ACCUSÉS, LEVEZ-VOUS !

Huit ans après que Sport/Foot Magazine eut été le premier à révéler les actes de Ye Zheyun dans le football belge, le procès du Chinois débute vendredi, à Bruxelles. Le principal inculpé ne sera toutefois pas présent. En Extrême-Orient, on est certain qu’il a été éliminé depuis longtemps.

Samedi 29 octobre 2005. Un GSM sonne au Stayen. Pietro Allatta est en ligne : quelqu’un peut-il venir chercher le citron à l’entrée du stade ? Le match opposant Saint-Trond à La Louvière a commencé depuis une demi-heure quand Ye Zheyun, son chauffeur, une mère et sa fille prennent place dans la nouvelle tribune assise, face à la tribune d’honneur, juste à temps pour voir le gardien local, Dusan Belic, rater deux interceptions. Le match s’achève sur le score de 1-3. Une heure et demie plus tard, Ye retourne à Bruxelles, satisfait. Il se rend au Rosa, une discothèque proche de l’Avenue Louise, où la fête se poursuit. Le citron ne lâche pas la fille et, de retour à l’hôtel, il tente d’aller plus loin mais c’est sans compter avec la mère. Elle alerte la police, qui interroge Ye. C’est la première et dernière fois que la Justice verra le petit Chinois. Faute de preuves, la police doit le relâcher et peu après, il fuit le pays.

Ce qui ressemble à un cas parmi tant d’autres d’intimidation sexuelle se mue en une affaire inédite de falsification de matches, de menaces de mort, de chantage et de paris illégaux. La juge d’instruction Sylvana Verstreken est chargée de l’enquête mais elle ne se presse pas, puis elle tombe malade. Son successeur, Jean Coumans, entre en conflit avec le parquet fédéral. Cette guéguerre interne et le fait que la Justice ne juge pas le dossier prioritaire font traîner les choses : le ministère public ne bouclera son dossier que cinq ans plus tard. Il demande à la chambre du conseil de traduire en justice 31 personnes et une société (voir encadré). Pour trois autres parties inquiétées durant l’enquête, il demande la fin des poursuites : Gaston Vets et Gaston Peeters, respectivement ancien président et ex-manager du Lierse, et La Louvière.

Quatre parties se rebiffent et se pourvoient en appel : l’ancien entraîneur du Lierse, Paul Put, les anciens joueurs Yves Van der Straeten et Laurent Delorge, ainsi que Bruno Belmans, le manager de Geel. Put est le seul à se pourvoir en cassation, la dernière possibilité. En vain. En avril 2013, on annonce que le procès des 32 accusés s’ouvrira le 13 septembre au tribunal de Bruxelles.

Germinal Beerschot et Lierse

Dimanche 17 octobre 2004. Les managers anversois René Vijt et Walter Mortelmans ont demandé à La Louvière des billets pour le match contre le Germinal Beerschot et sont invités à la table d’honneur, avec le président Filippo Gaone et l’avocat du club, Laurent Denis, qui leur présente un Chinois et une interprète. Ye Zheyun se veut soi-disant un magnat du textile issu de Shanghaï. On convient d’un rendez-vous le lendemain au Hilton de Bruxelles. Ye y dévoile son projet d’achat d’un club, afin d’acquérir la notoriété nécessaire à l’ouverture d’une filiale à Anvers. Les managers suggèrent qu’il opte pour une SA et lui conseillent le club anversois.

Ye apprécie Marius Mitu et Put, qu’il veut emmener au Kiel. Coup de bol, Put est client des managers. Finalement, Ye ne négocie pas avec le Germinal Beerschot, faute de pouvoir présenter les garanties bancaires requises. Vijt et Mortelmans, de leur côté, préfèrent rompre tout contact. Nous sommes alors en décembre 2005.

Entre-temps, la Ville a mis fin à ses négociations pour la reprise du Lierse, au grand dam du club, qui espérait ainsi rembourser ses dettes fédérales. Gaston Vets se souvient avoir entendu Vijt parler d’un repreneur potentiel et le contacte. Il apprend que celui-ci souhaite la fondation d’une SA. Leo Theyskens, un entrepreneur de Mol, a donné une option sur ses parts à la famille de diamantaires Goldberg, qui doit la lever avant de revendre les parts à Ye.

Ye a été introduit au Lierse par Put, qui a parlé à son adjoint, Patrick Deman, de la possibilité d’entraîner le Germinal Beerschot. Deman n’apprécie pas mais suggère à Put d’amener le Chinois au Lierse. Le 20 janvier 2005, Vets signe un contrat avec Shangai Yunwei International Trade Co. Ltd, la société de Ye, en présence de l’avocat du club, Chris De Nijn. Contre 3,8 millions, il acquiert 76 % des parts du club. Il verse une première tranche de 369.500 euros sur le compte de De Nijn.

Le Lierse est sauvé mais il ne lui reste qu’une demi-douzaine de joueurs et le staff, dont Eric Van Meir a été écarté par Put, qui ne lui fait pas confiance. On a convaincu les joueurs de perdre quelques matches pour diminuer le montant de la reprise. La première fraude, qui échoue, selon Deman, passé aux aveux, a lieu le 28 novembre 2004 contre le FC Brussels. Neuf joueurs sont impliqués et ne comprennent que deux mois plus tard qui est vraiment leur sauveur. Las, ils n’ont pas d’issue. La tromperie dure jusqu’à la dernière journée, quand le Lierse écrase La Louvière 7-0. Le contrat de Ye avec le Lierse a déjà été résilié, le Chinois n’ayant pas respecté ses termes, mais le Lierse conserve la première tranche.

Un ballon entre les jambes

Bruxelles, 19 février 2006. L’URBSFA s’éveille. Patrick Deman se présente au procureur fédéral, René Verstringhe, en échange de son immunité. Deux jours plus tôt, il a été renvoyé du Lierse, de même que Laurent Fassotte et Cliff Mardulier, après un interrogatoire du parquet. Anderlecht fait de même avec Mitu et Delorge. À Mouscron, Paul Put avoue sa tricherie à ses adjoints. La peur se lit dans son regard. La veille, pour la troisième fois, l’entraîneur a été bloqué sur la route et menacé de mort par des individus masqués et armés, à bord d’une sombre Mercedes Vito. Il craque et Mouscron le renvoie.

Verstringhe convoque une volée de joueurs. Le reportage de Panorama sur la maffia chinoise du pari date de deux semaines. Les indices de manipulation du match St-Trond-La Louvière remontent à trois mois et nos premières révélations sont vieilles de sept mois. Il y a dix mois que Verstringhe a été mis au courant par Roland Louf des tentatives d’infiltration de Ye. Pendant tout ce temps, la Fédération n’a pas bougé.

Peu après l’avertissement de Louf, en avril, David Delferière devient consultant de La Louvière. Vice-président de l’URBSFA, Delferière est un poids lourd du football belge. Après le renvoi du manager sportif Stéphane Pauwels, Gaone lui a demandé de remettre de l’ordre dans l’administration du club. Ye est alors en pleine activité et Delferière ne nie pas l’avoir vu. Le 26 octobre 2005, il démissionne.

Le week-end précédent, La Louvière a battu le Lierse 1-0, sur un ballon passé entre les jambes de Cliff Mardulier. C’est le premier match des Loups sous la direction de Gilbert Bodart, présenté deux jours plus tôt, en présence de Delferière, au bureau de Laurent Denis. Le trio pose en souriant. Le fameux match Saint-Trond-La Louvière a lieu trois jours après la démission de Delferière.

La Fédération boucle son enquête en un an et demi. Pour Verstringhe, Paul Put est le cerveau de l’affaire. Il s’appuie sur le témoignage de Deman, bien que celui-ci continue à penser qu’au début, Put croyait que Ye allait sauver le Lierse. Put est suspendu à vie en août 2007 et le Lierse est renvoyé en D3. HasanKacic écope de deux ans de suspension, NinoslavMilenkovic d’un an avec sursis, Mardulier et Archie Thompson sont blanchis.

Arrêt-Mitu

Et Mitu, Delorge, Fassotte, Van der Straeten et Igor Nikolovski ? Le fameux arrêt-Mitu les met hors de portée. Luc Misson, l’avocat du Roumain, a obtenu gain de cause : il estime que l’URBSFA ne peut infliger de sanction tant que l’instruction est en cours. Put, Kacic et Milenkovic ne se sont pas tournés vers la justice et peuvent être punis. Six mois plus tard, en appel, le Lierse et Kacic sont acquittés et la sanction de Put est réduite à une interdiction d’affiliation de trois ans, qui a pris fin le 17 mars 2011.

Sur papier, Put est le seul à avoir été puni sportivement, hormis les amendes symboliques de 125 euros infligées à Daniel Cruz, Mo Messoudi et Luciano Da Silva pour n’avoir pas signalé la tentative de corruption de Ye avant un match GBA-Westerlo. Aucun Loup n’est inquiété, que ce soit par la Fédération ou le tribunal. Seul Bodart avoue et fait croire qu’il a manipulé à lui seul les matches par de mauvais remplacements.

Même pour ces matches, le tribunal n’a aucune preuve de corruption. Les autres clubs à avoir certainement été approchés par Ye sont Geel, le Beerschot, Charleroi, Mons, Roulers, Courtrai, Renaix et Mouscron mais il n’est parvenu à s’introduire qu’au Lierse, La Louvière et Geel.

Le procès se concentre sur les 18 matches joués entre novembre 2004 et octobre 2005, bien qu’on soit certain que la période soit plus étendue. En septembre 2005, Karl Dhont, devenu expert ès fraudes de l’UEFA, montre à la justice belge une liste de matches sur lesquels l’Asie a massivement parié.

Le championnat de Belgique n’avait été introduit sur le marché asiatique qu’à mi-parcours de la saison 2003-2004. Dhont a décelé les premiers trucages à la fin de cette saison, avec, notamment, le fameux 0-9 de Mons-Club. On n’en trouve pas trace dans le dossier du procureur.

Gaone, lui-même actif dans le textile et fréquemment en voyage en Extrême-Orient, a tenu des propos étranges durant l’été 2005 : interrogé sur la première apparition de Ye en Belgique, il a répondu :  » Il y a des années. Je me demande si ce n’était pas quand Geel jouait en D1.  » Soit en 1999-2000, quand Put l’entraînait.

Une chose est certaine : Ye Zheyun ne répondra à aucune question. La Chine ne livre pas ses compatriotes. D’ailleurs, là-bas, on est certain qu’il a été éliminé depuis belle lurette, suite aux remous suscités en Belgique. ?

PAR JAN HAUSPIE

Le 19 février 2006, Paul Put, alors coach de Mouscron, est bloqué sur la route et menacé de mort pour la troisième fois.

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