© BELGAIMAGE

CINQ PAINS, DEUX POISSONS

Le White Star Bruxelles a été champion de D2 mais a été recalé en calcul et s’apprête à entamer la saison en D1 amateur. John Bico plaide non coupable mais en découvrant ses frasques, on tombe pratiquement à la renverse. Et actuellement, ses joueurs ne sont plus payés.

Lundi 2 mai 2016. Deux jours après avoir été sacré champion de D2, le White Star Bruxelles n’a toujours pas son sésame pour la Jupiler Pro League. En avril, la commission des licences de l’Union belge a refusé de lui octroyer une licence professionnelle et le club s’est adressé à la Cour d’arbitrage du sport (CBAS) afin de faire annuler cette décision. Ce lundi-là, il abat ses dernières cartes.

Un de ses atouts est un mail de Marina Granovskaia, bras droit de Roman Abramovich et directrice de la section football de Chelsea. Ce mail est adressé à Charles Simar et John Bico, respectivement président et manager général du White Star. Granovskaia et Chelsea font une offre de 485.000 euros pour Sean Aerts, un médian du club bruxellois qui n’a pas encore tout à fait 22 ans. Chelsea se dit prêt à laisser le joueur en location au White Star pendant un an, à condition que le club bruxellois prenne en charge le salaire et l’appartement du joueur.

Le timing du mail est étonnant : Granovskaia l’a envoyé en ce lundi crucial pour le White Star, à 16h51 pour être tout à fait précis, soit un peu plus d’une heure avant le début de la séance de la CABS. A 18 heures, seul l’avocat Laurent Denis représente le White Star. Simar et Bico arrivent avec une heure de retard. Tout au long de la soirée, Bico ne lâchera pas son téléphone, sortant de nouvelles pièces à tout moment : le mail de Granovskaia, la confirmation de la commune de Molenbeek que le White Star peut rester au Stade Edmond Machtens ou encore le transfert inattendu du défenseur Noël Soumah à Gand. Il n’a cependant pas encore d’accord de location officiel avec la commune. Et alors qu’il est près de minuit, un tas de questions n’ont pas encore trouvé de réponses.

MAIL DE CHELSEA

Les membres de la CBAS sont de bonne humeur et, au grand désarroi des quatre autres clubs présents (Eupen, l’Antwerp, Roulers et Seraing), ils accordent un délai au White Star qui a désormais jusqu’au mardi 3 mai à 16 heures pour rassembler les documents exigés. Ce mardi-là, à 15h08, Bico envoie un mail à Granovskaia et le fait suivre deux minutes plus tard à Simar.

Bico y remercie la directrice de Chelsea et lui dit que le White Star accepte  » avec grand plaisir  » sa proposition concernant Sean Aerts. It’s a great honnor (sic) to our club, conclut-il. Dans un document non daté, Aerts dit marquer son accord pour le transfert suivi d’un prêt à n’importe quel club  » si Chelsea estime que c’est nécessaire à mon évolution.  »

La séance tourne une nouvelle fois au spectacle. Denis, l’avocat du White Star, arrive en retard et sort comme par enchantement des  » preuves  » que les arriérés de salaire et les dettes des créanciers ont été payés via son compte-tiers grâce à l’argent reçu de Gand pour le transfert de Soumah. Les téléphones sonnent pour annoncer un versement d’argent de Dubaï.

Alors que tous les dossiers de licence devraient être rentrés à l’Union belge depuis deux mois et demi, le White Star est toujours en train de se mettre en ordre. Le lendemain, dans ses conclusions, l’avocat d’Eupen pointera le laxisme de la CBAS  » qui donnait l’impression que la Cour d’arbitrage oeuvrait plus en tant qu’auxiliaire du White Star pour l’aider à compléter son dossier, plutôt qu’en tant qu’arbitre objectif soucieux de faire la clarté et obtenir des réponses à de nombreuses questions légitimes… »

Dix jours plus tard, le verdict tombe. La CBAS confirme la décision de la commission des licences de ne pas octroyer de licence professionnelle au White Star Bruxelles. Dans ses attendus, la Cour rappelle que, lors des deux derniers mercatos, le club s’est déjà vu interdire de transferts et que rien qu’au cours des deux dernières années, il a fait vingt fois l’objet de saisies.

 » Cela témoigne d’un manque manifeste de rigueur financière, comptable et administrative « , dit la CBAS, soudain très sévère, qui constate également un fonds de roulement négatif de 500.000 euros et dit ne pas disposer de suffisamment de preuves que le groupe d’investissement Gulf Dynamic Challenges de Dubaï peut garantir la poursuite des activités du club. Conclusion : le White Star entamera la saison 2016/2017 en D1 amateur (ex-D3).

CRAINTE D’UN CHAOS TOTAL

Bico ne serait pas Bico s’il laissait tomber. Il organise une conférence de presse au cours de laquelle il annonce de façon pathétique qu’il se retire du club et prévoit un  » drame social  » suite auquel 650 jeunes vont se retrouver à la rue. Il se garde cependant de dire qu’il a utilisé le compte de l’ASBL jeunes pour solder des dettes hypothéquant la licence de l’équipe A. Par la suite, on n’entend plus parler du White Star pendant cinq semaines. On apprend alors que Bico a écarté Laurent Denis et a fait appel à Luc Misson, l’avocat qui a enclenché la procédure menant à l’arrêt Bosman.

Misson n’est pas le premier venu et, à la Pro League, on s’inquiète. Estimant que son client a été victime de discrimination, l’avocat liégeois se tourne vers l’Autorité belge de la Concurrence (ABC). Selon Misson, le White Star n’a pas eu droit au même traitement que les autres clubs et le fait de ne pas pouvoir monter lui cause des dommages financiers. Il demande que le championnat de D1A se joue à dix-sept, avec le White Star.

A l’Avenue Houba De Strooper, l’inquiétude grandit : si Misson obtient gain de cause, ce sera le chaos total. Mais Misson échoue : le 14 juillet, l’ABC rejette sa requête. Ses conclusions sont les mêmes que celles de la commission des licences et que la CBAS : le business plan du White Star est particulièrement abstrait et offre trop peu de garanties que le club tiendra toute une saison en D1A. Cette fois, le White Star est définitivement relégué en D1 amateur.

Trois jours plus tard, le White Star dispute son premier match amical. Douze joueurs ont quitté le club et ceux qui restent, plus quelques jeunes, s’inclinent 1-0 à Walhain. John Bico est sur le banc et Sean Aerts sur le terrain. Le premier est resté, le second n’est pas parti à Chelsea. Quand on lui demande s’il est certain que son équipe évoluera désormais en D1 amateur, Bico répond à côté de la plaque :  » Nous ne nous posons pas la question. Tant que nous sommes là, nous travaillons le plus correctement possible.  »

Dans la bouche de John Bico, le mot  » correctement  » est relatif. Ce qu’il oublie de dire, c’est que cela fait de nouveau quelques mois que ses joueurs et entraîneurs ne sont plus payés. Pour obtenir la licence, il fallait que les salaires soient versés jusqu’en mars, ce qui était le cas. Mais depuis, plus rien. C’est pour cela qu’Aurélien Joachim et Mike Vanhamel ont rompu leur contrat et sont partis gratuitement au Lierse. S’ils veulent récupérer l’argent qu’on leur doit, ils doivent déposer plainte mais ce n’est pas simple.

VIENDRA, VIENDRA PAS ?

Un club amateur – et le White Star en est un désormais -, ne risque en effet pas d’interdiction de transfert et, par le passé, Bico ne s’est jamais rendu devant les commissions tentant de résoudre des problèmes de salaires par le biais d’un arbitrage. Les joueurs peuvent s’adresser au tribunal mais pour cela, ils ont besoin de leurs fiches de salaire. Or, ils viennent à peine de les recevoir, après avoir longuement insisté. La Pro League retient toujours 85.000 euros de droits de télévision qui reviennent au White Star et Stijn Boeykens (Sporta) a ouvert un dossier.

Le syndicaliste s’étonne que Bico ne puisse payer les salaires des joueurs mais ait les moyens de s’offrir un avocat comme Misson et d’envoyer son équipe en stage aux Pays-Bas. Boeykens connaît Bico. Lorsque quelques joueurs l’appelèrent au Stade Edmond Machtens, l’an dernier, il eut affaire au géant.  » Il m’a attrapé par le collet et m’a mis violemment dehors.  »

En raison de son nouveau statut amateur, le White Star ne risque pas la disparition à court terme mais il est clair qu’il ne peut tenir toute une saison en continuant de la sorte. Il y a quelques mois déjà, il était au bord de la faillite : le Tribunal de Commerce de Gand l’avait condamné par défaut à payer une facture de plus de 13.000 euros à un fournisseur, la Waaslandse Rijwielcentrale.

Le White Star n’avait pas bronché et le Tribunal de Première Instance de Bruxelles, statuant à nouveau par défaut, avait prononcé la mise en liquidation du club et désigné un liquidateur. Bico avait fini par réagir, faisant opposition et obtenant gain de cause.  » La facture avait été payée entre-temps « , dit aujourd’hui brièvement le liquidateur, Stijn Vanschoubroek.

Revenons-en au football. Le 14 août, le White Star dispute son premier match officiel : il s’impose 0-3 à Weywertz en Croky Cup. Jusqu’au dernier moment, le petit club des cantons de l’Est ne sait pas si le White Star effectuera le déplacement. Ce qui fait dire à Bico :  » Certains pensaient que j’allais m’aligner en compagnie du chauffeur du car et de quelques pensionnaires de la maison de repos de Molenbeek. Tant pis pour nos détracteurs, nous avons présenté une équipe sérieuse et appliquée du début à la fin.  »

Sean Aerts, lui, n’est pas là. Est-il à Londres ? Nous tentons en vain de l’appeler pendant plusieurs jours sur son téléphone portable jusqu’à ce qu’il nous réponde par SMS :  » Désolé, j’étais fort occupé.  » Quand nous parvenons à lui parler, le Limbourgeois nous éclaire à peine davantage sur sa situation :  » Je ne veux pas en parler. J’ai convenu avec Monsieur Bico de ne pas aborder ce sujet qui ne concerne que lui, Chelsea et moi.  »

DIALOGUE DE SOURDS

Il s’est entraîné une fois et a joué un match (à Walhain). Depuis, il affirme entretenir sa condition avec un personal coach. Il est encore sous contrat pour un an  » mais l’objectif est de partir cette année.  »

A Chelsea ?

Il répond d’abord :  » C’est possible.  »

Puis :  » Non.  »

Enfin :  » Ce n’est pas tout à fait clair.  »

Peut-il nous renvoyer à son agent, qui sera peut-être plus loquace ?  » Je n’ai pas d’agent.  »

Euh… Comment peut-on se retrouver à Chelsea sans avoir d’agent ?  » Pourquoi pas ?  »

C’est un dialogue de sourds. Manifestement, il a envie de parler. Il hésite :  » C’est une situation étrange, difficile à comprendre. Maintenant, je me concentre surtout sur la recherche d’un nouveau club.  »

Avec l’aide de Bico ?  » Euh… non.  »

Ce n’est pas tellement le fait que Marina Granovskaia se soit adressée au White Star qui est surprenant, mais plutôt le timing et le joueur dont il est question. Sean Aerts n’est pas une star. Plus souvent réserviste que titulaire, ce n’est pas un renfort potentiel pour Chelsea et encore moins un joueur qui représente une valeur marchande. Mais Granovskaia connaît Bico et Bico sait à qui s’adresser à Stamford Bridge depuis qu’il y a transféré Eden Hazard en provenance de Lille en 2012.

Les tabloïds anglais avaient fait scandale en apprenant le montant de l’énorme commission qu’il avait touchée et la famille Hazard avait rompu la collaboration qu’elle entretenait avec l’agent depuis des années. Bico s’était alors intéressé au White Star qui, à ce moment-là, n’avait pas encore fusionné avec le FC Brussels et jouait toujours au Stade Fallon, à Woluwé.

BLANCHIMENT D’ARGENT ?

Le 24 avril 2015 – à quelques jours de la séance de la Commission d’appel au cours de laquelle le White Star allait obtenir sa licence pour la saison 2015/2016 – Bico signait un accord de collaboration avec Chelsea. C’est en tout cas ce qu’il prétend et ce que semble confirmer un document mal photocopié qu’on retrouve dans le dossier de la licence du club bruxellois. Malheureusement pour Bico et le White Star, ce papier intitulé Memorandum of understanding n’est pas signé par quelqu’un de Chelsea et n’a donc aucune valeur pour la commission des licences.

Le Definitive collaboration agreement dont il est question dans la déclaration d’intention ne verra jamais le jour et au cours des années suivantes, aucun joueur ne sera échangé entre les deux clubs. A ce qu’on sache, il n’y aura jamais non plus d’échanges de connaissances entre entraîneurs.

A Eupen, deuxième et donc concerné par une éventuelle montée en Jupiler Pro League si le White Star n’obtient pas sa licence, on a un avis sur la question. Dans ses conclusions du 4 mai 2016, Martin Hissel, l’avocat du club frontalier, ne manie pas la langue de bois. Il constate que le White Star n’a apporté aucune pièce ôtant les doutes quant à Gulf Dynamic Challenges, un investisseur tout à fait inconnu : pas de statuts, pas de comptes annuels révisés, pas de preuves de liquidités. Des choses élémentaires et, pour Hissel, si elles ne sont pas là, c’est tout simplement parce qu’elles n’existent pas. Il soupçonne le White Star de vouloir blanchir de l’argent.

Une accusation grave que Hissel tente d’étayer :  » La société Gulf Dynamic Challenges est une société offshore établie à Dubaï dans la zone franche Ras Al Khaimah avec un siège fictif sans aucune activité et une opacité la plus totale. On notera donc déjà que le siège indiqué sur le papier à en-tête de GDC n’est en aucun cas le véritable siège de cette société (si tant est qu’elle en ait un), aucune société de ce nom n’ayant été trouvée à cette adresse, qui n’est pas située dans ladite zone franche.  »

Hissel renvoie à un rapport de PricewaterhouseCoopers et poursuit :  » Cette société a investi plus de 5 millions d’euros au sein du RWS au cours des dernières années sans que l’origine de ces fonds n’ait pu être tracée d’une quelconque façon et sans que l’on puisse discerner quelle est la contrepartie économique que GDC pourrait bien recevoir en échange de ces « investissements ».  »

L’avocat conclut :  » Le RWS ne peut sérieusement prétendre ignorer l’origine des fonds alors que la société offshore et son homme de paille Djamel Bin Ferah sont administrateurs du club ! Les  » blanchisseurs  » figurent dès lors au sein même des organes du club.  »

SILENCE SUR TOUTES LES LIGNES

On reviendra sur le cas de Djamel Bin Ferah dans l’encadré ci-contre mais Hissel poursuit en citant des chiffres étranges qui mettent à jour la légèreté de la demande de licence du White Star. C’est ainsi que le club évalue ses recettes émanant de la vente de tickets en 1A à 825.000 euros, soit une moyenne de 3.666 spectateurs payants alors qu’en D2, ils n’étaient que 165 ( ! ) à venir régulièrement au Stade Machtens. Hissel :  » Même si monsieur Bico est coutumier de quelques miracles, on le voit mal réussir une telle multiplication des spectateurs.  »

Le montant le plus surréaliste du budget présenté par le club bruxellois compte six chiffres : 450.000 euros. C’est le montant que Gulf Dynamic Challenges s’apprête à verser pour exploiter le droit d’image des joueurs du White Star en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient. Hissel manque de tomber à la renverse :  » Quel serait l’intérêt économique pour GDC d’une telle convention de sponsoring alors qu’elle ne mène réellement aucune activité commerciale ni en Belgique ni aux Emirats arabes unis et alors que tout qui a une connaissance même approximative de l’économie du football est pris d’un irrépressible fou rire lorsqu’il entend que les droits d’images des joueurs de RWS vaudraient 450.000 euros ?  »

L’avocat parle du  » caractère frauduleux de la valorisation de ces droits  » et estime que  » faute de tout intérêt économique réel « , il ne voit qu’une explication à cet investissement :  » le recyclage d’argent sale au travers de ce contrat fictif.  »

Le dimanche 21 août, le White Star dispute son premier match de la saison à domicile dans un stade pratiquement vide. Les choses se passent mal puisqu’il est battu 0-1 par le Patro Eisden Maasmechelen au 4e tour de la Croky Cup. On ne retrouve sur le terrain qu’un seul joueur de l’équipe championne de D2 mais le staff technique est toujours le même.  » Si nous abandonnons, nous donnons raisons à ceux qui nous ont fait tomber « , dit Bico dans Het Nieuwsblad.  » Notre détermination à remonter est plus forte que le dégoût qu’ils affichent pour le White Star.  »

Au cours des dernières semaines, Sport/Foot Magazine a tenté à plusieurs reprises de joindre Bico mais ni lui ni le directeur opérationnel Michel Eylenbosch n’ont répondu à nos appels ou à nos SMS. Nous attendons également toujours une réponse de Marina Granovskaia au mail que nous lui avons envoyé.

PAR JAN HAUSPIE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Notre détermination à remonter est plus forte que le dégoût que certains affichent pour le White Star.  » – JOHN BICO

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire