Coupes du Monde A VENDRE ?

Demain, la FIFA attribuera l’organisation des Coupes du Monde 2018 et 2022 alors qu’elle est en proie à un des scandales majeurs de son histoire. Cherchez l’erreur…

« Faites-nous confiance « , avait imploré Sepp Blatter à la mi-octobre quand le scandale du Sunday Times avait éclaté et sali deux membres du comité exécutif de la FIFA et quatre autres officiels.

Le journal anglais avait filmé à leur insu et piégé Amos Adamu du Nigéria et Reynald Temarii de Tahiti. Les journalistes se faisaient passer pour des lobbyistes d’un consortium américain prêts à acheter leurs voix, en tant que membres du comité exécutif qui votent pour l’attribution d’une coupe du monde. Et les officiels FIFA n’étaient pas contre !

Depuis, la FIFA a fait le ménage. Six têtes sont tombées à la mi-novembre (voir cadre Les 6 punis), mais seront sans doute recollées quand les suspensions auront été purgées. On aurait préféré que ces officiels soient rayés à vie de la FIFA. C’est une demi-mesure, finalement, et donc une demi-victoire face à la réputation de corruption qui nimbe depuis longtemps la FIFA. Mais cette fois, face à cette publicité hautement négative, la FIFA a été obligée de réagir et de purifier.

Le président du comité d’éthique de la FIFA, l’ex-footballeur pro suisse, Claudio Sulser, avait immédiatement pris conscience de l’importance et de la sévérité des accusations de fraude au vote de désignation des pays hôtes de la Coupe du Monde à la mi-octobre. Preuve : il avait immédiatement suspendu six membres éminents de la  » famille FIFA « , dont deux membres actuels du tout-puissant comité exécutif et quatre de ses anciens membres.

Le larmoyant Blatter a remis une couche à la mi-novembre en affirmant que le Sunday Times avait tendu un piège à certains membres du comité exécutif et que  » ce n’était pas fair-play « . Il a finalement dû admettre que c’était le rôle d’une presse courageuse de rechercher la vérité et celui de la FIFA de prendre des mesures face à la réalité. Mais il a quand même laissé planer un léger doute sur la vraie culpabilité des membres du comité exécutif,  » sans doute pris au piège « . Et victimes des apparences, sans doute ?

Ceci est à ranger, une nouvelle fois, dans le tiroir des inacceptables réflexions d’une institution qui veut rester une  » famille  » qui n’est justement pas de bonne famille. Les indélicats n’ont jamais été écartés du comité exécutif par des enquêtes internes alors que cela aurait pu se produire. Pour eux comme pour d’autres. Certains comportements sont inacceptables au sein de cet empire énorme, commercialement très lucratif et dominé par des hommes apparemment peu contrôlés en interne.

La confiance demandée par Blatter se mérite et actuellement l’opinion publique voudrait aller plus loin que les mesures du comité d’éthique de Sulser. Les goals de la carrière-éclair de l’ancien joueur des Grasshoppers et de l’équipe nationale suisse font pâle figure par rapport à son objectif n°1 : redorer le blason de l’instance dirigeante du foot mondial. On doute qu’il y soit arrivé.

Une imagé très altérée

Sulser est conscient que l’image de la FIFA est très altérée – il l’a dit – et que son rôle est encore plus délicat. Son défi est que le comité d’éthique ne doit son existence qu’à la FIFA elle-même. On en revient aux mesures prises : 16 ans de suspension à diviser par six, c’est pas cher payé. Les mesures auraient-elles été plus exemplaires et indépendantes si elles avaient été prises par une instance indépendante, comme le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), de Lausanne ? On ne le saura jamais, mais il convient de ne pas douter de l’intégrité et des bonnes intentions de Sulser face à ce qui constitue l’un des scandales majeurs de l’histoire de la FIFA.

Contrairement à ses habitudes, parce que coincée par l’agenda, la FIFA a réagi promptement pour tenter de regagner un zeste de crédibilité alors que son comité exécutif – ou ce qu’il en reste – se prononce demain, 2 décembre, sur les candidatures des pays hôtes pour les Coupes du Monde 2018 et 2022. La FIFA ne pouvait postposer ce vote. Un report aurait créé un vide et nourri des spéculations encore plus coriaces en donnant l’impression que les médias – et plus spécifiquement le Sunday Times – définissent l’agenda de la FIFA. Cela aurait aussi chargé une année 2011 synonyme d’élections à la présidence et où la pression aurait dû retomber d’un cran.

En ce qui concerne la candidature Espagne-Portugal, elle, aussi, avait été salie par le SundayTimes qui avait parlé d’un échange de votes avec le Qatar pour 2022. Mais l’idée d’un marchandage ( » Vous votez pour nous et on vote pour vous « ) a été balayée par la FIFA :  » le comité d’éthique a examiné les informations (…) mais n’a pas trouvé de preuves suffisantes qu’une violation du cahier des charges des candidatures et du Code d’éthique de la FIFA ait été commise « .

Dans les couloirs de l’imposante et très surveillée Maison du Football à Zurich, juchée sur les collines qui dominent le c£ur économique de la Suisse, des chuchotements suggèrent que pas moins de cinq autres membres du comité exécutif – en plus d’Amadu et Temarii – seraient concernés.

Comment bien intervenir ?

Le comité d’éthique de la FIFA mis sur pied en 2006 comportait une clause interdisant les actions rétroactives. Il ne pouvait donc plus se pencher sur les controverses autour de deux membres du comité exécutif qui avaient fait l’objet de révélations et de publications saisissantes : le Trinitéen Jack Warner (affaire de détournements de packages de billets pour le Mondial 2006) et le Brésilien Ricardo Teixeira (affaire de paiements occultes d’ISL, la société qui gérait les droits marketing de la FIFA).

Dans le cadre de cette  » tolérance zéro  » désormais affichée par la FIFA, le secrétaire général de la FIFA, Jerôme Valcke, a répété que les différents comités de candidatures avaient été pleinement informés des règles et du processus de vote. Ces informations avertissaient également les pays candidats à toute collusion par rapport aux votes. Valcke regrette que ce problème soit mis au grand jour seulement quelques mois après les succès sportif et social de la Coupe du Monde sud-africaine. Il a ajouté :  » C’est pourquoi la meilleure décision était de demander à la commission d’éthique de démarrer une enquête. Et ce pour nous assurer que personne ne contestera les votes de décembre arguant que nous n’aurions pas tout fait pour que les décisions prises soient correctes et transparentes.  »

Bataille pour l’honnêteté

Cela dit, des affaires louches ont de tout temps entouré l’attribution d’une Coupe du Monde et de Jeux Olympiques, à cause de l’aspect toujours grandissant des enjeux commerciaux, sportifs, culturels, personnels, financiers et politiques. Chacun des membres du comité exécutif de la FIFA ou du Comité International Olympique vote en fonction d’une variété de paramètres, incluant leur fonction à la FIFA ou au CIO, leur responsabilité régionale, leur assise nationale et des intérêts économiques personnels.

Blatter a insisté sur ce fait :  » Vous ne pouvez jamais garantir, dans un jeu avec plus d’un milliard de participants, que tout le monde se comporte comme vous aimeriez qu’il le fasse. Notre société est pleine de démons y compris dans le football, c’est pourquoi nous devons nous battre pour le fair-play. « 

Il aurait mieux fait de parler d’honnêteté, se réfugier derrière le fair-play ne tient plus la route. Car le démon, dans ce cas-ci, ne se loge pas dans des détails mais plutôt dans des zones d’ombre. Qu’est-ce qui est permis ? Qu’est-ce qui dépasse les limites ? Les deux notions se côtoient dans une sorte de compromis subjectif parfois accueilli avec le sourire, parfois avec un simple froncement de sourcils, comme s’il fallait  » jouer le jeu « .

Rien de neuf sous le soleil des candidatures à la Coupe du Monde. Prenons même la toute première édition, en 1930 en Uruguay. Le pays sud-américain a décroché la première compétition mondiale de foot parce que son ambassadeur en France avait promis au président de la FIFA de l’époque, Jules Rimet, que le gouvernement uruguayen prendrait en charge tous les frais des nations participantes.

Des décennies plus tard, les membres de la candidature américaine – flanqués d’un Henry Kissinger plus influent que jamais sur la scène politique – étaient convaincus d’avoir fait mouche avec une présentation fouillée et sérieuse pour l’obtention de la phase finale 1986 (suite au désistement de la Colombie) mais c’est finalement le Mexique qui décrocha la timbale, après avoir séduit le président FIFA de l’époque, le Brésilien d’origine belge Joao Havelange.

En 2000, Blatter comptait faire usage de sa voix décisive en faveur de l’Afrique du Sud lorsqu’il apparut qu’ils étaient au coude-à-coude avec l’Allemagne. A ce moment précis, le président de la zone Océanie, Charlie Dempsey, dut rentrer à la maison à la veille du vote, suite à des menaces proférées à l’encontre de sa famille. Finalement, l’Allemagne décrocha 2006 avec 12 voix contre 11 et le vote décisif de Blatter ne fut pas nécessaire. Ouf !

Depuis, la FIFA a décidé d’une tournante à partir de 2010, avec le continent africain comme premier bénéficiaire de cette nouvelle règle. Tout le monde s’attendait à ce que l’Afrique du Sud décroche aisément la première CM sur sol africain, particulièrement suite à la présence de Nelson Mandela à Zurich. Finalement, ce ne fut pas aussi facile : l’AfSud emporta la mise devant le Maroc mais le Sunday Times (déjà !) dévoila que la plupart des voix ne venaient pas de la confédération africaine. Cette idée doit encore hanter les pensées du président de la Confédération Africaine de Football (CAF), Issa Hayatou, qui a offert de nombreuses années de sa vie au foot mondial et a dû se dire qu’il y avait des traîtres qui reluquaient son poste et voulait le voir se retirer.

L’avenir de Blatter

Conserver son poste de président pour un quatrième mandat est l’objectif d’un Blatter (74 ans) qui l’est pourtant depuis 1998. Mohamed Bin Hammam et Chung Mong-joon, ouvertement intéressés par la succession du Suisse en 2011, se sont retirés de la course. S’opposer au Suisse n’était évidemment pas une bonne idée au moment où leurs pays (le Qatar et la Corée du Sud) sont candidats pour 2022 !

Blatter, lui-même, a réussi à se maintenir en dehors du dernier scandale de corruption, tout en arborant la mine déconfite d’un père trompé et attristé par le comportement de ses ouailles et qui répète :  » Croyez-moi, la confiance reviendra.  » Bien sûr, bien sûr… En attendant, la pression est énorme sur la FIFA. A la fois du monde du sport mais également du monde politique. A Zurich, en ce moment, des hommes politiques représentant et appuyant les neuf candidatures sont en train de se demander dans quel match ils jouent. Et à quel prix ils gagneront.

PAR JOHN BAETE (AVEC KEIR RADNEDGE, ESM)

 » Notre société est pleine de démons y compris dans le football, c’est pourquoi nous devons nous battre pour le fair-play.  » (Sepp Blatter)

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