Les Belges habitués aux grands gardiens se posent des questions sur la génération actuelle.
Depuis quelques mois, les médias français se proclament champions du monde des gardiens de but. La jeune génération est prometteuse : Simon Pouplin (Rennes), Hugo Lloris (Nice), Nicolas Douchez (Toulouse) feront un jour partie des plus grands. Grâce à un travail en profondeur, la France a comblé son retard en matière de formation des gardiens. Tellement bien qu’elle est désormais en avance. Depuis une dizaine d’années, les entraîneurs spécifiques ont intégré la nouvelle donne du jeu au pied et le modèle Fabien Barthez a fait école. Flavio Roma, le dernier rempart italien de Monaco, a déclaré que la France avait créé une école différente et plus moderne que l’italienne.
Et en Belgique ? Alors qu’il existait une tradition de grands gardiens, la source semble s’être tarie. Pendant des années, la réputation belge ne faisait aucun doute. Jean Nicolay, Christian Piot, Jean-Marie Pfaff, Michel Preud’homme, Gilbert Bodart et Filip De Wilde ont pérennisé cette image d’Epinal.
Jean Nicolay : » L’émulation a toujours joué »
» On m’a déjà souvent demandé comment la Belgique avait eu autant de bons gardiens « , explique Nicolay. » Je ne sais pas. On ne peut pas vraiment parler d’école. Je pense que quand il y a un bon gardien, les autres copient. Il y a un phénomène d’émulation. Et puis, le caractère du Belge a joué un rôle. C’est quelqu’un d’indépendant et ce n’est pas négligeable pour un gardien. Le football est un sport collectif mais le poste de gardien relève davantage de l’individuel. C’est lui qui doit réparer les erreurs des autres et il est souvent seul sur son île.
Quand je suis devenu entraîneur des gardiens, je n’ai pas utilisé de méthode miracle. Je m’adaptais aux joueurs que je conseillais. J’ai travaillé avec Bernard Lama, Preud’homme, Bodart et De Wilde, et suivant leurs qualités, je changeais mes séances. Il faut qu’un gardien sorte de l’entraînement content. Et dans cette optique, il faut le mettre en confiance et avoir de la psychologie.
On dit souvent que les gardiens ont dû s’adapter aux nouvelles règles. C’est un peu vrai mais il ne faut pas oublier qu’à mon époque, on évoluait parfois très haut sur le terrain. En équipe nationale, je faisais partie d’une formation uniquement composée d’Anderlechtois qui jouaient la ligne très haut. Donc, moi aussi. On a d’ailleurs souvent déclaré que j’avais inventé un style car je sortais dans les pieds très vite. Contrairement aux portiers actuels qui sortent les pieds en avant, moi, j’allais dans les pieds avec les mains. Je ressortais du duel avec le ballon. Désormais, ils sont rarement maîtres du ballon. Peu d’évolutions ont émaillé les dernières années. A part au niveau de l’équipement. Les gants ont une meilleure adhérence et les pantalons sont rembourrés « .
Gilbert Bodart : » L’entraînement, c’est du mental »
Le Standard a eu de bons gardiens pendant des années. » C’est vrai qu’il y a une volonté de copiage « , dit Gilbert Bodart, » À mon époque, les stars s’appelaient Nicolay, Piot et Jean-Marie Pfaff. Beaucoup de monde les admiraient et aspiraient à devenir gardien. Moi, je voulais évoluer dans le jeu mais comme mon papa était portier, j’ai voulu me mesurer à lui et le surpasser. Sinon, on ne peut pas parler de fabrique belge. Moi, j’admirais la souplesse de Preud’homme et j’essayais de compenser cette faiblesse par mon sens de l’anticipation et par le feeling. Pfaff et Preud’homme possédaient cette classe intrinsèque. Piot, Nicolay ou moi étions davantage des kamikazes.
Certains disent que la Belgique n’a pas su évoluer mais par rapport à mon époque, il y a déjà un changement important : tous les clubs disposent d’entraîneurs spécifiques. Avant, on s’entraînait deux ou trois fois par semaine avec les joueurs de champ. De ce fait, je n’ai jamais ressenti de problème avec le jeu au pied et cela m’a permis d’anticiper le changement de règles.
Désormais, jusqu’en Promotion, les gardiens sont pris en charge et ne sont plus des laissés-pour-compte. Par contre, si la technique est importante, elle l’était déjà quand je jouais. Les entraîneurs ont finalement davantage un rôle de psychologue. Il faut être toujours derrière son poulain et faire en sorte qu’il ait un mental fort. C’est au niveau du mental que la différence entre un bon et un très bon gardien se fait. Car on trouve partout, même en Provinciales, des gardiens qui sortent des arrêts miraculeux mais il faut dénicher des éléments qui en font chaque dimanche. La constance et donc la faculté à gérer la pression sont particulièrement importantes. Certains baissent les bras au premier coup dur. Les bons vont se rebeller et devenir plus forts « .
Filip De Wilde : » La jeune génération a du talent et veut du temps »
Filip De Wilde était-il le dernier grand gardien belge ? » Il ne faut pas croire cela « , explique De Wilde, » Ce n’est pas fini. Le cycle va reprendre. On pense cela car notre équipe nationale traverse une passe délicate. On a longtemps dit qu’il y avait une tradition belge. Pourtant, chacun avait un style bien particulier, au sein parfois d’une même période. On aime également dire en Belgique que les éléments du passé étaient d’office meilleurs. Ce n’est pas le cas dans les autres pays. Tous nos voisins, que ce soit la France, l’Italie ou l’Espagne affirment tous posséder les meilleurs gardiens du monde.
Je pense qu’on a trop vite cherché la solution à l’étranger car il s’agissait d’une option peu expansive. D’où l’afflux de numéros un étrangers il y a quelques années. On cite toujours l’exemple français. Les centres de formation sortent de très bons joueurs. Il n’y a pas de raison qu’ils ne sortent pas non plus des bons gardiens. Ils disposent d’entraîneurs professionnels et de davantage de moyens qu’en Belgique.
Faut-il pour autant rougir de nos jeunes pousses ? Il faut leur laisser du temps. Ma génération a eu la chance de débuter très jeune en équipe fanion. Ce fut le cas de Bodart, Dany Verlinden, Philippe Vande Walle, Preud’homme ou moi-même. Désormais, on voit les jeunes pointer le bout du nez dans les noyaux mais on n’ose pas toujours les lancer dans le grand bain. Or, ce n’est que de cette façon qu’ils pourront acquérir de l’expérience. Genk a mené cette politique en début de saison et maintenant tout le monde s’accorde à dire que Logan Bailly frappe aux portes de l’équipe nationale. Pour encore aller de l’avant, il faut que les jeunes soient bien conseillés. D’où la nécessité d’intégrer les anciens dans le rôle d’entraîneur. On y vient petit à petit. Jacky Munaron s’occupe des gardiens d’Anderlecht, Vande Walle de ceux de Charleroi et Verlinden des portiers brugeois « .
Michel Piersoul : » Trouver une méthode »
A force de se reposer sur cette fameuse tradition, la Belgique a-t-elle oublié de la perpétuer ? N’a-t-elle pas raté le fameux train du modernisme en matière d’entraînement et de méthodes ? Michel Piersoul, l’entraîneur des gardiens du Brussels, qui a eu sous ses ordres Olivier Renard, Jonathan Bourdon, Silvio Proto et Michaël Cordier, ne mâche pas ses mots. » J’ai l’impression que dans de nombreuses écoles de gardiens, le côté commercial passe avant l’aspect sportif. On veut que cela coûte peu mais rapporte beaucoup. On se trouve donc avec peu d’entraîneurs mais beaucoup de gens inscrits. Je vois parfois un stage composé de huit élèves pour un seul éducateur. Dans ces conditions, on obtient des entraîneurs qui occupent les élèves au lieu de les corriger. C’est de la garderie et les jeunes éléments restent avec leurs défauts.
Pour moi, il faut mener une approche plus individuelle. Un entraîneur ne peut s’occuper que de trois gardiens au maximum et il ne faut pas mélanger les catégories comme cela se fait souvent. On voit parfois des Scolaires mélangés à des Cadets. Il faut travailler avec des joueurs qui ont des dispositions identiques et qui évoluent au même rythme. Evidemment, pour arriver à cela, il faut engager davantage d’entraîneurs et il faut que dans toutes les catégories d’âge, on suive les directives de l’entraîneur des gardiens de l’équipe A. Il faut aller dans la même direction et appliquer les mêmes corrections.
Quand on voit la D1 actuelle, on retrouve tout doucement de nombreux gardiens belges titulaires. Pendant des années, on avait estimé avoir fait le tour sur notre territoire et on avait délaissé le produit belge. Maintenant, il y a eu cette prise de conscience et cela portera des fruits dans quelques années. Je suis persuadé que le réservoir est loin d’être épuisé même si on ne pourra pas réussir des résultats faramineux avec tout le monde.
Les gardiens ne peuvent s’améliorer que s’ils jouent. Les clubs ne doivent pas attendre qu’ils aient 26 ans pour les lancer dans le bain. Un jeune fera des erreurs mais s’améliorera également beaucoup plus vite. Ensuite, il faut travailler les défauts : insister sur les points jugés pas assez bons et entretenir les bons. J’entends parfois comme une résignation – Je ne suis pas bon dans le démarrage. Si tu n’es pas rapide sur 10 mètres, cela se corrige. Enfin, il faut sortir les jeunes de l’ouate. Si la génération Preud’homme a réussi, c’est grâce à l’instinct. Désormais, on est dans une société d’assistés et le footballeur pro a l’habitude d’être entouré et cocooné. Avant, les gardiens se prenaient en charge plus tôt et cela forgeait leur caractère. Moi, je vois que je dois parfois secouer mes hommes et leur mettre la tête dans la seule flaque du terrain « .
par stéphane vande velde / photos: belga
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