À TOUTES LES SAUCES

De Chine en passant par la Russie, la France et bien sûr la Belgique : neuf récits détonants.

Jérôme Nzolo :  » C’est où le Gabon ? »

Arrivé en Belgique le 8 octobre 1995, l’arbitre JérômeNzolo se considère un peu comme un privilégié :  » Tant dans la vie privée que dans le monde du football, je n’ai jamais vraiment connu de grosse manifestation raciste à mon encontre. L’histoire qui m’a le plus marqué n’est d’ailleurs pas dramatique. Elle remonte en 1999, alors que j’arbitrais en 4e Provinciale dans la région de Charleroi. A la mi-temps, un supporter m’a crié :-Retournez chez vous au Congo.

Comme il n’y avait que 50 spectateurs, j’ai vite repéré l’homme assez âgé, qui m’avait lancé l’insulte. Je me suis retourné vers lui et je lui ai adressé un grand sourire. Ce qui m’a surpris à ma sortie du vestiaire c’est que cet homme était posté près de la buvette et m’a fait signe : il a été le premier à me proposer de boire un verre. Il m’a directement fait comprendre qu’il avait été intrigué par ma réaction : -Pourquoi vous m’avez souri quand je vous ai insulté ?

Je pense que dans ces cas-là, la meilleure chose est de discuter avec les gens car ils sont très souvent mal informés. C’est alors que je lui ai expliqué : – Je comprends que pour toutes les personnes de votre âge, tous les Noirs sont tous originaires du Zaïre. Mais moi, je suis Gabonais. Evidemment, je l’avais encore plus troublé puisqu’il ne savait même pas que ce pays existait. Il a été encore plus ébahi quand je lui ai expliqué que dans mon arbre généalogique, on retrouve des aïeux originaires d’Egypte et que les origines des générations précédentes étaient inconnues. Finalement, il en a conclut que nous étions tous citoyens du monde « .

Bertin Tomou :  » Les pelures de bananes chinoises  »

L’attaquant camerounais de Mouscron (28 ans) a quitté son pays d’abord pour la Corée (1997-1998), où il n’a pas connu de problème, avant de tenter l’aventure en Chine où il a porté les couleurs de cinq clubs différents.  » C’est en Chine que j’ai été, pour la première fois, confronté au racisme. D’une certaine manière, c’est logique, puisque la première fois que j’ai quitté l’Afrique, c’était pour aller jouer en Asie. J’ai vraiment souffert là-bas. La manifestation du racisme était la même qu’en Europe : des pelures de bananes qu’on jette sur le terrain, des cris de singe qui émanent des tribunes, des provocations verbales des adversaires. Et parfois, en rue, des choses plus subtiles. Vous savez, il ne faut pas nécessairement recevoir un coup de couteau dans le dos pour que cela fasse mal. Heureusement, je suis parvenu à faire abstraction de tout cela, ce qui m’a permis de rester huit ans et d’y réussir un bon parcours sportif.

La Chine est un pays qui n’est pas encore très ouvert sur le monde, et parfois, on me dévisageait comme si j’avais débarqué d’une autre planète. Certains Chinois avaient sans doute déjà vu un homme de couleur à la télévision, mais pour beaucoup d’entre eux, c’était la première fois qu’ils en avaient un en face d’eux, en chair et en os. Là-bas, il n’y a pas encore de campagne de sensibilisation contre le racisme, comme on en organise en Europe. Quant à savoir si ces campagnes sont utiles, c’est un autre débat. Car, apparemment, certains énergumènes ne demandent pas mieux qu’on parle d’eux, en bien ou en mal. Je dois avouer que, depuis que je suis en Belgique, je n’ai pas encore été l’objet d’insultes racistes. Touchons du bois, pourvu que ça dure… « .

Ebou Sillah :  » Mon dossier a été classé. C’est lamentable  »

A l’occasion de la 12e journée de championnat, le deuxième week-end de novembre, l’avant du Brussels (26 ans) a été pris à partie par le public de Roulers et l’arbitre de la rencontre avait décidé d’interrompre la rencontre.  » Le racisme, j’y ai été confronté pour la toute première fois, dans la vie de tous les jours, lors de mon séjour au Rubin Kazan, le club où j’ai joué avant d’aboutir au FC Brussels. Sur le terrain, il n’y a jamais eu de réels problèmes. Parfois, l’un ou l’autre défenseurs adverses a, certes, dû me traiter de quelques noms d’oiseaux, mais comme je n’avais pas la moindre connaissance de la langue russe, je ne me suis jamais arrêté à ce genre de détail.

Par contre, en dehors des terrains, la couleur de ma peau dérangeait, c’est sûr, et j’en ai vu et entendu des vertes et des pas mûres à ce propos. Un soir, par exemple, j’ai dû prendre mes jambes à mon cou parce qu’un fêlé voulait me tirer dessus à la sortie d’un night-club. Une autre fois, on a crevé les pneus de ma voiture et brisé mes vitres. Inutile de dire que c’est de gaieté de c£ur que j’ai quitté ce pays. Quel contraste, en tout cas, avec ce que j’avais vécu avant au cours de ma jeune carrière, fût-ce au Club Bruges, à Harelbeke ou au RBC Roosendaal, aux Pays-Bas. Là-bas, pour tout le monde, j’étais Eboutje. Cette saison encore, à la faveur de mon retour, je n’aurais eu qu’à me féliciter de la situation que je vis, sur et à l’extérieur des pelouses, s’il n’y avait eu cet incident regrettable à Roulers, il y a quelques semaines. A un moment donné, je m’étais alors précipité pour récupérer le ballon, sorti des limites du terrain, quand j’ai été pris à partie, verbalement, par quelques supporters locaux, à l’instar de Zam Zam d’ailleurs. Ces cris de singe étaient à ce point répugnants qu’à l’instigation de notre capitaine, Richard Culek, l’arbitre Karim Saadouni avait voulu arrêter temporairement le match.

Personnellement, je l’en avais dissuadé, car je craignais que les sympathisants du club flandrien se piquent au jeu, et qu’ils persévèrent sitôt le match relancé. En définitive, le referee avait choisi de faire passer un message au micro du stade, invitant les fauteurs à un peu plus de civisme. Ce qui m’attriste, c’est que le cercle roularien a finalement été acquitté, faute de preuves. Pourtant, le procureur de l’Union Belge avait, en première instance, requis une amende sévère qui allait dans le sens de la lutte contre le racisme dans les stades. Sur ces entrefaites, Roulers a présenté le rapport de police de la ville concernant cette rencontre et a exposé toutes les initiatives prises pour que de tels agissements ne se reproduisent plus. Du coup, le comité sportif a acquitté le club et a souligné dans la foulée le peu de solidité du dossier. Pour moi, la fédération a joué une fois de plus la politique de l’autruche et c’est regrettable. Que dis-je : lamentable « .

Sydney Kargbo :  » Mon renvoi à Courtrai était lié au racisme  »

Le rugueux défenseur Brussels (20 ans) regrette d’avoir caché le fait que le racisme l’avait fait craquer en Coupe de Belgique.  » Dès mon arrivée en Belgique, en 2001, mon frère Ibrahim avait tenu à me prévenir : ici, aussi bien en tant qu’être humain que comme footballeur, il fallait se couvrir d’une sacrée carapace si l’on voulait rester insensible au racisme. A l’époque où Ibou et moi-même jouions de concert à Charleroi, je me souviens que nous nous étions vus interdire l’accès à un dancing en raison de nos origines étrangères. A force de palabres, et compte tenu de son statut chez les Zèbres, le portier avait voulu faire une exception pour mon frère. Mais en ce qui me concerne, il était resté de marbre. Face à cette situation, aucun membre du petit groupe de joueurs que nous formions n’avait tenu à franchir la porte d’entrée.

Des faits pareils, j’en ai encore vécu d’autres par la suite. A tel point que je n’essaie même plus de sortir en boîte. C’est de toute façon peine perdue. Si je le voulais, je pourrais évidemment aller à Matonge, le quartier black de la capitale. Là-bas, c’est sûr, je serais le bienvenu. Mais toutes ces expériences m’ont échaudé et je préfère mener une vie sagement rangée.

Sur les terrains, j’ai souvent été confronté à des remarques désobligeantes, tant avec les jeunes au Mambourg qu’après mon transfert au Brussels. Je ne m’en suis jamais réellement formalisé. Mon frère m’a toujours dit : – Cela doit rentrer par une oreille et sortir par l’autre. Je m’y suis toujours tenu. A une exception près : mon exclusion lors du match de coupe de Belgique à Courtrai. La scène, on s’en souviendra, était consécutive à un tacle en avant des deux pieds, de ma part, sur Jimmy Hempte. Dans les faits et, au moment même, elle n’avait évidemment rien à voir avec le racisme. Mais auparavant, dans cette joute, je m’étais déjà fait chambrer à plusieurs reprises par un adversaire et le capitaine courtraisien, Stéphane Demets, n’avait rien entrepris pour calmer les esprits, que du contraire. Je regrette que lors de la défense de mon dossier, à l’Union Belge, ce détail n’ait pas été mentionné. C’est ma faute, car je ne l’avais pas signalé à mes propres dirigeants, le président en tête.

C’est au moment où Johan Vermeersch a dit que j’avais toujours connu la guerre en Sierra Leone et qu’un comportement agressif de ma part en découlait peut-être, sans qu’il se justifie pour autant, que j’aurais sans doute été inspiré d’intervenir. Mon intervention malencontreuse sur les chevilles du joueur courtraisien n’avait rien à voir avec les affres de la guerre civile que j’ai connue dans mon pays natal. En revanche, elle était bel et bien directement liée aux injures à caractère raciste que j’ai subies au stade des Eperons d’Or. Il fallait bien que je le dise un jour. C’est fait à présent. Mais cela n’excuse bien sûr en rien mon geste, qui demeure regrettable « .

Anthony Vanden Borre :  » Les parents sont les premiers fautifs  »

Le bivalent anderlechtois a été confronté pour la toute première fois au racisme sur les terrains lors d’un déplacement avec les Diablotins mauves au Racing Jet Wavre, alors qu’il avait 6 ans à peine.  » J’étais grand pour mon âge et la plupart des parents qui ceinturaient le terrain ne voulaient tout simplement pas croire que j’étais encore Diablotin. Ils étaient persuadés que j’étais un Préminime dont on avait trafiqué les papiers. Pour marquer leur désaccord, certains incitèrent les jeunes du cru à muscler leurs interventions sur moi, avec la bénédiction du coach wavrien d’ailleurs.

Mon entraîneur de l’époque, Philippe Oyen, était à ce point indigné par cette attitude qu’il menaça l’équipe d’en face que ses joueurs allaient mettre le pied, eux aussi, si ces attaques sur ma personne ne cessaient pas immédiatement. Finalement, le bon sens a triomphé et le match s’est terminé à la régulière. Par la suite, j’ai encore été pris souvent en grippe par le public, malheureusement. Au même titre que mes compagnons d’âge de couleur qui étaient nombreux au Sporting. Tous les noms d’oiseaux y passaient, question de nous déstabiliser ou de nous heurter. Il y a eu des moments, durant mon adolescence, où j’aurais bien voulu rendre à tous ces gens-là la monnaie de leur pièce. Mais j’ai toujours su me dominer, heureusement. Pour cela, je dois rendre grâce à mes frères, qui ont suivi mes prestations de près et qui m’ont toujours empêché de transgresser les limites « .

Axel Smeets :  » J’ai refusé de signer un bon contrat dans un club raciste  »

En plus de son long parcours en D1 (Standard, Gand, Courtrai, Lierse), Axel Smeets (32 ans) a évolué en Espagne, en Angleterre, en Turquie et en Norvège. Il a mis récemment un terme à sa carrière et devrait se tourner vers des activités dans le management sportif.

 » C’est triste à dire mais j’ai découvert le problème du racisme en… Belgique. C’est chez moi que j’ai entendu les premiers cris de singes. Cela n’a jamais été le cas dans les autres pays où j’ai joué. J’inscris cela sur le compte de la bêtise. Souvent, ceux qui s’abaissent à cela, s’en prennent aux Noirs, aux Maghrébins, aux Wallons, aux Flamands, adulent des représentants de ces communautés s’ils portent leurs couleurs. C’est dire s’ils sont bêtes. Mais cela fait mal. Les clubs où cela se passe mal sont connus. Je laisse le soin aux sociologues de les nommer. Moi, je les connais. J’ai d’ailleurs refusé un jour de signer un bon contrat dans un club de D1 dont une fraction du public s’amuse à déstabiliser les joueurs étrangers avec des remarques et des cris nauséabonds « .

Sanharib Malki Sabah :  » On m’a traité de terroriste  »

 » Je ne me souviens pas de la toute première fois où j’ai été victime de ce genre de manifestation, mais cela m’est arrivé, comme à beaucoup d’autres. Et même cette saison, dans ce fameux match contre le FC Brussels où EbouSillah avait été pris à partie par les supporters de Roulers. Moi, j’avais été traité de terroriste par les supporters bruxellois. Ils se sont sans doute souvenus de mes origines syriennes, tout comme de mon passage à l’Union Saint-Gilloise. La vieille rivalité Daring-Union a ressurgi. C’est dommage, mais bon : lorsque cela arrive, j’essaie de me concentrer sur le jeu et de ne pas répondre aux provocations « .

Majid Oulmers :  » En France, les gens se revendiquent d’extrême droite  »

 » En Belgique, c’est moins présent qu’en France où les gens se revendiquent ouvertement d’extrême droite. Ici, je n’ai souffert du racisme qu’à une seule occasion : il y a quatre ans, lors de ma première saison à Charleroi. Nous nous étions inclinés au Germinal Beerschot dans une rencontre que nous ne pouvions pas perdre. Un supporter de Charleroi m’a interpellé. Il s’agissait d’un gamin qui était mécontent et qui m’a pris pour cible en disant que je devais rentrer chez moi. J’étais déjà énervé par la défaite et c’était la goutte qui a fait déborder le vase. Je lui ai répondu que s’il avait un problème, on pouvait en discuter. Puis, ses parents sont arrivés et je suis monté dans le car. En France, lorsque je jouais à Sochaux, je faisais partie d’une équipe composée de Maghrébins, de Portugais, d’Africains. Il n’y avait jamais de problèmes en ville mais quand nous nous déplacions en campagne, ce n’était pas évident. Soit à cause de la peur des étrangers, soit parce que nos adversaires étaient endoctrinés par leurs parents « .

Gaby Mudingayi :  » Les supporters de la Lazio m’applaudissent  »

 » Honnêtement, je n’ai encore jamais été victime de cris ou de manifestations racistes. Ni en Italie, ni en Belgique. Ou, si c’est arrivé, je n’y ai pas prêté attention. Peut-être y a t-il eu, un jour, une banderole à mon intention, mais si c’était le cas, je ne l’ai pas remarquée. Je joue dans un club dont les supporters traînent une fâcheuse réputation ? C’est, effectivement, ce que l’on m’avait dit lorsque j’ai signé à la Lazio, mais depuis que je suis ici, j’ai un rapport formidable avec eux. J’étais déjà très apprécié à Torino, mais ici, c’est encore mieux. Ils m’applaudissent souvent, et dans les journaux, les lettres qu’ils font publier ne tarissent pas d’éloges à mon égard. Lors du derby contre la Roma, j’ai encore été davantage acclamé que d’habitude. En fait, je crois que tous les cris lancés des tribunes sont davantage des provocations à l’adresse de l’adversaire, que de véritables manifestations racistes. On a plusieurs joueurs africains à la Lazio, et ils sont tous très bien traités. On a un joueur nigérian, StephenMakinwa, qui est arrivé l’été passé de Palerme. Lorsqu’il venait à Rome sous le maillot du club sicilien, la saison dernière, il était constamment conspué. Les o uh, ouh, ouh n’arrêtaient pas, à chaque fois qu’il touchait le ballon. Maintenant qu’il joue à la Lazio, il est l’un des joueurs préférés des supporters. En fait, le problème, ce n’est pas tellement la couleur de la peau, mais plutôt le maillot que l’on porte « .l

PIERRE BILIC, DANIEL DEVOS, BRUNO GOVERS, NICOLAS RIBAUDO, STéPHANE VANDE VELDE

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