L’arrière droit des Diables Rouges a quitté l’Ajax Amsterdam pour l’Atletico Madrid cet été.  » Débarquer ici en tant qu’international belge, ça peut compter « , dit-il. Mais s’y faire une place dans le onze de base n’est pas chose aisée, comme le néoRojiblanco a déjà pu le vérifier.

C’est au lendemain du match de Ligue des Champions face au Zenit Saint-Petersbourg que TobyAlderweireld nous reçoit à l’AC Hotel La Finca de Pozuelo de Alarcon, dans la banlieue de Madrid. Repris au sein de la sélection madrilène dès le deuxième match après son passage de l’Ajax à l’Atletico, il n’est pas encore monté au jeu à ce moment. Pas plus qu’il ne le fera lors des matches suivants Valladolid, Osasuna, le Real Madrid et le FC Porto.

Il ne savoure donc pas encore totalement son transfert car il est venu pour jouer, ce qu’il n’a plus fait depuis le match international en Ecosse, le 6 septembre dernier. Pas l’idéal avant les deux importantissimes matches de qualification pour la Coupe du Monde que les Diables Rouges doivent disputer le 11 octobre en Croatie, à Zagreb, et le 15 octobre face au Pays de Galles au Heysel.

 » Je ne suis donc pas totalement satisfait « , dit-il.  » Dans ma famille, on me dit parfois que ce que j’ai déjà réalisé jusqu’ici n’est pas mal du tout pour un gars de 24 ans ! C’est vrai : il faut de temps à autre se retourner pour mesurer le chemin accompli. Mais pas trop longtemps. J’en veux toujours plus, je suis toujours prêt à franchir un palier supplémentaire. Pour les sportifs de haut niveau, il n’y a pas de limite. Et qui n’avance pas, recule.  »

Des clubs allemands, russes et anglais s’intéressaient à vous. Pourquoi avez-vous choisi l’Atletico Madrid ?

Toby Alderweireld : Parce que c’est le club qui s’est montré le plus concret, qui m’a le plus montré qu’il me voulait. Il dispute la Ligue des Champions, a terminé troisième la saison dernière et veut faire aussi bien cette saison. L’Atletico est un club très populaire, les meilleurs joueurs ont rempilé, je débarque dans une très bonne équipe qui joue pour gagner des trophées. Je quitte un très bon club et j’effectue encore un pas en avant. J’ai effectué ce choix en toute conscience, je savais qu’il ne serait pas facile d’être titulaire. L’équipe est bonne, elle traverse une excellente période et je dois me donner un peu de temps pour en faire partie.

 » Miranda et Diego Godin ont actuellement la préséance dans l’axe  »

L’Ajax impose son football, construit de l’arrière. Ses défenseurs laissent pas mal d’espaces dans leur dos tandis qu’avec l’Argentin Diego Simeone, l’Atletico joue davantage le résultat : il prend le moins de risques possible et laisse venir tandis que le gardien et les défenseurs procèdent souvent par longs ballons. C’est une grande différence.

C’est très différent, en effet. Il faut que je m’y habitue. Il faut donc me laisser le temps de m’adapter à l’entraîneur et à la tactique, de montrer ce que je sais faire à l’entraînement et quand j’aurai du temps de jeu.

L’Atletico vous a-t-il engagé en tant que défenseur central ou comme arrière droit ?

En tant que défenseur central mais chacun sait ici qu’en cas de besoin, je peux jouer à l’arrière droit. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles le club a accepté de payer un montant relativement élevé pour un défenseur qui n’avait plus qu’un an de contrat. Surtout dans le chef de l’Atletico qui, au cours de son histoire, n’a jamais dépensé beaucoup d’argent en transferts et achète d’ailleurs peu de joueurs. Le fait qu’ils investissent en moi me donne de la confiance. Actuellement, dans la hiérarchie des défenseurs centraux, Mirandaet DiegoGodin ont la préséance mais nous jouons beaucoup de matches et j’aurai l’occasion de gagner ma place.

Vous remarquez que l’Atletico, c’est un cran au-dessus de l’Ajax ?

Oui. Il y a plus d’intensité et de meilleurs joueurs. C’est logique car ils sont presque tous internationaux. L’Ajax a toujours eu des équipes très jeunes. Ici, il y a plus d’expérience avec des gars qui jouent en championnat d’Espagne depuis pas mal de temps. C’est autre chose que la D1 hollandaise et ça se voit. Mais je constate aussi que je suis assez facilement le mouvement. Notamment parce que, en équipe nationale, je joue avec des gars qui évoluent en Premier League. Quand tu débarques ici en tant qu’international qui compte 30 sélections dans un pays aussi bien classé que la Belgique l’est actuellement, ça compte. Tout le monde est très gentil.

Etes-vous du genre à vous adapter facilement ?

Non, certainement pas. En fait, sur le plan humain, je ne suis pas tellement taillé pour le football mais la vie est parfois dure et il faut s’adapter.

 » L’une de mes forces est de bien lire le jeu  »

Comment expliquez-vous votre percée à l’Ajax, à 19 ans, et votre transfert dans un grand club espagnol un lustre plus tard ?

Parce que, en football, j’apprends facilement et je tire les conséquences de mes erreurs. Un exemple : à l’entraînement, je ne joue jamais à l’arrière droit mais cela ne m’empêche pas d’occuper cette place à l’Ajax. Là, je suis un autre joueur, je fais d’autres choses que celles auxquelles je suis habitué et j’arrive à mettre le meilleur joueur d’Europe sous l’éteignoir, comme contre la France. Pourquoi ? Je pense que c’est parce que je sens bien le jeu. Sur le flanc, je n’essaye pas de me lancer dans des actions individuelles, même si ce serait parfois une bonne chose, mais je suis toujours bien placé. D’un point de vue défensif, l’entraîneur sait qu’il peut compter sur moi-même si, à gauche, Jan(Vertonghen, ndlr) monte et que nous nous retrouvons à trois derrière. Si nous encaissons si peu, c’est parce que nous sommes solides derrière et aussi parce que le médian défensif est intelligent tactiquement et fait preuve de beaucoup de maturité.

Vous êtes très terre-à-terre.

Oui, je peux dire que je suis très réaliste. Et cela me servira ici.

Il y a un an, vous affirmiez encore ne pas être prêt pour jouer dans un grand club européen. Qu’est-ce qui a changé ?

La saison qui a suivi le départ de Jan fut très importante. J’ai dû reprendre le leadership à ma manière, en championnat comme en Ligue des Champions. Nous avons été champions sans lui, c’est nous qui avons encaissé le moins de buts et cela m’a donné davantage de confiance. J’ai évolué, je maîtrise davantage toutes les situations, j’ai commis moins d’erreurs et j’ai bien senti que, mentalement, j’étais prêt à franchir ce cap.

A votre avis, pourquoi les Diables Rouges jouent-ils aussi bien ?

Parce que nous avons réussi à transformer le talent en résultats. Nous avons tous le même objectif : aller au Brésil, peu importe comment. Et nous tirons à la même corde.

 » J’ai pris une autre dimension à l’Ajax suite au départ de Jan Vertonghen  »

Le Brésil, c’est une carotte pour toutes ces…

… vedettes ? (il rit)

Ces personnalités différentes, en tout cas.

Je pense que oui. Quand on voit les noms qui sont sur le banc… et personne ne se plaint. Il y a pourtant là des gars qui sont titulaires en Premier League et ont déjà fait leurs preuves chez les Diables. Ils acceptent parce que l’intérêt de l’équipe passe avant tout. C’est ce que le sélectionneur nous a dit dès le premier jour : celui qui ne pensera qu’à lui pourra rentrer à la maison.

C’est ça, la force de Marc Wilmots ?

Oui, il peut être très dur mais aussi très gentil et très sociable avec ses joueurs. Tout le groupe le respecte, même ceux qui bossent ou ont bossé avec les meilleurs entraîneurs dans de grands clubs. C’est très significatif.

Il n’a pourtant pratiquement aucune expérience en tant qu’entraîneur.

Mais il en a beaucoup comme joueur. Il sait ce qu’il faut pour réussir à ce niveau. C’est ainsi que nous concédons très peu d’occasions.

Vincent Kompany, Jan Vertonghen, Thomas Vermaelen, vous-même… La défense est uniquement composée de joueurs qui sont ou ont été capitaines dans leur club. Des leaders.

Oui, et la clef du succès, c’est que toutes ces personnalités se mettent au service de l’équipe.

Pourquoi Marc Wilmots est-il l’homme qu’il faut pour entraîner les Diables ?

Il était déjà là avant et c’est très important. Après les départs d’Advocaat et de Leekens il était important que celui qui allait reprendre mette directement la main sur le groupe. Quelqu’un que les joueurs, qu’ils soient flamands ou wallons, allaient respecter. Quelqu’un qui connaisse la réalité belge. Marc Wilmots est comme ça. Il a tout connu, y compris la Coupe du Monde, il est parfait bilingue, il connaît les qualités du groupe, la presse et il sait ce qu’il faut faire pour y arriver. Tous les ingrédients sont réunis. Il n’avait peut-être pas d’expérience comme entraîneur mais quand on a des joueurs qui travaillent chaque jour avec les meilleurs coaches, je me demande s’il y a encore tant à apprendre. Ce qu’on lui demande, c’est de tirer le maximum du groupe. Et il excelle dans cet art.

 » Chez les Diables, personne ne se sent plus important que le groupe  »

Le fait qu’il ait été choisi par le groupe et par le capitaine, Vincent Kompany, est sans doute très important également, non ?

Cela remonte aux matches amicaux face au Montenegro et à l’Angleterre. A l’époque, j’étais blessé mais j’ai entendu dire que le groupe voulait quelqu’un qui se consacre à nous à 100 %, qui ait envie de s’engager pour longtemps. Nous le connaissions bien et il savait de quoi il retournait. Avec un nouvel entraîneur, nous aurions dû tout recommencer de zéro. Aujourd’hui, on peut dire que c’était la meilleure décision possible.

A-t-il changé depuis qu’il est sélectionneur ?

Vis-à-vis de moi, non. Il a toujours été très sérieux et aujourd’hui, tout le groupe s’entend bien avec VitalBorkelmanségalement. Quand les résultats sont là, c’est facile de parler mais je ne peux dire qu’une seule chose : tout le monde est très content. Dès la première minute, il a été clair que personne n’était plus important que le groupe, que chacun devait respecter cela. Et il applique cela de façon très crédible.

A-t-il déjà dû intervenir ?

Non car les joueurs sont très assidus. Kompany, Vertonghen, VermaelenCe sont des gagneurs, des gars de très haut niveau qui travaillent dur, vivent pour leur sport et pour l’équipe nationale. Et il y en a beaucoup d’autres comme cela dans l’équipe. C’est pour cela que nous y arrivons. Même quand l’ambiance est détendue, Marc Wilmots nous rappelle souvent que nous formons un groupe. Les Flamands et les Wallons s’entendent très bien. En fait, ce concept n’existe plus au sein du groupe. Tout roule et nous nous corrigeons mutuellement.

Vous êtes actuellement sixièmes au classement FIFA. La Belgique n’a jamais été aussi bien classée et elle devance les Pays-Bas.

OK mais nous devons garder les pieds sur terre. C’est juste une preuve que nous travaillons bien, rien de plus. Cela doit nous donner l’envie de faire mieux encore. Les Pays-Bas connaissent une période de transition, comme nous par le passé. Mais ils reviendront. D’ailleurs, ils sont déjà qualifiés tandis que nous ne le sommes pas encore.

Vous ne pouvez plus échouer.

Non.

 » A l’Ajax, j’ai appris à supporter la pression  »

En Croatie, la pression sera forte. Et si vous perdez là-bas, il vous faudra battre le Pays de Galles de Gareth Bale.

Tout le pays nous regarde, tout le monde veut aller au Brésil et la moindre erreur peut nous être fatale. Mais c’est ça le sport de haut niveau : gagner même sous pression. Nous savons que les grands arbres prennent beaucoup de vent. C’est pareil pour les politiciens : ils peuvent faire du bon boulot toute l’année mais il leur suffit d’une décision erronée ou d’une pose bizarre devant les caméras pour voir tout le monde se dresser contre eux. Nous devons pouvoir endurer cela. Avant le match, nous avons le droit d’être nerveux mais pendant la partie, il faut évacuer ce stress, se concentrer. Je pense que la plupart des Diables sont capables de faire ça.

Et vous ?

Oui. Une fois que le match commence, le trac disparaît. Ça a toujours été comme ça, même quand j’ai connu des moments difficiles à l’Ajax. Je suis sensible mais sur le terrain, mes sentiments personnels ne ressortent pas parce que je suis comme dans un cocon. Je pense que je me concentre bien. Pour plusieurs raisons, je supporte très bien la pression.  »

C’est à l’Ajax que vous avez appris cela ?

Evidemment. A 15 ans, j’ai quitté la maison et sacrifié ma jeunesse pour cela. Chaque semaine, je prenais le train d’Anvers à Amsterdam et je logeais dans une famille d’accueil. J’allais à l’école au Bijlmeer, avec la plupart des jeunes étrangers de l’Ajax. A l’époque, c’était un ghetto, comme on en voit parfois dans les séries américaines à la télé : 80 % de Noirs, 10 % de Sud-Américains et 10 % de Blancs. Je partais à 6 h 30 du matin, avec ma mallette et mon sac de foot. J’avais une demi-heure de marche puis je prenais le métro, j’avais une correspondance puis un tram et encore une demi-heure de marche. Une heure trente tous les matins, chargé, qu’il pleuve ou qu’il vente. A l’Ajax aussi, c’était dur. Là, on se fiche de savoir comment vous vous sentez. Un jour, MaartenStekelenburg m’a descendu devant tout le groupe parce que j’avais raté deux passes.

Que vous a-t-il dit ?

Que c’était scandaleux. Que si c’était pour jouer comme ça, je ferais mieux de rentrer en Belgique. Là, quand on trouve que tu joues comme une merde, on te le dit en face. Et les compliments sont rares. Ce n’était pas facile mais ça m’a rendu plus fort. Mais à l’Ajax, si on met le doigt sur vos erreurs, on vous corrige également. Et celui qui comprend, qui reste concentré et s’entraîne, finit par progresser et avoir l’impression qu’il pourra encore franchir un palier. Il n’y a plus de limite. J’ai progressé pas à pas. Pour un défenseur central, il n’y a pas de meilleure formation que celle de l’Ajax. Il faut pouvoir tout faire quand on joue à cette place : défendre haut, ne pas laisser trop d’espaces dans son dos et construire. Il faut résister au stress et toujours gagner. C’est ce qui me permet aujourd’hui d’amener un petit plus, de garder mon calme en toutes circonstances et d’adresser une passe correcte. Pour cela, il faut bien s’entendre avec ses partenaires, savoir dans les moindres détails ce qu’ils aiment ou pas. C’est pourquoi il faut une période d’adaptation. La place de défenseur central est très importante. Devant, on peut changer plus facilement tandis que derrière, il faut de la sécurité. C’est pourquoi je pense qu’après un transfert, un défenseur central a besoin d’un peu plus de temps pour gagner sa place.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Aux Pays-Bas, quand quelqu’un trouve que tu joues comme une merde, il te le dit en face.  »

 » Le groupe a faim et regorge de compétiteurs. C’est ce qui fait sa force.  »

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