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CONOR LE BARBARE

Un rouquin tatoué et un crochet du gauche. Conor McGregor laisse souvent la même dernière vision. A 28 ans, l’Irlandais incarne le renouveau très lucratif des sports de combat. Pas mal pour un ancien plombier.

Le Madison Square Garden est prêt à exploser. En ce 12 novembre 2016, 20.427 chanceux se massent dans  » l’enceinte la plus célèbre du monde « . Tous ne demandent qu’une chose : du spectacle et du sang. Pour cause, une cage de 9 mètres de diamètre trône à la place de l’habituel parquet de NBA. Jamais l’État de New York n’avait accueilli une soirée UFC. Un fragment d’histoire et une réussite totale.

Les guichets comptabilisent 17,7 millions de dollars de recettes. Tous les records en la matière sont pulvérisés. Dans le public, Madonna sourit aux photographes en compagnie de l’acteur Hugh Jackman. Même Nick des Jonas Brothers est présent. C’est dire. Mais la vraie superstar de la soirée ne se pavane pas dans les gradins. Elle pénètre dans l’octogone. Conor McGregor débarque, drapeau irlandais sur les épaules, avec sa célèbre démarche chaloupée. Le champion du monde poids plumes s’apprête à garnir sa taille d’une seconde ceinture. Chez les légers cette fois. En deux rounds, il couche Eddie Alvarez d’un crochet du gauche dont lui seul a le secret. The Notorious devient le premier combattant UFC à détenir deux titres simultanément.

Comme à son habitude, il distribue des douceurs.  » Je veux juste dire quelque chose, du fond de mon coeur. Je voudrais profiter de cette opportunité pour m’excuser auprès… d’absolument personne !  » Non, McGregor n’a pas le temps pour les politesses.

PLOMBIER DANS UNE AUTRE VIE

L’histoire débute milieu des années 90 à Dublin. A Crumlin, banlieue sud de la capitale, où Tony et Margaret McGregor s’installent en membres modèles de la working class locale. L’endroit a vu les premiers pas de Robbie Keane sur les prés. Logique, le jeune Conor s’oriente d’abord vers le ballon rond. Il donne de sa fougue au Lourdes Celtic FC et voue un culte à Manchester United.

Mais si le gamin apprend le fighting spirit maison, il se rend vite compte qu’il a un déficit de taille à combler. Le jeu est dur, la rue l’est encore plus.  » J’étais toujours le plus petit. Il y a eu plusieurs incidents qui m’ont fait penser que je devais être capable de me défendre « , explique-t-il dans un docu de l’UFC.  » J’ai commencé à m’entraîner pour que les gens me laissent tranquille. Et puis, ça a pris de l’importance, c’est devenu une obsession.  »

Il partage alors son temps libre entre ses crampons et ses gants, au Crumlin Boxing Club. Pas pour longtemps. Ses parents déménagent à une heure de bus et McGregor arrête le foot à tout juste 12 printemps. Une courte carrière qui en appelle une autre. Direction le kick-boxing et le jiu-jitsu. La passion se forge, la réputation aussi. Premier obstacle cinq ans plus tard : le gouvernement irlandais décide que ceux qui ne se destinent pas à un avenir universitaire doivent rejoindre le marché du travail. Conor, pas passionné par son enseignement gaélique, choisit par défaut une voie un peu moins glamour : la plomberie. Mais son nouveau mode de vie, entre journées de 12 heures sur les chantiers et entraînements en soirée, ne l’enchante pas. Pour lui, les gens avec qui il bosse sont déjà  » morts  » dans leurs yeux. Le gosse de Crumlin veut vivre.

180 EUROS EN AIDES SOCIALES

Il remporte son premier combat de MMA à 18 ans, en février 2007. La vie est là, ou presque. Un round, un KO. Le schéma devient classique. Conor informe ses parents de son avenir flambant neuf : il ne sera pas plombier, mais combattant UFC. Ce qui n’est pas du goût du père. La réponse du fils est sans équivoque :  » Tu t’excuseras quand je serai millionnaire à 25 ans !  » Chose faite à… 26.

Entre-temps, il dit avoir trouvé les clés du succès dans un bouquin de Jack Canfield conseillé par sa soeur, Erin, accessoirement bodybuildeuse professionnelle. Tout est dans la  » visualisation  » de ses objectifs…  » J’ai déjà visualisé qui j’aurai en face de moi. Mes mains s’envelopper autour de lui. Sortir de la pesée, sortir de la cage. J’ai déjà tout vu « , exprime-t-il, en transe, pour MTV UK.  » Bien sûr, je visualise déjà la ceinture. Je l’ai sur moi 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Je ne viens pas pour serrer des mains, je ne viens pas pour jouer le bon Irlandais. Je viens pour rentrer dans tout le monde. Je n’ai pas peur.  »

La machine se met en branle dès 2011. Après quatre victoires, toutes par KO, et deux défaites, toutes par soumission, McGregor ne s’incline plus. Au point d’attirer l’attention de Dana White, le patron de l’UFC, de passage à Dublin. Il le signe en 2013. A ce moment-là, la pépite n’a que pour seuls revenus des aides sociales de l’État irlandais, à hauteur de 180 euros par semaine. Suffisant pour boucler son dépucelage UFC, à Stockholm, en… une minute. Il couche Marcus Brimage et empoche 60.000 dollars de bonus. Le monde découvre la (très) grande gueule du futur Notorious :  » La semaine dernière encore, je touchais des aides de l’État. J’ai été leur dire : –Je ne sais pas ce qu’il va se passer. J’ai signé pour l’UFC. Maintenant, je pense que je vais leur dire qu’ils peuvent aller se faire voir.  »

13 SECONDES POUR UN TITRE

Très vite, Conor McGregor s’impose comme la nouvelle superstar de l’UFC. Il dispute son premier gros combat dans son fief de Dublin, comme un symbole. En bon patriote, et devant 14.000 personnes, il met KO Brandão dès la première reprise. Les tickets sont partis en 25 minutes.  » Je pense sincèrement qu’on aurait pu remplir un stade de foot. Ici, c’est trop petit « , avance tranquillement McGregor. Aujourd’hui, on parle plutôt d’enceintes de football américain. L’Irlandais le sait. Il vient d’ouvrir grand les portes du succès à sa discipline (voir encadré).

Le rouquin troque aussi assez rapidement son iroquois, sa barbe mal taillée et son corps tout blanc pour un look soigné et des tatouages à foison. Il dit lui-même ne pas connaître la signification de la phrase inscrite en arabe sur son mollet gauche. Pour une simple et bonne raison : il était saoul !

 » Homme le plus stylé d’Irlande  » en 2014, sportif de l’année en 2016. Son ascension est aussi fulgurante que ses KO. Huit secondes pour son premier combat répertorié, quatre pour Paddy Doherty en 2011, 13 pour José Aldo fin 2015, avec le titre poids plumes au bout. Il devient ensuite le seul champion de deux catégories différentes. Pour sa deuxième UFC Fight Night, il se tord le ligament du genou dans la deuxième reprise contre Max Holloway puis parvient à l’emporter aux points… Épique.

ROI DU TRASH-TALK

Mais le seul octogone ne suffit plus à façonner les légendes. Pour construire la sienne, McGregor utilise tout autant ses poings que sa bouche. Thibaut Gouti, combattant français d’UFC pour Le Quotidien :  » Il faut vendre son combat. Si tu ne fais pas vibrer les gens, ils s’en foutent de toi. Il faut que tu fasses en sorte que les gens aient envie de payer pour venir te voir combattre et ça passe par du trash-talking.  » McGregor, qui a déclaré qu’il aurait botté l’arrière-train de Jésus s’il avait dû l’affronter, rappelle ainsi un autre expert dans le domaine, un certain Zlatan Ibrahimovic. Le Suédois adoube d’ailleurs son cadet, toujours dans Le Quotidien, d’un simple :  » C’est l’Ibrahimovic de l’UFC. Il est moi.  »

Et McGregor force par la même occasion la comparaison avec le grand Muhammad Ali. Il ne lui manque plus que son Joe Frazier, un rival pour l’élever au-dessus de la mêlée. Il est tout trouvé en la personne de Nate Diaz. L’Américain est lui aussi connu pour ses provocations verbales. La rencontre des deux fait des étincelles dès la conférence de presse préalable à leur face-à-face en mars 2016. The Notorious se permet de débarquer en retard, Diaz de commenter son arrivée par une moquerie sur sa taille ( » 1 mètre 75, quelque chose comme ça… « ), avant de partir sans prévenir et de lui lancer une bouteille d’eau. L’Irlandais rétorque avec ce qu’il a sous la main : des canettes de boisson énergisante…

Leur échange dans la cage est tout autant rocambolesque. McGregor mène la danse mais subit à la surprise générale une soumission synonyme de première défaite en UFC par un Diaz ensanglanté comme jamais. Ce dernier livre instinctivement son sentiment :  » Je ne suis pas surpris.  » Deux jours plus tard, le Dublinois demande sa revanche. Il confesse :  » Je le bats et j’aurai ma rédemption.  » Elle intervient en août. Par décision majoritaire, suite à cinq rounds dantesques. Le salut, enfin :  » Surprise, surprise, enfoiré ! Le roi est de retour !  »

22 MILLIONS EN 2016

Le pécule aussi. Les deux combats se classent dans le top 3 des meilleurs gains de l’UFC. Chaque fois qu’il grimpe dans l’octogone, McGregor rafle minimum 500.000 dollars, auxquels s’ajoutent des intéressements sur la diffusion, ce qui monte ses bénéfices par combat à 5 millions au moins. Sur l’année écoulée, où il a mis les gants trois fois, son salaire plane à 22 millions : 18 pour les combats, 4 pour les sponsors, entre Reebok, Monster, Rolls Royce ou Electronic Arts. Des émoluments qui font de lui le 85e athlète le mieux payé au monde selon le top 100 de Forbes, à égalité avec… Eden Hazard. C’est simple, depuis la déchéance récente de son pendant féminin Ronda Rousey, il est la seule star bankable de la ligue. Si bien que l’UFC devient même trop petite pour lui. Pressenti pour apparaître dans Game of Thrones, il prouve déjà ses talents d’acteur dans une web-série destinée à promouvoir la Pegasus World Cup Invitational, course équestre la plus lucrative du monde. Il s’y compare purement et simplement à Alexandre le Grand. Et il est si à l’aise avec le septième art qu’il drague également le WWE, l’entreprise qui gère le catch outre-Altantique. Il faut dire que le Celtic Tiger a le temps. Il ne devrait plus rugir avant l’été pour accompagner sa compagne Dee Devlin dans sa grossesse. Après avoir obtenu sa licence de boxe, il réclame une joute sur le ring avec le jeune retraité Floyd Mayweather. Bien que peu probable, l’affrontement pourrait rapporter plus de 100 millions de dollars par tête. L’Irlandais ne perd pas le nord, mais il avoue son (petit) talon d’Achille :  » Maintenant que j’ai gagné beaucoup d’argent, c’est dur de se lever et de se motiver. Mais j’ai un plan infaillible : quand vous recevez votre argent, dépensez chaque centime que vous avez !  » Comme quoi, un ancien plombier a toujours des bons tuyaux.

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE

Avec 21 victoires en 24 combats, dont 18 par KO, McGregor incarne le renouveau de l’UFC et des sports de combat en général.

 » La semaine dernière encore je touchais des aides de l’État. Maintenant, je pense que je vais leur dire qu’ils peuvent aller se faire voir.  » CONOR MCGREGOR

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