecht sera champion les doigts dans le nez. « 

 » Certains me prennent peut-être pour un doux rêveur. « 

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