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AVE BENAVENTE

Débarqué dans la peau d’un prodige l’hiver dernier, Cristian Benavente semble enfin avoir atterri sur la piste du Charleroi de Felice Mazzù. Récit d’une longue escale au milieu de deux footballs.

Tout va très vite. Trop vite, même, pour une défense malinoise désorientée par le retour de Charleroi dans un match que le KaVé pensait déjà avoir gagné. Francis N’Ganga rentre à l’intérieur du jeu, et trouve Enes Saglik. La déviation du Belgo-Turc met Cristian Benavente sur orbite. La suite, c’est un ballon piqué en bout de course, au-dessus de Jean-François Gillet. Nous sommes le 30 janvier 2016, et le Péruvien fait trembler les filets belges pour la première fois. Du pied gauche. Son  » mauvais  » pied. Et les guillemets sont plus que jamais de rigueur.

 » Pied gauche ou pied droit, pour lui, c’est pareil « , confirme Clinton Mata. Le latéral angolais jette un oeil dans le rétroviseur pour raconter ses premiers souvenirs de Benavente balle au pied :  » Directement, on a vu que c’était un mec qui pouvait faire la différence balle au pied à tout moment. Il a les deux pieds, il est percutant… Et le plus surprenant, c’est qu’il tient vraiment bien sur ses jambes. Malgré son gabarit, c’est vraiment chaud de le déséquilibrer quand il est lancé.  »

Le talent du Péruvien saute immédiatement aux yeux. Une semaine après son exploit malinois, il récidive face à Zulte Waregem, en se promenant dans la défense du Essevee avec un ballon fixé au pied à la super glue.  » Il va faire une grande carrière, j’en mets ma main à couper « , affirme Felice Mazzù quand il doit évoquer celui qui a débarqué au Mambour avec l’étiquette aussi loufoque qu’encombrante de  » Kebano du Real « , collée par Mehdi Bayat. Une réalité avec laquelle le numéro 14 des Zèbres a appris à vivre :  » Le Real, c’est quelque chose que j’aurai toujours sur mon CV. Venir de là, c’est sûr que ça génère des attentes.  »

En un peu plus d’un an passé à Charleroi, Benavente n’y a pas toujours répondu. El Chaval n’a commencé que neuf des 47 matches disputés par les Zèbres. Il en a par contre passé le double (18) loin du terrain, entre l’infirmerie et les tribunes. Contre Bruges, Cristian a fêté, pour la première fois depuis son arrivée en Belgique, sa troisième titularisation consécutive. Le signe d’une adaptation enfin digérée ?

ADAPTACIÓN

 » Il commence à parler français avec nous, de plus en plus souvent « , raconte Mata.  » On le charrie pour son accent, mais c’est quand même la preuve qu’il s’est bien adapté.  » Ses débuts carolos, Benavente les passe naturellement avec Javier Martos. Cristian est installé dans le même immeuble que son capitaine, qui lui sert également d’interprète lors des premiers entraînements. Le Péruvien prend rapidement un professeur pour suivre des cours de français, mais ses premiers échanges avec Felice Mazzù se heurtent régulièrement à la barrière de la langue.  » Moi mon espagnol, c’est Vamos a la playa et una cerveza por favor « , rigole le coach lorsqu’il rencontre Benavente et son père, à qui Mehdi Bayat fait visiter les installations au mois de janvier 2016.

Les premiers échanges se font donc dans un anglais bancal, et l’impression d’un malentendu permanent entre les désirs du coach et les actes de son joueur sur la pelouse s’installe progressivement chez les suiveurs.  » C’est vrai que le coach aime beaucoup parler avec ses joueurs, parce qu’il aime exprimer ce qu’il ressent « , confirme Benavente.  » Aujourd’hui, il peut aussi le faire avec moi, parce que je comprends presque tout.  »

Au-delà de la frontière linguistique, le football de Benavente doit aussi laisser quelques accents hispaniques à la douane.  » Quand il est arrivé, il avait encore un petit style espagnol. Mais ici, tu dois charbonner « , rigole Clinton Mata. Martos confirme :  » Je pense que le plus difficile pour lui, ça a été de s’adapter au football belge, surtout dans une équipe travailleuse. Il ne venait pas de n’importe où, il débarquait du Real Madrid. J’ai connu ça quand j’ai quitté Barcelone : partir d’un club d’une telle dimension pour arriver à Charleroi, c’est comme si tu arrivais dans le football réel. À Madrid, le moindre contact rugueux contre toi est sifflé, tu dois très peu défendre quand tu joues comme milieu offensif… Ici, c’est très différent. On lui demande beaucoup plus de sacrifices.  »

 » Quand je suis arrivé, je ne connaissais rien du football d’ici. Et c’est vrai que le style est très différent « , admet Benavente.  » J’ai dû apprendre à défendre parce qu’ici, on joue d’une autre manière. Charleroi, c’est une équipe qui aime le contre, les reconversions rapides et les centres dans la surface. Je ne dirais pas que j’ai changé, mais il fallait que je m’adapte au style de football que le coach aime.  »

LE GOÛT DU RISQUE

 » Avec lui, j’insiste énormément sur l’aspect défensif « , abonde Felice Mazzù. Et le coach de préciser que son talent sud-américain doit  » encore trouver l’équilibre entre l’individuel et le collectif, et ne plus perdre le ballon dans les zones dangereuses.  » Les talonnades parfois fantasques du Péruvien ont fait bouillir son entraîneur à plusieurs reprises sur la ligne de touche. Et le vase Mazzù a débordé quand, face à Lokeren, les Zèbres ont manqué l’occasion de tuer le match au moment où Benavente a préféré tenter de conclure victorieusement son solo plutôt que d’offrir le but sur un plateau à Chris Bedia, esseulé à quelques mètres de lui. La semaine suivante, Cristian n’était même pas sur le banc.  » Il y a eu de petites erreurs de ma part, qui ont expliqué les choix du coach de ne pas toujours me maintenir dans l’équipe « , concède à demi-mot l’intéressé.

 » Ce n’est pas facile, quand on te remet à ta place comme ça « , raconte Clinton Mata en se rappelant les moments difficiles traversés par Benavente.  » Je lui ai beaucoup parlé dans ces moments-là. C’est vrai qu’il devait comprendre qu’il y avait des endroits du terrain dans lesquels il fallait jouer simple. Mais l’important, c’était qu’il ne perde pas son football.  »

 » Si tu ne prends pas de risques, tu ne mets jamais de but ! « , reprend Benavente quand on le confronte à son jeu de dribbleur.  » Le dribble, tu dois en essayer beaucoup pour en réussir un ou deux. C’est comme ça, il faut le tenter souvent pour que ça passe. Ici, je dois surtout le faire dans des zones moins dangereuses. Je sais que je dois mieux choisir mes moments.  »

SUR MESURE

Confronté à un milieu de terrain décimé par les blessures et les suspensions avant de se rendre à Ostende, Felice Mazzù a donné une énième chance à son Péruvien. Un but et une feinte géniale plus tard, Benavente l’a saisie des deux pieds. Avec l’aide d’un Hamdi Harbaoui qu’il semble connaître depuis toujours, tant leur complémentarité saute aux yeux.  » Grâce au style de jeu d’Hamdi, c’est plus facile pour moi de recevoir le ballon face au jeu « , détaille Cristian.  » J’ai toujours aimé ça, m’appuyer sur l’attaquant ou pouvoir partir dans son dos. Et dans une équipe qui joue la contre-attaque, ce n’est pas toujours facile.  »

 » Aujourd’hui, Cristian est un joueur complètement différent de celui qui était arrivé d’Angleterre il y a un an « , diagnostique Javi Martos.  » C’était déjà un gars très mature au niveau de sa vie en dehors des terrains, mais maintenant il a ajouté cette maturité dans son football.  » Felice Mazzù a donné de sa personne pour faire comprendre à Benavente les rudiments du football belge, et les valeurs d’un Charleroi qui demande à ses hommes de  » courir et de tout donner « , explique Martos. Sur la pelouse, le Péruvien en fait presque trop, multipliant les fautes parfois maladroites dans des interventions défensives spectaculaires, comme s’il voulait montrer à son coach qu’il donnerait toutes les gouttes de sueur nécessaires pour rester du bon côté de la ligne de touche.

 » Maintenant, j’ai enfin de la continuité. Et je sais que c’est ce dont j’avais le plus besoin. Pour un joueur de football, c’est le plus important « , sourit Benavente. Débarrassé de la concurrence de Sotiris Ninis, qui compliquait l’enchaînement des matches dans un mauvais jeu à trois où les deux hommes se disputaient le poste de numéro 10 avec Djamel Bakar, le Péruvien semble enfin pouvoir enchaîner, dans ce rôle qui lui semble destiné depuis le début. Felice Mazzù, lui-même, l’avait concédé en début de saison :  » Cristian doit gagner en maturité et en régularité, mais il a le profil qui colle le mieux pour occuper cette position.  »

Le costume de numéro 10 était effectivement taillé sur mesure pour Benavente. Restait juste à lui faire comprendre qu’il avait le droit de le salir.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Cristian a quitté le football du Real pour débarquer dans le football réel  » JAVIER MARTOS

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