Big Mac, vingt ans après

Je devais y aller, c’était comme un devoir de mémoire. Quand j’ai appris que John McEnroe allait fouler le sol wallon pour la première et sans doute unique exhibition de sa vie, j’ai su de suite que j’en serais spectateur, en souvenir d’un temps où le spectacle tennistique me branchait vraiment : parce qu’il s’agissait encore à cette époque d’un sport de toucher, et parce que le jeune caractériel américain était le toucheur le plus doué d’entre les toucheurs d’alors… En plus, il était gaucher comme moi. Ça facilitait les choses pour l’identification fantasmatique d’une part, pour mes efforts autodidactes de perfectionnement pratique d’autre part : j’avais sous les yeux un prof d’élite, qu’il n’était pas nécessaire de regarder dans un miroir pour piger ce qu’il me montrait !

Quand John s’est donc amené voici dix jours au WEX de Marche-en-Famenne, je ne craignais qu’une chose : que Luigi Coduti, le boss de Covadis organisateur de l’événement, lui ait imposé par contrat un grand numéro de gueulante contre l’arbitre, histoire de répondre aux attentes du bon peuple ! Mais non, McEnroe a même eu le bon goût d’éviter la caricature : il s’est plutôt attaché à montrer que ses gestes n’avaient rien perdu de leur superbe (et guère perdu de leur vitesse), laissant plutôt à Mansour Bahrami, son adversaire et comparse, le soin d’ajouter les facéties au show concocté.

De la silhouette restée mince, presque maigre, je déduis deux choses : que McEnroe n’est pas devenu gras après ses heures de gloire, et qu’il était plus facile à l’époque d’être glorieux sans être bodybuildé ! En épaisseur, McEnroe fait toujours la moitié de Rafael Nadal ou d’ Amélie Mauresmo… J’ignore où John se situerait à son âge actuel dans l’ATP d’aujourd’hui, mais le sportif d’élite d’hier est resté sportif vétéran : lui et Bahrami, clown quinqua galopant dans tous les coins, sont de vrais athlètes de leur âge ! Certes, ce ne fut pas un vrai match dans la mesure où les comparses se sont donné des points pour alimenter le show. Mais ce fut un show incluant l’effort physique,… ce fut un vrai faux match : un peu comme au catch finalement, les catcheurs (quoiqu’on rie ou ricane) faisant toujours preuve de physique et de technique !

A croire que quand ils arrêtent (la compète), les tennismen n’arrêtent pas (de jouer) ! Il semble que l’envie demeure de taquiner régulièrement la raquette, et je ne puis m’empêcher ici la comparaison footeuse. Quand je vois la fréquente ventripotence d’anciennes gloires sur crampons (lesquels ne prestent au mieux, rouges et ahanants, qu’un match par an pour de bonnes £uvres), je me demande pourquoi leur envie de taquiner régulièrement le ballon s’est évaporée si soudainement. Différence d’amour ? Mystère, et je me fais peut-être des idées : Ilie Nastase a autant de bide que Michel Platini… Toujours est-il qu’à l’issue du show de Marche, l’avis général selon la formule consacrée était que le vieux Big Mac avait de beaux restes. C’est une mauvaise formule : pour son âge, McEnroe a les restes normaux d’un immense talent qu’il ne laisse pas tomber en décrépitude, parce qu’il aime encore se faire mal un minimum. Faudrait plutôt dire des autres qu’ils ont de laids restes…

Marginal attachant, Mansour Bahrami a toujours mis ses qualités tennistiques, largement au-dessus de la moyenne, au service presque exclusif du show : à Marche, s’il n’a pas coûté 50 % du plateau, il a constitué à coup sûr 50 % du spectacle ! En mixant sa technique superbe à ses enfantillages, en nous la jouant Harlem Globe Trotters version tennis, Bahrami a su donner au public une heure jalonnée d’éclats de rire. C’est énorme, le rire fait toujours tellement de bien par où il passe ! Au point qu’on se demanderait s’il est bien normal que nous nous marrions si peu durant les vrais (?) spectacles sportifs, s’il est bien sain que l’enjeu nous prive à ce point de franche rigolade ? Ce n’est peut-être ni normal ni sain, mais c’est comme ça : le spectacle sportif à enjeu peut nous rendre heureux ou malheureux après, il n’a pas pour fonction première de nous faire mourir de rire pendant ! Bahrami nous fait du bien parce qu’il est parodique. Mais, pour parvenir à l’imitation burlesque, il faut un modèle : c’est le sport de compétition…

par bernard jeunejean

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