ça plane pour moi

Cela fait déjà sept ans qu’il est chez nous et on ne l’avait pas encore vu aussi fort de la tête et dans sa tête.

Avant d’éclater véritablement cette saison au Standard, Igor De Camargo, ce grand Brésilien tranquille et toujours souriant, avait fait preuve d’autant de discrétion dans la vie que sur le terrain. Tout le monde était d’accord pour dire qu’il  » avait quelque chose  » mais ses qualités tardaient à sauter aux yeux de tous. Certains, comme l’ex-président de Genk, Jos Vaessen, avaient même fait définitivement une croix sur lui. Michel Preud’homme, lui, y a toujours cru et… De Camargo a souvent pensé que c’était au Standard qu’il connaîtrait enfin le vrai bonheur sur un terrain de football. Combien de fois ne l’avons-nous pas aperçu ouvrant des yeux émerveillés dans la tribune de Sclessin alors qu’il portait encore le maillot d’autres clubs ?  » C’est vrai « , sourit-il.  » Depuis que je suis allé voir un match du Standard pour la première fois, je suis devenu supporter de ce club et je me suis dit que j’aimerais jouer tous les quinze jours devant ce public. A l’époque, déjà, Lucien D’Onofrio et Michel Preud’homme m’avaient parlé mais Genk ne voulait rien entendre.  »

Le Standard sut attendre et en récolte aujourd’hui les fruits car De Camargo forme, avec Milan Jovanovic, un duo d’attaque extrêmement efficace qui a joué un rôle important dans la petite cinquantaine de buts inscrits en deux tiers de championnat. Pas mal pour deux garçons qui, avant le mois d’octobre, n’avaient jamais joué ensemble. Au point d’admettre qu’une éventuelle blessure du Serbe pourrait s’avérer préjudiciable pour l’équipe :  » Je n’aime pas ce genre de questions car, inévitablement, elles obligent à mettre quelqu’un en avant alors que ce n’est pas du tout l’objectif d’une équipe de football. Mais nous n’avons pas un deuxième élément aussi rapide et déroutant que Milan. S’il venait à se blesser, l’entraîneur devrait sans doute modifier son système.  »

Un système dans lequel De Camargo a un rôle nettement moins spectaculaire que celui de Jovanovic mais il se refuse à parler de travail ingrat et on comprend vite, à son sourire, qu’il est loin d’être malheureux :  » Bien sûr qu’un attaquant veut toujours marquer plus de buts mais j’en suis à neuf en dix matches (NDLR : il était suspendu au Brussels) et je n’ai pas à me plaindre. D’autant que je ne compte pas les buts annulés ni les assists. Mon jeu de tête me permet de dévier des ballons dans le dos de la défense et d’exploiter ainsi la vitesse de Milan. Quant à lui, il sait qu’il peut toujours adresser des centres dans le rectangle. Le coach nous demande sans cesse des courses croisées. Sur le premier but inscrit à Charleroi, je plonge au premier piquet alors que je sais qu’il n’y a pas de ballon à jouer mais cela permet à Milan d’être libre au deuxième poteau pour marquer de la tête. Cela exige beaucoup de concentration car il ne faut pas seulement tenir compte de son propre jeu mais aussi du positionnement du partenaire. C’est plus important que de pouvoir se parler.  »

Les plus offensifs ?

C’est peut-être ça le nouveau Standard :  » Tout le monde est bien d’accord pour dire que nous possédions, la saison dernière, un noyau plus fort, plus expérimenté. Nous aurions dû être champions mais nous avons gaspillé trop de points à domicile contre des équipes modestes. Cela ne devrait plus nous arriver car ce groupe est plus uni, tout le monde tire sur la même corde. C’est ce qui nous a permis de faire la différence dans des moments difficiles comme à Bruges ou, plus récemment, contre le Lierse. Les supporters ne s’y trompent pas non plus : à Waregem, pour la première fois, je les ai vus nous applaudir après une défaite, parce qu’ils savent que, ce jour-là, nous avons donné le meilleur de nous-mêmes. Il peut arriver que l’on marche dans une flaque d’eau, même sur un chemin que l’on connaît bien. Mais cette défaite doit nous servir d’avertissement : nous n’aurons plus le droit de relâcher notre attention.  »

Ce qui est certain, c’est que le Standard propose un des football les plus pétillants de Belgique. Il y a des buts, de l’émotion, des retournements de situation… Pour De Camargo, c’est le fruit d’un travail de longue haleine :  » Avec Michel Preud’homme, une équipe n’est jamais la somme d’onze individualités. Il y a sans cesse de l’interaction entre nos lignes. C’est rendu possible par le fait que l’entraîneur communique sans cesse. Il domine plusieurs langues, ce qui lui permet d’expliquer les choses tranquillement, de mettre les gens en confiance. Il a aussi l’art de mettre tout le monde de son côté et c’est très important pour le respect des consignes, un aspect sur lequel il insiste énormément. Notre jeu peut paraître fort simple mais il faut se dire que l’on joue vite. Et pour cela, la qualité de la passe est très importante. Désormais, le Standard ne balance plus des ballons au hasard et c’est très important pour les attaquants. Cela s’est vu lors de notre match à Charleroi. Wouter Vrancken a déclaré dans Het Laatste Nieuws que Genk et La Gantoise pratiquaient le plus beau football de Belgique mais les statistiques prouvaient avant le match au Brussels que nous étions les plus offensifs : nous avions inscrit 22 buts en déplacement.  »

Bruges a pris la place du Standard

Des chiffres impressionnants, même s’il est indéniable que le Standard, dans ses élans de générosité, offre également trop de possibilités à l’adversaire. De quoi freiner le club dans la course au titre ? En bon Brésilien, De Camargo pense que le spectacle finira par triompher.  » Parce que nous devons encore affronter Anderlecht et que celui-ci doit encore jouer contre Genk, notamment. Bien sûr, nous ne pouvons plus nous permettre de gaspiller et nous devons compter sur des faux pas de nos adversaires mais ce championnat est hyper compétitif et tout est donc possible. J’espère en tout cas que nous serons toujours dans le coup au moment de recevoir Bruges car il s’agit de l’avant-dernier match de championnat. Cela voudrait alors dire que nous avons lutté jusqu’au bout.  »

Ce qui, au vu du début de saison catastrophique (2 pts sur15) serait déjà une fabuleuse victoire pour le club de Sclessin dont on a souvent dit, la saison dernière, qu’il aurait fait un  » petit champion  » eu égard au faible nombre de points récoltés. De Camargo ne pense pas qu’on pourra en dire autant cette saison.  » C’est vrai que, désormais, plus personne ne fait cavalier seul et que la lutte ne se résume pas à deux équipes non plus. La donne a changé, ce n’est pas une question de faiblesse du championnat. Je ne trouve pas qu’il est plus facile d’inscrire des buts aujourd’hui que par le passé, par exemple. De plus en plus d’équipes sont capables de vous mener la vie dure, même si c’est sûr qu’on peut se demander ce qu’il se passe à Bruges, notamment. J’avais toujours connu cette équipe très forte en 4-3-3 et voilà que tout a changé et que beaucoup de choses laissent à désirer dans son jeu. Bruges a un peu pris la place du Standard : il perd des points contre des petites équipes, par manque d’attention.  »

Bruges, c’est aussi Koen Daerden, son ancien équipier à Genk, transféré pour quatre millions d’euros mais qui ne parvient pas à justifier ce prix de transfert.  » On ne peut certainement pas lui reprocher un manque d’application « , dit Igor.  » Mais manifestement, il ne s’intègre pas au système. Je suis pourtant convaincu qu’il lui faut un peu de temps et qu’il va ressurgir. Mais il ne fallait pas attendre de lui qu’en débarquant, il se mette à commander tout le monde comme il dirigeait le vestiaire de Genk. Il sera un jour un leader mais cela va s’imposer au fil des mois.  »

Que Defour soit libre

L’échec actuel de Daerden contraste singulièrement avec la réussite d’un autre joueur que De Camargo avait déjà côtoyé à Genk : Steven Defour, dont la classe éclabousse chaque semaine un peu plus nos terrains, au point qu’il a pris la place de Ricardo Sá Pinto et soutient désormais la comparaison avec des joueurs de la trempe de Sérgio Conceição ou Milan Rapaic. Defour a déjà joué à gauche et à droite mais c’est dans l’axe du jeu qu’il devrait finir par s’imposer définitivement. Une bonne nouvelle pour le Standard mais aussi pour tout le football belge, qui se cherche un patron et l’a peut-être trouvé.  » Ce n’est que mon point de vue mais Steven doit avoir un rôle important dans la créativité du Standard « , dit De Camargo.  » Si on lui laisse de la liberté, il nous remonte le ballon très rapidement. Et je trouve que, pour un jeune joueur, il a déjà une excellente vision du jeu.  »

Pour jouer définitivement dans la cour des grands, il lui restera à démontrer, à plus long terme, qu’il peut gérer une pression constante. Etonnamment, Defour prétend que celle-ci est moins forte à Sclessin qu’à Genk. Une opinion que De Camargo est bien placé pour comprendre.  » Steven veut dire qu’au Standard, il y a des exigences déterminées et assez élevées. Mais une fois qu’elles sont posées, on vous laisse tranquille, on n’est pas sans cesse derrière vous à vous rappeler ceci ou cela. On vous laisse agir en adultes responsables. A Genk, il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas et vous finissiez par ne plus pouvoir vous concentrer sur le travail au quotidien.  »

Même s’il a conservé de nombreux amis (et un néerlandais parfait) de son passage dans le Limbourg (voir cadre), De Camargo a passé trop de mauvais moments à Genk pour encore porter ce club dans son c£ur. Au point de douter du fait qu’il était fait pour le football de haut niveau ?

Le cauchemar de Genk

 » Non, le plus difficile à ce niveau, ce fut ma fracture du pied alors que je venais d’arriver au Standard. J’avais livré un très bon match contre le CS Bruges et j’avais déjà trouvé mes marques avec Mohammed Tchité. Je suis d’ailleurs certain que, lui et moi, nous aurions pu former le même genre de paire que celle que je forme actuellement avec Jovanovic. Car Mémé prouve à Anderlecht qu’il n’était pas, par hasard, le deuxième buteur de noter championnat. Biglia, Hassan et Boussoufa utilisent très bien sa vitesse. Pour en revenir à ce qui s’est passé à Genk, il faut garder en mémoire tout le parcours effectué depuis mes premiers jours en Belgique. J’avais tout de suite vu, en débarquant dans le Limbourg, que je n’arrivais pas n’importe où : le club était structuré, les joueurs étaient de bon niveau, les entraînements étaient exigeants. Le club participait à la Ligue des Champions, j’étais un gamin qui découvrait un autre monde et je devais bosser pour mériter qu’on me fasse confiance. Je me suis mis au boulot sans traîner, j’ai transpiré de grosses gouttes, je me suis posé mille questions, j’ai attendu ma chance, j’ai accepté d’être prêté à Heusden-Zolder, d’où je suis revenu plus fort. Et j’ai fini par y arriver mais je suis tombé sur quelqu’un de malhonnête. Je ne parle pas ici de René Vandereycken, dont je suis persuadé qu’il ne m’a pas fait jouer pour des raisons tactiques. J’en veux terriblement à Jos Vaessen qui n’a pas respecté sa parole. Après la qualification en Coupe Intertoto contre Dortmund, où j’estimais avoir démontré que j’avais bien le niveau requis pour jouer à Genk, il m’a dit que nous allions discuter d’un nouveau contrat. Mais pendant trois mois, je n’ai pas eu de nouvelles de lui et, quand il m’a recontacté, c’était pour me dire de me chercher un autre club. Je suis parti au Brussels, on a dit que j’accomplissais un deuxième pas en arrière mais, j’étais fier de pouvoir montrer à ceux qui ne croyaient pas en moi qu’ils s’étaient trompés. Parce que j’ai travaillé encore beaucoup plus. Quand on redescend d’un niveau, c’est la seule solution. Il faut s’intégrer à son nouveau milieu, donner de l’importance aux gens avec qui on travaille pour en recevoir également. Celui qui pense que ça va être plus facile ne fait que s’enfoncer. J’ai eu de la chance de tomber sur des gens qui m’ont beaucoup soutenu. Emilio Ferrera d’abord, Albert Cartier par la suite. J’ai encore de nombreux contacts avec l’entraîneur français. Johan Vermeersch, le président, a aussi joué un rôle important dans mon éclosion définitive. En football, chacun a son style et son histoire. Vermeersch aime son club, il y a joué et, sans lui, il n’y aurait plus de Brussels. Il n’a cessé de m’encourager alors que Vaessen, lui, a conseillé à Alex Da Silva, le jeune Brésilien de Genk, de ne pas trop me fréquenter. Cela situe son niveau ! Comment peut-on interdire à un jeune homme qui débarque d’avoir des contacts avec des compatriotes ? Moi, j’ai eu la chance au départ, de tomber sur Rogerio Pereira et Marcos Pereira, qui m’ont beaucoup aidé. Le club a, finalement, tout à perdre dans une telle attitude car, s’il est placé dans de bonnes conditions, Alex est un excellent jeune qui pourrait rapporter beaucoup à Genk. Mais on verra si la direction fera preuve de plus de patience qu’elle n’en a eu à mon égard, à l’égard de Cédric Roussel ou de Steven Defour. Car finalement, c’est le club qui y a perdu et, aujourd’hui, je suis certain qu’on nous regrette.  »

Leleu est pitoyable

Des jeunes Brésiliens, il y en a aussi à Sclessin mais pour eux, le chemin qui mène à l’équipe première est encore long.  » Ils découvrent un nouveau championnat et doivent s’adapter à beaucoup de choses en même temps mais s’entraînent avec beaucoup de volonté « , dit De Camargo.  » Contre le Lierse, ils figuraient tous les trois sur la feuille de match, ce qui est tout de même très bon signe. Ils possèdent un bon niveau technique mais l’adaptation est plus difficile pour un défenseur brésilien que pour un attaquant car le travail est moins spectaculaire et il faut tenir compte de beaucoup d’éléments tactiques différents. Au Brésil, par exemple, si le défenseur latéral monte, le médian défensif vient le couvrir. Ce n’est pas toujours le cas en Belgique et cela peut causer de mauvaises surprises. Mais du talent, ça, ils en ont.  »

Dans leur adaptation au football belge, ils devront peut-être, un jour, faire face au racisme. Un fléau dont le Brésil, pays du métissage par excellence, a été protégé jusqu’ici mais qui ressurgit de façon inquiétante dans la vieille Europe. Faudra-t-il un mouvement fort, une grève comme en Italie, pour enrayer le phénomène ? Celui-ci préoccupe en tout cas Igor :  » Je ressens de plus en plus d’agressivité dans les propos échangés sur et autour des terrains. Ce fut notamment le cas au GBA, à l’égard de Mohammed Sarr. Si c’est la seule façon de faire prendre conscience aux gens que, sans football, on s’amuse beaucoup moins, je suis favorable à un mouvement fort comme en Italie. Mon père est noir, ma mère est blanche, je suis café au lait. Je n’ai jamais compris comment le monde ne pouvait pas vivre avec ses différences de races, de cultures, de religions. Et c’est encore plus vrai en sport, où les noirs sont souvent bien plus forts : Michael Jordan, Pelé, Tiger Woods… et qu’il passe à côté d’une chose essentielle de la vie. J’ai entendu Stefan Leleu insulter Marouane Fellaini pendant le match à Zulte. Pitoyable, mais si certains utilisent l’arme de la provocation, c’est qu’ils savent que le Standard est redevenu une menace.  »

par patrice sintzen – photos : reporters/schroeder

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