Chers lecteurs,

Le foot, pour moi, c’est sans doute fini. J’aurai 34 ans en septembre, et pour que je continue, il faudrait que Roulers accepte de m’offrir un nouveau contrat aménagé en fonction de ma nouvelle vie.

Je prépare ma reconversion, je suis occupé à créer une société dans le domaine de la communication et cela me prend déjà beaucoup de temps. Dès cet été, il y aura des rendez-vous professionnels que je ne pourrai pas rater, et donc je ne pourrai pas assister à tous les entraînements. Si on accepte que j’en saute un de temps en temps, je prolongerai peut-être d’un an. Mais si c’est impossible, pas de problème, je stopperai définitivement dans quelques jours, la conscience tranquille.

Je m’adresse aujourd’hui à vous pour raconter tout ce qui m’a marqué depuis janvier 2005, quand je suis arrivé à La Louvière. Je pourrais en faire un bouquin. D’ailleurs, c’est au programme. Je vais consacrer un livre rien qu’à ce que j’aurai vécu en Belgique. Je confie tout à une amie, elle prend des notes. On pourrait carrément en faire un film, une comédie dramatique. En deux ans et demi dans ce championnat, j’ai vu plus de trucs incroyables que pendant mes 12 saisons en France.

Tout a commencé par la plus grosse erreur d’aiguillage de ma carrière : je n’aurais jamais dû venir à La Louvière. Mais j’étais sans club depuis six mois, suite à une opération au genou. Je m’étais blessé alors que j’étais en fin de contrat à Lens, on ne m’avait pas prolongé, j’étais tombé dans le trou. Je n’existais plus, tout le monde m’avait oublié. Mon manager connaissait Albert Cartier et Stéphane Pauwels, c’est comme ça que j’ai débarqué ici. Je n’ai pas signé pour l’argent. Oh la la… Je gagnais 10 ou 15 fois moins qu’en France. Je voulais simplement rejouer, rebondir, montrer que je vivais encore. La Louvière sortait d’un tout bon premier tour, on m’avait dit qu’il y avait aussi un bon coup à jouer en Coupe de Belgique. J’y ai cru. C’est mon côté optimiste, je me voyais déjà faire une super deuxième moitié de championnat et soulever la Coupe, en cerise sur le gâteau.

Après une semaine à La Louvière, j’avais tout compris

Il ne m’a fallu qu’une semaine pour déchanter. Oui, j’avais tout compris après quelques jours. Filippo Gaone a déclaré dans la presse qu’il fallait prendre le moins de points possible pour qu’il ne doive pas payer trop de primes. Je suis allé le trouver, je lui ai demandé si c’était une boutade. Il m’a répondu que c’étaient des inventions de journalistes. Mais j’ai vite compris que c’était son souhait le plus cher. Son équipe devait arrêter de gagner. Un jour, il a débarqué dans le vestiaire et nous a dit : -Vous pouvez perdre tous vos matches, je m’en fous. Il n’y en a qu’un que vous devez absolument gagner : celui contre Mons. Nous étions tous scandalisés. Et pour nous, il était hors de question de lui faire le moindre cadeau. Je n’étais pas au courant d’un sabotage avant le déplacement à Mons mais les faits sont là : un non-match de La Louvière et une tripotée, 4-1. J’ai dû toucher trois ballons ce soir-là. Je ne vais pas remettre de l’huile sur le feu, je ne dis pas que nous avons fait le même coup que lors du fameux 7-0 de la dernière journée au Lierse, mais bon… Je ne sais pas ce que certains avaient décidé.

Qu’est-ce qu’on a pu se foutre de notre gueule à La Louvière ! Une prime de 1.000 euros était transformée en prime de 100 euros et le responsable financier essayait de nous faire croire que c’était une faute de frappe dans le contrat, qu’il n’avait jamais été question de 1.000 euros. Pourtant, le montant était renseigné en lettres, et pas simplement en chiffres. Entre  » mille  » et  » cent « , ça fait quelques fautes de frappe ! Quel pauvre gars, ce comptable, il aurait intérêt à changer de métier. On nous déduisait régulièrement une partie de notre salaire, pour toutes sortes de raisons loufoques. Rien qui tenait la route. Certains joueurs du noyau n’avaient plus de quoi manger. Ils avaient un contrat de misère et il y avait en plus des mois de retard. Les anciens avaient bon c£ur et les hébergeaient à l’occasion. Nasser Dainèche logeait chez Mario Espartero, j’emmenais Marc Clamy à la maison pour qu’il sorte un peu des murs de La Louvière.

Je n’avais qu’une envie : foutre la bagnole de Gaone dans le lac

Dans l’affaire du match au Lierse, l’Union Belge nous a reproché de ne pas avoir choisi un autre moyen d’action. La fédé dit que nous avions des recours en justice. D’accord, mais quand tu es joueur, tu espères toujours que ça va s’arranger et tu évites d’aller au clash. Pour Gaone, ça allait toujours se régler. -Demain. -La semaine prochaine. De toute façon, comment ceux qui avaient un contrat ridicule, auraient-ils payé un avocat alors qu’ils n’avaient déjà rien dans leur assiette ? La semaine du match au Lierse, nous avons tout fait pour rencontrer le président. Mais il était introuvable. J’ai appris plus tard qu’il était alors en Chine. Pour ses affaires, officiellement… Je n’accuse pas, mais quand on sait que le club était bien trempé dans le scandale du Chinois et que la direction était au courant, j’estime qu’on peut se poser des questions. Je n’étais pas d’accord de boycotter le match au Lierse. Si je marquais des buts là-bas, je pouvais encore toucher une prime stipulée dans mon contrat. OK, je sais qu’il ne me l’aurait de toute façon pas versée, mais bon… J’avais une autre solution pour faire chier Gaone : gagner le match et l’obliger à payer. C’est ce que j’ai proposé au groupe. J’en veux aux autres joueurs de ne pas avoir été intelligents sur ce coup-là. En rentrant à La Louvière, nous avons décidé de saccager le stade. Nous avons emporté des ballons, des équipements, etc. C’était le bordel. Et une affaire en or pour Gaone : hop, encore quelques retraits sur salaire alors qu’il ne savait même pas qui avait emporté quoi. J’ai pris un ballon, que j’ai offert. Et je suis reparti avec la voiture du club. Je l’ai gardée plusieurs mois. Je ne l’utilisais même pas et je n’avais qu’une envie : la foutre dans un lac. Quand quelqu’un du club m’appelait pour venir la récupérer, je faisais comme Gaone : le mort. Je mettais ma messagerie. Ou je décrochais et je répondais : -Allô, allô ? C’est qui ? Je n’entends pas bien. Finalement, ils ont contacté Daniel Leclercq pour qu’il me persuade de rendre la bagnole et je l’ai fait. L’histoire de cette voiture m’a encore coûté des retraits sur salaire, je ne sais même pas combien. Les joueurs ne perdaient plus leur temps à essayer de comprendre pourquoi on leur avait enlevé telle ou telle somme. C’était incompréhensible, il n’y avait aucune logique.

J’aimerais bien rencontrer Deman, le sauveur du foot belge

Dans les souvenirs que je garderai du foot belge, le procès que nous a fait la Fédération dans l’affaire du match au Lierse gardera une place à part. Incroyable. Extraordinaire. Fantastique. Du foutage de gueule à grande échelle. Nous n’étions plus payés mais on nous a fait passer pour ceux qui bafouaient l’éthique. C’est quoi, l’éthique, pour ces gars-là ? Patrick Deman, celui qui a distribué les enveloppes du Chinois, qui avait une fonction d’éducateur vu son rôle d’entraîneur adjoint, on lui offre l’immunité. Je rêve. Je me marre. Deman, je l’appelle le grand sauveur du football belge. Heureusement qu’il était là, celui-là ! Imaginez cette situation. Un type recrute six ou sept petites frappes pour faire un casse. Ça se passe mal, la police intervient, le recruteur tire et tue deux policiers. Deux des petites frappes se font coffrer. Le recruteur va alors trouver les enquêteurs et leur donne tous les noms. C’est lui qui a tué mais on lui donne l’immunité sous prétexte qu’il a livré des infos importantes. Le recruteur, l’instigateur dans cette histoire, c’est Deman. Belle justice ! Dans toute l’histoire des matches truqués, s’il y en a un qui devait être radié à vie, c’était Deman. Mais c’est lui qui s’en est le mieux tiré.

Quand l’Union Belge m’a convoqué pour la première fois, ça me faisait rigoler, je ne prenais pas cette affaire au sérieux. Je venais simplement pour expliquer que nous avions réagi aux méthodes de notre président. J’étais à des années lumière d’imaginer qu’on allait me condamner. A des années lumière de croire qu’on associerait ce match au scandale du Chinois. Mais bon, le grand sauveur Deman a dit aux enquêteurs de la fédé que ce match avait été truqué par le Chinois, alors il avait sûrement raison. A ce moment-là, j’ai arrêté de rigoler. J’aimerais bien le rencontrer, ce Deman, histoire de voir comment il fait pour avoir une telle tranquillité d’esprit. D’une rumeur, on fait un procès qui tourne à une condamnation. Je reviens de Chine, où je suis allé voir des industriels dans le cadre de ma reconversion. Roulers vient de se prendre des scores de tennis contre le Brussels, Anderlecht et Mons. Un journaliste m’a appelé pour me dire que c’était quand même une coïncidence bizarre. Eloi, La Louvière, la Chine… Quoi ? Je dois demander l’autorisation des Belges pour aller en Chine ? C’est fou. Si Deman va maintenant dire aux gars de la fédé que je suis allé voir le fameux Chinois, je peux m’attendre au pire.

Les gars de l’Union Belge affalés sur leur chaise, certains endormis : fantastique

Ces comparutions à l’Union Belge, c’était fantastique. Tous affalés sur leur chaise, il y en a qui s’endormaient parfois. Et ce sont ces types-là qui nous ont jugés et condamnés. J’ai d’abord pris 3 mois de suspension avec sursis et 1.200 euros d’amende, pour avoir bafoué l’éthique sportive. Roulers m’a conseillé de ne pas aller en appel alors que j’avais promis d’y aller si je prenais ne fût-ce qu’un euro d’amende. René Verstringhe, le procureur, celui que j’appelle le grand manitou, n’était pas content du verdict. Les trois mois avec sursis et l’amende lui convenaient, mais pas le motif retenu. Il voulait qu’on acte la falsification au lieu de l’éthique bafouée. Il a fait appel et j’ai été condamné à une suspension ferme de six mois, toujours pour avoir bafoué l’éthique. La séance avait eu lieu en septembre ou octobre, j’ai reçu le jugement le 23 décembre. Ils espéraient que je ne pourrais plus me retourner vu que le délai pour aller en évocation expirait le 2 janvier, que j’étais peut-être parti en vacances, que mon avocat était peut-être en congé. Là, je me suis dit : -Oh les bâtards. J’ai eu la confirmation qu’ils avaient un seul but depuis le départ : nous coincer, ne nous laisser aucune chance. J’ai décidé d’arrêter le foot et j’ai regretté de ne pas avoir fait le mort comme Laurent Montoya. Il ne s’est jamais présenté à l’Union Belge, il envoyait chaque fois des mots d’excuse et il a eu la même sanction que moi. Mais lui, il n’a rien payé en frais d’avocats et de justice. Il a été plus malin. J’ai contacté Maître Misson, il m’a directement dit que je n’avais rien à craindre, que le jugement était d’une incohérence totale. Le motif n’avait pas changé mais la sanction avait été aggravée : il n’y avait aucune logique juridique là-dedans. Comme Gunter Van Handenhoven n’était pas sûr que je serais là pour aller en évocation dans les temps, il a demandé à son avocat d’intervenir à la fois pour lui et moi. Alors, l’Union Belge s’est retrouvée avec deux recours introduits par Eloi. Elle a joué là-dessus et invoqué le vice de forme. Mais ils sont malades, ces types ! En évocation, j’ai pris un an avec sursis. Une vraie parodie de justice. C’est à ce moment-là que la justice a décrété que la Fédération n’était pas compétente pour empêcher quelqu’un de travailler. Et quand cette décision leur a claqué dans les dents, ils ont tout arrêté, laissé tomber purement et simplement le dossier du Chinois. Je comprends que la justice leur ait enlevé toute autorité car ils sont fameusement incompétents. Ce procès, c’était une mascarade, du charabia, du foutage de gueule. En attendant, j’ai été sali, insulté, on m’a fait passer pour un tricheur. Le mal est fait. Et il y a un héros dans cette histoire : Deman, celui qui a nettoyé le foot belge. Et si c’était vrai, finalement ? Vous avez déjà vu ces policiers qui s’infiltrent dans les bandes de mafieux, se droguent comme eux pour les mettre en confiance, pour mieux les coffrer après ? Peut-être qu’un jour, Deman avouera qu’il a participé au trucage de matches pour mieux connaître le système, le dénoncer et le tuer ? Je me marre.

Je ne suis pas sûr qu’Anderlecht et Genk battraient Nantes, Troyes ou Sedan

L’arbitrage belge… Là aussi, j’ai découvert un autre univers. Oh la la… Je reverrai toujours une phase du match retour de Coupe contre Bruges, après notre 2-2 là-bas au match aller. Un coéquipier frappe au but, le gardien repousse, je n’ai plus qu’à reprendre, le but est grand ouvert deux mètres devant moi. Mais un Brugeois me fait tomber. Tout le monde voit qu’il m’empêche de tirer. L’arbitre ne siffle rien. Je lui dis : -Monsieur l’arbitre, vous pensez que je suis tombé tout seul, que j’ai simulé ? Il me répond : -Tu as glissé. A mourir de rire. C’était prémédité, les consignes étaient claires : Bruges devait passer… et est passé.

C’est fou, le décalage entre le niveau du championnat de Belgique et la qualité des jeunes. Vos -17 et vos Espoirs font de très bons résultats, et moi, j’ai vu de très bons gamins aussi bien à La Louvière qu’à Roulers. Le problème, c’est qu’on est incapable de souffrir, ici. Les jeunes ne savent pas se faire violence et on ne les pousse pas à se surpasser. Le résultat, c’est un championnat d’un niveau nettement insuffisant. Jetez Anderlecht et Genk dans le championnat de France : je ne suis pas sûr qu’ils battront Nantes. Anderlecht aurait peut-être sa chance contre Troyes et Sedan, mais Genk serait battu à coup sûr. C’est dur, ce que je dis, mais j’en suis malheureusement persuadé. Jetez les meilleurs clubs belges dans le championnat anglais : mon dieu, mamma mia… Je n’ai qu’un conseil pour les jeunes qui ont du talent : quittez la Belgique au plus vite. S’ils restent ici, ils auront une chance de faire une petite carrière en D1 belge. Mais s’ils ont beaucoup de qualités, ils méritent mieux que ça. Il faut qu’ils partent pour apprendre à se faire violence, qu’ils rencontrent une vraie culture de l’effort. Cette saison, j’ai arrêté de m’entraîner pendant trois mois à cause de mes problèmes extrasportifs et d’une blessure. Dès que j’ai repris le boulot, je suis rentré dans l’équipe et j’ai marqué des buts. Si j’avais repris avec la même petite forme en championnat de France, j’aurais tenu tout au plus 10 petites minutes. C’est révélateur du niveau.

recueilli par pierre danvoye

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