Après une période d’adaptation difficile, le Colombien semble avoir trouvé la bonne carburation. Il revient sur ses débuts au Club mais aussi sur son ascension au pays.
Avouons-le : au cours de ses premières semaines au FC Bruges, Carlos Bacca (26 ans depuis samedi) ne nous avait guère impressionnés. Même à l’entraînement, il ratait des tas de trucs et ses équipiers souriaient en coin. Kenneth Brylle a travaillé son sens du déplacement et la finition tandis que Christoph Daum le faisait » courir comme un lapin « , pour reprendre l’expression de Thomas Meunier. Le but était qu’il soit prêt pour les play-offs et ça a été une réussite car Bacca a livré quelques bons matches.
Mais les Brugeois croyaient-ils vraiment en leur attaquant ? On en doute. Georges Leekens, en tout cas, a rapidement réclamé l’arrivée d’un avant titulaire. Mais face au Beerschot, l’ex-sélectionneur a lancé le Colombien dans la bagarre. Et il ne semble plus s’arrêter : un but par match, et même deux face au Standard.
Il y a six mois, les dirigeants du Club ont dit qu’ils voulaient se montrer patients avec vous. Manifestement, ils ont bien fait.
Carlos Bacca : Lorsque le Club est venu me chercher, nous savions tous que le défi était énorme. Changement de climat, de tactique… Je me suis adapté lentement et j’ai bien terminé la saison puis le club a changé d’entraîneur et il a de nouveau fallu s’adapter. J’ai pu faire toute la préparation, les choses sont en bonne voie et j’ai l’impression que nous progressons : pas seulement moi mais toute l’équipe.
Quel aspect a été le plus difficile : physique, tactique, style de vie… ?
Sur le plan footballistique, la tactique, indiscutablement. En Colombie, le football est plus technique. Ici, c’est plus physique, il y a davantage de duels. Il faut dire, aussi, que j’avais livré une saison entière dans mon pays puis que j’avais pris des vacances à partir de fin novembre. Je suis arrivé ici en janvier alors que je n’avais plus rien fait depuis deux mois tandis qu’ici, le championnat battait son plein. L’équipe était formée, c’était à moi de m’intégrer.
Vous avez inscrit votre premier but pendant les play-offs. Avez-vous alors senti que vous étiez plus proche de l’équipe ?
Oui, je me sentais bien et on me donnait ma chance. J’ai pu jouer quatre ou cinq matches et j’ai eu l’impression que mon travail commençait à payer. J’ai poursuivi sur cet élan et, après le changement d’entraîneur, j’ai encore cru davantage en mes capacités.
L’arrivée de Mémé Tchité ne vous a pas surpris ?
Non, pas du tout. Dans un groupe, la concurrence est importante. Je suis content qu’il y en ait, c’est bon pour tout le monde.
OK mais quatre joueurs pour une place (Akpala était encore là), n’est-ce pas trop ?
J’avais l’impression que tout le monde repartait de zéro. Un joueur doit accepter les choix de l’entraîneur et de la direction. Heureusement, on a tous reçu notre chance pendant la préparation puis l’entraîneur a fait ses choix. On a bien vu que le meilleur à l’entraînement jouait le week-end.
Après le match contre le Standard, Leekens a dit que vous étiez aussi à l’aise en pointe que sur le flanc.
C’est vrai. Je me sens bien un peu partout et je sens que le coach a confiance en moi.
Votre vitesse est phénoménale.
C’est un cadeau de Dieu. Le physique compte beaucoup. On m’a dit que les gens du Club avaient été très impressionnés par mes tests physiques.
Samedi, vous avez eu 26 ans. Quel cadeau vous aurait fait plaisir ?
La seule chose qui me peine vraiment, c’est d’être loin de ma famille pour fêter cela. Je ne demande pas grand-chose : de la santé, de la joie, pouvoir voir mon fils grandir dans de bonnes conditions, une vie familiale harmonieuse. Et progresser sur le plan sportif.
Etre meilleur buteur ?
Oui, bien sûr. Je l’ai dit aux journalistes colombiens pendant les vacances. C’est l’objectif de tout attaquant, non ? J’ai inscrit six buts en cinq matches et j’espère arriver à quinze après dix rencontres.
La plage et la drogue
Parlez-nous un peu de la Colombie. Vous êtes né à Barranquilla, un quartier connu pour son carnaval, ses plages et ses jolies filles.
Oui, je suis très fier d’être Barranquillero. J’ai eu une enfance très heureuse, à deux minutes de la plage. Je ne cache pas que la vie n’était pas facile tous les jours mais cela m’a rendu plus fort. Aujourd’hui, je me sens comme un ambassadeur de ma région et un exemple pour les jeunes du quartier.
Que voulez-vous dire par » la vie n’était pas facile tous les jours » ?
Le genre de quartier où j’ai grandi n’existe pas en Belgique. Il y a beaucoup d’alcool, de drogue et rester sur le droit chemin n’est pas évident, on se laisse vite embarquer. Heureusement, cela va mieux. Aujourd’hui, des gens peuvent venir en Colombie sans se sentir en danger. Les hôtels sont pleins de touristes, les plages sont jolies et personne ne regrette le voyage.
Nous avons lu qu’à un moment donné, vous avez songé à arrêter le football. Pourquoi ?
C’était en 2004, j’étais encore amateur et aucune porte ne s’ouvrait. A la maison, la vie était difficile et, à 17 ou 18 ans, je devais songer à avoir un emploi. Je suis allé travailler dans une petite usine et j’ai arrêté de m’entraîner. Jusqu’en 2006. Je ne faisais plus que jouer le week-end. Puis, nous avons eu un nouvel entraîneur qui avait des contacts à Junior et il m’a convaincu de tenter à nouveau ma chance. Aujourd’hui, je dois tout au football : je suis connu en Colombie et on commence à parler de moi ailleurs dans le monde.
Regrettez-vous ces deux ans d’inactivité ?
Non car j’ai vu l’autre côté de la vie. Cela m’a rendu plus fort.
Que seriez-vous devenu sans le football ?
Certainement pas universitaire car mes parents n’auraient pas pu payer. J’aurais sans doute travaillé dans une société de transports en commun et joué le dimanche en amateurs.
Vous remerciez Dieu dans pratiquement chaque phrase. Quel rôle a-t-il joué dans votre vie ?
Il est dans mon c£ur et je lis la Bible, ce qui m’aide beaucoup. Cela me rend plus fort. Dieu me donne de la force et des mots pour m’exprimer. C’est grâce au talent qu’il m’a donné que je parle.
Prêt à rester 10 ou 15 ans à Bruges
Que font vos parents dans la vie ?
Ma mère est femme au foyer, elle a toujours été là pour nous. Elle profite de la vie. Mon père est mécanicien dans une firme qui fabrique des jantes de voiture. J’ai un frère et une s£ur. Ma s£ur est enseignante et mon frère travaille dans une société de transports en commun à Puerto Colombia. (il s’enthousiasme). J’ai également cinq neveux et nièces qui vont tous à l’école. Nous formons une famille heureuse.
Barranquilla, c’est aussi la ville de Shakira.
Elle est très importante pour la ville, pour le pays et même pour le monde entier. Comme le carnaval, elle attire beaucoup de touristes.
Lorsque vous étiez très jeune, vous êtes parti dans un club de D2 du Venezuela. Pourquoi ?
Je jouais en équipes d’âge à Barranquilla mais lorsque je suis arrivé en équipe première, j’étais septième attaquant ! Au Venezuela, j’étais titulaire et je gagnais la même chose. C’est pour cela que je suis parti là-bas. J’y ai beaucoup appris, c’était ma première expérience loin de la famille. Nous sommes montés et j’ai pu revenir à Barranquilla puis être transféré à Junior : j’étais connu et tout fut plus simple pour moi.
Après quelques bons matches à Junior, on vous a cité à Boca Juniors, au Racing (Argentine) et à Vérone (Italie) et même dans un club moscovite. Qu’en était-il concrètement ?
Boca et Vérone ont fait une proposition mais n’ont pas trouvé d’accord avec Junior. Ma volonté était de jouer en Europe et de préférence dans un grand club, comme le FC Bruges, qui dispute l’Europa League chaque année et parfois même la Ligue des Champions. Et j’y suis. Maintenant, il me reste un rêve.
Lequel ?
Jouer en équipe nationale, être le plus connu possible. Et bénéficier d’un transfert vers un grand championnat, genre Italie ou Espagne (il rit). Mais ce n’est pas un must : je suis prêt à rester dix ou quinze ans ici.
Vous avez déjà 26 ans. N’est-il pas trop tard ?
J’ai l’avantage d’être venu ici en étant plus mûr. Mon adaptation a donc été plus facile.
Falcao, il vous inspire quoi ?
C’est un grand joueur mais ça ne date pas d’aujourd’hui. Il avait déjà livré de grands matches avec River, avec le FC Porto ou avec l’équipe nationale de Colombie. Il est très professionnel, c’est un exemple pour nous car il a travaillé dur. Je suis fier d’être son compatriote et j’espère pouvoir jouer un jour à ses côtés en équipe nationale. Si je continue de la sorte à Bruges, cela viendra peut-être.
Kenneth Brylle vous a-t-il beaucoup aidé ?
Nous n’avons pas encore beaucoup travaillé ensemble mais on voit qu’il a de l’expérience. Il a l’air de dire que marquer, c’est facile mais je vous garantis le contraire. C’est pourquoi nous travaillons chaque jour. Un attaquant a besoin de confiance. Marquer un but, même à l’entraînement, ça aide toujours.n
PAR PETER T’KINT
» Après dix matches, j’espère que j’aurai inscrit 15 buts. «
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