Aucune excuse

L’ancien joueur de Charleroi, de Mons, d’Anderlecht et du Standard regrette, tout simplement, d’avoir été aveuglé.

Il y a un an, la porte-parole du Parquet, Lieve Pellens, annonçait qu’ Olivier Suray était passé aux aveux concernant un match truqué opposant, en Finlande, Allianssi, dont l’ancien défenseur était manager, au FC Haka. C’était le Chinois Zheyun Ye qui l’avait introduit là-bas. Un an plus tard, Suray a pris la peine de réfléchir, au sein de sa famille, à ce qui l’avait conduit à accepter la tricherie. Aujourd’hui, il se ressource à Morialmé, en P2 namuroise. Le bateau a tangué mais le capitaine Suray a repris le gouvernail de sa vie.

Qu’est-ce qui s’est passé quand l’affaire fit la une des journaux ?

J’ai un caractère et des qualités qui ont fait de moi ce que je suis devenu. J’avais mis tout cela de côté pendant six mois. Même au niveau familial. Le jour où l’affaire a éclaté, je suis retombé sur terre.

L’éclatement de l’affaire au grand jour a donc été bénéfique ?

Ce n’est jamais bénéfique que l’on parle de toi en mal mais au niveau familial et humain, cela l’a été car j’étais parti dans les nuages. Toute cette histoire aurait pu mettre en péril ce que j’avais construit. J’avais oublié toutes mes valeurs humaines et footballistiques. Je regrette d’avoir fait du mal à ma famille et à mon entourage. Certains l’ont vécu très mal. Maintenant, j’essaye de recoller les morceaux.

Qui vous a soutenu ?

Personne n’était au courant de tout ce que je faisais. C’est aussi pour cette raison que quand on entre dans un tel engrenage, on y reste. Si j’avais tout déballé à ma femme, elle m’aurait traité de fou. Par contre, quand l’affaire éclate et que tu veux t’en sortir, tu ne peux pas le faire tout seul. Tu es obligé d’avoir ton entourage.

Comment la famille a-t-elle réagi ?

J’ai tout expliqué à ma famille le soir du jour où le parquet m’a emmené. Pour mon père, qui est commissaire de police, et mon frère qui est facteur et voit 500 personnes sur la journée, ce n’était pas évident. Mais ils ont réagi admirablement en disant – Ne t’inquiète pas, tu es mon fils ou tu es mon frère. Quand on a des problèmes, ou la famille éclate ou on se serre les coudes. C’est ce qu’on a fait.

Et le milieu du football ?

Personnellement, je m’en foutais car la chose principale consistait à épargner et sauver ma famille. Il ne faut pas oublier que les gens vivent du malheur des autres. Quand les autres vont mal, ils se disent qu’ils vont un peu mieux. Dans ces circonstances, je voulais surtout protéger mes enfants sur tout ce qu’ils allaient entendre à l’école.

Comment vous êtes-vous expliqué à vos enfants ?

On n’en parle pratiquement jamais. Quand ils revenaient de l’école en disant – On a dit cela sur toi, je leur répondais que papa avait fait des bêtises. On essaye d’éviter le sujet mais quand on vient te chercher à 5 heures du matin, il faut bien leur expliquer pourquoi.

Vous êtes-vous soucié du regard extérieur ?

Non, je m’en fous. Mais j’ai pu désarçonner certaines personnes qui ne retrouvaient plus le gars que j’étais sur un terrain. Une tête de cochon à la Philippe Albert…

 » Tout le monde est attiré par l’argent mais j’ai eu davantage une faiblesse morale  »

Comment rentre-t-on dans l’engrenage ?

Pour moi, cela a débuté avec Sergio Brio et a continué avec Jos Daerden lorsque j’évoluais à Mons. Il y a eu l’affaire de la tartine au choco qui m’a pris la tête ; puis Daerden me traitait comme un prince alors que derrière mon dos, il clamait que je ne jouerais plus un match. J’avais un certain dégoût du monde du football. Quand je regarde ma carrière et le respect que l’on me montrait, cela peut expliquer certaines choses. Cependant, je ne cherche pas d’excuses. Il n’y en a pas pour ce que j’ai fait. C’est arrivé à un moment où j’étais moins bien dans ma peau.

Mais comment en arrive-t-on à se lier avec le Chinois ?

Dans cette histoire, il y a eu d’abord un premier contact, puis un deuxième puis un troisième. Au début, je me suis dit que ce n’était pas pour moi. Puis, les gens insistent et comme j’étais dans une période plus délicate, j’ai accepté. C’est une coïncidence que cela soit tombé sur moi. Je n’étais certainement pas le premier que le Chinois contactait, ni le dernier mais c’était certainement plus facile de prendre un vieux briscard qu’on a mis de côté plutôt qu’un mec de 17 ans.

Mais il y a bien d’autres incitants pour rentrer dans une telle affaire ? L’argent ?

Bien sûr. Tout le monde est attiré par l’argent mais j’ai eu davantage une faiblesse morale que financière.

Et quel était votre rôle ?

Il y a une instruction judiciaire en cours et je préfère ne pas en parler.

Quand vous êtes-vous rendu compte que vous étiez allé trop loin ?

Au moment où j’ai décidé de quitter la Finlande pour rentrer en Belgique. J’ai voulu sauver le minimum. J’avais emmené des joueurs avec moi et je désirais qu’ils soient payés. Avec le Chinois, c’était toujours le jeu de l’âne et de la carotte. Il me disait -Oui je vais payer le club en Finlande mais j’aimerais bien que tu achètes à ton nom une Porsche. Et le jour où j’achète la voiture, il me dit qu’il ne va pas payer.

Etes-vous le seul responsable de ce qui s’est passé en Finlande ?

Je ne pense pas que les joueurs que j’avais emmenés aient été en contact avec le Chinois. Ni l’entraîneur Thierry Pister.

Mais y avez-vous vraiment cru à cette aventure finlandaise ?

Quand on vous donne 1,5 million d’euros pour construire une équipe, on y croit. Que ce soit en Finlande ou n’importe où ailleurs, quand on t’offre un salaire royal, tu te lances. Quand on me disait – Pourquoi la Finlande ?, je répliquais – Pourquoi pas la Finlande ? Même si quand je suis parti, je n’en connaissais pas le niveau footballistique.

 » Le Chinois était parano, mythomane et a amené en Belgique un système au point  »

Quelle a été votre réaction quand l’affaire éclate ?

On dit toujours faute avouée à moitié pardonnée. J’ai préféré adopter cette ligne de conduite. Par contre, quand je vois la réaction de certains, cela me fait rire.

Etiez-vous au courant du nom des personnes impliquées ?

Je dois être la personne qui connaît le plus de noms car quand je suis parti en Finlande avec le Chinois, il avait tendance à boire un verre facilement et à avoir la langue bien pendue. J’ai donc appris beaucoup de choses.

Ne se vantait-il pas trop ?

Il était parano, mythomane et a amené, en Belgique, un système qui avait été développé avant. Il m’a souvent dit qu’il était un petit poisson par rapport à d’autres. Il se vantait des matches dont il connaissait les scores à l’avance.

Toujours des rencontres belges ?

Non. De matches internationaux aussi.

Avez-vous été entendu par l’Union Belge ?

Non et quand je vois que la Fédération ne peut pas prendre de sanctions, je me dis que cela n’aurait pas fait avancer le schmilblick. Par contre, j’aurais bien voulu leur demander pourquoi ils n’ont pas réagi alors que tout le monde savait que le Chinois cherchait à infiltrer le championnat belge. Ils ont attendu un an et demi et le début du travail de la justice pour bouger. Ils disent qu’ils n’ont pas de moyens mais ils en ont quand même assez pour passer un coup de fil à la justice quand ils apprennent l’existence du Chinois, non ?

 » Je suis le premier à comprendre les gens mais à ne jamais totalement les excuser  »

Quelle leçon tirez-vous de toute cette affaire ?

Elle a servi de déclic. Je suis devenu un peu meilleur vis-à-vis des autres qu’auparavant. Je suis redevenu simple.

Etes-vous dans une sorte d’opération de rachat ?

Oui. Certainement.

Pourtant, vous n’avez jamais cherché à vous expliquer en un an ?

Par moment, j’aurais bien voulu expliquer pourquoi j’ai réalisé tel ou tel truc. Je suis le premier à comprendre les gens mais à ne jamais totalement les excuser. Car quand on fait quelque chose en âme et conscience, il faut assumer. Même s’il peut exister certaines circonstances atténuantes. Je n’ai pas d’excuses pour ce que j’ai fait. De plus, c’était assez difficile de s’expliquer plus tôt. Je n’avais pas une bonne analyse de la situation. Maintenant, je sais pourquoi j’ai fait tout cela. Sans compter que j’ai toujours eu une relation spéciale avec la presse. On m’a toujours regardé du coin de l’£il car j’étais un sorteur et que j’avais un comportement atypique. Mais je suis resté 17 ans footballeur, j’ai disputé 400 matches en D1 et la Coupe d’Europe et je souhaite à beaucoup ma carrière.

Vous ne vous êtes jamais expliqué mais vous ne vous êtes jamais caché non plus. On vous voyait encore au stade…

La vie continue. Je vais au football à Charleroi pour faire plaisir à mes enfants. Ils ne doivent pas pâtir de ma connerie.

Dans quel état d’esprit vivez-vous ?

Depuis que j’ai quitté le monde footballistique et que je mène la vie de monsieur tout le monde, je me sens beaucoup plus heureux que lorsque je me levais à 9 heures pour m’entraîner une fois sur la journée. Certains se replongent dans le bain immédiatement en devenant entraîneur. Moi, aussi, j’ai suivi les cours et je ne désespère pas être un jour entraîneur mais par rapport à ce que j’ai vécu, cela m’a fait du bien de renouer avec une vie simple.

Non. Eric Gerets et Michel Preud’homme sont aussi passés par là. Sur les terrains, on ne leur crie plus – Waterschei. Les gens oublient.

 » J’ai besoin de montrer l’exemple à mes enfants : je me lève tous les matins pour travailler  »

Vous travaillez ?

Oui. J’ai pris cette décision quand mon fils est rentré à la maison et qu’il m’a dit – On m’a demandé ce que mon père faisait comme travail et j’ai répondu rien. Au début, j’étais rentré dans une agence immobilière mais je n’avais pas l’esprit libre. Maintenant, je travaille comme carreleur de terrasse. Me lever le matin, faire quelque chose de physique et oublier tout, c’est bien. J’ai besoin de cela, de montrer l’exemple à mes enfants qui voient que je me lève tous les matins pour travailler.

Et le football ?

Je suis joueur/entraîneur à Morialmé, en P2 namuroise. Je n’avais plus envie des contraintes du haut niveau. Même en D3 et Promotion, il y a trois ou quatre entraînements par semaine. J’avais besoin de m’écarter de tout ce milieu. Ça m’a fait du bien de retomber dans un vestiaire composé de gens qui se lèvent à 7 heures du matin et qui n’ont pas envie de courir autour de cônes quand ils viennent le soir. Cela ne m’a cependant pas empêché d’être ambitieux. Je veux être champion !

Avez-vous pensé quitter complètement le monde du football ?

Non car il m’a tout apporté. Cela aurait été impossible.

Vous ennuie-t-on encore avec cette histoire ?

Chaque semaine en Provinciales. Surtout les supporters. Si on veut me faire ch…, on me demande si je veux manger chinois. Je savais que ça allait arriver. Ce n’est pas trop grave mais il ne faut pas me chercher non plus ( il rit).

Appréhendez-vous le procès ?

Je ne sais pas du tout à quoi m’attendre et j’essaye d’y penser le moins possible pour ne pas me ronger. J’aurais préféré que ça tombe plus vite pour ne plus devoir vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête…

par stéphane vande velde – photo : reporters/mossiat

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