
Alexander De Croo: « Je suis comme Michael Jordan: plus il y a de pression, plus je suis fort »
Alexander De Croo (45 ans) est fasciné par le sport de haut niveau. En exclusivité pour Sport/Foot Magazine, il a pris une heure de son temps pour évoquer sa passion. Avec Michael Jordan en guise de fil rouge.
« Je terminerai par une phrase de quelqu’un que j’admire énormément: Michael Jordan. Il a dit: Talent wins games, teamwork wins championships. »
C’est ainsi que, le 30 septembre dernier, Alexander De Croo termine son premier discours en tant que Premier Ministre. Par une phrase du GOAT, The Greatest of All Time. Même si on n’est pas sûr que His Royal Airness ait un jour prononcé cette phrase, elle a été reprise par tous les médias, même étrangers. De Croo en est le premier surpris. « J’avais déjà utilisé cette phrase dans une allocution. Mais comme en septembre je regardais The Last Dance ( la série Netflix sur Michael Jordan et les Chicago Bulls, ndlr), je me suis dit: « Il faut que je la ressorte. »
En Afrique, on me parlait sans cesse de Kompany et Lukaku, mais aussi de Hazard, De Bruyne… » Alexander De Croo
Que retenez-vous surtout de cette série documentaire?
DE CROO: La façon dont cet homme faisait parler de lui à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas encore. Et surtout la façon dont il gérait la pression pour répondre invariablement présent dans les grands moments.
Vous vous reconnaissez en lui?
DE CROO: Oui, c’est aussi pour cela que j’ai repris cette phrase. Plus il y a de pression et plus j’ai de choses à faire, plus je suis fort. Sans pression, c’est plus difficile pour moi. J’aime les deadlines, j’ai toujours été comme ça. C’est l’avantage de cette fonction de Premier Ministre: de la pression, il y en a tous les jours. ( Il rit)
Jordan était un joueur qui marquait beaucoup et voulait tout faire, mais il est devenu un joueur collectif. Dans quelle mesure avez-vous évolué de la sorte, vous qui, en 2009, étiez président de l’Open VLD à l’âge de 34 ans et êtes devenu Premier Ministre en 2020?
DE CROO: ( il réfléchit) Quand j’ai débuté en politique, je me disais parfois que j’allais marquer des points. Quand on est jeune, on veut montrer de quoi on est capable. Mais j’étais déjà convaincu de l’importance du travail d’équipe avant d’entrer en politique. J’ai joué au volleyball dès l’âge de huit ans, jusqu’à mes vingt ans. C’est le sport collectif par excellence. Bien plus que le basket ou le football, où un individu peut faire la différence à lui seul. Par la suite, j’ai été consultant ( au Boston Consulting Group, ndlr), puis j’ai dirigé ma propre entreprise ( Darts-ip, spécialisée dans le droit de propriété, ndlr). J’ai toujours travaillé dans des domaines où l’équipe passait avant tout et c’est ce qu’il me manque le plus en politique. Même au sein d’un gouvernement, tout le monde ne tire pas toujours à la même corde, même si, sur ce plan, ce gouvernement est une révélation. C’est pourquoi j’ai fait référence à cette phrase de Jordan sur le travail d’équipe. Même si j’aurais tout aussi bien pu reprendre un proverbe africain: Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Ma première résolution, c’est de faire en sorte qu’au sein du gouvernement, chacun puisse marquer des points. Malheureusement, la deuxième vague de coronavirus m’oblige à être plus souvent sous le feu des projecteurs que je ne l’aurais souhaité. Même si c’est normal: en temps de guerre, on attend du capitaine qu’il soit en première ligne.
« Pour créer un climat de confiance, il faut oser montrer ses faiblesses »
En tant que Premier Ministre, votre rôle est plus que jamais celui d’un entraîneur. Utilisez-vous des techniques de coaches sportifs et si oui, lesquelles?
DE CROO: Le plus important, c’est de bien comprendre qu’un coach, un leader, ne peut réaliser de grandes choses que s’il parvient à tirer le meilleur de son équipe. Il est crucial de créer un climat de confiance. Pour cela, il faut oser montrer ses faiblesses, admettre qu’on a commis des erreurs et accepter une critique constructive, de sorte que chaque membre de l’équipe puisse donner son avis. Deuxièmement, il ne faut pas se laisser prendre par l’émotion, la perception, les apparences: il faut se baser sur des faits. Comme dans le livre Moneyball, que j’avais lu bien avant que le film avec Brad Pitt ne sorte. Un coach de baseball d’Oakland Athletics se base uniquement sur des statistiques pour découvrir des joueurs sous-évalués. Et ça marche, car l’équipe s’impose vingt fois d’affilée. J’ai trouvé cela fascinant et c’est devenu un fil conducteur pour moi.

Prenez-vous exemple sur un coach en particulier?
DE CROO: Sur base de ce que je viens de vous dire, je trouve Roberto Martínez très bon. La génération des Diables rouges était certes talentueuse, mais il a réussi à faire en sorte que tout le monde tire à la même corde. Chapeau! Je l’ai déjà rencontré quelques fois, c’est un homme particulièrement aimable.
Quel est, selon vous, le point commun entre le sport et la politique, au plus haut niveau?
DE CROO: La persévérance, la concentration et la préparation sont la base de tous les succès. C’est un travail important que personne ne voit. Quand Wout van Aert brille au Tour de France, ce n’est que la partie visible de l’iceberg. C’est pareil en politique: il faut bien préparer ses dossiers, parler à beaucoup de gens… C’est un travail de l’ombre, mais il porte ses fruits. Et malgré tout, parfois, ça ne marche pas, comme quand Van Aert s’incline de justesse au Tour des Flandres. Mais cela ne doit pas vous empêcher de préparer le dossier suivant avec autant d’enthousiasme.
« Les politiciens ne peuvent pas faire rêver les gens à la manière d’un Lukaku »
Si vous aviez les capacités physiques d’un Wout van Aert, voudriez-vous échanger votre carrière contre la sienne?
DE CROO: ( il réfléchit) Non. D’abord parce que le cyclisme est un sport extrêmement dangereux, comme on a encore pu s’en apercevoir au cours des derniers mois. Ensuite – et cela vaut pour d’autres sports aussi – parce qu’un athlète de haut niveau martyrise son corps, il est sans cesse à la limite de la blessure. On sous-estime ce combat physique et mental. Je ne le supporterais pas.
Mais la récompense de ces heures de souffrance, c’est l’adrénaline que procure la victoire.
DE CROO: C’est sans doute une sensation incroyable, mais combien de sportifs de haut niveau la connaissent vraiment? Très peu, hein!
Et en politique, vous la ressentez parfois, même dans une moindre mesure?
DE CROO: Les politiciens ne peuvent pas faire rêver les gens par leurs prestations à la manière d’un Van Aert ou d’un Lukaku. En revanche, nous pouvons tenter d’améliorer la société, de donner des opportunités aux gens, de résoudre leurs problèmes. Cela me procure aussi beaucoup de satisfaction.
En tant que ministre de la Coopération au Développement dans le gouvernement précédent, vous avez visité de nombreux pays pauvres. Avez-vous remarqué combien le sport peut apporter de la joie au peuple?
DE CROO: Dans les camps de réfugiés, des choses m’ont fendu le coeur et pourtant, j’ai été frappé par la joie sincère de ces enfants lorsqu’ils pouvaient jouer au football avec un ballon fait de bouteilles en plastique. C’était à la fois interpellant et beau. Après ça, je relativisais parfaitement les petites disputes politiques en Belgique.
« Le monde associe notre pays aux succès des Diables »
Vous êtes également un admirateur de Nelson Mandela, qui appréciait aussi le sport.
DE CROO: C’est vrai. Lorsqu’il était président, l’équipe sud-africaine de rugby n’était composée que de joueurs blancs et était l’un des principaux symboles de l’apartheid. Les gens ont alors fait pression pour qu’on change le surnom de l’équipe, les Springboks, mais Mandela l’a maintenu parce qu’il ne voulait pas de revanche sur le passé. Il a préféré insister sur le côté unificateur du rugby. Avec succès, car l’année dernière, l’Afrique du Sud est devenue championne du monde avec, pour la première fois, un capitaine noir, Siya Kolisi. Tout le pays a fait la fête. C’est beau, non? On voit d’ailleurs cela ici aussi. Qu’est-ce qui rassemble les Belges? Les médailles aux Jeux Olympiques, les Diables rouges qui brillent à l’EURO ou en Coupe du monde. Dans ces moments-là, beaucoup de gens ressortent le drapeau belge. On peut dire que ce n’est que du sport, mais lors de mes visites en Afrique, on n’a pas arrêté de me parler de Kompany et Lukaku, surtout, mais aussi de Hazard, De Bruyne… Aujourd’hui, le monde entier associe notre pays aux succès des Diables. Nous devons savourer ce succès, cette unité.
Votre père est président d’honneur et vous êtes vice-président du club de volley Saturnus Michelbeke. Qu’est-ce que cela implique?
DE CROO: Je manque de temps donc je suis à distance. Chaque saison, j’assiste à un ou deux matches de l’équipe féminine, qui évolue désormais en Division d’Honneur. Quand j’y vais, je vis cela de façon très intense, comme lors de la finale de la Coupe en 2019. Je joue encore sur la plage ou dans le jardin avec mon fils Tobias (douze ans). Il joue en U15 à Michelbeke. Mon autre fils, Gabriël (neuf ans) a commencé à jouer au hockey, il est gardien au Royal Hermes de Renaix. L’an dernier, je l’avais emmené au Championnat d’Europe à Anvers, à l’occasion de la demi-finale entre les Red Lions et l’Allemagne. Il a été conquis sur-le- champ.
Parvenez-vous à laisser la politique de côté pendant un moment?
DE CROO: Quand je fais du vélo. Ce qui est chouette, dans les Ardennes Flamandes, c’est qu’on se retrouve au milieu des collines et des champs. Je vis cela très intensément, je respire littéralement la nature. C’est pour cela aussi que je monte à cheval pendant une heure pratiquement tous les week-ends. Pas au galop, mais tranquillement. C’est encore une meilleure façon de découvrir la nature. Mais ce n’est pas vraiment du sport: seul le cheval souffle. (il rit).
Vous avez une idole en cyclisme?
DE CROO: Peter van Petegem. J’ai cinq ans de moins que lui et je l’ai vraiment vu évoluer. Je l’ai vu prendre part à une course pour juniors à Michelbeke alors que j’étais dans la voiture du directeur de course. J’ai suivi toute sa carrière de près. Au fil du temps, j’ai appris à le connaître personnellement. En 2013, nous avons même fait campagne ensemble contre les déchets sauvages. Et aujourd’hui encore, nous nous envoyons régulièrement des messages. Actuellement, à la maison, on ne parle que de Van Aert et Evenepoel, car mes fils sont fous de cyclisme. Tobias est fan de Wout, Gabriel de Remco. Il a même pleuré lorsqu’il l’a vu chuter au Tour de Lombardie. Heureusement, nous avons vite eu des nouvelles rassurantes.

Le charme de la culture sportive américaine
Pendant ses études à Chicago (2002-2004), outre Michael Jordan, Alexander De Croo a également découvert le football américain et le baseball. « Ma femme et moi avons à tout prix voulu nous faire des amis américains et nous plonger dans la culture US. J’ai donc demandé à nos amis de nous emmener à Wrigley Field, le fameux stade de baseball des Chicago Cubs. Les matches durent trois à quatre heures, mais c’est le passe-temps favori des Américains. Ce genre de match est surtout l’occasion de se retrouver entre amis.
Le football américain, c’est encore plus spécial. Nous allions systématiquement à Ryan Field, voir les Northwestern Wildcats, dans un stade de 47.000 places. L’hiver, il y faisait glacial, mais l’atmosphère nous réchauffait. C’était typiquement américain, avec beaucoup de nourriture et de boissons. En rue, on ne peut pas boire, sauf si on met sa bouteille dans un sachet en papier. Je n’ai pas respecté cette règle et c’est ainsi que j’ai écopé de ma première amende. (il rit)
Après que mes amis m’ont expliqué les règles, je me suis passionné également. Après mon retour en Belgique, j’ai continué à regarder chaque année la finale du Super Bowl en échangeant des messages avec mes amis américains. Ou avec Gwendolyn Rutten, qui est fan également. Il y a trois ou quatre ans que j’ai arrêté, car rester debout jusqu’à cinq heures du matin avant un meeting important…
Ce qui fait le charme de la culture sportive américaine, c’est qu’on se rend au match en famille. Il y a autant de femmes que d’hommes alors qu’ici, au football, elles ne sont peut-être que 10 ou 20%. Je l’ai souvent dit aux dirigeants de l’Union belge: si vous voulez attirer plus de monde, vous devez tenter d’amener les familles au stade. Mais on ne change pas la culture en trois coups de cuiller à pot.
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