Buteurs racés

Où serait classé l’Excelsior si ces deux joueurs avaient pu évoluer ensemble cette saison ?

Le tournant de la saison de l’Excelsior Mouscron s’est situé le 19 août : Demba Ba s’est gravement blessé lors d’un match contre Roulers comptant pour la troisième journée. Au moment où l’infortuné attaquant quitta la pelouse sur une civière, les Hurlus comptaient neuf points sur neuf au classement, et ce n’était pas le fruit du hasard. Roulers a égalisé dans les arrêts de jeu. Depuis son retour, et alors qu’il n’est pas encore à 100 % de ses possibilités, Demba Ba ( 22 ans le 25 mai) s’est déjà rappelé au bon souvenir de tous.

A Genk et contre Zulte, deux matches qu’il n’a même pas disputés dans leur intégralité, il a trouvé à chaque fois le chemin des filets à deux reprises. Pendant la convalescence du jeune Français d’origine sénégalaise, les feux de l’actualité s’étaient surtout braqués sur Adnan Custovic (29 ans depuis le 16 avril) : 18 buts avant le dernier week-end.

Ironie du sort : alors que Demba Ba retrouve la forme, c’est aujourd’hui le néo-international bosniaque qui se retrouve à l’infirmerie !

Où serait classé l’Excel si vous aviez pu évoluer ensemble ?

n Demba Ba :  » On aurait pu réaliser quelque chose de bien… J’ai très peu joué avec Adi. Comme j’ai très peu joué avec Mickaël Niçoise. Le destin a voulu que lorsque l’un est revenu, l’autre s’est blessé. Il faut attendre que le destin nous rassemble. Il paraît que j’en suis à une moyenne d’un but tous les 80 minutes ( avant le dernier match, ndlr). Sachant qu’il y a 34 matches par saison, j’aurais pu atteindre les 40 buts si j’avais tout joué. Mais rien ne permet d’affirmer que j’aurais pu garder ce rythme toute la saison. C’est vrai que Mouscron comptait neuf points sur neuf au moment où je me suis blessé. Ce qui est arrivé est arrivé et on ne réécrira pas l’histoire.  »

n Adnan Custovic :  » Demba nous a beaucoup manqué. Avec lui, on aurait connu une saison beaucoup plus tranquille. On aurait terminé quelques places plus haut, peut-être même avoir quelques vues sur les places européennes. Lors des trois premiers matches, on jouait à trois devant : Bertin Tomou, Demba et moi. On était complémentaires. Bertin est un excellent pivot, Demba est plus provocateur et moi, je me situe entre les deux : je me bats et j’inscrits quelques buts. Par la suite, se sont encore ajoutés Alioune Kebe et Mickaël Niçoise eux aussi complémentaires : Alioune a la puissance et la détente, Mickaël Niçoise table sur sa vitesse. On aurait donc pu avoir une attaque de feu. Difficile de dire si j’ai bénéficié de l’absence de Demba pour inscrire 18 buts ou si, au contraire, j’en aurais encore inscrit davantage s’il avait été là, en profitant de son travail. D’une part, j’aurais peut-être bénéficié de davantage de liberté puisque les défenseurs adverses auraient aussi dû reporter une grande partie de leur attention sur Demba. D’autre part, une équipe ne peut pas inscrire cinq buts à tous les matches. Les buts de l’Excelsior auraient donc été partagés entre davantage de joueurs.  »

Quelles sont ses principales qualités ?

n Adnan Custovic :  » Demba est un joueur très rapide. Il est quasiment inarrêtable lorsqu’il est lancé en profondeur. On l’a vu à Genk et encore contre Zulte Waregem, alors qu’il n’est encore qu’à 60 ou 70 % de ses capacités. Il est aussi très puissant et n’a pas besoin de beaucoup d’occasions pour marquer. Il est grand, a une bonne détente et sait marquer de la tête. Il est encore jeune et dispose encore d’une énorme marge de progression. Il peut devenir un très bon attaquant qui, dans quelques années, pourrait faire le bonheur de très grands clubs s’il gagne encore en efficacité. Il a aussi une grande force de caractère et une bonne mentalité.  »

n Demba Ba :  » Adi n’arrête pas de déclarer qu’il n’est pas un buteur. Pourtant, les chiffres démontrent le contraire. On n’inscrit pas 18 buts par hasard. Après, ce qui m’impressionne chez lui, c’est sa générosité, son travail sur le terrain. Personnellement, j’essaie de devenir un buteur. Je suis encore jeune et j’espère y parvenir. C’est important, car un attaquant est jugé sur les buts qu’il inscrit. Adi a raison lorsqu’il affirme que je manque d’expérience. Je dispute seulement ma première saison professionnelle et j’ai encore beaucoup à apprendre. Oui, devenir un buteur peut s’apprendre. Ce n’est pas uniquement de l’instinct. Il faut être au bon endroit, au bon moment, aussi apprendre à exécuter les gestes qu’il faut pour tromper le gardien. Cela se travaille à l’entraînement. Pour moi, un grand buteur, c’est celui qui parvient à inscrire un but par match pendant plusieurs saisons d’affilée.  »

Que retiendrez-vous de cette saison ?

n Adnan Custovic :  » D’abord le fait que le club a de nouveau connu des problèmes financiers qui ont retardé l’autorisation, par la commission des licences, de transférer pendant le mercato hivernal. Je pensais qu’après l’obtention, in extremis, de la licence en juin 2006, on était enfin sortis de l’auberge, mais non : l’incertitude était encore là cette saison. Cela trotte dans les esprits. Demandez aux ouvriers qui entendent que les portes de leur usine risquent de fermer ce qu’ils ressentent. Pour les footballeurs, c’est pareil : le football, c’est notre gagne-pain, et lorsqu’on évoque la possibilité de devoir se chercher un nouvel employeur, on se pose des questions. Au niveau sportif, la saison fut également très mouvementée : changement d’entraîneur, changement de président. Heureusement, le club a enfin trouvé ce qu’il cherchait : on sent qu’il y a un regain de vitalité avec le nouveau président. C’est un homme qui est parti de rien et qui a réussi. Il connaît la valeur de l’argent et sait aussi comment diriger une entreprise. Au sein du club, on remarque déjà la différence. Déjà, la licence a été obtenue sans problème. Il n’y a plus de problèmes pour les salaires. Je ne dis pas que c’était la catastrophe avant son arrivée : on a toujours reçu notre dû, mais parfois avec quelques jours de retard. Philippe Dufermont a de grandes ambitions pour la saison prochaine. J’espère qu’il fera de l’Excelsior un club solide du football belge. Un footballeur est d’abord un être humain. Lorsqu’il a des doutes dans sa tête, il lui est difficile de prester à plein rendement. Sans les problèmes extra-sportifs, l’équipe aurait évolué avec plus de sérénité et aurait sans doute récolté plus de points.

Je retiens aussi ma première sélection en équipe nationale bosniaque. C’est un rêve de gosse qui s’est réalisé. En plus, j’étais titulaire lors du match en Norvège. J’ai joué sur le flanc droit et j’étais opposé à John Arne Riise. J’ai un peu trop calqué mon match sur lui et je le regrette car mon apport offensif fut limité, mais comme la victoire fut au rendez-vous, cela reste un souvenir fantastique. Il y a de bonnes chances que je sois encore appelé pour les deux matches à venir, début juin, mais avec ma pubalgie, serai-je en état d’honorer la convocation ?  »

n Demba Ba :  » Je retiendrai essentiellement cette blessure qui a remis en cause ce qui aurait pu être une très belle saison. J’ai traversé une mauvaise période. Je dois remercier toutes les personnes qui m’ont soutenu : ma famille, mon agent, Alex Gontrand, qui ne s’est pas contenté d’être à mes côtés en janvier et en juin pendant les périodes de transferts ; les kinés, Christophe Soyez et Jean-Luc Massin, qui m’ont permis de garder le sourire. Cela n’a pas toujours été simple et je m’excuse si j’ai parfois été chiant « .

Cette saison est-elle celle de la reconnaissance ?

n Demba Ba :  » Oui, puisque c’est ma première saison professionnelle. Le football que je pratique commence enfin à devenir du vrai football. Plus du football de rue, même si j’y ai beaucoup appris. Il y a un homme qui a toujours cru en moi : Alex Gontrand. J’ai une relation très particulière avec lui. Au départ, c’était une relation footballistique. C’est devenu une relation d’amitié. Maintenant, il a son diplôme d’agent FIFA et je lui fais totalement confiance. Au début, j’ai dû me débrouiller seul pour arriver à devenir pro. Le mental, je l’ai toujours eu. Cela fait partie de mon caractère et c’est essentiel pour réussir.  »

n Adnan Custovic :  » Si je n’ai pas réussi plus tôt, c’était uniquement lié à la malchance, à la confiance qui faisait défaut, à des circonstances défavorables. Je suis toujours le même, mais la chance a tourné. En Belgique, je suis enfin tombé dans un club où l’on m’a fait pleinement confiance, ce qui n’avait jamais été le cas en France. Je pense que j’aurais pu réussir en Ligue 1, mais je suis tombé sur des entraîneurs qui préféraient miser sur d’autres joueurs. Des faux culs. La réussite m’a boudé également. Lors de mon arrivée en France, à 20 ans, j’étais titulaire au Havre pendant six mois. Puis, tout s’est gâté. J’ai encore vécu une belle saison à Laval, en Ligue 2, mais lors de ma deuxième saison là-bas, j’ai retrouvé le même entraîneur qui m’avait écarté au Havre. J’ai fini par me retrouver sans club et été obligé de me mettre en vitrine dans l’équipe de l’UNFP, qui dispute des matches amicaux avec des footballeurs au chômage. Au bout du compte, j’ai perdu sept années. Mais je ne veux pas qu’on me plaigne : j’ai réussi à devenir footballeur professionnel. Il y a tellement de gosses qui en rêvent et qui n’y parviennent jamais. Je suis pro depuis neuf ans et je considère cela comme une réussite plutôt que comme un échec. Et ma carrière n’est pas terminée. Je continuerai à bosser comme je l’ai toujours fait. Et, qui sait, de beaux moments m’attendent peut-être encore.  »

Et vos galères ?

n Demba Ba :  » Ce que j’ai vécu n’est rien par rapport à ce qu’a vécu Adi. Une fracture de la jambe, qu’est-ce par rapport à une guerre qui ruine un pays, tue des innocents et déchire des familles ? Maintenant, cette blessure n’était évidemment pas drôle. Sur le coup, j’ai ressenti une douleur intense. Je n’espérais qu’une chose : que le temps passe pour que la douleur s’atténue. La suite de ma carrière, je n’y ai pensé qu’un quart de seconde : lorsque j’ai demandé au kiné Christophe Soyez combien de temps allait durer ma guérison. Lorsqu’il m’a répondu quatre mois, j’ai été rassuré. Il parlait de la consolidation de l’os, pas de la revalidation. J’ai peut-être voulu précipiter les événements, par manque d’expérience. Alors que je venais de reprendre avec l’équipe Réserve, je me suis de nouveau fait mal contre Anderlecht. C’était peut-être un signal pour me dire que je devais prendre mon temps. Aujourd’hui, je ressens encore quelques douleurs, mais elles sont supportables. Je n’ai plus d’appréhension lorsque je me retrouve face à un défenseur. Je suis trop pris par le jeu. Je retrouve le chemin des filets en même temps que mes jambes du début de saison. Ma fin de saison est belle et ma vie privée est pleine de bonheur. C’est peut-être ce bonheur là qui se traduit sur le terrain. De toute expérience, même négative, on peut retirer du positif. Cette blessure m’a appris la patience. J’ai aussi gagné en maturité. Lorsqu’on traverse ce genre d’épreuve, soit on n’en sort pas, soit on en ressort plus fort.  »

n Adnan Custovic :  » J’ai connu la guerre, j’ai quitté mon pays, j’ai vu ce qu’était la vraie misère. Si demain je dois vivre dans une tente, je m’en accommoderai. A côté de cela, les petits tracas liés au football, ce n’est rien. Ce qui m’a aussi permis de relativiser, c’est la naissance de mon fils. Je me prends beaucoup moins la tête qu’autrefois. Jadis, je refaisais cent fois le match dans ma tête. Je revoyais les occasions manquées, je me demandais ce que j’aurais dû faire pour que l’équipe ne s’incline pas. Après une défaite, il me fallait trois jours pour retrouver le sourire. Aujourd’hui, lorsque je rentre chez moi, la famille occupe toutes mes pensées. Cet équilibre aide à m’épanouir sur le terrain. En plus, j’arrive aussi à maturité comme attaquant. Je sais, désormais, ce que je dois faire et ne pas faire : après quel ballon je dois courir, à quel moment je dois doser mes efforts pour garder ma fraîcheur et demeurer efficace devant le but.  »

Quels sont vos avenirs ?

n Adnan Custovic :  » Il paraît que je fais l’objet de nombreuses sollicitations, mais je n’ai encore rien de concret sous la main. Si je dois rester à Mouscron, je resterai sans amertume et je me battrai avec la même volonté que ces deux dernières saisons. Mais à 29 ans, c’est sans doute l’une de mes dernières chances d’évoluer dans un grand championnat ou dans un club plus huppé de Belgique. Je sais ce que je dois à Mouscron, c’est l’un des premiers clubs où l’on m’a fait totalement confiance et je lui suis reconnaissant. Je ne filerai pas à l’anglaise… même si la Premier League est le championnat où je rêve d’évoluer. Seulement, son accès m’est interdit. Je suis Bosniaque et je ne peux pas obtenir de permis de travail dans les îles, car je n’ai pas assez de sélections en équipe nationale. L’obtention d’un passeport français résoudrait tout et j’ai déjà entrepris plusieurs fois des démarches, mais à chaque fois, ma demande a été refusée. Aujourd’hui, je renonce. La Bundesliga recueillerait aussi mes faveurs. Chaque week-end, tous les stades sont remplis « .

n Demba Ba :  » Certains prétendent que, si j’avais joué toute la saison, je croulerais sous les propositions au point que Mouscron ne pourrait pas me retenir… Mais je suis encore sous contrat jusqu’en juin 2009 et n’ai reçu aucune proposition. Malgré l’impatience que j’ai d’évoluer à un niveau supérieur, il serait préférable que j’engrange encore un peu d’expérience dans le championnat de Belgique. J’espère que l’avenir me permettra de m’épanouir dans le football. Si oui, je m’épanouirai automatiquement dans la vie. Les deux vont de pairs. Si, un jour, je devais évoluer dans un grand club et gagner beaucoup d’argent, j’essaierais d’abord d’aider ma famille, qu’elle soit en France ou en Afrique. Et de ne pas brûler cet argent, de l’utiliser à bon escient. Mais, avant d’y arriver, le chemin est encore long. Cela ne m’effraie pas. Je suis prêt à consentir tous les efforts nécessaires pour réussir.  »

par daniel devos – photos: reporters/mossiat

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