» CHEZ LES DIABLES, j’avais une épée au-dessus de la tête « 

 » Si je raconte le tiers du quart de ce que j’ai vu dans le vestiaire de Louvain, il y a des gens qui vont tirer une drôle de tête  » : retour sur une saison noire, autocritique et perspectives.

C’est l’histoire d’un mec qui défendait la cage des Diables Rouges contre l’Autriche en octobre 2010 dans un Heysel en transe. D’un mec qui jouait sur le terrain du Bayern, devant 69.000 personnes, en avril 2011. Avec lui dans l’équipe de Mönchengladbach : Dante et Marco Reus notamment. Face à lui, Mario Gomez, Thomas Müller, Arjen Robben, Franck Ribéry et les autres. D’un mec qui, en mai de cette année, a vu son Louvain se crasher dans le tour final et chuter en D2. Ce jour-là, Logan Bailly a quitté la pelouse avec la tête encombrée : encore deux ans de contrat à honorer à OHL, ça vous secoue un homme. Il a 28 ans. L’âge d’or pour un gardien, qu’ils disaient… Le 4-4 contre l’Autriche, la défaite 1-0 au Bayern : des tournants dans sa vie. Son tout dernier match en équipe nationale. Et ses ultimes minutes en Bundesliga. La déprime ? Même pas. Le Logan assume et balance ses certitudes. Il ne veut pas attaquer mais ne se laisse pas non plus piétiner le corps. Confessions.

Ce contrat jusqu’en 2016, tu l’as pris comment, au moment où votre descente a été mathématique ?

Logan Bailly : Ce n’était pas dans mes plans de chuter en D2. J’étais bien à Louvain quand j’ai prolongé. J’y gagnais bien ma vie, tout se passait bien. Maintenant, basculer en deuxième division, sur un CV, c’est moche.

Dans les jours qui ont suivi, tu as fait le point avec la direction ?

Absolument pas. Je n’ai vu personne. Entendu personne. J’ai lu dans la presse que le club ne pourrait pas garder ses joueurs les plus chers, comme Karel Geraerts et moi, mais on ne m’a rien dit en face.

Comment tu expliques ce scénario catastrophe ?

Je peux surtout parler de mon cas. Et j’estime que j’ai fait ce que j’avais à faire. Si j’avais fait une saison médiocre, je dirais : -OK, je prends sur moi, je ferme ma gueule. Mais j’ai fait mes matches. Et j’ai été très respectueux. Alors qu’il s’est passé beaucoup de choses. Si je raconte le tiers du quart de ce que j’ai vu dans notre vestiaire, il y a des gens qui vont tirer une drôle de tête… Un moment, Marvin Ogunjimi et moi, on s’est fait un peu… comment dire ?…

Dis…

A part quelques mots avec Mohamed Messoudi à la mi-temps d’un match, je n’ai eu de problèmes avec personne. J’étais très bien vu dans le groupe. Jusqu’au jour où Ogunjimi est arrivé. C’est un super pote, on a vécu plein de choses ensemble à Genk, c’était normal que je fasse tout pour l’aider à s’intégrer. Mais il faut croire que ça n’a pas plu à certains joueurs. Comme s’ils avaient peur que Marvin Ogunjimi leur fasse de l’ombre.

 » En décembre, c’était déjà cuit  »

On le voyait comme une menace ?

Il l’a ressenti comme ça, en tout cas. Moi, je ne voyais pas tout puisque je m’entraînais souvent à part, avec les gardiens. Mais il m’a raconté pas mal de trucs. Et à partir du moment où tu as contre toi les joueurs qui sont soi-disant les plus forts du vestiaire, ça devient très difficile.

Tu veux dire qu’on t’a mis dans le même camp que ton pote ?

Je ne peux pas dire qu’on m’a mis dans un camp ou dans un autre. Je vais seulement te raconter ceci… J’étais toujours à l’heure au stade. Comme j’habite à Genk, je devais démarrer avant 7 heures mais j’ai toujours assumé. Quand je vois comment se comportaient certains prétendus cadres… Si je dis tout, ils vont en prendre un coup. J’ai aussi assumé mon rôle de leader. Je regardais tout le monde dans le blanc des yeux. Quand on a connu une petite crise, après la défaite à Charleroi, je me suis levé et j’ai dit mes quatre vérités à tous les joueurs. Je leur ai dit aussi que je n’avais besoin de personne pour me faire une place à Louvain, que j’étais assez grand pour me débrouiller seul. Ça n’a pas plu à tout le monde.

Les retards à l’entraînement, c’était le gros problème ?

C’était un des problèmes. Manque de discipline. Des joueurs se faisaient passer pour des pros mais ne l’étaient pas. Ça a été une succession de petits trucs, ça plus ça plus ça…

Encore plus dur à vivre quand on a connu la Bundesliga ?

Voilà. Attention, je ne veux pas me faire passer pour un pro à 300 %. Loin de là. Mais pendant toute la saison, j’ai fait ce que j’avais à faire. J’ai commis une ou deux erreurs sur le terrain mais j’ai toujours fait mon boulot sérieusement.

Quand a commencé la chute de Louvain ?

Avant le mois de décembre. Et ça ne s’est plus arrêté. Quand on gagnait un ou deux matches, les gens de l’extérieur croyaient que ça allait mieux, que les problèmes étaient réglés. Mais c’était tout le contraire. Le malaise était trop profond. Si Mons n’avait pas été encore plus malade que nous, on n’aurait peut-être même pas gagné les play-offs 3.

 » A cause de Ruytinx, tout le monde a considéré OHL comme une équipe violente  »

Le tour final n’avait pourtant pas mal commencé !

Après notre victoire facile à Eupen, qu’on considérait comme le meilleur des trois adversaires, on a cru qu’il ne pourrait plus rien nous arriver. Mais je te répète que le mal était fait avant le tour final.

L’affaire Ruytinx – Carcela n’a pas divisé le groupe comme l’affaire Witsel – Wasilewski avait autrefois scindé le vestiaire du Standard ?

Je me suis préoccupé de Mehdi Carcela après sa blessure. C’est normal, on se connaît depuis longtemps. Marvin Ogunjimi a aussi pris de ses nouvelles. Est-ce que ça nous a isolés ? Je n’en suis même pas sûr. Il y avait déjà des problèmes avec Ogunjimi et moi avant ça. Et je ne m’en suis même pas pris à Ruytinx, je n’ai jamais eu d’accrochage avec lui. Simplement, j’avais le droit d’avoir mon avis sur cette phase. C’est un gars super en dehors du terrain. Je ne dis pas que c’est une crème mais c’est un gars bien. Malheureusement, dès qu’il commence un match, il se métamorphose complètement. Dans cette affaire, Ruytinx a été victime de sa réputation. Comme ce n’était pas sa première semelle, il était déjà catalogué.

Logique, non ?

Je pourrais citer des joueurs qui ont mis des semelles plus violentes que la sienne et n’ont pas été catalogués comme lui. Ici, on en a fait une affaire d’Etat. C’était contre le Standard, ça a joué. Si la même chose se passe contre le Lierse, on en parle beaucoup moins. J’ai vu en tout cas que cet incident mettait encore plus de pression sur notre équipe. D’un coup, tout le monde a considéré OHL comme un adversaire violent.

 » Un boomerang te revient toujours, moi je l’ai pris plusieurs fois  »

Comment tu juges ton niveau par rapport à celui que tu avais avec Genk avant de partir en Allemagne ?

Je ne suis plus le même parce que je n’ai plus le même âge. J’ai pris de l’expérience. Et je ne suis pas moins bon. Moins fougueux, c’est sûr. J’avais quitté Genk à 23 ans. A cet âge-là, tu réfléchis moins, tu vas chercher des ballons au point de corner. Aujourd’hui, je prends moins de risques, mon jeu est plus intelligent.

Ça fait un bon moment qu’on ne parle plus de ce que tu fais en dehors des terrains. Tu ne pensais pas que ça te permettrait de redécoller plus vite ?

Mais quand je me suis retrouvé à Louvain, j’étais content ! Je ne visais pas autre chose. J’avais envie de me poser. Je voulais aussi me faire un peu oublier, j’avais envie qu’on arrête de parler de mes petites bêtises et de mon étiquette. J’y suis parvenu. Je ne dis pas que je suis devenu le plus sage des footballeurs mais j’ai bien changé quand même.

Tu estimes qu’on a exagéré tes bêtises ?

Evidemment !

Tu penses que ça t’a coûté cher ?

Très cher. Un boomerang te revient toujours dans la figure. Moi, je l’ai pris plusieurs fois.

Qu’est-ce qui t’a coûté le plus cher ? Tes bêtises en dehors du terrain ou tes matches ratés avec Gladbach à la même période ?

Tout. Les deux ensemble, ça a fait que ça a explosé !

Et les deux étaient liés, non ? Tes matches délicats s’expliquaient peut-être par tes problèmes extra-sportifs ?

C’est possible, je ne sais pas. C’est fait, c’est fait. Je ne vais pas dire que je ne regrette pas tout ça, mais si je regrette maintenant, ça ne changera quand même pas ma vie…

Sans tous ces problèmes, tu serais toujours en Bundesliga ?

Je ne sais pas. Je vais me consoler en me disant que non… Mais quand je vois l’évolution de certains joueurs de Gladbach entre-temps… Dante est au Bayern, Marco Reus à Dortmund, Marko Marin s’est retrouvé à Chelsea puis à Séville. Et Marc-André ter Stegen vient de signer à Barcelone, il était troisième gardien quand j’étais là-bas ! Chaque fois que je les vois, j’y pense. J’en parlais parfois dans le vestiaire de Louvain : -Comment c’est possible qu’ils soient dans des équipes pareilles et moi ici ? J’en rigole mais il y a de la nostalgie.

Avec le recul, tu penses que tu étais fait pour l’Allemagne ? Un pays si sérieux, même austère. Là-bas, tous les footballeurs ne sont quand même pas des bons vivants !

Bien sûr que j’étais fait pour le Bundesliga. J’étais sur mon nuage, là-bas. Je ne vivais pas comme je voulais vivre mais je n’ai pas vécu comme j’aurais dû vivre…

Pardon ? Tu peux expliquer ?…

Ce n’est pas que je n’ai pas été pro mais il y a des moments où j’aurais pu l’être plus…

 » Quand tu as connu les Diables, tu y penses toujours  »

Comment tu vis la Coupe du Monde ?

Bien…

Fin 2013, tu y pensais encore publiquement.

C’est sûr. Quand tu as connu les Diables, tu y penses toujours. Je savais que ça allait être dur mais je me disais que s’il y avait des forfaits, j’aurais sans doute ma chance. Et des forfaits, il y en a eu. Jean-François Gillet, puis Koen Casteels. Quand Silvio Proto a été appelé, je trouvais ça logique. Quand il s’est blessé, je pouvais comprendre aussi qu’on sélectionne Sammy Bossut. Après ça, par contre, je n’ai plus suivi. Marc Wilmots a choisi Thomas Kaminski, même pas Colin Coosemans qui est pourtant attitré en Espoirs. C’est comme ça. Maintenant, je sais qu’il faudrait une épidémie, avec dix ou quinze gardiens qui tombent, pour que je sois de nouveau appelé en équipe nationale.

Tu es amer ?

Etonné et déçu. J’ai joué en Allemagne, j’ai joué un EURO Espoirs, j’ai joué les Jeux olympiques, j’ai joué chez les Diables avec presque toute l’équipe actuelle. Je me rappelle parfois une phrase de Philippe Vande Walle, quand je suis arrivé en équipe nationale : -Si tu réussis tes premiers matches, tu vas rester dans le but pendant des années. Tout ça ne compte plus ? La presse a aussi eu son mot à dire, j’en suis persuadé. Mais bon, il faut que j’arrête de me prendre la tête. Si je dois vivre avec des remords, je vais mourir bientôt. (Il rigole).

Tu crois vraiment que Marc Wilmots peut se laisser influencer par la presse ?

Quand on fait des sondages pour savoir qui doit remplacer un gardien blessé, on cite cinq ou six noms mais jamais le mien. Ça peut jouer un rôle.

Tu penses que tu continues à payer le 4-4 contre l’Autriche ?

Ça en fait partie, oui. Déjà avant ce match, je ne dis pas que tout le monde était contre moi, mais beaucoup de monde quand même. Les réactions des gens, des articles dans les journaux, des sondages, il y a beaucoup de choses qui me font penser ça. Et ce soir-là, j’étais au mauvais endroit au mauvais moment. J’avais déjà une épée au-dessus de la tête, je le savais, j’étais sûr qu’une petite erreur me serait fatale. Voilà.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS: BELGAIMAGE/ LALMAND

 » Face à l’Autriche, j’étais au mauvais endroit au mauvais moment.  »

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